Récipiendaire du prix Félix Leclerc et petite sensation de la scène Québécoise, vous n’avez pas fini d’entendre parler de Rau_Ze. On a eu le plaisir d’échanger avec avec Rose et Félix autour de leur premier album Virer nos vies à l’occasion de leur tout premier concert à Paris.

La Face B : Çomment ça va ?
Rose : Ça va super bien, j’ai hâte de faire le spectacle. C’est vraiment pour ça que je suis ici.
LFB : C’est votre première date ?
Rose : Notre premier spectacle en France, à Paris.
LFB : Ça fait quoi de présenter sa musique en France ?
Rose : C’est fou. On partage une langue, mais on est quand même super loin. Moi, j’ai beaucoup de projets français que j’écoute depuis que je suis toute jeune. Donc d’avoir la possibilité de venir présenter ce qu’on fait et de le défendre, et de défendre notre langue québécoise à Paris, je trouve ça super.
Félix : Quelle belle place. On prépare un premier spectacle. Là, c’est le rêve
Rose : En plus avec Klô Pelgag ! On défend notre langue québécoise main dans la main.
LFB : Est-ce que vous avez l’impression, justement, que défendre la langue actuellement au Québec et même en dehors, c’est quelque chose qui prend de l’importance en vue de la situation politique autour de votre pays?
Rose : C’est sûr qu’on ne va pas chanter en anglais. C’est sûr qu’on est québécois.e.s. Justement, ça devient autant plus important de défendre ce qu’on est, dans quoi on a grandi, notre culture. Mais ça, ça a toujours été l’actualité. Ça a toujours été super important. Encore plus aujourd’hui, c’est sûr, mais encore plus demain et encore plus la semaine prochaine.
Félix : Vu la situation actuelle aux États-Unis, politique et tout, on est d’autant plus fier.e.s de faire rayonner le français en Amérique du Nord. et d’être bien accueillis ici comme des cousins, des frères, des sœurs.
LFB : On disait que l’album a un an, mais il y a quelque chose qui a été très vite entre vos premiers concerts et justement un album direct. Est-ce que vous avez l’impression que d’avoir sorti directement un album et de ne pas forcément avoir eu beaucoup de recul sur ce que vous faisiez, ça vous a permis de garder une fraîcheur et une spontanéité ?
Rose : On vient aussi du jazz, donc à chaque nouveau spectacle, les solos changent. Cette fraîcheur-là est toujours là. Mais ça fait trois ans qu’on fait la tournée de Virer nos vies, parce qu’on la faisait aussi avant que l’album sorte. Donc, c’est sûr qu’on se donne. On se donne, pis on n’a pas de pied de recul, mais le pied de recul, à un moment donné, il va être là, pis on va en profiter.
Félix : C’est ça. À date, on a une très courte carrière, mais une carrière très organique, parce qu’on n’a pas vraiment eu le temps de prendre le recul et de se demander ce qu’on voulait à moyen et long terme. On prend toutes les opportunités qui viennent à nous, pis on essaie de faire la meilleure musique possible. On est quand même perfectionnistes, donc on aime se lancer des défis plusieurs fois par année, essayer de toujours améliorer le show.
LFB : Justement, le fait que ces morceaux-là aient grandi à travers le live avant d’être jugés, est-ce que c’est quelque chose qui a justement été formateur ? Souvent, quand tu fais des concerts, les gens connaissent déjà un peu ta musique. Là, à travers les Francouvertes et tout ce que vous avez fait, les gens vous ont découvert vraiment à travers la scène. Il n’y avait aucun morceau qui était sorti.
Rose : Notre expérience vient de la scène aussi. On fait des spectacles depuis huit ans. Ça a commencé par des covers, ça a commencé par des reprises de hits qu’on faisait pour closer des bars avec des payes d’un nachos et deux bières. Donc c’est sûr qu’on a bâti une expérience de scène très forte, je pense que c’est peut-être ça qui nous démarque dans notre démarche.
Félix : Je pense qu’on a pris de la confiance à travers ça parce que, pour nous, c’était normal pendant une cinquantaine de shows que personne ne connaisse. Je crois qu’on a fait une cinquantaine de shows avant même de sortir une seule chanson. Donc on est habitué.e.s à ce que les gens nous découvrent. Vers la fin, les gens commençaient à nous avoir vu quelques fois parfois. Mais ça a été vraiment une belle surprise quand ça a commencé à chanter les paroles et connaître les chansons au Québec. C’est excitant de recommencer un peu à zéro ici et de découvrir une nouvelle crowd, c’est un beau défi.
LFB : Du coup, pour parler un peu plus de l’album, moi, j’avoue que j’ai été très surpris par le premier morceau, qui est un truc un peu dubstep.
Rose : Montréal Chill? C’est un palate cleanser. C’est avant de se plonger dans un univers, on sature de son, pis après, tu repars à neuf.
Félix : Exact. Tu sais, comme quand tu fais des dégustations de vin, tu as besoin de sentir du café. On avait envie de faire oublier aux gens ce que pouvait être la musique francophone québécoise avant de les amener dans notre univers. On est quand même très diversifié.e.s au niveau des influences. On aime le dubstep, entre autres.

LFB : J’ai l’impression que c’est un truc aussi où tu attrapes un peu les gens pour les secouer sur 30 secondes et puis après les laisser un peu tranquilles, mais pas trop non plus. Il y a quand même une vraie recherche d’énergie, je trouve. Et c’est hyper intéressant parce que l’album est très libre dans sa construction musicale, en fait.
Rose : À la place d’avoir un style, on est allé.e.s dans le funk, dans le disco, dans l’indie, dans le R’n’B, dans la pop.
Félix : C’est ça, on a composé en masse et on s’est laissé.e.s guider par ce qui était le plus logique stylistiquement, niveau arrangement. C’est très à la mode, je pense, aujourd’hui. Ça dépend des artistes, mais je crois qu’il y a beaucoup de projets qui ne se casent pas dans un seul genre et qui vont explorer plein de sonorités. À la radio, j’ai entendu dire que c’était plus facile de percer si on pouvait te mettre une étiquette assez claire mais c’est pas notre truc. On aime l’ambigüité, on la cultive.
LFB : Sur un morceau comme L’habitude, tu peux entendre des scratchs alors que sur Cinq minutes pile tu vas entendre des cordes. C’est stylé d’infuser une énergie particulière à chaque morceau.
Félix : Absolument. Des cordes et des influences un peu plus de la musique latine dans Cinq minutes pile.
LFB : Mais malgré tout, moi je pense que ce qui fixe un peu l’album et ce qui se ressent, c’est qu’il y a une vraie volonté d’apporter du groove et d’avoir un album qui est très centré justement sur la rythmique, que ce soit la basse ou la batterie qui sont très importantes.
Rose : C’est sa passion des percussions. Lui (ndlr : Félix), il passait trois semaines sur la groove du shaker…
Félix : On a vraiment voulu infuser une groove particulière pour chaque chanson. On n’a rien réinventé, mais on ne voulait pas que ça soit juste du poum poum poum. On en a une chanson qui est comme ça, plus disco.
Rose : Mais même là, tu as passé trois semaines sur le shaker.
Félix : Merci de le remarquer. On a quand même fait attention au groove.


LFB : Tu parlais du jazz, mais c’est vrai que c’est ce qu’on ressent aussi. Peut-être limite plus du free jazz. Ça devait être compliqué justement de figer les morceaux, j’ai l’impression. De ne pas laisser déborder l’énergie sur l’album.
Rose : C’est pour ça que c’est important. les deadlines. Il faut que le projet soit prêt à cette date-là, ça fait qu’on se limite à un moment donné.
Félix : On avait une approche plus produite pour l’album en live. On est plus jazz, on est plus spontané. C’est effectivement difficile de contenir notre énergie dans chaque chanson. Et pour l’album… À la réalisation, j’ai essayé de faire plus des petits morceaux qui se contenaient bien, qui facilitait l’écoute à répétition. C’est la stratégie aussi. Mais on fait autre chose sur scène.
LFB : Parce que l’album se réécoute très bien aussi, je trouve. Il y a un plaisir à retourner sur certains morceaux, à retrouver les choses et à découvrir d’autres choses à chaque fois. La réécoute n’est pas monotone, je trouve.
Félix : Merci. Je pense que c’est des arrangements assez maximalistes, dépendamment des chansons. C’est moi qui passe trop de temps à rajouter des trucs… J’espère que c’est pas too much, mais en contrepartie, ça donne une bonne qualité de réécoute parce qu’on découvre des choses à chaque écoute, je l’espère.
LFB : Est-ce que tu as l’impression que c’est un peu le style parfait pour ta voix?
Rose : Justement, il y a plusieurs styles. Je crois que ma voix est très malléable. J’aime aller n’importe où, j’aime voir vraiment ça comme un instrument et ne pas dire que je suis une chanteuse pop. Mais je peux être aussi une chanteuse pop !
LFB : Comme tu peux être une chanteuse hip-hop, une chanteuse de jazz, une chanteuse de soul. J’ai l’impression qu’il y a ce côté aussi très expansif dans la voix, justement, d’aller chercher un peu « bigger than life », comme dirait les Américains, ce truc d’habiter le morceau à travers la voix aussi.
Rose : C’est mon métier, j’y donne tout !
Félix : Rose est hyper versatile. On peut composer une track qui est plus hip-hop, une track qui est plus soul. Mais à la base, je pense que tu as grandi en chantant du soul et du Céline Dion. À partir de là, on fait ce qu’on veut.
LFB : J’avais une question sur les paroles. Vous les écrivez ensemble?
Rose : On se partage quand même la job. Félix a majoritairement écrit l’album.
Félix : Cet album-là, j’écris la majorité des chansons et des textes. C’est un travail de collaboration tout le temps. Quand on enregistre, Rose ajoute des mélodies. Il y a quelques chansons que Rose a écrites de A à Z. C’est vraiment en mode duo.
LFB : Il y a un truc très solaire dans la musique, mais je trouve qu’il y a aussi énormément de noirceur dans les paroles.
Rose : Ouais. La vie n’est pas facile ! (rires)
LFB : Il y a un contraste hyper intéressant, justement. Un côté presque cathartique, j’ai l’impression.
Félix : On est très spleen.
Rose : On est très théâtral.
Félix : Mais avec des chansons qui se veulent toujours un peu dansantes, un peu groovy. Encore une fois, il y a de l’ambiguïté. Selon nous, une chanson peut avoir des paroles plus tristes, pis quand même avoir une groove entraînante.
Rose : L’un n’empêche pas l’autre.
LFB : Crève est l’exemple parfait. Il y a ce truc où tu as envie de danser mais tu entends « Je ne veux pas crever toute seule ».
Félix : Absolument. J’aime quand la musique est bien rythmée et quand ça danse.
Rose : Je pense que le texte aussi est très important dans notre société. C’est un texte très féministe.
Félix : C’est ça, on essaie d’être un peu politique.
Rose : Exact, c’est important.
LFB : C’est hyper intéressant, encore une fois, ce contraste entre musique qui peut être vue comme purement divertissante et des paroles qui vont amener les gens à réfléchir au-delà du morceau.
Félix : Et peut-être même que ça va être plus facilement absorbable. Si c’est une chanson qui a un bon groove et qui est plus facile d’écoute, tu prends le temps d’écouter les paroles ensuite.


LFB : J’ai une question que je pose souvent aux artistes québécois parce qu’elle me fait un peu rire. Est-ce qu’il y a une obligation à mettre du saxophone dans un album de musique québécoise ?
Rose : C’est le jazz, nous. On a été longtemps un quintet. Avant moi, Félix avait un quatuor de jazz où les thèmes étaient par le saxophone. Est-ce que c’est nécessaire? Un peu. C’est agréable. Moi, j’aime bien.
Félix : C’est vrai qu’on aime beaucoup le saxophone au Québec, dans la scène indé. On a quand même été sages sur l’album.
Rose : On en a juste mis deux fois, peut-être?
Félix : Il y a un solo de saxophone dans Crève, mais je pense que c’est tout… On a été sages, mais en show… En show, il y a du sax. Il y a beaucoup de sax. et des instruments analogues comme ça, ça fait plaisir sur scène, on pense.
LFB : L’album a 1 an et je sais qu’au Québec, vous pensez déjà à la suite. C’est quoi, là, vos envies, justement?
Rose : Ben, de se reposer pour composer, je pense. Ça va faire trois ans qu’on tourne, qu’on a la tournée de Virer nos vies. Donc, je pense que le but, ça serait de se reposer et composer un deuxième.
Félix : Ouais, la tournée continue, mais elle va devenir de plus en plus éparse, donc on va recharger nos batteries. Comme je disais, on n’a pas vraiment le temps de prendre du recul encore, de se demander ce qu’on voulait pour la suite. La prochaine année, c’est ça, en fait. Qu’est-ce qu’on veut être comme artistes?
Rose : Oui, qu’est-ce qu’on veut amener d’autre?
LFB : Vous avez encore des dates en festival cet été, c’est ça?
Rose : Oui, on vient en Suisse, au Paléo.
Félix : Osheaga à Montréal, le Festival d’Été de Québec, le Festif de Baie-Saint-Paul. Donc on attend l’été et on revient en France l’automne prochain. Très hâte.
LFB: Est-ce que vous avez des coups de cœur récents, culturels?
Rose : Le nouveau Lou-Adriane Cassidy, Ariane Roy, les deux sortent des affaires en ce moment. C’est tout excellent. Marie-Pierre Arthur, Klô Pelgag. Mon cœur est aux femmes québécoises.