Rencontre avec Charlotte Adigéry et Bolis Pupul

En ce début d’année, la belgique nous a encore livré une pépite musicale dont elle a le secret. Avec Topical Dancer, Charlotte Adigéry et Bolis Pupul nous offre un album en forme de thérapie, traitant de sujets importants mais toujours avec recul, humour et tendresse, le tout avec un but ultime : nous faire danser. On a eu plaisir à les rencontrer pour une longue conversation autour de cet album.

LFB : Comment ça va ?

Charlotte : Je suis fatiguée, j’ai envie de prendre un bain super chaud, me faire livrer de la bonne bouffe dans mon lit et que mon bébé dorme pendant 12heures, après ça ça ira mieux mais ça va je me sens à l’aise.

Bolis : Moi je me sens un peu frustré parce qu’il y a des jours comme aujourd’hui ou on n’a pas vraiment le temps d’être créatif, faire de la musique. Après deux trois jours, j’ai juste envie de construire quelque chose mais il faut avoir un peu de la patience.

LFB : Je voudrais, avant de parler de l’album, parler de quelque chose que vous avez fait avant. Vous avez présenté le projet, pas un post que Charlotte as fait sur les réseaux, comme étant de vous deux en expliquant que la musique c’est Charlotte & Bolis et pas juste Charlotte. Pourquoi vous avez eux besoin de faire ça ? Qu’est ce que a changé par rapport à la perception du projet ?

Charotte : Pour nous non, le projet a toujours été un duo mais c’est un peu une coïncidence. Au début nous n’avions pas l’intention, au delà de nos heures passées au studio, de faire plus avec ce projet. C’est quand il a commencé à prendre un peu d’ampleur et qu’on a voulu jouer en live qu’on s’est dit que ce nom n’était pas très représentatif de qui nous sommes et de comment on travaille. On a donc décidé, avec la sortie du premier album, que c’est maintenant ou jamais de faire en sorte que le nom représente qui on est et comment on travaille.

LFB : On a un album qui s’appelle « Topical Dancer » pour moi le titre de l’album est assez évident dans le sens où quand on l’écoute, il frappe autant les pieds que l’esprit. L’avez vous construit comme ça ?

Bolis : On n’a pas fait ça exprès, c’est une coïncidence avec notre manière de travailler. Avant de commencer à travailler ensemble, on fait des sessions thérapeutiques entre nous deux où on parle de plein de choses et parfois il y a des sujets qui vont se retrouver dans les chansons.

Charlotte : C’est la combinaison de deux trucs qu’on aime, la musique électronique et parler ensemble, partager et c’est en parlant, en faisant des interviews qu’on s’est rendu compte qu’il y a cette balance, cet équilibre entre les deux.

LFB : Si on regarde l’historique de la musique électronique, il y a toujours eu une part de politique dans son utilisation mais c’est quelque chose qui s’est un peu dilué avec le temps. Est-ce que c’est important pour vous de remettre cette idée politique dans la musique électronique ?

Charlotte : Pas forcément. Je trouve que la musique qui contient un message est intéressante mais pour nous la musique peut aussi avoir un message uniquement énergétique sans que les choses soient dites littéralement. C’est intéressant et je crois qu’il y a beaucoup à décrire avec tout ce qui se passe dans le monde en ce moment, c’est très inspirant mais ce n’est pas forcé. On ne se voit pas comme des activistes, on veut juste partager par notre musique ce qu’on partageait entre nous avant. C’est comme une invitation.

LFB : On dit souvent qu’on peut rire de tout, ce qui n’est pas forcément le cas. Est ce que vous pensez qu’on peut danser sur tout ?

Charlotte : Je crois, mais je me rappelle que quand j’avais 16/17ans, je sortais beaucoup et j’écoutais beaucoup de dancehall et de reggae et il y avait quand même des chanteurs très homophobes. Au début je ne réalisais pas, j’adorais la musique, je ne comprenais pas le patois et à ce moment là, c’est quand même difficile de danser sur ce genre de propos. Donc non, je ne crois pas que l’on puisse danser sur tout, tu ne vas pas me trouver à un festival de punk extrême droite à danser.

LFB : Est ce qu’il y a des sujets que vous vous êtes interdit ?

Bolis : Non, il y a plein de sujets qu’on peut aborder mais je crois qu’on a choisi les sujets dont on avait envie de parler et sur lesquels on pouvait dire quelque chose.

LFB : Avez-vous découpé cet album en chapitre ? J’ai l’impression qu’il y a trois chapitres distincts dans l’album : un côté un peu politique sur le début, une trilogie sur le féminisme et la femme, en terminant par une partie orientée vers le non sens.

Charlotte et Bolis : C’est très intéressant car on ne l’a pas fait exprès mais c’est exact. C’est souvent après, quand on parle avec des journalistes, qu’on se dit que ce n’était pas du tout notre intention. Mais ce que tu dis c’est exact donc je crois que l’intuition c’est quelque chose de très puissant.

LFB : C’est vrai qu’il y a les premières chansons plus politique avec « Blenda », la partie avec « It Hit Me » et après on part sur « Ceci n’est pas un Cliché » qui est plus dans le non sens, quelque chose de plus étrange.

Bolis : On va utiliser ça pour la prochaine interview, merci beaucoup !(rires )Vous êtes le premier à dire ça et à l’avoir remarqué.

LFB : C’est un album qui est très drôle même si les sujets sont très sérieux.

Charlotte et Bolis : Ce n’était également pas fait exprès mais je crois que nous sommes un peu rigolos.

LFB : Trouvez vous que la musique manque d’autodérision ? Quelle est trop sérieuse ?

Charlotte : On en parle beaucoup dans nos conversations. On trouve qu’il y en a mais ce n’est pas courant et je trouve que ça manque. Se prendre un peu moins au sérieux aide à passer le message différemment et ça permets de se reconnaitre dans un artiste, ça humanise.

Bolis : Le côté humour nous aide à parler de sujets lourds comme la politique et si on peut ajouter un peu d’humour dans la vie des politiciens ça peut aussi aider dans les négociations ou je ne sais pas.

LFB : Il y a une ligne intéressante sur des morceaux comme « Esperanto » ou « Ceci n’est pas un Cliché » car vous pointez du doigt mais sans dénoncer et j’ai l’impression que vous vous incluez aussi dans ce que vous raconter.

Charlotte : Oui, on part toujours de nos expériences mais sans pointez du doigt et je suis contente que tu l’ai ressenti de cette façon. Je crois que d’un coté on peut rire de presque tout du moment que tu maîtrises ton sujet et qu’il y a un respect derrière. C’est pour cela qu’on commence par nos expériences et nos perspectives et qu’on se permets de faire des blagues .

LFB : C’est interessant parce qu’à l’heure actuelle, avec un titre comme « Esperanto » on se rends compte qu’on est tous un peu à faire de grand discours avec les gens et des que la porte est fermée le discours change complètement. Ce qui m’a plu c’est cette idée que c’est ok de rire de ça, de se rendre compte de ça et qu’on est tous comme ça. Il y a une certaine quête d’universalité dans vos morceaux de dire : on est tous comme ça à un moment ou à un autre et c’est ok, on évolue dans le bon sens.

Charlotte : Merci, ça me fait tellement de bien d’entendre ça. D’un côté parce c’est vrai, nous aussi on se dit que ce n’est pas la fin du monde d’avouer que, parfois, on est tous un peu raciste et il faut être être ouvert, avoir le regard ouvert et se rendre compte qu’on fait tous des fautes et vouloir apprendre de ses erreurs. Mais quand tout le monde est déjà super convaincu, ça tue les conversations. D’un autre coté, je suis super contente parce qu’hier on a eu une critique dans un journal sur ce morceaux qui disait que ce n’était pas très raffiné comme humour. Je crois qu’elle n’a pas très bien compris ce qu’on est en train de faire donc ça me fait plaisir que tu nous comprennes.

LFB : Finalement c’est quelque chose qui joue sur le ressenti de chacun. Il y a peut-être des gens qui se vexe parce que quand tu dis « je ne vois pas la couleur » ou « je suis un citoyen du monde » ce sont des phrases tellement clichées que certaines personnes le prennent au premier degrés.

Charlotte et Bolis : Oui, et je crois qu’elle l’a pris au premier degrés, je crois qu’elle n’a pas compris le message derrière. C’est ça aussi, l’humour, la musique, le goût, la couleur, ce sont des choses très personnelles et on peut discuter mais on peut ne pas être d’accord.

LFB : J’aimerai bien revenir sur la partie féminine parce que je trouve que les trois morceaux s’enchainent parfaitement dans le sens où il y a trois portraits différents : le regard de l’homme, le rapport du regard en tant que mère et le rapport de réappropriation de son corps et de sa personnalité. En tant que femme, est-ce que c’était important pour toi de parler de ces sujets là et comment tu les as traité pour que ce soit universel et personnel en même temps tout en restant divertissant ?

Charlotte : On a commencé à écrire l’album en 2018, j’avais 28 ans, je voyais la trentaine arriver et je me suis posée plein de questions. J’allais me marier, je pensais aux enfants, aux femmes qui connaissent ça à 30ans mais je n’avais pas l’intention de devenir maman. Mon papa est devenu malade d’Alzheimer, j’ai vécu des trucs un peu difficiles avec lui. Il y avait des choses qui me manquaient et qui plus tard, en étant adulte m’ont questionné, sur le fait que je n’ai pas vécu ou reçu ça et ça. J’ai eu plein de questions et je crois que la musique m’a aidé à analyser tout ça, me poser, me remettre en questions. C’est aussi pour cela que j’ai invité ma mère au studio car on parle beaucoup. Il se passait plein de choses autour de moi et la musique a été la meilleure façon de pouvoir digérer tout ça. J’ai aussi eu des traumatismes dans mon passé de femme, de jeune femme et d’enfant et j’avais également besoin d’en parler et entre temps j’allais en thérapie donc ce sont trois éléments, le fille, la femme/ mère un peu plus tard qui tournaient autour de moi.

LFB : Justement, vu que vous êtes la, qu’est-ce que ça fait de chanter sur l’album de sa fille ?

Christiane Adigéry : C’était une conversation parmi tant d’autres qui est arrivée à ce titre, Ich Mwen.

LFB : Vous m’avez offert le plus gros fou rire de l’album car la dernière phrase de ce titre est incroyable. Je trouve la chanson vraiment intéressante car il y a cette idée de dialogue. Le choix de chanter en français sur certains morceaux venait-il de l’idée de vouloir faire un dialogue et de raconter des choses sur l’album ?

Charlotte : Je crois que chaque langue représente une facette de notre identité donc on a décidé de les utiliser, sauf le néerlandais car c’est plus difficile pour la musique. Pourtant ce n’est pas super évident pour moi d’écrire en français mais je trouvais que c’était important d’inclure ça.

LFB : Comment la recherche de sens et la thématique de la chanson influence le son et la production de la musique ?

Charlotte et Bolis : Je crois à nouveau que ce n’était pas un truc conscient. Par exemple sur It Hit Me on a fait le choix de pitcher la voix dans le pre-chorus, elle tombe comme à l’adolescence et ce sont des références au sujet. Dans ce cas là on en fait exprès mais je pense qu’en général non, on commence très libres avec les instruments et les sons.

LFB : Chaque chanson à sa personnalité propre au niveau de la couleur musicale. Il y a en même temps un coté très intemporel dans la façon dont vous faite de la musique, qui est a la fois simple sans être péjoratif, c’est très direct et au fil des écoutes on entends les détails. On a l’impression que tout le monde pourrait le faire et au final il y a énormément de détails qui viennent au fil des écoutes.

Charlotte : On aime la pop, la culture pop, la musique pop et comme tu dis, à la première écoute tu entends et tu comprends mais il y a plusieurs couches.

Bolis : C’est quelque chose que l’on aime aussi dans l’art et la musique, c’est quand il y a plusieurs couches et que tu peux écouter un morceaux 5 fois et qu’à chaque fois tu découvres quelques chose d’autres. J’aime bien ça.

LFB : Il y a des morceaux que j’appelle un peu fou comme « HAHA » où il y a comme un malaise qui se créer à la première écoute où « Making Sense Stop » qui, sur la fin, joue comme une aération de l’album, comme si il fallait malgré tout évacuer tout le sérieux de ce qui a été dit avant.

Charlotte : C’est vrai, j’ai l’impression que tu étais là avec nous au studio. On ne peut que confirmer, c’est exactement ça. Surtout avec Making Sense Stop, c’était le dernier morceaux de l’album, il ne nous restait plus que des instrus et puis on s’est dit « mais qu’est ce qu’il nous reste encore à raconter », je me suis dit que j’en avais marre de m’entendre avec mes grands discours et puis on a eu une conversation où Bolis m’a dit qu’il y a plusieurs façon d’écrire, sortir de l’intuition. Il ne faut pas toujours vouloir faire sens et c’est que que l’on a exploré avec ce morceau et HAHA c’est plutôt une coïncidence, c’est un enregistrement de ma voix que j’avais retrouvé et pendant le confinement on s’est dit pourquoi pas en faire un truc. C’est comme ça qu’est née cette chanson. Ce qui est comique c’est que souvent, dans les interviews, les journalistes essayent de trouver l’histoire derrière HAHA mais il n’y en a pas.

LFB : Il y a un coté presque hypnotique avec ce morceau. On l’écoute et on cherche ce qui va arriver et il n’arrive rien. C’est comme sur Thank You, on attend le drop qui n’arrive jamais.

Bolis : Je pense qu’on aime bien mettre les gens sur le mauvais pied.

LFB : Vu que Thank You finalise l’album, j’aimerai bien que vous m’en parliez. Je le trouve assez réjouissant dans ce que vous y raconter, sur l’image de l’artiste par rapport aux gens et de l’impudeur et la bêtise des gens qui vont se faire des compliments et qui enfaite se disent des horreurs. Est-ce qu’il y a une petite vengeance avec ce morceau ?

Charlotte : Exactement, on en a eu des questions où on se dit « il est où le compliment ? » ou « qu’est ce que tu essayes de me dire ? » C’était comme une vengeance pour nous mais avec le sourire et c’est ce qu’on fait toujours avec la musique, on en fait un morceau pour pouvoir digérer nos frustrations, nos douleurs et j’espère que les gens qui nous on dit ces choses là vont se sentir visés et n’oseront plus emballer des critiques dans un compliment.

LFB : Quelles sont les influences qu’ont eu les frères Dewaere sur votre musique et qu’est ce que ça fait de bosser chez DEEWEE ?

Charlotte : C’est un endroit incroyable, un safe space où on peut faire des expériences sans aucunes pressions. Il y a plein d’instruments autour de toi et les frères sont supers importants car ils nous incitent à vraiment aller plus loin.

Bolis : Ils nous demandent ce que l’on a vraiment voulu dire et nous incitent à penser plus profond que ça. C’est aussi eux qui nous disent, de part leur distance quand une chanson est finie. Cela nous aide beaucoup dans notre travail, d’avoir une voix comme ça qui nous aide à prendre une décision.

Charlotte : Parfois ils nous disent « stop ne toucher plus à ce morceau, on va l’envoyer au studio ». Comme Making Sense Stop par exemple, on avait un autre rythme et ils l’ont changé. Ils vont nous orienter, nous dire « il manque un morceau comme cela au début » ou « faites un morceau à 110bpm sans synthés, juste des rythmes » parfois ils nous demandent ce que l’ont veut vraiment raconter, nous disent quand il faut approfondir etc…

Bolis : Quand on a un blocage, c’est eux qui savent comment faire pour nous aider.

LFB : C’est un peu une blague mais est-ce que René Magritte à une influence sur la conception de l’album ?

Bolis : Oui je pense, parce que ce qu’on l’aime beaucoup, il y a plein de clin d’œil dans l’album. C’est un de mes artistes belges préférés.

crédit photo : Inès Ziouane

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