En novembre dernier, les canadiens de Half Moon Run était de passage à Paris pour un concert au Trianon. Nous les avions rencontré à cette occasion pour une interview en deux temps, afin de parler de leur troisième album, A Blemish In The Great Light.
Version anglaise plus bas/ English version below
La Face B : Salut les gars, comment ça va ?
Dylan : Ca va bien, je viens d’avoir la pire expérience avec des puces de lit. J’ai pas dormi de la nuit. Je viens d’acheter des nouvelles fringues chez H&M et j’ai tout stérilisé ce matin. Mais maintenant c’est bon !
LFB : Pour ce nouvel opus, j’ai eu l’impression de reconnaître des influences plus soul, rock et country et moins électronique. Est-ce que c’était un choix pour vous de retourner à des racines plus classique ?
Dylan : On ne part jamais d’une intention de style musical. C’est peu-être parce que Connor a appris à jouer du pedal steel et donc en l’entendant vous allez peut-être penser à de la musique country. La même chose peut se produire en entendant du piano acoustique, on aura l’impression que le disque est moins électronique mais on essaye toujours de faire la meilleure musique possible.
Isaac : Il n’y jamais de discussion du style « Oh écrivons une chanson country ! ». C’est plus Devon qui arrive avec un riff de guitare et on commence à construire un morceau autour petit à petit.
LFB : C’est votre troisième album, est-ce que vous avez senti une sorte de pression pendant l’enregistrement ?
Isaac : Je n’ai personnellement ressenti aucune pression, on a pris pas mal de temps pour écrire ce qu’on jugeait être de la bonne musique, on avait sélectionné vingt chansons quand on a quitté le studio et on a fini avec dix donc on se sent plutôt confiant.
LFB : Donc il n’y a pas eu de grosse différence entre le premier album et celui là en terme de nervosité ?
Dylan : Si, il y en a eu, on s’est mis beaucoup de pression pour celui-là. C’est pour ça qu’on a pris deux fois plus temps. On n’avait pas envie de se presser pour sortir quelque chose, c’était marrant d’écrire autant de musique.
LFB : Est-ce que vous avez pensé à l’aspect commercial pendant l’écriture ?
Dylan : Nan absolument pas mais avec le premier et le deuxième, je crois qu’on voulait garder un aspect un peu secret et mystérieux, on aimait se cacher derrière les rideaux. Mais avec cet album on a décidé d’avoir un son plus direct et apparemment ça le rend plus radio friendly.
LFB : J’ai eu l’impression que le son était en effet plus direct et organique, se rapprochant plus de vos concerts.
Dylan : C’est notre quête éternelle, traduire l’énergie qu’on a sur scène au studio. On ressent vraiment cette énergie unique sur scène et on sait qu’il s’y passe quelque chose, mais une fois dans le studio, il y a beaucoup plus de tension, on trouve ça dur de lâcher prise et d’être juste dans le présent. Donc on a essayé d’enregistrer le plus d’instruments possibles pour retrouver cette atmosphère du live.
LFB : Au sujet de vos pochettes d’album, est-ce que vous travaillez avec la même personne à chaque fois ?
Dylan : C’était la même personne pour celui-là et le deuxième. Pas le premier. C’est une amis de longue date, on a appris à bien la connaître sur le deuxième. C’est une photographe fantastique et on est venu la voir dés que l’album était fini.
Isaac : La pochette de cet album, c’est une photo qu’elle a prise quand elle était en Asie, c’est pendant une fête de village où ils propulsent les cendres de membres de la famille dans une fusée et après l’explosion, les cendres pleuvent sur la ville.
Dylan : En faisant ça, il essayent d’énerver les Dieux afin qu’il se mette à pleuvoir. Aussi le film est abîmé, on y voit ses empruntes.
LFB :Est-ce que vous étiez avec elle quand elle a pris cette photo ? Comment l’avez-vous choisie ?
Dylan : Nan nous n’étions pas avec elle, on a essayé d’autres images avant, on a eu pleins d’idées différentes, elle nous a montré pleins d’autres photos à elle avant qu’on se mette tous d’accord sur celle-là.
LFB : Est-ce que c’est un choix de ne pas apparaître sur la pochette ?
Isaac : Ce n’est pas une règle, si on aime une photo et qu’il y a nos têtes dessus, ça ne pose pas de problème mais ça n’a pas été le cas pour cet album là.
LFB : Vous jouez ensemble depuis plus de dix ans, avec le temps avez-vous l’impression que les rôles se définissent de plus en plus ou au contraire qu’ils changent en permanence ?
Isaac : Cela change tout le temps mais Dylan sera toujours le batteur qui joue la ligne de basse.
Dylan : Oui par exemple cette fois-ci c’est toi et Connor qui ont joué la ligne de basse. D’habitude si je ne la joue pas, quelqu’un le fait au clavier mais là vous avez utilisé une vraie basse électrique.
Isaac : Et on avait deux batteries et le piano dont on vous parlait tout à l’heure.
Dylan : En fait c’était marrant parce que pour cet album on a fait des trucs de groupes « normaux ». Par exemple sur Black Diamond, tu joues la batterie, je joue le piano, Connor la basse, Devon la guitare et on chante tous.
Isaac : Pas de multitâche pour une fois, c’est rafraichissant et simple ! (rires)
Dylan : Pour nous c’est tout nouveau, comme si on était entrain de repousser nos limites en faisant quelque chose d’extrême alors que c’est plutôt normal.
LFB : Et après tu mets des shakers sur un chapeau…
Isaac : Il faut faire attention quand tu fais une blague dans ce groupe…
Dylan : J’avais rigolé en leur montrant ce chapeau « eh regardez les mecs, le shaker est attaché au bonnet » et après ils m’ont demandé de le faire tous les soirs…je l’appelle le bonnet de la honte…mon père m’a acheté ce bonnet à noël pour me protéger du froid en hiver et il s’est avéré que ses caches-oreilles, avec des élastiques, ont la taille parfaite pour les shakers tubulaires…mon père est très fier…(rires).
LFB : Est-ce que vous avez des coups de foudre musicaux à nous faire partager ?
Isaac : J’écoute beaucoup de musique des années 70, j’ai aussi acheté un album de musique d’ambiance hier. C’est de la musique indie, super relaxante, j’adore !
Dylan : Leif Vollebekk, qui est en tournée avec nous en ce moment, je l’adore, sa musique résonne vraiment en moi et Tim Baker également qui est juste incroyable. Thom Yorke a sorti un nouvel album que j’écoute en boucle chez moi.
LFB : Y a-t’il des groupes que vous écoutez tous ensemble ?
Isaac : Il y des échanges de temps en temps, on écoute tous Boards of Canada et je crois qu’on adore tous Thom Yorke.
Dylan : ah oui et il y a ce groupe de Bristol qui s’appelle This is the kit, que j’adore. J’ai cherché ses albums partout au Canada et la dernière fois qu’on était en Angleterre, je ne savais qu’elle était de Bristol, on était justement à Bristol et ils vendaient des éditions limitées de ses albums, c’était malade !
Entre Devon, on va parler des paroles avec lui pour cette deuxième partie d’interview.
LFB : Salut Davon, je me demandais si tu écrivais les paroles tout seul ou en groupe ?
Devon : Parfois je consulte Connor mais quatre-vint-dix-neuf pour cent du temps, je les écris tout seul! Je peux lui demander si une phrase est trop clichée et il m’aidera à trouver une autre façon de la dire, plus comme une consultation.
LFB : Les paroles te concernent-elles toujours directement ? As-tu des personnages fictifs ? Ou des personnes que tu connais ?
Devon : Je dirais les trois ! Chaque chanson te concerne quand c’est toi qui les écris, tu te dévoiles même si tu ne parles pas directement de toi. Mais parfois ça sera de la perspective d’une troisième personne. Ça dépend mais j’utilise toutes les perspectives quand j’écris.
LFB : J’ai eu l’impression que les paroles de cet album étaient, dans l’ensemble, assez sombres, utilises-les tu pour échapper à cette part d’ombre ?
Devon : Malheureusement pour beaucoup d’artistes, les moments où tu es le plus inspiré sont souvent les plus sombres. Quand je viens de passer une belle journée, qu’il fait beau dehors et que je suis avec ma petite amie, et bien peut-être que je n’ai pas envie de prendre du temps pour écrire à ce moment là. Mais quand les choses vont moins bien et que tu te sens triste, c’est à ce moment là que l’inspiration arrive, ça ne veut pas forcément dire que je suis quelqu’un de sombre tout le temps…juste la plupart du temps (rires).
LFB :Est-ce que c’est une réaction à l’état du monde actuel ?
Devon : C’est curieux que t’en parles justement parce que la plupart des chansons de cet album ont été écrites avant que je me mette à lire pas mal de documentation sur l’état du monde actuel, donc certaines chansons emprunteront ce ton « Oh non nous vivons dans un monde terrible ». Mais après j’ai commencé à lire des écrits scientifiques relatant que nos conditions de vie n’ont jamais été aussi meilleures dans l’histoire de l’humanité. Quand on pense au temps des rois et reines, où cinq personnes détenait quatre vingt dix neuf des richesses du pays, aujourd’hui on parle d’un pour cent qui a toujours beaucoup d’argent mais ça n’était rien comparé aux régimes des rois et reines où toute la population mourrait de faim. La qualité de vue pour tout le monde aujourd’hui n’a jamais été aussi haute. Donc c’est plutôt un point positif. La situation climatique fait l’exception mais est quand même mieux qu’il y a dix ans en termes de taux de destruction, on continue à détruire à grande échelle mais en 2008 c’était bien bien pire ! Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir mais Ce n’est peut-être pas aussi lugubre qu’on le pense !
LFB : D’ailleurs on garde cette sensation de lumière au bout du tunnel dans les paroles de l’album, est-ce que c’était important pour toi de garder ce sentiment d’espoir, comme un chemin vers la lumière ?
Devon : Je ne rentre pas vraiment dans un processus d’écriture avec une quelconque intention mais peut-être que c’est ce qu’il en ressort, je suis content de te l’entendre dire en tout cas !
LFB : Les paroles ont également un aspect cryptique, est-ce important pour toi de ne pas donner toutes les clés d’interprétation et de laisser de la place à une interprétation personnelle ?
Devon : Je pense que c’est indispensable, si tu donnes tout tout de suite, c’est pas très intéressant donc tu caches une partie sous des couches mais si tu mets trop de couches les auditeurs peuvent se sentir perdus. Je ne sais pas si j’ai trouvé le bon équilibre. Il y a une certaine sécurité émotionnelle à garder un sens caché qui peut-être assez rassurante mais si tu en abuses, les gens ne se reconnaîtront plus et seront moins touchés.
Ok guys so first question, how are you guys doing today ?
Dylan : I am doing good. I just had the worst experience with bedbugs last night. I had no sleep. I bought new clothes at H&M and got completely sterilized this morning. But now I’m all clear !
For the new record, we felt more of your soul, rock and country influences and less electronic. Was it ever a choice to sort of go back to more classical roots? Can you tell us more about the recording process?
Dylan : It was never our intention, it is maybe because Connor learnt how to play the pedal steel and so hearing it will make you think about country music. Same with acoustic piano, we played a lot of it in this record, thus it might seem less electronic. But we are still trying to make the best music we can and have fun doing it.
Isaac : There’s never any intention like “Oh let’s write a country song”. It’s more like Devon coming with a guitar riff and then we slowly start to piece together.
It is your third album, did you feel any sort of pressure while making it?
Isaac : I personally did not feel the pressure, we took extra time to write better music, we had twenty songs when we left the studio and ended up with ten, so by that time we felt super confident with each and every song.
So there was no real difference with the first record and this one in terms nervousness?
Dylan : No definitely a difference, we put way more pressure on ourselves this time that’s why we took some extra time. We did not want to rush to put something out there. It was fun to write so much music as well.
Did you think about the commercial aspect?
Dylan : No not at all but with the first and second record, I think we wanted to keep a more secretive and mysterious vibe, sort of hiding behind the curtains. But with this one we decided to approach a more direct sound and apparently it makes it a bit more radio friendly.
I felt it had a more direct and organic sound. Maybe a bit more like your lives?
Dylan : The biggest quest for us on a record is to translate the energy we have on stage. We feel this unique energy on stage and we know it’s here but when we are in the studio, there is a lot more tension and we find it hard to just let go and be present. So we really tried to record the more instruments we could to rebuild this live atmosphere.
About the covers, did you work with the same person on each album?
Dylan : It was the same person for this one the second album. Not the first. She is a long time friend of ours, we got to know her very well on the second album. She is an amazing photographer and we went to her again for this one as soon as the album came up.
Isaac : For the cover of this album, she was somewhere in Asia and it is a photo of the town during a celebration when they shoot up the ashes of a family member with a rocket into the sky and then it explodes and the ashes rain down.
Dylan : They are trying to anger the Gods so that it rains. Also the film itself is damaged, her fingerprints are actually on the film.
Were you there with her while she was shooting it? How did you choose it?
Dylan : No we tried a whole bunch of stuff before, we all got different ideas on how we wanted the covers, she also shared a lot of other photos she took but eventually we all sort of agreed on this one.
Is it a specific choice not to appear on the covers?
Isaac : Not by rules, if the pictures we like had our faces on it, that would not be a problem but we could not agree on a photo, nothing screamed like “this is the cover”.
You have been playing together for over ten years, with time do you find your roles inside the band to be more defined or is it always a fresh start?
Isaac : It is always changing, but Dylan will always be the drummer who plays the bass line.
Dylan : Yeah but musically you and Connor were the ones who picked the bass line this time. Usually if I didn’t play the bass line, someone had to play it on a keyboard but this time you actually played the electronic bass.
Isaac : Yeah and we had two drum kits and the piano we mentioned earlier.
Dylan : I would say it was fun this time because we made some kind of normal band stuff sort of, like in Black Diamond, you play drums, I play piano, Connor plays bass, Devon plays guitar and we all sing.
Isaac : No multitasking, it’s refreshing and simple (laughs).
Dylan : For us it’s like very new, like we’re pushing our boundaries and trying something crazy when we are actually doing pretty normal stuffs.
And then you put on a hat with shakers on it…
Isaac : You have to be careful with the things you joke about in this band…
Dylan : Yeah I was making this joke saying “Check it out guys I got shakers on my hat” and then they told me I had to do it every time…I call it the hat of shame…my dad bought me that hat as a christmas present because it’s a really great winter hat but it happens to have these earflaps with elastic straps on it that were the perfect size for tubular shakers to fit through so…my dad is also very proud (laughs).
Do you have any musical crushes you can talk to us about?
Isaac : I listen to a lot of music from the 70s, also I bought a record of ambiance music yesterday. It’s indie music, super relaxing, I really love it!
Dylan : I’d say there are three things I’m really into right now, Leif Vollebekk, who is touring with us right now, I love him to death, his music really clicks with me and also Tim Baker who is amazing. Other than that Thom Yorke’s new solo record Anima has been on repeat in my home.
Are there bands that you listen all together?
Isaac : There a bit of cross over here and there, we all listen to Boards of Canada and I think everyone likes Thom Yorke’s music.
Dylan : Oh yeah and there is this band from Bristol whose called This is the kit that I love. I’ve been looking for her records in all Canada and then the last time we were in Britain, I did not know she was from Bristol and we actually were in Bristol and they were selling limited editions of her records, it was insane!
Enters Devon to talk lyrics with us.
Do you write the lyrics on your own or with the guys?
Devon : Sometimes I consult Connor but yeah 99 per cent of the time it’s just me. I’ll ask if one line is too much cliché and he’d help me find another way to say it. Kind of like a consultation.
Are they all about you? Or about someone you invent? Or about someone else?
Devon : It’s like all of the above, every song is about you when you write them, you reveal yourself even when it’s not about you. But sometimes it’s from the third person perspective. It really depends but I can address and speak from all perspectives.
I thought the lyrics in this album were overall pretty dark, do you use them to get away from the darkness?
Devon : Unfortunately for a lot of artists, when you feel like writing is when the darkness is upon you but when I have a great day and it is sunny outside and I’m hanging with my girlfriend well maybe I don’t want to seat down and write at that time. But when things are going not so well and you feel the sadness, that’s the spark, that’s where a lot of the inspiration comes from. It doesn’t necessarily mean I carry a lot of darkness all the time…a good amount of time (laughs).
Is it a reaction to what’s happening in the world right now?
Devon : It’s funny you should say that because some of this was written before I started reading a lot of non fiction about the state of the world, so some of it is kind of in that way of thinking like “Oh no we’re not living in such a good world”. But then I started reading about all this science and data saying we are doing better in almost every measurable way in history of time. The quality of life for all humans, there’s more wealth for people than there’s never has been. I mean of you think back at the time of kings and queens, there was like five people in a country that had ninety nine percent of the wealth and now we talk about the one percent that still has a lot of money but it’s nothing like kings and queens when everyone was dying out of starvation. The quality of life for everybody today is higher than ever. So that’s kind of a plus side. The climate situation is the one thing where that may not be true but it is still better than it was ten years ago it terms of rate of destruction, we’re still destructing the hell of it but in 2008, it was way way worst. So there’s been some improvement. There’s still a lot of work to do but it may not be as bleak as we think.
Actually there is this feeling of light at the end of the tunnel in the lyrics, was it important for you to keep it hopeful, like a kind of guide to the light?
Devon : I mean I don’t go in without any intention to do that but maybe it comes through that way, that’s nice to hear you say that!
The lyrics are also very cryptical, is it important for you not to give all the keys to understand them? Letting people find their own interpretation.
Devon : I think it is critical, if you give everything away, it is not interesting so you hide it under layers but if you put too many layers people will just get confused. I don’t know if I have found that balance yet. There’s a certain emotional safety in being cryptic which certainly is nice but if you’re too safe then no one will care because they won’t connect.