Rencontre avec jean

Découvert grâce au concours créé par Odezenne, Jean a tout de suite était plongé dans le grand bain. 18 dates avec les Bordelais qui ont mis en lumière l’univers mélancolique du Normand. Seconde étape : un prix aux iNOUïS du Printemps de Bourges qui l’aura amené à faire ses premiers gros festivals. C’est à Beauregard qu’on a échangé avec Jean, et son producteur Ju!les, pour en savoir plus sur sa musique et l’histoire derrière Loop.

La Face B – La première question que je pose toujours aux gens c’est « comment ça va ? »

jean : Ben ça va et toi ?

La Face B : ça va bien ! Et toi ça va ?

ju!es : Ça va super merci !

La Face B : Souvent on dit que les gens qui passent des étapes, ils montent des marches. Je me demandais si tu n’avais pas l’impression en un an d’avoir pris un ascenseur ?

jean : Ouais complètement ! On n’avait jamais fait de scène et on a démarré direct avec Odezenne et depuis ça ne s’est pas arrêté. Depuis un an, c’est arrivé d’un coup.

La Face B : Du coup, ce qui est intéressant, c’est que finalement tu as appris la nouvelle de la tournée avec Odezenne au moment de la sortie de LOOP. Et j’ai l’impression que LOOP parle un peu des boucles de la vie qui se répètent et qu’avec cette tournée-là tu as complètement explosé l’idée de la boucle en fait.

jean : En fait, l’EP il est ressorti parce qu’on a signé avec un label un peu avant et on l’avait sorti il y a déjà un an et demi ou un truc comme ça. Du coup, je ne sais pas si c’était actuel mais…

ju!es : Mais oui il a un peu ce truc de boucle. En fait ça s’est fait tout seul, c’est-à-dire qu’on ne s’est pas dit avant de faire le projet « on va faire un truc qui va parler des boucles ». Juste, on a fait le projet et on s’est rendu compte que ça parlait des boucles. On s’est dit mais en fait c’est ça la D.A (direction artistique nldr). Du coup, ça s’est fait assez naturellement, et on est allés à fond à fond dans ce délire de boucle effectivement avec les visualizers sur YouTube.

jean : Et puis les accords pour que ça s’enchaîne. Pour que tout soit dans la même gamme quoi.

La Face B : L’EP lui-même est une boucle puisque la boucle musicale du premier titre revient sur le dernier. Elle réapparaît aussi : Il y a cette idée de reprise d’une personne qui a des problèmes et qui revient finalement au point de départ.

jean : Ouais, c’est ça !

ju!es : Ouais c’est ça, Ben c’est pour ça que la D.A c’était aussi Fight Club. Et c’est d’ailleurs Fight Club dans l’interlude, c’est un extrait de ça, d’un mec qui se fait péter la gueule et qui en redemande. Parce qu’en fait c’est ça l’idée. La boucle de « putain je fais des conneries et je refais les même conneries alors que je sais très bien que c’est une connerie». C’était ça ce truc de boucle, de cercle vicieux.

jean : C’est ça !

La Face B : En fait c’est marrant, c’est ce que j’allais te demander : Est-ce que le Jean qui apparait dans l’EP, qui apparait dans ta musique c’est un peu ton Tyler Durden a toi ?

jean : Non, je suis la même personne (rires).

ju!es : Bonne question mais pour le coup pas du tout ! Non, c’est la même personne.

La Face B : Parce que tu vois, finalement, quand tu écoutes les paroles, tu as l’impression que les morceaux peuvent s’adresser aux gens mais qu’ils peuvent aussi s’adresser à la personne qu’il y a dans ton miroir en fait.

jean : Ouais alors de base, il y a beaucoup de sons parce que j’avais une copine et j’écrivais beaucoup dessus, comme si je lui parlais, tu vois ? Et en fait, c’est devenu une habitude quand j’écris ou quand tu te parles à toi-même. Et je trouvais que c’était plus intéressant de faire passer des idées au lieu de dire « je ressens ça, tu ressens ça » ,je trouvais ça plus…

ju!es : C’est un truc qui veut dire je, quoi.

jean : Oui c’est ça !

La Face B : Et c’est intéressant parce que tu te dis par exemple « Disquettes » ça peut parler du couple mais ca peut aussi parler de la relation autodestructrice que tu as avec toi-même.

jean : Ouais, c’est ça qu’on aime bien faire généralement, qu’il y ait plusieurs sens.

La Face B : Oui c’est ça ! Il y a un vrai travail, je trouve, sur l’écriture

jean : C’est gentil !

La Face B : Et puis tu vois, ce qu’il y a d’intéressant aussi, c’est que tu as quand même une certaine noirceur qui se traverse dans les textes mais qui est en contradiction complète avec la prod qui est très joyeuse et très dansante en fait.

ju!es : C’est joyeusement dépressif comme on dit.(Rires)

La Face B : Comment vous le trouvez le point d’équilibre pour pas trop pencher vers l’un ou vers l’autre ?

jean : Ben c’est une question d’émotion quand on le fait, on le sent. Je ne sais pas… Quand on entend une prod, tu as envie de dire ça, de ressentir ça.

ju!es : Ouais mais c’est vrai qu’on fait gaffe à ce que ce ne soit pas trop triste, ou trop comme ça ou trop. Et c’est pour ça que le contraste, le contre-pied prod joyeuse et texte triste, ça nous plait parce que ça évite d’être trop dans la mélancolie abusée et c’est pas trop le même délire.

jean : Ouais c’est ça ! De ne pas juste chialer quoi. C’est un peu ça.

ju!es : Ça chiale mais sur une prod joyeuse quoi.

La Face B : C’est un peu un mec bourré qui fait n’importe quoi mais qui fait la fête. Tu en parlais sur scène tout à l’heure et c’est intéressant. C’est un truc assez intimiste à la base, qui a été fait dans ton appartement et qui finalement se retrouve par la force des choses sur des scènes assez énormes.

ju!es : Oui c’est ça qui est fou. Quand nous, on enregistrait, on ne s’est jamais dit qu’on serait là pour le jouer. C’était vraiment on découvrait, on découvrait même l’enregistrement. C’est vraiment ! Même on découvrait l’enregistrement, on découvrait le studio, enfin le studio entre guillemets parce que c’était mon vieux placard.

jean : Avec une chaudière qui faisait du bruit, il fallait attendre qu’elle arrête de goutter pour enregistrer.

ju!es : Dès qu’elle arrêtait de faire du bruit, on courrait dans le placard pour enregistrer. Mais oui c’est fou de jouer devant plein de gens dans des grandes scènes alors que c’était enregistré dans des conditions de merde et qu’on n’a jamais imaginé pouvoir aller jusque-là. Et c’est super cool.

La Face B : Cette espèce de noirceur et de mélancolie des chansons qui, du coup, datent d’un certain temps, est-ce que tu as l’impression que ça t’a quitté ou est-ce que tu as l’impression que le spleen est une émotion qui peut être créatrice sur le long terme ?

jean : Ben, en fait tu vois, du coup, je l’ai fait sur scène mais il y a des morceaux qui me parlent encore et je me dis « Putain c’est exactement ce que je ressens en ce moment. » Tu vois le truc de boucles, on sent que c’est un problème que je n’ai pas réglé, je suis un peu dans ce truc-là constamment. Donc ouais ça me parle toujours mais on essaie de faire autre chose en ce moment, tu vois. Parce que parler que de ça, que de drogues, que de tristesse, c’est un peu redondant au bout d’un moment.

ju!es : Après je me permets de dire que les choses vont changer dans le texte parce que ta vie, elle change aussi, tu vois. Toi, tu parles juste de toi, donc si ta vie change, les thèmes changent.

La Face B : Oui mais la mélancolie reste. Ou peut rester malgré tout. C’est un truc qui est quand même ancré dans l’humain.

jean : Mais c’est conducteur de fou sur les morceaux, tu as raison.

La Face B : Mais c’est sûr que de passer de serveur à Burger King à jouer sur la scène de Beauregard.

jean : C’était bizarre, ouais … (rires)

La Face B : Moi je sais que je t’ai vu au Café de la Danse avec Odezenne.

jean : Ouais, c’était nos premiers concerts.

La Face B : Je pense que c’était une des premières dates que vous aviez faites. Mais ça se sentait en plus, il y avait une …

ju!es : La première de notre vie, je crois!

La Face B : Ouais, je crois que j’étais au deuxième soir. C’était infernal parce qu’il faisait une chaleur à crever.

ju!es et jean : Ouais il faisait super chaud. Une douche constante.

La Face B : Et c’est ça qui est intéressant aussi. On parlait d’ascenseur tout à l’heure et tu t’es mangé 18 dates comme ça, d’un coup. Je me demandais si cela avait été formateur pour vous et surtout quelle influence cela avait eu sur ta vision de la musique.

jean :  Quand on a fini, j’ai eu envie d’écrire, ça m’a motivé un peu mais par contre j’ai réalisé tard quand même que c’était arrivé en fait. Vu que c’est arrivé super vite et après je suis rentré dans mon tout petit appartement un peu crado donc je n’avais toujours pas d’argent donc finalement c’est arrivé un peu tard.

ju!es : Ouais c’était bizarre. Après en revanche, tu dis formateur … mais totalement. Il n’y avait pas meilleure manière pour se faire les dents que de faire cette tournée. Nous on avait même pas joué dans un bar, devant les potes. Et là, on arrive devant 500 personnes 18 fois…

jean : Terrifiant !

ju!es : C’était terrifiant mais par contre on a été direct mis dans le bain donc ça nous a beaucoup aidé pour la gestion du stress pour les scènes qu’on fait actuellement.

La Face B : Et puis ce qui est fou c’est que tu enchaines finalement avec un Prix Odes Inouis (prix du jury des iNouïs du Printemps de Bourges 2024 et du concours tremplin d’Odezenne) qui est une nouvelle étape où tu as eu un peu la validation du public et là tu as un peu la validation aussi du côté professionnel de la musique sur le projet. Est-ce que c’est quelque chose qui vous rassure au final ?

ju!es : Ça je l’avais pas vu comme ça.

jean : Je ne l’avais pas vu comme ça. Pour moi, je vois cela comme de la chance parce qu’il y a un milliard de gens talentueux. J’ai l’impression que c’est un peu piqué comme ça « Toi je te choisis, ça va marcher. »

ju!es : Moi je ne suis pas d’accord avec jean. Moi je pense qu’il abuse un peu.

jean : Je suis trop cynique.

ju!es : Non, là où il dit qu’on a de la chance, là-dessus on est d’accord. Nous on connait beaucoup d’artistes qui sont proches de nous, qui galèrent pendant des années. Et nous on a 21 et 24 ans en fait, et on en fait déjà notre métier donc, on est juste conscients de fou qu’on a de la chance de pouvoir faire ça à cet âge-là, si tôt. Et voilà, c’est génial. On a conscience de ça.

La Face B : J’ai une question sur les formats des chansons. Peut-être que tu vas plus pouvoir me répondre. J’ai remarqué que sur LOOP, tu as quasiment aucune chanson qui dépasse les 3 minutes. Est-ce que c’est un truc qui est réfléchi ou c’est un truc qui est arrivé un peu par hasard.

jean : Alors ça c’est ma faute.

ju!es : ahahaha ouais.

jean : Quand je trouve que je n’ai plus rien à dire, j’arrête d’écrire. Je n’avais pas envie de répéter et j’avais du mal à développer surtout au début donc je faisais des trucs courts pour qu’il n’y ait rien qui me saoule.

ju!es : L’idée c’était de ne pas trop en faire, de ne pas rajouter un couplet pour rajouter un couplet donc si on estimait que le propos avait été retourné dans tous les sens et que ça avait été géré comme on voulait, on s’arrêtait au premier couplet et voilà. Donc c’est des morceaux courts mais ce sera peut-être moins le cas sur les prochains.

La Face B : J’ai encore deux questions : est-ce que tu n’as pas été rattrapé par le fait de t’appeler « jean » ? C’est quand même une galère absolue pour les algorithmes de la musique.

jean : C’est vrai que si tu tapes juste « Jean », ça marche pas très bien ouais. Mais jusque-là ça va. Ça a l’air de fonctionner.

ju!es : Tu as de grandes chances de trouver Jean-Jacques Goldman. Mais je pense que ça a été une galère. Mais après, je crois que j’avais testé, il n’y a pas longtemps, de retaper « jean » et je crois que tu tombes dessus quand même maintenant. Sur Spotify en tout cas.

jean : Je crois qu’il faut mettre au moins « Disquettes » après pour que ça marche.

ju!es : Ah ouais, tu penses ? Il faudrait que je réessaie. J’avoue je ne sais pas.

La Face B : il y a beaucoup d’écoutes maintenant.

ju!es : Ben un peu plus qu’avant donc forcément ça aide à le retrouver c’est sûr.

La Face B : Et du coup, tu parlais du statut d’être musicien professionnel et d’avoir l’intermittence. Ce qui risque d’arriver dimanche ne vous fait pas un peu flipper quand tu es un artiste en développement qui vient de te lancer ? (interview réalisée avant les élections législatives ndlr)

jean : On est terrifiés. Personnellement, on est terrifiés.

ju!es : Ce n’est même pas que pour l’intermittence. L’intermittence ça nous touche directement mais je suis terrifié pour tous les pauvres gens qui vont pâtir d’une possible politique du Rassemblement National. Vraiment, je pense que c’est terrifiant à tous les niveaux. On en est conscients. Il faut aller voter, j’ai envie de dire.

jean : Votez s’il vous plait.

La Face B : Je dis ça mais c’est parce qu’en fait, si tu regardes bien, une des premières mesures qu’ils risquent de faire, c’est sur la Culture.

ju!es : En plus, la France, c’est un des seuls pays qui a ce truc-là d’intermittence et c’est un super progrès. Et je trouve que c’est une énorme marche arrière de l’enlever. Genre, régresser de fou alors qu’on a un progrès comme ça en France. Alors, gardons-le. C’est super. Je pense que l‘argent, il ne faut pas faire des économies sur la culture. Il faut le faire ailleurs mais bon, voilà.

La Face B : Tu as un modèle français qui fonctionne, pour que des projets comme le vôtre puissent se développer et exister tu as besoin de l’intermittence.

jean : Ah ben sinon on reprend un autre travail et on ne fait plus de concerts.

La Face B : J’ai une dernière question. Là, vous êtes en tournée sur les festivals, c’est quoi vos plans pour l’avenir et vos envies pour la suite, justement, de LOOP ?

jean : Un album ! On a très très envie de faire un album. On est dessus, ça fait un moment.

ju!es : Un an et demi, je pense.

jean : On commence à pas voir le bout mais j’aime bien ce qu’on est en train de faire là.

ju!es : C’est cool ! Honnêtement, je pense qu’il y a beaucoup d’inconnus mais c’est le charme aussi de cette vie-là. On ne sait pas trop où ça va nous mener mais ça nous mène et c’est cool. Et du coup, l’idée c’est de faire un premier gros projet qui se rapproche plus d’un album que d’un EP effectivement avec potentiellement des dates avec Jean en tête d’affiche. Des dates de Jean quoi !

La Face B : Ce qui n’est pas encore.

jean : oula non, pas encore non.

La Face B : C’est quelque chose qui te fait flipper ?

jean : C’est juste qu’en termes de morceaux, il faut tenir une heure et nos vieux morceaux on les aime plus trop. Donc, enfin bon.

ju!es : C’est un truc qu’on avait envie de faire. Désolé je regardais La Fève. Mais voilà. C’est en cours, c’est dans les cartons.

La Face B : Ben écoutez merci.

jean et ju!es : Merci à toi !

Crédit Photos : David Tabary & Gregory Forestier