Rencontre avec Sauvane

Les chats sont-ils doués de communication ? Sauvane, elle, le peut. Pour la sortie de son premier album : Cats Can Talk le 1er décembre dernier, la musicienne nous livre plus en profondeur son travail et sa personnalité percutante.

La Face B : Qu’est-ce que signifie être soi-même aujourd’hui ?

Sauvane : Alors, c’est une question importante que je me pose fréquemment, enfin, du moins, c’est ce qui m’a pris du temps à comprendre. Qu’est-ce qui définit notre identité ? Je dirais qu’éviter les regrets, c’est-à-dire agir pour soi et faire ce qui nous plaît, est essentiel. Essayer d’être un peu égoïste, personnellement, j’ai régulièrement du mal à l’être. J’ai souvent privilégié les autres, mais depuis quelques années, j’essaie de me recentrer sur moi-même et de comprendre mes véritables désirs. Ouais, je dirais que c’est agir en accord avec nos aspirations les plus profondes. Réaliser nos rêves d’enfant, en gros.

LFB : Tu as sorti ton disque le premier décembre : Cats Can Talk. Gros projet, premier album. Comment te sens-tu ?

Sauvane : Là, c’est un peu comme des montagnes russes, mais déjà merci aux médias qui m’ont soutenu. Ensuite, c’est toujours un peu compliqué quand on a une toute petite équipe. C’est un peu difficile de faire la promotion toute seule. Surtout dans cette période (Noël) où on aimerait un peu se relâcher, mais là non, moi j’ai juste envie que cet album arrive au plus grand nombre d’oreilles possible et que cela puisse faire du bien dans une période comme ça. J’aimerais beaucoup que mon message puisse atteindre un public plus large, mais c’est pas simple. Aujourd’hui, la promo, c’est beaucoup de création de contenu, donc pas forcément faire ce que j’aime, c’est-à-dire chanter. C’est en même temps un moment fort et amusant, néanmoins, il faut s’accrocher. Je me sens un peu submergée, mais tellement fière.

LFB : Sur ton album, tu partages beaucoup tes émotions, qui peuvent être assez personnelles. Comment envisages-tu ces thèmes avec les personnes qui ont écouté ou qui vont écouter ce disque ? Comment aimerais-tu que le public reçoive ce que tu as voulu transmettre plutôt ?

Sauvane : J’aimerais apaiser un peu les gens, que ma musique ait le même pouvoir sur eux qu’elle a sur moi. Composer me calme, et chanter me procure aussi du réconfort. J’aimerais que, en l’écoutant, les personnes naturellement anxieuses, car je sais qu’il y en a, puissent libérer un peu leurs émotions et surtout s’évader. Le meilleur compliment qu’on ait pu me faire, et ça m’a été dit à plusieurs reprises, c’est que ma musique évoque des images. Faire en sorte qu’ils s’évadent, oublient un peu leurs soucis quotidiens et, pendant une pause suspendue, leur permettre de rêver un peu.

LFB : Justement, en ce qui concerne le fait de vouloir créer des images et des émotions, nous pouvons constater qu’il y a un vrai bon mélange dans le ressenti de ton disque. Comme dit précédemment, tu nous ouvres les portes de tes émotions, de tes traumatismes, de ce qui te tracasse, parfois même quelque chose d’un peu sombre. Mais en même temps, dans les rythmiques et les mélodies de ce que nous avons pu écouter, il y a une béatitude, une poésie qui crée un sentiment, un peu de joie et de soulagement. Était-ce voulu de créer réellement ce mélange ?

Sauvane : Déjà merci, ça fait plaisir d’entendre ça. C’est vrai que, dans ma tête, ce n’est pas du tout voulu, car je souhaite créer un projet assez sombre. J’ai l’impression d’être quelqu’un de très sombre. On me dit souvent que je suis assez pessimiste, que je tends à voir le négatif, une caractéristique qui a toujours été présente en moi. On me reproche souvent des choses alors qu’il y a plein de choses belles autour de moi. C’est sur cela que je travaille depuis quelque temps. Cependant, je suis contente si ça a pris cette tournure-là, même si ce n’était pas intentionnel. Je pense que c’est peut-être ma voix qui donne cette impression. Ma voix est un peu la colonne vertébrale de ce projet, la petite lumière qui guide à travers cette forêt noire. Il y a aussi le fait que je n’écoute pas seulement des musiques sombres. De mon côté, j’aime aussi écouter pas mal de pop, et il est vrai que cette influence peut ramener à des chansons un peu plus ensoleillées finalement que ce que je voudrais faire de base. Mais tant mieux si c’est perçu ainsi, car ce serait un peu bête que les chansons soient vraiment maussades et qu’elles entraînent les gens dans leur intérieur noir.

LFB : En tout cas, malgré que ce ne soit pas voulu, c’est ce que nous ressentons en écoutant le disque. Nous percevons cette impression de vouloir t’exprimer de ta part, mais sans nous, en tant qu’auditeurs, sentir que ça nous tire vers le bas. C’est plutôt le fait de comprendre nos émotions à travers ta musique et tes expériences.

Sauvane : C’est génial dans ce cas !

LFB : Lorsque nous prêtons attention au titre de l’album : Cats Can Talk , ça pourrait nous faire penser à une imagerie de la pop culture sur des chats parlants, comme le Chat du Cheshire dans « Alice au pays des merveilles« , le chat noir dans « Coraline » ou encore le Chat Potté. Ce que nous remarquons avec ces chats, c’est qu’ils vivent dans un monde distordu, flou, anormal, hors de la réalité. Est-ce que nous pourrions faire un parallèle avec le fait que toi, justement, sur cet album, tu puisses t’exprimer, tu puisses parler, mais dans un monde, en l’occurrence le nôtre, qui devient de plus en plus différent ?

Sauvane : J’aime beaucoup cette métaphore. Notre monde, c’est clair qu’il devient différent, peut-être pas dans le bon sens, mais moi petite, je me suis toujours créé un univers un peu parallèle. Je suis pas fille unique, mais mes grands frères ont 10 ans et 12 ans de plus que moi, donc j’étais un peu toute seule chez moi avec mes chats dans ma chambre. Je me suis auto créée un monde un petit peu plus féerique, avec des rêves un peu farfelus et fantasmagoriques. On m’a toujours dit que j’étais très naïve. C’est vrai que je me suis un peu construite autour de ça. Tant mieux si le nom de l’album évoque un monde où on peut se réfugier, où nos rêves sont encore éveillés dans ce monde réel où on ne sait pas trop ce qui va nous arriver. On sait que ce n’est pas solaire tous les jours, on va dire. C’est pour ça que j’ai choisi ce titre un peu léger et farceur.

LFB : Au sein du visuel de la pochette, une fois de plus, en accord avec le thème du disque, nous pouvons penser que nous sommes plongés dans un monde parallèle distordu où toi tu serais posé ici et tu viendrais nous raconter tes émois pour que nous puissions faire de même. Est-ce que c’est vraiment ce que tu voulais faire, ou cherchais-tu à transmettre complètement autre chose à travers la pochette ?

Sauvane : Si on prend la signification, vraiment terre à terre de la pochette. C’est un chat dans la nuit, en ayant les yeux qui brillent, c’est la première idée si c’est juste une question de description, mais ensuite non, comme je disais, c’est un petit peu trouver la lumière dans un monde où on est perdu. Repérer la petite voix qu’il faut suivre pour arriver à ses buts et à ses rêves. C’est vraiment ça que je voulais montrer. De base, il y avait 2 photos possibles avec 2 positions sur cette branche dans les bois. Dans la première, j’étais dans une position de chat, une position un petit peu plus sensuelle, un peu plus assumée. Quelqu’un qui a vraiment confiance en elle, néanmoins, c’était pas moi. J’ai vraiment préféré cette deuxième version, celle qui a été choisie où je suis plus posée et bien. Malgré ce monde qui peut faire un petit peu peur, je suis bien dans mes baskets, j’ai compris qui j’étais et je vais faire en sorte de travailler sur moi, vu que j’ai compris qui j’étais. C’est un peu ça aussi cette position. Elle veut dire beaucoup de choses pour moi. C’est ce qui est marrant, c’est que tout le monde préfère la première pochette. On pouvait me dire «C’est trop bien ça, ça fait vraiment la star de la pop !» mais non. Je suis quelqu’un de beaucoup plus simple et un peu perdue. Et je suis sur ma petite branche avec ma petite lumière, plus simplement.

LFB : Le fait d’avoir son propre monde à ce jour et de s’y plonger pour oublier un peu la réalité présente. Penses-tu que c’est quelque chose de sain ? Cela ne signifie pas nécessairement être une personne exclue de la société ou marginale.

Sauvane : Il y a deux aspects à ça. D’un côté, je dirais que ce n’est pas sain, enfin, du moins, il ne faut pas se limiter à cela exclusivement. Pour moi, ça n’a pas été sain dans le sens où en m’immergeant dans ce petit monde, j’ai effectivement négligé l’essentiel et évité d’affronter les problèmes, de guérir les maux et les traumatismes que l’on peut rencontrer. En créant ce petit monde, j’ai mis la réalité de côté et ne l’ai pas confrontée. Chez moi, cela n’a pas été positif, car par exemple, mon corps a développé beaucoup d’eczéma. C’est vraiment ce qui me fait souffrir aujourd’hui et ce qui m’a fait souffrir depuis mes trois mois, lorsque j’étais bébé. Cet eczéma a été un signe indiquant qu’il était nécessaire de se réveiller, de comprendre d’où cela venait, et non pas simplement d’oublier et de tenter de guérir cela en surface, mais plutôt de fouiller plus profondément et de faire face à des choses, au vrai monde, qui ne sont pas forcément plaisantes mais qui permettent ensuite d’évoluer. Je pense que le mieux est de s’entourer, et surtout de parler de ces problèmes avec des personnes qualifiées. Donc, pour répondre à ta question, s’isoler dans son propre monde, comme je l’ai fait, n’est pas ce qu’il faut recommander si l’on a vraiment quelque chose enfoui en nous. C’est bien pour échapper à de petits problèmes qui traversent notre esprit, notre chemin. Cependant, il y a d’autres problèmes plus graves à régler, à affronter.

LFB : Une question sur le clip de « As Bizarre As Me« . Au vu de ce que nous avons pu regarder, y a-t-il eu une inspiration avec le film « La Forme de l’eau » de Guillermo del Toro ? Notamment avec ce personnage en laine, perçu comme un être mi-homme mi-poisson, et toi, face à lui, trouvant une connexion avec cet être.

Sauvane : Ce clip est le seul des quatre que je n’ai pas réalisé. C’est Ruby Cicero qui a inventé toute cette histoire d’amour avec cet être en laine. Ce qui est marrant, c’est que moi, j’avais eu une idée très similaire pour un autre clip auparavant. Commencer là-dessus, c’était assez fou. Si Ruby Cicero s’en est inspiré ? En tout cas, dans ce que tu me dis, c’est vrai qu’il y a un gros parallèle où c’est une histoire d’amour comme dans « La Forme de l’eau » et c’est vrai que cet être en laine est un personnage qu’on a envie d’éliminer, et cette personne, donc moi, est là pour le défendre. Dès qu’elle m’a proposé ce scénario-là, je me suis tout de suite mis à la place de cet homme de laine, parce que moi, dans toute ma vie, j’ai eu toujours l’impression d’être un peu en décalage, toujours un peu incomprise. Alors ce n’est pas un reproche que je fais à ma famille ou autres. Je suis comme ça aujourd’hui et c’est bien aussi grâce à eux. Mais c’est vrai que ma famille a souvent mal compris tous ces rêves de devenir chanteuse. Ça a été un peu incompris, je me suis un peu reconnue, moi, dans ce personnage de laine qui est mal aimé et qui pourtant n’a rien fait de mal. On a envie de changer, pour les autres mais ce n’est pas possible. Toute ma vie, j’ai voulu un peu essayer de faire ça, de me lisser, de changer mais il ne faut surtout pas faire ça. C’est la morale qui ressort du clip.

LFB : Discutons de ton processus créatif en terme de composition. Qu’est-ce qui pourrait primer pour toi entre la mélodie, vraiment l’instrumentale, ou d’abord le texte, le thème abordé et si ensuite la mélodie est simplement là, pour porter les thèmes que tu souhaite aborder ?

Sauvane : Lorsque je compose, c’est généralement en réaction à une émotion intense, qu’elle soit positive ou négative. J’ai besoin de canaliser ces sentiments, que ce soit sur ma guitare ou sur un clavier. Initialement, une mélodie émerge, sans nécessairement être accompagnée de paroles. Pourtant, j’ai le sentiment que cette mélodie porte déjà une signification implicite. Les paroles ne prennent forme qu’une fois que j’ai trouvé la structure du morceau, au moins avec un couplet ou un refrain. Les paroles commencent alors à prendre vie, tout comme les thèmes. Au départ, objectivement, ces paroles peuvent sembler dénuées de sens, mais pour moi, elles représentent quelque chose, une mélodie qui exprime ce que je souhaite transmettre. Progressivement, ces paroles, initialement informelles, prennent du sens et se transforment en un texte cohérent. C’est une émotion véhiculée à travers cette mélodie. Donc, je dirais que la mélodie prédomine.

LFB : Le morceau dans ton album : Like My Father, est le premier titre où, justement, l’autotune est beaucoup plus prononcé sur ta voix. Pourquoi avoir choisi d’utiliser autant d’autotune spécifiquement sur ce titre ?

Sauvane : Alors oui, dans les autres, il n’y en a pas, sauf lorsque l’on entend vraiment un effet robotique. Dans celui-là, il y en a partout, car c’est vraiment juste un plaisir personnel. J’ai toujours aimé les vocodeurs, les auto-thunes, etc. Quand j’étais petite, j’inventais déjà des chansons chez moi, et je ne sais pas si cela va paraître visuel, mais il y avait une climatisation, une clim extérieure, et en fait, quand on chante devant et tout près, cela a pour effet de créer un effet sur ta voix, justement.

LFB : Un peu comme sur un ventilateur aussi, dès que tu chantes de très près.

Sauvane : Oui, après, sur un ventilateur, j’ai l’impression que cela n’a pas autant d’effet. En tout cas, je passais des heures devant ma clim à chanter mes chansons. Pour te dire à quel point je me sentais seule. Je faisais cela un peu en cachette parce que c’est un peu bizarre, mais je passais vraiment de longs moments à le faire. Du coup, retrouver cet effet-là est un kiff personnel, et c’est aussi, une fois de plus, un rappel à cette petite fille qui faisait des choses et passait son temps seule, voulant expérimenter avec sa voix.

LFB : Comme tu viens de l’énoncer, cet album est également un grand hommage à la petite fille que tu étais. Cats Can Talk établit-il un parfait parallèle entre toi aujourd’hui et la petite fille que tu étais auparavant ?

Sauvane : Oui, tout à fait. Si je pouvais dire à cette petite fille que j’allais faire de la musique plus tard, ce serait magique.

LFB : À quoi peut-on s’attendre de ta part désormais ?

Sauvane : Des chansons, toujours des chansons, accompagnées de clips que j’espère encore plus beaux. Ensuite, que fait-on après la sortie d’un premier album ? C’est évidemment une première pour moi. Dois-je passer rapidement à un deuxième album ? Je ne sais pas encore, mais en tout cas, je veux continuer à raconter des histoires et à transmettre des messages. Même si parfois ils peuvent être un peu plus légers, comme une chanson d’amour, ce que j’aimerais vraiment, c’est continuer à développer ma musique encore et encore. Trouver un tourneur aussi, pour pouvoir faire davantage de concerts, partager plus de scènes. C’est vraiment ce sur quoi j’aimerais travailler pour la suite. Ce n’est pas simple lorsque l’on est un peu seule à tout gérer. Cependant, lorsque je reçois des retours comme le tien, je me dis qu’il y a peut-être un tourneur qui se reconnaîtra dans ma musique et qui voudra partager cela aussi. On verra.

LFB : C’est tout ce que nous pouvons te souhaiter.

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