Super 45 T est le dernier sorti du groupe Sinaïve. Le 27 mai dernier, le groupe remettait à l’honneur la noise et le shoegaze dans un tout nouvel EP. Nous avons conversé à distance avec Calvin, guitariste et chanteur.
LFB : Comment allez-vous depuis la sortie de votre EP ?
Calvin : Très bien, nous sommes très fiers de cette sortie. On a vécu une release party en demi-teinte (pour rester poli) samedi dernier, mais c’est aussi le jour où nous avons reçu les cartons de nos disques. Merci à nos trois labels pour leur dévotion !
LFB : La pochette d’EP vintage évoque des groupes des années dream pop 90’s. Pourquoi n’avoir mis que les deux filles du groupe ?
Calvin : Oh, simplement parce qu’on fait référence à une pochette (ndlr: The Perfect Prescription de Spacemen 3) où il y a deux jeunes hommes.
LFB : Vous faites des références littéraires dans vos musiques, pouvez-vous me parler de votre livre préféré ?
Calvin : Difficile de répondre… Je ne me suis jamais vraiment remis de ma lecture des Existentialistes, en particulier Albert Camus. Contrairement à beaucoup, j’ai plutôt apprécié la lecture imposée de classiques de la littérature française à l’école, notamment Flaubert et Baudelaire. Sinon, ce qui m’inspire à la base pour l’écriture des textes est la poésie française dans sa pluralité, du XVIème à la fin du XIXème siècle. Je lis beaucoup moins depuis que j’écris, même si je découvre toujours des choses du XXème siècle qui me fascinent (comme en musique et en cinéma d’ailleurs). J’ai quasiment toute la littérature mondiale à découvrir.
LFB : Vous parlez du futur dans Ténèbres, est-ce que c’est quelque chose qui vous angoisse ? Pourquoi ? Est-ce que faire/écouter de la musique vous apaise ?
Calvin : Je pense que ce sont plutôt des images/références évoquées qui nous lient au présent. Ça nous angoisse forcément, qu’il s’agisse des ténèbres des différentes formes d’oppression en cours, ce qu’il se passe avec le climat et cette période pré-révolutionnaire / guerre mondiale que nous sommes en train de vivre. À contrario, le futur est plein de possibles, même dans le pire qu’il peut nous évoquer. Nous écoutons beaucoup de dub & de reggae en ce moment, pas seulement dans une recherche d’apaisement mais plutôt d’absolu, voire d’une certaine spiritualité souvent radicale et qui tend vers la lumière. Faire de la musique nous fait beaucoup de bien, ça nous aide parfois à rattraper tout le temps extra-musical pénible que l’on doit s’accorder (organisation, promotion, réseautage, etc).
LFB : Quel est votre album favori, un album que vous pouvez écouter en boucle, et pourquoi ?
Calvin : Pour moi ce serait Africa Must Be Free by 1983 de Hugh Mundell ou Moon Pix de Cat Power. Pour Alicia en ce moment ce serait And Don’t the Kids Just Love It de TV Personalities. Alaoui a choisi Forces of Victory de Linton Kwesi Johnson, car selon lui ce disque relate le fait qu’il n’y ait pas de gens mauvais, mais que des mauvaises conditions. Sinon, dans la voiture pour partir faire des concerts, on a toujours ATLiens de OutKast & Ogden’s Nut Gone Flake des Small Faces dans la boîte à gants.
LFB : Votre EP a des sonorités dansantes mais les sujets que vous abordez sont assez sombres, même au niveau des titres, comment qualifieriez-vous cette dichotomie ?
Calvin : Je crois que cela vient de notre culture Soul/R&B (Marvin Gaye et Curtis Mayfield particulièrement) qui raconte souvent des choses sombres et/ou tristes sur des tempos très dansants. C’est finalement assez classique comme démarche. Également, dans l’optique d’un 4-titres évoquant dans sa forme les super 45 tours yé-yé, on ne pouvait pas se permettre d’être sombre à la fois dans les paroles et dans la musique. En général même, nous tentons plutôt d’être un groupe de contraste.
LFB : Comment est venu le morceau Trash Mental ? En effet, il se détache assez des autres titres, beaucoup plus 60’s et états-unien dans les guitares.
Calvin : Assez rapidement, en quelques minutes. Ce morceau est truffé de références naturellement retranscrites. Pour ce genre de morceau, il ne faut surtout pas trainer, sinon l’immédiateté disparaît. C’était très amusant à faire, encore plus avec l’idée de faire chanter Raphaëlle (ndlr: ancienne membre du groupe) qui peut avoir ce timbre français sixties typique. Fatalement, Trash Mental pourrait être notre morceau le plus populaire car tout le monde en a les codes ; nous ne ferons plus jamais un morceau aussi évident de ce genre.
LFB : C’est votre deuxième EP (ndlr: en sortie physique mais le quatrième en fait), pourquoi ne pas avoir fait un album après les beaux retours que vous avez eu sur Dasein ?
Calvin : Parce que la période de pandémie que nous avons vécue a freiné pas mal de choses financièrement, et que sortir un album demande beaucoup plus de budget qu’un EP. Et personne ne vous cachera que l’argent dans l’indie rock, il n’y en a pas. C’est une véritable guerre de positions que nous menons, avec la préparation de notre premier album pour 2023 ! Sachant que trois albums sont déjà écrits, dont un déjà enregistré.
LFB : Dans quel groupe des années 80-90 auriez-vous voulu jouer ? Pourquoi ?
Calvin : Absolument aucun. Personnellement, en tant qu’instrumentiste, j’aurais aimé jouer dans des groupes comme Amon Düül II, Can ou Agitation Free dans les années 70, c’est-à-dire des groupes composés de musiciens très différents qui jamment tous dans la même direction sans s’éparpiller. Alaoui aurait quand même aimé être signé chez Dischord et jouer dans un obscur groupe de punk hardcore à Washington D.C. !
LFB : Depuis Dasein, qu’est-ce que qui a changé dans votre groupe, dans votre manière de jouer, de composer ?
Calvin : Pas grand chose sur le plan musical, les choses se précisent et s’affinent, que ce soit la composition, l’enregistrement, le mixage. Sur un autre plan, nous avons rencontré beaucoup de monde, dont certaines personnes qui sont devenues des amies plus ou moins proches. Le groupe tend à plus se faire connaître et nous espérons que ce n’est qu’un début. Nous continuons le combat.
LFB : D’où vient votre amour pour la musique et pour votre groupe, le shoegaze/noise… ?
Calvin : D’une haine viscérale envers la mentalité apathique & ironique de notre temps, mais de My Bloody Valentine aussi. À part eux et quelques morceaux de Slowdive, nous ne consommons pas de « shoegaze ». Nous ne nous sommes jamais définis comme tel, c’est un aspect de notre musique parmi tant d’autres. Nous comprenons quand même cette étiquette à notre sujet. Nous sommes cependant plus influencés par la dream pop d’A.R. Kane et le noise/rock des Rallizes Dénudés.
LFB : Ça fait comment de continuer à faire du rock/shoegaze en 2022 (d’ailleurs, merci) ?
Calvin : Mais de rien ! C’est toujours aussi bruyant. Comme disait le philosophe new-yorkais Alan Bermowitz: « We gotta keep the light burning » !