Si l’époque est étrange, elle a permis aussi de voir sortir des projets à suivre de très près. Moitié de La Vague, Thérèse a profité du confinement pour se lancer dans son projet « solo ». Alors qu’elle vient de dévoiler son premier titre T.OX.I.C et qu’elle dévoilera son projet sur scène à l’automne, on a discuté avec la jeune femme de musique, d’amour de soi et des autres et du besoin de toucher les autres, dans tous les sens du terme.
La Face B : Salut Thérèse, comment ça va ?
Thérèse : Là, tout de suite, très bien. Mais ça peut changer dans une minute.
LFB : Pour beaucoup le confinement a été l’occasion de prendre une pause et j’ai l’impression que c’est l’inverse qui s’est passé pour toi. Comment as tu vécu cette période ?
T : Même si c’était dur les deux premières semaines de m’acclimater au confinement en solo (parce que celles et ceux qui me connaissent le savent : je suis hyper tactile), j’ai presque honte de dire que j’ai adoré cette période ! J’ai l’impression d’avoir beaucoup grandi sur certains aspects de ma vie.
C’est très étrange car je l’ai vraiment vécu comme un cadeau (malgré l’angoisse liée à la situation sanitaire et à l’incertitude de l’avenir).
Pour la première fois depuis trop longtemps, la vie m’offrait du temps. Un temps infini et extensible pour penser sans interruption, me recentrer sur moi et créer sans regarder ma montre. En ça, j’ai le sentiment aussi d’avoir fait une pause. Une pause des autres (je pense habituellement peu à le faire en tant que grande extravertie hyperactive). C’était nouveau. J’ai aussi pris conscience que mon hyper activité n’avait besoin d’aucun stimulus externe haha.
En effet, j’ai profité de ce temps pour me remettre à peindre et faire de la photo, écouter un nombre incalculable de podcasts, déprimer sans culpabilité, donner des cours de cuisine en ligne, danser tous les matins, faire des vidéos sans but sur YouTube, regarder mon plafond… et surtout me mettre à Ableton!
LFB : À quel moment t’es venue l’idée de te lancer en solo ?
T : C’est venu en plusieurs étapes. Je crois qu’au fond de moi, je l’ai toujours un peu souhaité, sans vraiment l’assumer. J’avais pas mal de freins : celui de me sentir illégitime / pas prête (« coucou syndrome de l’imposteur »), mais aussi, j’ai toujours aimé bosser avec des gens parce que j’ai du mal à me motiver quand je fais les choses que pour moi.
J’ai commencé à en discuter avec John (mon binôme de La Vague) en janvier mais sans (me) donner d’horizon précis. Lui avait aussi d’autres projets et envies en parallèle. Puis ce confinement a tout chamboulé et accéléré. J’ai réellement acté dans ma tête de lancer ce projet fin mai. Il n’y a même pas deux mois… Et finalement, je pars en « solo » avec un projet qui s’appelle Thérèse, dont j’impulse la direction, mais dans les faits, je ne suis absolument pas seule !
LFB : Tu débarques donc avec un premier titre T.OX.I.C. Le titre est fort, presque brutal par moment où la voix se retrouve presque en combat avec la production. La confrontation dont tu parles dans le titre, il fallait qu’elle transparaisse aussi de manière « physique » ?
T : « Dans le mille, Emile » (c’est une expression de daron ça, nan ?) ! Je crois qu’on en avait déjà parlé ensemble, mais je fais de la synesthésie. C’est-à-dire que mes sens sont neurologiquement connectés et imbriqués les uns aux autres. Du coup, la musique, pour moi, a et doit avoir une sensorialité développée. J’ai envie que les gens ressentent ce que je peux ressentir en écoutant de la musique. T.O.X.I.C, c’est une chanson qui parle de relation toxique. Une relation à l’autre, mais aussi à soi-même. Forcément, comme dans les paroles, eh bien dans le son, ça gratte un peu parfois, ça picote, on en rigole aussi, puis on s’en libère… inch’allah.
LFB : Sur ce morceau on note aussi une évolution au niveau du son. Si on sent toujours l’intensité qu’on connaît chez toi, la musique semble plus sombre, presque en adéquation avec les propos dont tu traites. Comment es tu parvenue à cet équilibre ?
T : Tu as prononcé le bon mot : « équilibre ». Je suis en permanence à la recherche de cet équilibre ténu entre mes contraires (cf. ma coupe de cheveux hahaha). Il me semble en avoir trouvé un nouveau. La première nouveauté, c’est que sur toutes ces chansons que j’ai composé pendant le confinement, c’est moi qui est ai démarré les instrus, posé mon ambiance. Du coup, forcément, la cohérence entre les lyrics et la musique existe de fait.
Ensuite, c’est aussi énormément notre travail avec mon producteur Adam Carpels qui l’a renforcée. Je crois que là où j’étais en recherche de contrastes forts et marqués avec La Vague, je suis aujourd’hui dans une phase de ma vie où j’étudie artistiquement l’unité. Et Adam et moi avons énormément de références communes, du coup, il arrive à pousser le délire que j’ai dans la tête plus loin encore que je suis aujourd’hui capable de le faire techniquement, tout en proposant sa touche personnelle. Cerise sur le gâteau, Alexandre Zuliani (avec lequel j’avais déjà travaillé sur l’EP Lemme Be) a ajouté sa magie de prod et de mix pour renforcer ce propos.
LFB : Tu parles donc des relations toxiques dans ce morceau, celles qu’on peut vivre avec les autres mais aussi avec soi même. Au final, avant d’aimer les autres, il est surtout nécessaire de savoir s’aimer soi même non ?
T : Je dirais plutôt que pour aimer sainement les autres, il est nécessaire de s’aimer sainement soi-même d’abord. Car on est tous capables d’aimer l’autre, même quand on se s’aime pas soi-même. Mais bien souvent, de mon point de vue, quand on ne s’aime pas, on aime « mal ».
On aime en exigeant que l’autre vienne combler nos manques, soigner nos blessures et traumas. On aime en étant dépendant ou en créant de la dépendance. Peu importe la nature de la relation (amicale, amoureuse, pro, familiale etc.).
Pour moi, l’amour sain est libre. C’est deux personnes qui décident consciemment d’être libres ensemble et de s’accompagner dans cet accomplissement (moyennant évidemment des compromis). Je suis en effet persuadée que tout part de l’amour de soi. Je ne parle pas d’amour narcissique, mais de l’acceptation de ce qu’on est dans notre globalité (both bright and dark sides), en prenant soin des trois piliers qui sont la tête, le cœur et le corps (cf. ma vidéo YouTube qui s’appelle Selflove EP.1, où je développe de façon simple le processus d’individuation de Jung, appliqué à la vie concrète). Mieux on comprend et accepte ce qu’on est, de façon honnête, humble, mais sans fausse modestie, plus on sera à même de fixer et assumer nos limites – avec soi ou avec l’autre – et donc d’éviter de développer ces fameuses « relations toxiques ».
LFB : Ce premier titre était aussi l’occasion de traiter un sujet à la fois personnel et universel. C’est important pour toi de trouver cet équilibre, parler de soi pour amener les autres à penser à eux ?
T : Oui. Je crois que c’est le but de ma démarche globale. Que ce soit dans la musique, la mode, ou le militantisme au sens large. J’ai envie qu’à travers l’impudeur de mes questionnements, les gens se sentent légitimes de se poser des questions, même difficiles, à voix haute. Et d’y répondre par eux-mêmes (je n’ai aucunement la prétention de pouvoir apporter des réponses à qui que ce soit d’autre qu’à moi-même). C’est ça, à mon sens, le chemin de la liberté : déconstruire les croyances que notre environnement nous impose pour reconstruire son propre système. Puis le redétruire encore pour ne reconstruire un nouveau qui nous correspond mieux à l’instant T (ad lib) car on est en constante évolution.
LFB : Si on te suit un peu dans ton cheminement, tu es une femme d’engagements. Est-ce que ce projet solo va te servir de caisse de résonance à tes idées ? Comment envisages tu cette aventure ?
T : Je ne sais qui est la poule ou l’œuf dans l’histoire. Mais une chose c’est sûre, oui, c’est que cette volonté de projet solo va de pair avec le souhait de développer mes idées sans compromis, sans dilution. J’ai à maintes reprises évoqué M.I.A dans mes interviews. Elle reste pour moi un modèle de développement. Elle a créé un Patreon il y a peu pour avoir le moins d’intermédiaires possibles entre ses fans et elles. Je trouve ce modèle intéressant même si je ne pense pas encore avoir l’envergure pour pouvoir mettre ce système en place. En tout cas, ce que j’aimerais faire, c’est trouver des sources de revenus qui puissent me permettent de créer des choses de grande envergure en restant le plus indépendante possible dans mes propos, dans ma façon de faire. Après, si de grosses multinationales ont envie d’être mes mécènes en me laissant libre de mes mouvements, je prends hein. Anyone ? 🙂
LFB : Cette nouvelle aventure s’ouvre donc maintenant. C’est quoi le futur pour Thérèse ? Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour l’avenir ?
T : Je ne sais pas encore ce que sera le futur pour Thérèse. J’essaie déjà de dealer avec aujourd’hui ! Mais vous pouvez me souhaiter un succès pour ce single, le million de vues sur le clip qui sortira (qui sera réalisé par mon pote Charlie Montagut), qu’il puisse aider plein de gens à mieux s’aimer, se respecter. Que le covid19 disparaisse pour qu’on puisse enfin de faire des câlins en concerts. Vous pouvez me souhaiter un feat avec M.I.A, avec Kendrick aussi. D’écrire un album avec Nicolas Jaar et Thom Yorke. Vous pouvez me souhaiter que Bernard Arnault me file du bif pour pouvoir développer plein de projets autour de la vidéo, des podcasts, des interventions dans des écoles pour la jeunesse. Mais aussi pour créer une marque de sapes, faire du cinéma, ouvrir un restau gastro et m’acheter une villa à L.A. Nan, je rigole pour la villa, je la veux près des Buttes Chaumont.
LFB : Est ce que tu as des coups de cœur récents à partager avec nous ?
T : La Serpiente de la copine La Chica, Sabana du projet solo électro d’Adam évidemment, Nobody de Coucou Chloé et Air, le nouvel EP vidéo fragile et élégant de Jeanne Added.
Et en coup de cœur hors musique, je vous invite à écouter le titillant podcast Méta de Choc, jeter un coup d’oeil au compte @8igb_communityclothing et aller manger au tout nouveau restau Gros Bao sur le canal Saint-Martin.