Rencontre avec Thomas de Pourquery

Présent sur beaucoup d’albums que l’on adore sur La Face B, Thomas de Pourquery a enfin pris rendez-vous avec la pop cette année avec la sortie du magnifique, Let The Monster Fall. Un album à son image, à la fois intime et immense. C’est à l’occasion de son passage à l’Aéronef début mai qu’on a eu le plaisir de le rencontrer pour discuter de la vie, de la musique et de l’univers.

portrait Thomas de Pourquery

La Face B : Salut Thomas, comment ça va ?

Thomas de Pourquery : Ça va très bien aujourd’hui. Je suis très heureux d’être là, à Lille et de jouer.

LFB : C’est un peu le lancement de la tournée.

Thomas de Pourquery : Ouais, on était à Strasbourg. Avant, on était à Bourges et avant à la Cigale. Depuis jeudi dernier, ça enchaîne.

LFB : Avant de parler un peu de l’album, j’avais une question : je me demandais quel avait, comme importance, le fait de laisser transparaître la générosité dans la musique ?

Thomas de Pourquery : C’est une question difficile parce que je n’ai pas l’impression d’être généreux. Je n’ai pas cette conscience-là. Peut-être que c’est inné, je n’ai pas l’intention d’être généreux. J’ai juste l’amour de la musique qui est présent et que je vais chercher, que je cultive.

LFB : Si je dis ça, c’est que l’album fait 14 titres. Il y a quand même cette idée de générosité.

Thomas de Pourquery : C’est gentil, ça veut dire que l’album ne t’a pas déplu et n’était pas chiant à écouter. C’est vrai que je me suis posé la question de sortir 2 EPs ou deux mini-albums et en fait, je trouvais que cet album racontait une histoire comme ça. Tu as des réalisateurs qui font des films dont ils ne connaissent pas la durée avant de tourner. C’est comme au cinéma. C’est un album assez conséquent mais ça ne m’étonne pas parce que c’est un album… C’est mon premier album de chanson donc c’est un album fort pour moi, important dans ma vie.

LFB : À travers le titre (Let The Monster Fall ndl), il y a une idée qui est hyper importante. Déjà, je le trouve très beau. Je trouve que c’est l’un des plus beaux titres de ce début d’année. C’est une idée hyper importante parce qu’il y a l’idée du monstre qui peut ramener plein d’interprétations différentes. J’ai l’impression que c’est un peu l’ombre menaçante dont on doit se débarrasser. Pour moi, l’album parle vraiment de ça.

Thomas de Pourquery : Je ne peux pas mieux dire. Ce titre pour moi pose suffisamment de questions pour ne pas avoir à donner de réponses.

LFB : Ce qui est marrant, c’est que ça m’a ramené à quelque chose qui est complètement ailleurs et complètement différent, c’est un film qui s’appelle Edge of Tomorrow avec Tom Cruise. La tagline du film, c’était vivre, mourir, recommencer. Je trouve que ça colle parfaitement à l’album aussi. Il y a vraiment cette idée. D’ailleurs le début et la fin parlent de ça, de se relever et de repartir. Cette espèce de boucle.

Thomas de Pourquery : Complètement, c’est clair. À fond, je suis totalement d’accord. Je ne sais pas quoi te dire de plus. Il y a l’idée de cette boucle : Rise Again et Start over again qui se répondent. S’ils se répondent, c’est qu’ils sont proches et qu’ils peuvent communiquer. Possiblement, on peut remettre le disque au début et repartir. Il y a cette idée. Je peux te parler un peu quand même de Let The Monster fall. Ce sont des chansons qui sont très importantes pour moi, c’est mon premier album de chanson. Il raconte aussi ce que j’ai traversé avec mon papa. L’un des aspects de ce monstre… J’ai perdu mon papa il y a un peu plus de dix ans. Il a eu une maladie rare qui a mis dix ans à le tuer. Il est parti comme ça, à petit feu, emmuré vivant. C’était une longue descente aux enfers ou une longue montée au paradis. L’incarnation du monstre, on l’a vraiment vue évoluer, cette maladie. C’est vrai que j’ai vécu longtemps sans pouvoir me défaire de cette image-là. Je viens d’être papa à mon tour. Ça raconte aussi ça, l’idée de laisser tomber cette image et de laisser la lumière entrer.

C’est aussi un hommage à tous les monstres, tous nos monstres intérieurs, la diversité et la complexité de nos sensations, nos sentiments, de notre condition humaine. Je ramène tout ça à l’histoire qu’on a traversée avec mon père mais ça a été une épopée assez folle.

J’étais très d’accord avec toi quand tu parlais de l’idée de Edge of Tomorrow : vivre, mourir et recommencer. On a traversé ça parce que cette maladie, c’était des deuils successifs du vivant d’une personne. Le deuil de ne plus pouvoir écrire jusqu’au deuil de ne plus pouvoir se parler. Mais malgré tout, après on cherche des solutions pour pouvoir continuer à vivre donc il y a cette idée de renouvellement perpétuel, qui s’impose à nous et contre lequel on ne peut rien faire. Qui est absolument terrifiant. Mais paradoxalement, c’est aussi rempli d’une force de vie assez démoniaque, assez inouïe. C’était quelqu’un de très, très fort et de très, très drôle, de très, très vivant, de très humain. Une personne magnifique, dont il ne reste que la lumière aujourd’hui. Donc c’est un hommage aussi à mon père et à ce qu’il est.

Let the monster fall, c’est aussi laisser tomber cette image de cette maladie monstrueuse qui s’est emparée de lui et rendre hommage à ce qu’il a toujours été et qu’il est maintenant. C’est assez personnel dans mon chemin et j’en ai assez peu parlé dans la promotion de cet album parce que ce n’était pas ma thématique. Mais c’est quelque chose qui était là, qui m’a habité et qui m’a traversé pendant dix ans, puis pendant ces dix années depuis lesquelles il est parti. Donc une longue période d’écriture en vivant ces choses-là dans ma vie. Quelque chose de très prégnant. Mais c’est quelque chose de très lumineux. En tout cas, l’intention de tout ça, ce n’est pas du misérabilisme et de faire pleurer dans les chaumières. C’est de constater que même dans les ténèbres les pires, toutes les petites lumières peuvent anéantir l’obscurité.

LFB : Dès le départ de l’album et je pense que le choix du premier single, Rise Again, était évident parce que c’est un appel à la lumière. Même dans le clip, tu es un peu l’incarnation visuelle du soleil je trouve. Tu as ce truc d’aller vers quelque chose de merveilleux et de plus grand que soi.

Thomas de Pourquery : Exactement. J’ai joué beaucoup la musique de Sun Ra, du jazz. Cette musique qui est, pour moi, comparable au soleil. C’est une musique de lumière, de chaleur, de vie. Je crois qu’on est vraiment là pour soi et qu’on a quand même le choix. On croit qu’on ne l’a pas mais moi, je sais qu’on a le choix chaque matin d’être un peu moins con que la veille, ou d’être un peu plus joyeux. On a le choix de prendre quand même une petite route qui va vers un endroit un peu plus lumineux, quelque soit la définition de la lumière ou ce qu’on y met. C’est ça qui me porte.

C’est vrai que la lumière parle beaucoup de ça. C’est un cadeau la musique parce que c’est la connexion au présent. Quand on écoute ou qu’on fait de la musique, on est vraiment connectés à cet instant qui existe. C’est pour ça que je dis souvent que la musique, c’est le seul vaisseau pour voyager dans le temps qui est réel, qui existe. Quand on écoute de la musique, si tu as un tempo très lent, on va voyager lentement. Si on écoute de la techno hardcore hyper rapide ou un tempo de jazz… La notion de temps est tellement présente dans la musique que pour moi, c’est un vaisseau qui nous emporte et qui nous fait voyager réellement.

LFB : Qui appelle des émotions très différentes aussi. On parlait du début et de la fin de l’album mais pour moi, il y a aussi deux morceaux qui sont le coeur de l’album et qui sont hyper importants : Let the Monster fall et The rythm changed qui pour moi est un morceau central. Il peut paraître très différent mais je trouve qu’il colle aussi aux thématiques et à cette idée de montagnes russes émotionnelles.

Thomas de Pourquery : J’aime ça, c’est ce qui me plaît. Quand j’écoute un album ou que je vais voir un concert, j’aime voyager aussi émotionnellement. Être traversé par plein de sensations différentes.

LFB : C’est pour ça que je parlais de générosité au début aussi. Peut-être aussi parce que c’est ton premier album de pop mais j’ai l’impression qu’il y a aussi la volonté d’en mettre le maximum. Le maximum d’émotions, le maximum de rythme, d’influences musicales et de s’autoriser pour toi mais aussi pour les autres d’avoir quelque chose de plus grands que ce que les normes actuelles chercheraient à imposer.

Thomas de Pourquery : Complètement, mais après c’est vrai que je ne suis pas un homme de concept. C’est très compliqué pour moi de partir conceptuellement sur un style. J’admire certaines personnes qui le font avec brio parce que c’est leur truc. Mais ce n’est pas le mien. Encore une fois, j’aime le voyage et j’assume ça depuis pas si longtemps. J’ai toujours été complexé, à me dire que je n’étais pas assez conceptuel dans mon truc, que ça se barrait dans tous les sens. C’est souvent des choses qu’on me « reproche ». Je me souviens de cette phrase de Louis Jouvet qui disait à ses élèves que si on leur reprochait souvent quelque chose, il fallait cultiver justement cette chose-là puisqu’elle définit notre singularité. Du coup, un jour je me suis dit : pourquoi pas ?

LFB : Finalement, le concept est aussi dans la thématique de l’album. Parfois, un titre d’album ne veut pas dire grand chose. Là, la pochette et le titre sont un peu des portes ouvertes et des éléments de compréhension.

Thomas de Pourquery : Tant mieux. Je me dis que j’ai voulu faire passer des émotions, passer quelque chose qui s’exprime en dehors des stylistiques et des paysages de chaque morceau. Quelque chose qui va traverser tout ça. Un esprit. Le mec tout d’un coup prend un melon pas possible. (rires) Je plaisante.

LFB : Ce qui est intéressant, c’est que les paroles de l’album sont quand même très personnelles, très intimes. Je me demande ce qui donne envie de faire un album de pop à 40 ans ? Et aussi, est-ce qu’avoir cet âge-là pour un premier album où la voix prend plus de place que le reste, engage aussi à faire quelque chose de sincère et de plus centré sur l’humain ?

Thomas de Pourquery : Carrément. C’est vrai que j’ai toujours attendu que la vie fasse d’elle-même que je sorte ce disque de chansons. Je savais que ça sortirait un jour mais il fallait que je le fasse. J’ai toujours su que j’allais le faire mais j’ai toujours su aussi qu’il y avait une petite voix qui me disait que ça allait être la vie qui fera qu’il sorte un jour. J’ai toujours écrit mes chansons, peaufiné mes chansons en attendant de faire les rencontres qu’il faut pour que cet objet existe. Et c’est maintenant.

LFB : Il y a eu plusieurs incarnations. Au-delà du jazz, il y a eu VonPourquery à un moment.

Thomas de Pourquery : C’était l’origine de ce projet. J’ai mis un album à la poubelle en 2020. J’ai un premier album de chansons qui devait sortir en 2020. Avec le Covid, les échéances ont été repoussées successivement. Ça a été très douloureux. Mais des rencontres par la suite qui ont fait que paf. C’est assez miraculeux.

LFB : Pour faire un mauvais jeu de mots, est-ce que tu as l’impression d’avoir trouvé ta voi(x)e ?

Thomas de Pourquery : Vraiment pourri comme jeu de mots mais j’adore. Oui, complètement mais c’est vrai que dans Supersonic aussi, je n’étais frustré de rien, mais c’est vrai que cet album est très personnel. D’être frontman et chanter mes chansons, que l’étoile principale de ma galaxie musicale soit ce projet-là, c’est clairement quelque chose qui me fait un bien fou. Donc la réponse est oui.

LFB : Le fait est qu’il y a un élément important qui est le saxophone aussi. C’est une voie différente dans l’album puisqu’il exprime aussi énormément de choses qui vont au-delà des paroles. Ce rapport-là est hyper important dans ta musique. Il l’a toujours été. Est-ce que tu as l’impression de l’avoir redéfini ? D’avoir trouvé un équilibre entre le chant et le saxophone qui cohabitent sur l’album.

Thomas de Pourquery : Complètement et encore plus sur scène où je joue plus de saxophone que sur l’album. Mais après, j’adore aussi faire des albums dont l’interprétation scénique est différente. Comme vous verrez ce soir, les morceaux deviennent un tremplin ou un terrain de jeu. C’est merveilleux. Donc oui, je joue beaucoup de saxophone sur scène et c’est génial. Je m’épanouis dans les deux.

LFB : C’est important parce que c’est ta patte de la transporter sur de la pop qui n’est pas forcément quelque chose de très évident sur le saxophone.

Thomas de Pourquery : C’est sûr que David Bowie au saxophone, je le préfère en temps que chanteur. Effectivement, c’est un instrument et ça porte bien son nom, un instrument est un moyen de faire quelque chose. C’est l’instrument, l’artisanat que j’ai peaufiné depuis très longtemps. Je le chéris toujours et j’adore toujours en jouer et le mélanger à mes chansons.

LFB : On parlait de lumière tout à l’heure. Il y a un morceau qui, pour moi, est un peu à part sur l’album parce que c’est le seul morceau en français et le seul morceau où tu invites quelqu’un à chanter avec toi, c’est Soleil avec Clara Ysé. Est-ce que tu pourrais me parler de ce morceau ? De sa construction ? Pour moi, c’est une thématique qui se dégage de l’album : quand on se dégage de l’ombre, il y a forcément le soleil qui revient.

Thomas de Pourquery : Carrément. J’avais presque fini mon album et je me disais que quand même, une petite chanson en français, c’est quelque chose que je fais peu. C’est un peu un challenge aussi d’écrire une chanson en français. Très rapidement, j’ai pensé à Clara pendant que je façonnais cette chanson. Parce que c’est une artiste que j’admire énormément, une personne merveilleuse, très lumineuse. J’avais eu la chance de jouer sur son album, je l’avais rencontrée comme ça. J’étais fasciné par sa voix, par sa poésie. Je lui ai proposé la chanson, ça s’est fait assez simplement. Je pensais à elle parce que je m’imaginais vraiment chanter cette chanson à deux, comme on fait. Chanter pratiquement toute la chanson à l’unisson. Elle a accepté tout de suite, ça a été un vrai cadeau. Ça s’est fait très simplement et la chanson s’appelle Soleil aussi parce que ce n’était que de la joie, de la simplicité et de la lumière à ses côtés.

LFB : Tu as énormément collaboré avec d’autres personnes. Est-ce que l’idée t’étais venue à un moment de faire plus de collaborations sur cet album ? Est-ce que le fait qu’il n’y en ait pas, c’est que tu t’es rendu compte que c’était un album qui parlait beaucoup plus de toi que des autres ?

Thomas de Pourquery : Oui clairement, il y a de ça. Je suis ravi qu’il y ait ce duo parce que c’est une chanson un peu part. C’est un album qui voyage beaucoup et c’est un chemin parmi d’autres cette chanson. Qu’il n’y ait qu’une seule invitation, c’est aussi une singularité de plus dans ce disque. Du coup, je trouvais que ça avait du sens. Mais oui, c’est un disque très personnel. Ce n’était pas du tout l’idée de départ d’inviter plein de gens. Même si j’adore ça et je le ferais sans doute. Ce sont des choses auxquelles je pense.

LFB : Est-ce que tu verrais ces chansons remixées par des artistes ?

Thomas de Pourquery : Pourquoi pas ? Ça vient de sortir donc je n’en suis pas encore là mais oui. Dirty love, j’espère bien qu’il sera remixé. C’est ça qui est génial avec les chansons, c’est qu’une fois qu’elle sortent, elles ne vous appartiennent plus du tout. C’est comme mes enfants, je les aime d’amour inconditionnel mais ils ont leur vie propre qui leur appartient à 100%. Donc si des gens s’emparent de ces chansons comme d’une matière première pour les emmener ailleurs et en faire d’autres choses, j’en serais super heureux.

portrait Thomas de Pourquery

LFB : Il y a un truc que j’ai trouvé très intéressant, c’est le soin extrême qui a été apporté aux clips sur cet album et aux sessions live aussi. Je me demandais si c’était important pour toi d’incarner visuellement ta musique et les émotions qui transparaissent de ta musique ?

Thomas de Pourquery : Oui, mais ce n’était pas une obligation. J’ai laissé les réals libres de leurs inspirations. J’ai pris des gens dont j’aimais le travail. Dire que je me suis proposé pour être présent… Après Rise Again, c’était l’idée de base, il n’y a qu’un seul personnage, c’est le mien. Mais dans The Rythm changed, j’ai beaucoup parlé du fait de peut-être ne pas être dans le clip, que ça ne me gênait pas du tout et qu’il y avait sûrement tous ces personnages. Et en en parlant, on s’est dit que ça avait du sens que je sois l’un de ces personnages.

LFB : Il y a une cacophonie d’émotions je trouve.

Thomas de Pourquery : Ouais, il est superbe. Donc voilà, je peux très bien imaginer pour des chansons futures de ne pas apparaître dans mes clips. Ce n’est pas une condition pour moi d’y être.

LFB : Est-ce que tu as déjà des gens que tu as rencontrés qui étaient surpris de ton physique par rapport à ta musique ?

Thomas de Pourquery : Oh oui, c’est quelque chose que j’entends souvent. Sur les réseaux sociaux d’ailleurs, c’est insupportable de lire certains commentaires de gens qui croient qu’on peut tout dire derrière un écran. Ça me fait marrer. Mais effectivement, j’ai eu le droit très souvent à : mais on lui a coupé les couilles ? C’est quoi cette grande folle barbue ? Des propos insupportables.

LFB : Alors que je trouve que c’est toute la beauté du projet aussi, de s’élever au-delà de l’image qu’on t’impose.

Thomas de Pourquery : Bien sûr, mais je suis mauvaise langue aussi. On retient malheureusement toujours la douleur qu’on nous envoie et la merde qu’on nous envoie à la gueule mais il y a quand même beaucoup plus de beaux messages.

Globalement, pour te répondre à un autre endroit de ta question, oui, ça surprend les gens de me voir, de voir un gros barbu chanter avec une voix très aiguë potentiellement. Mais je n’ai pas choisi d’avoir cette voix-là donc c’est comme ça. Pour moi, ça m’est très naturel et j’adore chanter. Donc la question ne se pose même pas. Je me sens un être humain avant de me sentir… Je ne me sens ni homme, ni femme, ni banane, ni poney. Je me sens un être vivant. Si on va puiser dans ce qui nous définit, je pense qu’on est des entités, des âmes, des consciences, on n’est pas des bouts de chair, des maigres, des gros, des noirs, des blancs. Vraiment, très sincèrement. Ce n’est pas pour faire chier, je pense que c’est vraiment la réalité de notre essence. La musique est extraordinaire pour ça aussi parce que quand je chante, j’ai la possibilité de chanter dans l’aigu. Je ne me sens pas plus femme que quand je vais chanter grave. Je me sens juste avoir des vocabulaires différents, plusieurs cordes à mon arc. C’est comme une plénitude pour moi de pouvoir chanter très grave ou très aigu, pouvoir chanter des chansons tristes ou très en colère, du punk, de la soul.

LFB : Pouvoir tout s’autoriser en fait.

Thomas de Pourquery : Ouais, carrément. C’est Sun Ra qui disait ça et ça a été pour moi très libérateur. Dans une de ses chansons, il dit : there is no limit to the things that you can do. There is no limit to the things that you can be. C’est simple mais il passe de l’espace intersidéral et il dit que là-haut, il n’y a pas de limites. Donc on incarne nous aussi l’univers. Je pense que c’est ça qui est génial, qui nous rend vivants. À la fois, on n’existe pas à l’échelle de l’univers, on n’est même pas un millionième de grain de sable. Et malgré tout, chacun de nous est seul avec sa conscience. Moi, je suis en train de vous parler et après je vais poursuivre ma journée. Chacun de vous va poursuivre sa journée. Et on est seuls avec ça, avec cette conscience de nos journées et de nos vies. On est seuls au monde et dans l’univers. Quelque part, on est Dieu et on incarne tout. C’est fou. On représente le tout. Ça m’éclate, je trouve ça génial cette idée d’être à la fois rien, quasi insignifiant et en même temps, d’être absolument tout.

LFB : D’être un univers et une part de l’univers des autres aussi.

Thomas de Pourquery : C’est dingue et c’est une réalité. Je trouve qu’avoir conscience de ça, de le verbaliser et d’en parler, ça m’aide à vivre et à prendre du recul sur les choses. À essayer d’être un peu moins con que la veille, essayer de m’améliorer, de profiter plus de la vie elle-même. Léonard de Vinci disait ça. C’est quelqu’un qui s’émerveillait de chaque chose. Je crois que la curiosité est une vertu indispensable pour être heureux. Je crois que la curiosité, donner de l’importance à ce qu’on regarde, aux gens qu’on regarde et qui nous entourent… Pour ça, la musique est merveilleuse. C’est extraordinaire. Elle incarne la vie elle-même. Je pense que la vie elle-même évolue en interaction. On ne peut pas vivre seul, reclus, dans son éco-système. On est obligé de s’ouvrir aux autres et de se mélanger. Ça, c’est important. Il faut le dire, le crier haut et fort par les temps qui courent où on veut se replier sur nous-mêmes derrière nos petits drapeaux, derrière nos croyances, nos engagements même. Je pense qu’il y a quelque chose de plus universel qui nous réunit tous et qu’il faut jamais oublier ça. On est des êtres qui vivent sur une toute petite bille dans l’univers. On a la chance de respirer, de sentir la lumière, d’écouter de la musique, de se rencontrer, de rigoler. C’est génial. Il ne faut jamais perdre de vue ce truc-là. L’antidote à la peur, c’est l’AMOUR. Pardon, je m’envole mais comme je fais une interview, c’est une parole qui m’est offerte et je veux l’utiliser pour dire cette ça. Plutôt que de parler que de ma petite sauce. Je pense que ce que je fais, mon album, ma musique n’aspirent qu’à ça. Je n’aspire qu’à ça à travers ma musique, de transmettre juste un message : ce n’est pas perdu, on est là, on est ensemble et on peut faire quelque chose. On peut s’amuser, s’aimer. C’est bon pour soi de s’ouvrir au monde.

LFB : Ça transparaît aussi dans l’album parce que c’est aussi une musique de combat intime mais aussi de combat collectif. Finalement, même si au départ, ça part de quelque chose de très personnel, le fait est que maintenant la musique ne t’appartient plus et elle va raisonner chez les autres.

Thomas de Pourquery : Je l’espère. C’est vrai que j’adore avoir des retours des gens qui me racontent leur vision, leur sensation d’une chanson qui peut parfois être très loin de celle que j’ai eue en la faisant. Mais c’est normal. Quand votre papa vous a conçu, il n’imaginait pas ce que vous alliez devenir et ce qui allait vous traverser, l’essence qui allait devenir vos identités. On n’a pas une identité, c’est ça qui est génial. Je viens d’être papa à mon tour et je me rends compte à quel point en voyant mon fils, juste à quel point je l’aime de manière inconditionnelle et à quel point il est unique. Je ne me dis pas que c’est la moitié de moi. Pas du tout. C’est un extraterrestre, comme chacun de nous. On est unique au monde et on arrive par nos parents. C’est magique aussi ces choses-là.

portrait Thomas de Pourquery
portrait Thomas de Pourquery

LFB : On parlait d’écosystème, d’amour. Comment on fait vivre un album aussi ample, parfois aussi grandiloquent, et en même temps aussi minimaliste sur scène ? Comment on le transforme ?

Thomas de Pourquery : Vous verrez ce soir. Comme je le disais tout à l’heure, chaque chanson est un terrain de jeu. Sur scène, ce pour quoi je fais de la musique, encore plus que les albums, c’est la scène, être sur scène et partager la musique avec mes camarades de jeu et le public. Chaque morceau est une petite planète sur laquelle on va s’amuser, courir, sauter en l’air. On peut exploser les formes ou pas. Ça arrive souvent sur scène que les morceaux, on en fasse des formes différentes, qu’on fasse des intros beaucoup plus longues ou qui ne sont pas sur l’album, qu’il y a des plages de transition improvisées entre les morceaux. C’est un terrain de jeu extraordinaire la scène. On peut tout inventer, toute réinventer. J’aime ça.

LFB : Il y a l’importance aussi de choisir ses partenaires. Sur les réseaux, il y a quand même cette idée pour toi de rendre hommage justement à ces gens-là.

Thomas de Pourquery : Carrément, parce que j’ai reçu des menaces de leur part si je ne parlais pas à un peu plus d’eux. Non mais carrément, je joue avec des musiciens que j’adule et je suis tellement honoré d’être leur chanteur. Il y a ce truc-là aussi. Sylvain Daniel à la basse, David Aknin à la batterie, Étienne Jaumet synthé modulaire et Akemi Fujimori au piano et synthétiseur. Ce sont des musiciens incroyables et moi, ce qui m’enchante aussi énormément, c’est de proposer de la musique à des gens qui vont être heureux de la jouer, à eux de s’en emparer et d’en faire leur sauce. Donc ouais, on vit pour la scène, clairement.

LFB : Est-ce qu’il y a des choses récentes qui t’ont marqué et que tu as envie de partager avec les gens ?

Thomas de Pourquery : Il y a plein de gens qui font des choses fabuleuses. Je suis fan d’un groupe qui s’appelle IDLES. Je trouve qu’ils font de la musique fabuleuse. J’ai découvert aussi un album qui a quelques années. Le temps va tellement vite aujourd’hui que quand on dit qu’un truc a trois ans, ça devient un vieux truc mais ça devient complètement absurde parce qu’à l’échelle de l’histoire de la musique, c’est rien du tout. J’adore plein de choses. Caroline Shaw, compositrice de musique contemporaine extraordinaire qui m’a vraiment bouleversé. Une chorégraphe aussi, dont j’ai oublié le nom, une canadienne incroyable dont la bande-son est faite des dialogues interprétés par les danseurs. C’est complètement dément. Et toujours les Flaming Lips dont je suis fou amoureux. Bon Iver, Beyonce. Et plein d’autres.

Photos : David Tabary