Éternel superactif, Gin puise son énergie en studio et la recrache sur scène. Auteur, chanteur et musicien à l’esthétique médiévale-punk bien léchée, découvrez un artiste déterminé et fort talentueux. Vous l’aurez vu ici en premier !

La Face B : Hello !
Gin : Salut !
LFB : Comment ça va ?
Gin : Moi ça va très bien écoute. J’ai la tête dans un mauvais café.
LFB : Qui es-tu et d’où tu viens ? Comment tu as commencé la musique ?
Gin : Je viens d’une petite famille de la classe moyenne en banlieue parisienne. De parents photographes et infirmiers. Un mélange entre l’artistique bourgeois et le prolétariat travailleur, je dirais.
J’ai commencé la musique assez jeune, parce que mes parents m’ont mis à l’école de musique. Si tu veux, on n’avait même pas de conservatoire dans notre ville mais on a une école de musique. Et j’ai eu la chance, du coup avec moins de moyens que le conservatoire forcément, d’apprendre quand même le solfège et surtout le violoncelle pendant 11 ans, avec mon professeur à qui je dois toute mon initiation musicale. Et je dois à mes parents en fait toute mon initiation musicale culturelle. Ca me paraît important de dire que c’était une école de musique parce que mes parents n’ont jamais voulu faire de moi un musicien de ouf, ou un sportif de ouf. Mais dès mon enfance, ils m’ont emmené partout : au musée, faire du sport, voir des expositions de rue, des expositions dans des musées très chers, quel que soit le prix du billet. Et ça a toujours été un budget familial et donc on ne pouvait pas me mettre dans un conservatoire. Mais en tout cas, mes parents voulaient que je puisse écouter des disques et voulaient que je puisse jouer de la musique si j’en avais envie.
LFB : Du coup, t’es musicien ?
Gin : Du coup, je suis musicien, je suis compositeur.
LFB : Pourquoi Gin ?
Gin : C’est une question qu’on m’a posée hier encore, à mon anniversaire. Déjà Gin parce que je pense que si j’avais cherché un nom composé ou un prénom-nom par exemple, j’aurais commencé à intellectualiser jusqu’à mon nom en voulant donner une signification hyper compliquée ou hyper emblématique, que peut-être les gens auraient moins retenu et qui aurait été moins accrocheuse que Gin, qui est beaucoup plus minimaliste.
Je pense que c’est aussi pour ça que je fais de la musique, c’est pour me détacher de l’intellectuel et aller vers quelque chose de plus honnête. Gin parce que ça tient en trois lettres, parce qu’on est trois sur scène aussi en ce moment. Je trouve que c’est aussi un clin d’œil cool. On a envie d’écouter le projet Gin parce qu’on ne sait pas très bien si c’est un groupe ou un artiste solo, on se pose des questions. Et quand on entend parler d’un projet et qu’on se pose déjà une question avant même d’avoir écouté, pour moi c’est plutôt un bon point. Et ça donne envie d’aller vers l’artiste en tout cas.
LFB : Pas mal. Comment tu définirais ton style ?
Gin : C’est une question que je me pose tous les jours. Et pourtant, paradoxalement, le style, je pense que c’est la chose qui me fascine le plus. C’est-à-dire que je n’aime que des choses qui ont du style. Et je ne m’intéresse quasiment qu’à des choses qui ont du style. Quitte à ce que parfois, ça soit bourré d’erreurs techniques ou pas professionnelles ou alors pas populaires, etc. Mais j’aime en tout cas les trucs qui ont du style, les trucs qui ont de la DA et vraiment une esthétique de fou.
Je dirais que l’esthétique actuelle de Gin c’est la peinture, le rouge, et le médiéval. Évidemment, tout ça couplé à mes chansons qui sont mélancoliques, romantiques.

LFB : Ton premier album, Bagarre à 3, est sorti le 20 juin 2024. Ça fait quoi de sortir un album ?
Gin : Ça fait du bien de sortir un album. Ça fait du bien de s’accorder le droit, à 19 ans de sortir un premier album. Parce qu’on l’a sorti sans distribution, sans édition, sans label, et qu’il est sûrement bourré d’erreurs, qu’il y a plein de choses à travailler, sinon ce ne serait pas un premier album. En fait, c’est tellement cool de pouvoir ne pas obéir à Spotify, qui voudrait que l’on ne fasse que des singles, ou ne pas être dans les codes des sorties et de directement quelques singles, et puis paf, drop son premier album, alors qu’il n’y a pas forcément de public. Et de juste pouvoir se donner ce droit de se laisser vivre et de sortir un truc qui est exactement ce qu’on est à cette période-là.
Aujourd’hui, je m’en suis beaucoup détaché. Ce que je veux dire, c’est que je vois à quel point, si je ne l’avais pas fait, je n’aurais pas pu faire ce que je fais maintenant et prendre le plaisir que je prends maintenant avec les gens avec qui je vais faire.
LFB : Est-ce que la musique que tu fais actuellement, tu dirais qu’elle retranscrit un peu qui tu es ?
Gin : Je pense que chaque fois que je fais un projet, j’essaie de laisser vivre les gens que je côtoie à ce moment-là et les couleurs qui font partie de ma vie, la musique que j’écoute aussi qui fait partie de ma vie à ce moment-là, les métros que je prends à ce moment-là, les gens, les studios que je fréquente à cette période-là. En tout cas, j’essaie de le mettre dans ma musique et ça me permet, je pense, de changer d’air à chaque fois. Je sais que par exemple pour Bagarre à 3, on n’avait pas le choix que de travailler dans ma chambre avec des petites enceintes de merde. Et pourtant, on a fait comme ça. Maintenant, je sais qu’au contraire, j’ai besoin d’arrêter de travailler que dans ma chambre et que j’ai besoin d’aller ailleurs, à des grands espaces avec des grosses enceintes et tout.
C’était quoi la question ? Est-ce que ma musique retranscrit qui je suis ? Oui, parce qu’elle me permet de me perdre. Et se perdre, c’est se trouver.
LFB : Woaw, jolie phrase. Caviar Normal Supérieur, single sorti le 30 mai. Il parle de quoi ?
Gin : En fait, c’est un nom qui résume l’état dans lequel j’étais dans ma tête. Les couleurs qu’il y avait dans ma tête à ce moment-là, le genre de films et de tableaux que j’aimais bien regarder à ce moment-là, c’est-à-dire entre septembre et novembre 2024, qui a été la période la plus dure de ma vie, je pense. Parce qu’en fait, j’ai perdu quelqu’un qui était très important pour moi à cette période, sentimentalement. Cette personne n’est pas morte, mais en tout cas, j’ai perdu quelque chose. J’ai eu l’impression de tout perdre à ce moment-là.
Ça parle de deuil. De deuil et de reconstruction. En fait, la chanson, c’est une chanson d’amour, parce que j’écris que des chansons d’amour, quasiment. En fait, la pochette, pour moi, illustre le deuil.
LFB : Comment tu l’as fait, écrit, composé ?
Gin : J’ai composé dans un parc. Un jour, j’avais rendez-vous avec une photographe à Montmartre. Tout en bas des escaliers Montmartre. En bas des escaliers, il y a un petit parc. En fait, j’ai écrit pendant presque une heure et demie une phrase qui commence par « je veux ». Et je me suis dit, mais qu’est-ce que quelqu’un qui veut écrire cette chanson voudrait ? Et donc, « je veux qu’un terrorisme choisisse ». Donc, j’ai écrit « je veux, je veux, je veux ». Et j’ai dit à la fin « je veux que tu brilles comme le ciel ».
LFB : Et en quoi c’est une chansons d’amour ?
Gin : Une chanson d’amour parce que ça parle quand même avec beaucoup d’ambivalence d’une relation qui s’est terminée avec quelqu’un. « Tu m’as brisé le cœur. Tu l’as presque pas fait exprès. Je t’aime encore ». Et bon, ça pourrait aussi être une chanson d’amitié parce que moi, c’est un deuil amical que je fais. Mais juste, je ne sais pas pourquoi, je ne sais faire que des chansons qui parlent d’amour. Comme si en fait, on avait une relation tellement importante que c’était comparable à une relation amoureuse.
LFB : C’est quoi ton processus d’écriture et de composition ? Ton processus créatif ?
Gin : Mon processus créatif a beaucoup changé, en fait. Ce deuil a changé beaucoup de choses. Et du coup, ce n’est pas du tout le même que sur Bagarre à 3, surtout dans l’écriture. Donc maintenant, en fait, j’écris énormément de textes. Je peux écrire trois, quatre pages. Et puis après, je vais couper, couper, couper, jusqu’à garder quelques petites choses qui vont pour mon couplet ou pour mon refrain.
Et tu écris comme si tu écrivais de la prose ou tu écris des paroles de chanson sur quatre pages ?
Gin : D’abord, j’écris de la prose. On n’est pas en train d’écrire non plus une histoire, une page de roman. Mais ça se rapproche de la prose parce que les rimes, je m’en contrefous. Pour la partie instrumentale, par contre, c’est le même processus qu’avant. Simplement, j’ai essayé d’utiliser des choses que je n’avais pas utilisées sur le premier projet. Ça se passe dans les batteries ou dans les synthés, dans les sons de guitare. J’ai essayé de faire plus minimaliste, en fait. Et d’aller plus dans le rentre-dedans musical, plus de banger.
LFB : Ta musique a mûri depuis tes débuts ?
Gin : Ma musique, est-ce qu’elle a mûri ? Non, ma musique a perdu en maturité. Parce que j’ai utilisé plus de mots. Et quand tu parles plus, tu t’exposes à plus d’immaturité. Je n’en sais rien. Je pense que ma musique a mûri sur l’instrumental, sur la qualité de composition. Je pense qu’elle est moins hasardeuse, qu’elle se veut plus précise et tranchante.
En fait, c’est très ambivalent de dire que les paroles sont plus matures. Pour moi, une chanson où les paroles seraient très matures ou sages, ça serait une chanson très courte, qui tiendrait en quatre phrases. Là, dans Caviar Normal Supérieur, je n’ai pas essayé de faire une chanson plus mature. J’ai essayé juste de montrer comment tu peux te sentir quand tu es débordé par une colère ou par une tristesse. Et dedans, tu as forcément des passages très matures et tu as aussi des passages forcément extrêmement immatures.
LFB : D’abord, tu avais commencé par chanter de la pop. Ton style de base, c’était plus pop, plus lumineux que maintenant. Est-ce que ça te ressemblait plus à l’époque d’être pop ?
Gin : Ça allait en fait avec l’insouciance dans laquelle j’étais. Ça allait avec la légèreté et le rythme de mon existence à ce moment-là, qui était un rythme de copains et de petites sorties au bord de mer, quelque chose de très calme. J’avais vraiment l’impression d’avoir mon petit monde. Dans Bagarre à 3, les chansons, Menthe Méditerranée, Route de Nuit, c’est que pour moi des expositions de lieux et d’atmosphères qui sont hyper intimes. Je suis dans mon petit monde, je suis dans mon petit coin, je suis avec mes petits potes, je suis dans mon petit écosystème en fait.
Et quand tu es brisé, tu dois trouver un autre écosystème parce que celui dans lequel tu t’es développé s’est refermé sur toi comme une cage et tu ne peux plus rester dedans. Tu es obligé de partir et dehors le monde n’est pas pareil. Parce que le monde appartient à tout le monde et à personne, du coup il est plus violent. CNS est plus dur et plus violent pour cette raison-là aussi, parce que je me suis confronté à une autre existence. Il y a des problématiques qui n’étaient pas celles que j’avais rencontrées sur Bagarre à Trois. Quand je dis problématique, c’est émotionnel. C’est-à-dire qu’effectivement tu peux te faire briser le cœur mais dans Bagarre à 3 ça n’a pas le même parfum que dans CNS.
LFB : Et comment tu as entamé et vécu cette transition d’un truc plus insouciant à un truc moins insouciant ?
Gin : Ça a été difficile. C’est vraiment une très bonne question. Je suis très content que tu me la poses parce que je n’en ai encore jamais parlé à personne. Ça a été très difficile parce que les musiciens avec qui j’étais, alors il y en a certains qui sont partis parce qu’ils avaient d’autres trucs à faire. Mais il y en a certains, ce n’est pas qu’ils ont été déçus mais c’est qu’en fait ils n’ont pas su, et certains encore ne savent pas encore très bien forcément, se positionner sur ça. Parce que c’est vrai, quand tu travailles avec une équipe qui te suit, même si c’est des potes, même si ce n’est pas du tout produit, ils sont attachés à une part de ton univers comme si ça allait rester toujours comme ça. Mais en fait quand ça s’en va, et ça s’en va toujours tôt ou tard, ou alors ça reste très longtemps et c’est que tu te connais vraiment très bien, mais bon, quand ça s’en va, ce n’est pas que ça les déçoit parce qu’ils t’aiment dans tous les cas. C’est juste qu’en fait peut-être qu’ils ne savent pas se positionner et du coup il y a un lien qui s’effrite à ce moment-là et qui plus tard en fait se reconstruit lentement mais qui au moment où ça se produit, c’est comme une brûlure un petit peu.
Caviar Normal Supérieur, ça a été une brûlure pour moi, la brûlure de mon année et ça a été aussi de la brûlure autour de moi en fait. Quand tu es brûlé par quelque chose et que tu n’as pas le choix, j’avais l’impression que je n’avais pas le choix de composer ça et d’écrire comme ça et de chanter comme ça, et ça a fait un choc. J’ai senti qu’ils allaient enregistrer avec moi, qu’ils allaient m’aider à composer ou à produire, qu’ils allaient être attentifs mais pas autant épanouis que l’ère de Bagarre à 3. On était vraiment tous sur la même longueur d’onde.
Je pense qu’aujourd’hui ça leur parle, mais très différemment, et comme c’est hyper contraire à plein de valeurs qu’il y avait dans Bagarre à 3, sur le plan des paroles, sur le plan instrumental, du fond comme de la forme, ça casse un truc forcément, et c’est beau aussi de voir ça parce que tu vois que les gens ne sont pas indifférents à ce que tu fais. Quelqu’un qui te suit tout le temps, tout le temps pareil, de la même façon, est-ce qu’il connaît vraiment ce que tu fais finalement ? Est-ce qu’il aime vraiment ta musique et travailler avec toi ? Ce n’est pas forcément sûr.
Mais le deuil c’est un truc extraordinaire, je souhaite à tout le monde de faire un deuil parce que ça change ta vie, c’est terrible mais en même temps c’est comme ça que tu apprends. Tu peux apprendre dans la vie je pense, avec le temps affiner ton style, travailler avec des meilleures personnes, mais tu vas rester dans la même bulle. Un deuil par contre, il ne te donne pas le choix, tu dois partir ou tu dois quitter quelque chose, ou abandonner quelque chose, mais tu es obligé de trouver d’autres personnes pour continuer de faire de la musique, avec qui collaborer, que ce soit sur le mix, sur la production, sur le live, etc. Tu vas vers d’autres personnes, et c’est les gens qui te changent aussi énormément. Et je pense qu’on ne serait pas dans ce café à discuter si je n’étais pas passé par là.

LFB : Est-ce qu’on n’apprend que dans la douleur ? A fortiori, est-ce qu’on est artiste que dans la douleur ?
Gin : Non, je ne pense pas. Mais je pense que les plus grands moments, en tout cas de changement, peuvent être malheureusement dans la douleur. Et de toute façon pour CNS, je le savais depuis le début, avant même qu’il y ait tout ce drame du deuil, que je voulais aller vers quelque chose de l’urgence en fait. Et l’urgence est un synonyme de deuil pour moi. C’est-à-dire qu’il faut faire vite parce que tu n’as plus le choix. Parce que ça ne va pas.
En tout cas, pour moi le punk actuel, ça pourrait ressembler à ça. Pourtant c’est aux antipodes des valeurs et, je pense, de l’état d’esprit punk de l’origine du mouvement à la fin des années 60. Ça n’a rien à voir. Ce n’était pas de l’esthétique. Nous, c’est hyper léché. En tout cas, moi j’ai travaillé comme un chien. Un vrai punk n’aurait pas fait ça.
LFB : On est passé d’une esthétique colorée, orange, bleue, saturée, à un chevalier en armure et des anges au Moyen-Âge. Pourquoi cette D.A. médiévale ?
Gin : Je dirais que dans Bagarre à 3, on était des pirates. Parce qu’on avait l’insouciance, on avait la naïveté, on avait l’énergie. Et quand je vois des photos, j’ai des émotions, une nostalgie terrible. Une nostalgie terrible qui pourrait me faire écrire 3 ou 4 morceaux comme Abricot. Pour moi, nos yeux ne brillent pas pareil à cette période. Aujourd’hui, ils brillent vraiment différemment. On a perdu tellement de choses. Et en même temps, je pense qu’on en a énormément gagné en chemin. Quand je vois même le parcours personnel de mes potes, chacun individuellement, il y a tellement de choses qui ont changé. C’est la vie finalement.
Mais sur CNS, je savais en fait depuis le début que, après les pirates, comme un enfant qui joue… Un enfant n’est pas compliqué. Il se lève le matin, il veut jouer aux pirates. Puis l’après-midi, il veut jouer aux chevaliers. Puis le soir, il veut jouer aux chevaliers en armure. Et voilà, il fait son truc. Il faut revenir parfois à des trucs plus simples, je pense. Je savais que je voulais du château, je voulais de l’armure, je voulais du combat à l’épée, je voulais de la peinture aussi. Je voulais plus des trucs d’adultes peut-être.
LFB : Tu as grandi. J’ai une petite question sur la dualité « Gin bleu » et « Gin rouge ». Est-ce qu’ils coexistent encore en ce moment ?
Gin : Alors, dans Bagarre à 3, ça faisait l’étal de qui j’étais à ce moment-là, avec tout ce que je fréquentais, tout ce que je voyais, les lieux où j’étais, tout ce que je ressentais. Et puis dedans, il y avait quand même des sous-couches. Donc il y avait beaucoup d’ego, de frustration aussi, de colère, un petit peu trash, un petit côté rageux contre le monde, très rouge. J’étais du coup dans des morceaux comme En vrai, Tu t’appelles comment ? ou Décembre Luciole.
Et il y avait des morceaux « Gin bleu » qui, en fait, c’était plus ma partie introspective, romantique et sensible que j’ai aussi et que j’aurai toujours, je pense. Et intellectuelle. Et du coup, qui est dans des morceaux comme 11° à l’ombre qui est très introspectif, qui parle vraiment de mes parents et de ma musique à ce moment-là. C’est la plus belle chanson du monde. Et Abricot et Fruit de nuit, qui sont des morceaux aussi plus romantiques et plus nostalgiques.
LFB : Du coup, Gin rouge a pris l’ascendant ?
Gin : On peut dire que Gin rouge a pris l’ascendant.
LFB : Est-ce qu’il existe Gin violet, qui serait un mélange parfait des deux ?
Gin : Il n’y a pas Gin violet. Parce que tout vouloir, c’est se perdre, dans le mauvais sens. Parce que se perdre c’est finir par choisir et vouloir Gin violet ça voudrait dire ne pas choisir. Ça voudrait dire, on met tout, et avec Caviar Normal Supérieur j’essaie de choisir des choses. Du coup de jeter. Jeter ça fait du bien. Ça fait beaucoup de bien.
LFB : Comment tu as vécu tes débuts dans l’industrie musicale ?
Gin : Avec beaucoup d’ambivalence, comme toujours. Je pense qu’il y a plein de gens avec qui j’ai envie de travailler aujourd’hui. Et tous les jours je travaille évidemment pour ma musique. Mais je le fais aussi parce que j’ai envie de travailler avec certaines personnes. J’ai envie de découper le fruit avec eux.
J’ai la chance d’avoir déjà une toute petite très très bonne équipe. Avec en tout cas des très bons amis. En tout cas une personne, Céline, mon éditrice, qui a vraiment changé mon année. Qui m’aide énormément et qui me met dans le bain d’un monde que je ne connais pas, auquel je n’étais pas du tout intéressé. Je n’étais pas intéressé pas à cause de trop de naïveté au début. Mais juste parce que je ne connaissais pas et ça ne m’intéressait pas autant qu’avant. Aujourd’hui je sais qu’il y a plein de tâches dans l’industrie musicale qui me fascinent vraiment, genre la production, le booking, produire un live. Avec quelles personnes, et pourquoi ces personnes-là. Ou même d’un point de vue presse. Les débuts dans l’industrie sont toujours très durs, tu as plein d’a priori.
LFB : Et ça te peur pas de faire ses premiers pas dans cette industrie ?
Gin : Si ça me fait peur. Ça me fait peur parce que les gens avec qui je travaille c’est les gens les plus importants pour moi quasiment. Parce que je partage quelque chose avec eux qui nous dépasse tous ensemble, à savoir qu’en fait on travaille sur de la musique. Et que je sois en studio pour un autre artiste ou en studio pour Gin, c’est fou de faire ça parce qu’on travaille sur un truc qui nous dépassera tous à la fin de la journée, et pourtant on le fait ensemble. Pourtant à la fin on se sent tout petit. Tout tout tout petit. Et ça détruit tous nos égos et tout ce en quoi on a toujours cru. Et c’est pour ça que je fais de la musique clairement. Pour cette émotion là que je n’arrive pas à définir. Moi, quand je travaille avec quelqu’un, c’est ma famille. C’est mon sang quoi.
LFB : C’est quoi des inspirations musicales ? Du moment ou plus général ? Soit des artistes un peu émergents, des gens de la scène underground, soit des gros classiques, un truc indémodable.
Gin : Alors on ne dirait pas du tout comme ça quand on m’écoute, mais David Bowie ça a toujours énormément influencé la musique. En tout cas toute la partie image. Ça me fascine et ça me fascinera toujours je pense. Sur le plan du texte, j’ai eu une énorme période Lou Reed cette année. Et Fontaines DC aussi que je trouve absolument merveilleux. Dans les inspirations qu’il y avait avant il y avait beaucoup de groupes comme Odezenne, ou comme musicien Johnny Jane. J’écoute énormément de musique française. En fait, je pense que j’écoute quelques groupes de post-punk anglais ou de noise anglais, ou en tout cas anglophone. Je pense que sur la production, j’ai toujours AIR en référence. Je pense à Lewis Ofman en ce moment et Model/Actriz que je trouve merveilleux aussi. Ce sont des groupes très lumineux selon moi.

LFB : On a déjà parlé un peu, mais c’est quoi les thèmes qui t’inspirent ? Sur quoi tu aimes bien écrire ?
Gin : Je n’aime pas écrire. Quels sont les thèmes qui m’inspirent ? Je ne me laisse pas inspirer par ma musique, en mode, je veux écrire sur cette mélodie. C’est arrivé très rarement. Juste la prod m’influence énormément. Genre pour moi une prod, ça a le son de la mer ou ça a le son d’un fruit ou le goût d’un plat. Littéralement. Quand je n’avais pas encore écrit les paroles, j’ai entendu la prod de Caviar Normal Supérieur. Pour moi, c’est le goût de ce morceau, le goût Caviar Normal Supérieur. Un goût qui n’existe pas. Mais quand j’ai entendu Abricot, pareil. J’ai entendu juste l’arpège. J’ai fait l’arpège. J’ai mis une synthé basse. J’ai dit, ce morceau s’appellera Abricot. C’est obligatoire.
Le thème, c’est l’ivresse. Mais pas en mode ivresse, se bourrer la gueule (rires). En mode ivresse, par exemple quand on est ensemble sur scène ou qu’on est ensemble avec des potes qui partagent la même passion. Quand on est ensemble en studio, pour moi on est dans une forme d’ivresse. Quand on ne comprend pas tout ce qu’on fait, mais que ça nous dépasse et que ça devient nos rêves. Pour moi, c’est ça l’ivresse. Ce qui est génial avec l’ivresse, c’est que ça peut être autant l’amitié, autant l’amour. Un mec dans la rue complètement bourré à 16h de l’après-midi, il peut te parler de sa meuf, il peut te parler de son chien qu’il aime plus que tout. Ou alors il peut te parler de son meilleur pote qu’il n’a pas vu depuis 6 ans. Il peut te parler de n’importe quoi.
En fait, il y a une « surhonnêteté » dans l’ivresse aussi qui est intéressante, et qui permet plus tard de parler d’amour, qui permet de parler de la guerre, de chevalerie, de tournois, de nourriture. La bouffe, ça m’influence beaucoup aussi. Dans le sens où quand je fais de la musique, j’essaye de rechercher un goût et une ambiance et un style. Des goûts et des couleurs.
Quoi d’autre ? Les thèmes c’est l’amour. Je pense de plus en plus, le regret, l’incompréhension. Je remarque dans mes derniers morceaux, autour du « je veux ». En fait quelqu’un qui veut aussi c’est quelqu’un qui est instable. Quelqu’un qui dit « je veux », c’est quelqu’un qui n’a pas le contrôle. Le contrôle que tu pensais acquis sur une relation. En fait c’est quelqu’un qui est perdu, comme dans Starbuster (de Fontaines DC). Il y a plein de morceaux où les artistes disent je veux, je veux, je veux. Pour moi, c’est une phrase géniale. Juste deux mots extraordinaires parce que tu peux tout dire avec ça.
Aussi, le regret, en tout cas la perte de quelque chose. Tu peux tout regretter, ne pas avoir agi sur ça ou ça. Pourtant quand je pense à ma vie, je n’ai pas l’impression d’avoir tant de regrets que ça. J’ai l’impression d’avoir pour l’instant mené ma barque avec ce qu’il me fallait.
LFB : Est-ce que les paroles que tu écris sont autobiographiques ?
Gin : C’est toujours de ma part. Même quand je ne sais pas de quoi ça parle, parce que les paroles et mon écriture c’est très important pour moi parce que c’est une introspection. C’est le fait de se trouver, mais en se perdant. C’est-à-dire que je ne pars jamais d’un morceau en disant je veux parler de ça, j’ai besoin de parler de ça, on va raconter comment ça s’est arrivé. Ça ne m’intéresse pas, les histoires, il y en a partout. Comment tu la racontes, c’est la seule chose qui compte réellement.

LFB : Ton meilleur souvenir de concert ?
Gin : J’ai beaucoup de mauvais souvenirs de concert. Mais j’adore la scène. Je pense que le meilleur souvenir de concert, c’est parti d’une répétition. On était en train de répéter un morceau que je venais de composer le matin même, c’était l’après-midi, au grenier chez un pote. Et au moment où on a joué le refrain, il y a un vent immense qui est rentré dans la pièce et qui a traversé les deux vasistas, de part et d’autre de la pièce, qui nous est vraiment passé dedans. Mais vraiment une belle bourrasque. Au moment où on fait ça, je regarde Solal, mon bassiste, je ne dois pas chanter particulièrement, mais je dis : « le vent est avec nous », ou « nous sommes dans le vent », un truc du genre. Tout le monde sourit, et tout le monde continue à jouer parce qu’on est hyper concentré. Et plus tard sur scène, genre une semaine après à peine, on joue pour la première fois ce morceau. Les gens sont hyper réceptifs au morceau, c’était Le diable au corps. J’ai improvisé, et j’ai redit la même chose, j’ai dit « regarde Solal, le vent est devant nous ». Parce que cette fois-ci, le vent c’était les gens. En fait, j’aime quand on sourit tous ensemble sur scène, et qu’on sourit vraiment avec le public.Parce qu’il y a un truc inexplicable en fait qui se passe, qu’on voit à chaque fois. Je pense que chaque concert a le potentiel d’avoir un moment comme ça, un moment de grand partage comme ça.
LFB : Tu m’as parlé de ton EP éponyme du grand single au commencement de tout, Caviar Normal Supérieur. Quand est-ce qu’il sort ?
Gin : Alors tu sais j’étais au téléphone avec Céline hier, on a noté hier la date de sortie de ce projet. C’est le 14 novembre.
LFB : Est-ce que, pour finir, tu aurais des petites recommandations d’artistes que tu aimes bien ces derniers temps ? Plutôt des gens émergents ?
Gin : Alors récemment je me suis pris dans la gueule, bon, elle n’est pas émergente, mais Charlie XCX. Écoutez Charlie XCX. Camille Yembe. Elle est très forte. Voilà grosse claque pop. Énorme claque. Le groupe d’un bassiste avec qui je travaille depuis plusieurs années maintenant, que j’aime énormément, May The Queen. Je l’adore. Et sa musique est très belle. J’espère qu’on aura l’occasion de retravailler ensemble.
Qu’est-ce que je peux te dire là que j’aime beaucoup en ce moment ? No Sex Last Night. Yù Ling, qui est une artiste de tech avec qui je vais faire un feat pour mon EP. C’est pas encore très connu, mais Model/Actriz commence vraiment à beaucoup faire parler. Ça c’est vraiment exceptionnel. C’est vraiment de plus en plus partout. Puis il y a Kino. Alors c’est pas du tout un artiste émergent, c’est un musicien russe des années 80-90 dans l’URSS. C’est un musicien exceptionnel et j’écoute tout le temps.
LFB : Merci beaucoup !
Gin : Merci à toi. C’était une très bonne interview !