Le nouvel EP de Simia, TÇPÇ, est sorti le 10 octobre. Plus de rock, plus de rap, plus de tout, Simia sort du pessimisme (pas trop non plus) pour parler de la société telle qu’il la voit. On l’a rencontré pour qu’il nous raconte l’histoire de cet EP dont on fêtera la sortie de 5 novembre au Point Éphémère !

La Face B : Hello Simia !
Simia : Salut !
LFB : Pour ceux qui ne te connaissent pas, qui es-tu et d’où tu viens ?
Simia : Qui je suis, d’où je viens ? Je viens de Paris. Maintenant, je dis que je suis un artiste parce que je sais pas trop comment me définir. C’est du rap, c’est du rock… Je pense que je suis un artiste de Paris à la croisée entre le post-punk, le punk, l’indie et le rap.
LFB : Tu as commencé la musique à l’adolescence, c’est ça ?
Simia : Ouais, à peu près. En fait, c’est un peu flou, parce que j’ai toujours fait de la musique. Je faisais de la batterie quand j’étais ado, je voulais monter des groupes de rock avec mes potes. Je faisais beaucoup de skate, donc il y avait vraiment la culture rock, groupe, monter des trucs, et en tant que batteur c’était un peu compliqué. A l’époque j’écrivais très vite fait en anglais, mais vraiment pas grand chose quoi.
J’ai vraiment commencé à faire de la musique avec le rap, il y a une dizaine d’années je pense. Et depuis, je dirais, 2020, 2021 et mon projet Trop Tard sorti en 2022, j’ai vraiment renoué avec le rock. Et c’est vraiment là que débute ma vraie carrière musicale. Avant, je me cherchais un peu. Je voulais faire du rap, être le meilleur rappeur on va dire.
LFB : Comment tu es arrivé à faire de la musique pour toi ? C’était quoi la transition entre les deux, jouer pour un groupe et jouer pour toi ?
Simia : Depuis que je suis petit, vraiment petit, aussi loin que je m’en souvienne, j’ai vraiment un truc avec le rock. J’ai vraiment un truc avec le côté représentation. J’ai fait beaucoup de théâtre, pas de manière très professionnelle, mais je voulais être acteur quand j’étais petit. Du coup, les groupes, il y avait aussi un truc de monter un truc, se faire voir, et évidemment ça marchait pas tant. Et puis on faisait surtout du skate.
En fait, je pense que c’était pas tant le fait de vouloir être vu, mais c’était plutôt le fait de s’exprimer que je voulais. Le rap a vraiment coché cette case que je ne maîtrisais pas encore, quand j’ai commencé à faire du rap, j’en ai fait pendant deux ans sans le dire à personne. Je faisais des open mics, mais sans le dire à personne. Et du coup, je me suis rendu compte que c’était pas tant l’exposition qui me plaisait, c’était plutôt le côté expression libre.
Le skate, c’est un sport où tu t’exprimes librement, il n’y a pas vraiment de code, il n’y a pas vraiment de compétition, à l’époque surtout. Tu fais un peu ce que tu veux, t’as pas besoin de mettre des protections, il y a un truc un peu punk. Et je pense que j’en suis venu par ce biais-là, le rap, t’as pas besoin d’apprendre les notes, t’as pas besoin d’avoir un groupe pour arriver à faire de la musique qui t’appartient… C’est ce qui m’a plu direct, je peux m’exprimer comme je veux.
Et puis, j’ai découvert l’écriture au moment où j’ai commencé à rapper. Il y avait un truc hyper excitant, parce que je n’avais jamais écrit, et je me suis rendu compte que j’étais pas mauvais. Évidemment, c’était à chier au début, mais il y avait un côté « putain en fait je suis pas mauvais ». Tu t’auto-kiffes, tu te hype tout seul, c’est juste un énorme nouveau terrain de jeu.
LFB : Comme je t’écoute depuis longtemps, j’ai essayé de mettre trois mots sur ta musique. J’ai choisi « intense », « engagé » et « libérateur ».
Simia : Franchement, je trouve ça très bien dit. L’intensité, je pense qu’elle est dans l’expression ; je me suis encore plus lâché sur cet EP-là, sur FOMO j’ai vraiment fait un refrain où je crie de ouf. J’avais vachement peur de la faire et vachement peur de la sortir, et au final, justement c’est intense, c’est vraiment un morceau intense. Le côté intensité, il arrive aussi quand j’ai un peu lâché les freins sur la musicalité, genre des morceaux comme Pas si mal ou Les framboises, on envoie les guitares.
Le côté engagé, je l’ai dans ma prise de position sur les réseaux sociaux, je l’ai dans ma prise de position sur certains morceaux. Parfois, j’ai l’impression que je ne le fais pas assez dans les morceaux, mais je n’en sais rien, c’est aussi moi qui me prends la tête parfois à me dire, « j’aurais dû dire plus de trucs », mais en fait pas tant. J’essaye toujours de dire un truc sans que ce soit lourdaud, sans que ce soit moralisateur. Donc le côté engagement, j’essaye de l’avoir un peu de manière subtile, et moi je struggle un peu avec ça. Je suis très engagé dans ma vie personnelle, j’ai envie de le faire transparaître dans ma musique, mais je n’ai pas envie que ma musique devienne que ça. J’aime bien que tu l’aies remarqué parce que je suis content, ça me parle.
Et après libérateur, bah, ouais. Déjà je m’étais ouvert de ouf sur Le Mal Partout, sur l’album, mais là je suis vraiment allé dans mes kiffs à moi, genre le rock, pop punk un peu des années début 2000, les grosses guitares un peu, presque émo. Et ce que moi j’ai, parfois, empêché dans certaines compositions sur Le Mal Partout, je voulais être un peu plus trash, un peu plus underground. Et là je me suis dit vas-y, je me régale avec des grosses guitares rock. Très bonne analyse.

LFB : Dans la continuité, comment tu définirais ton style ? C’est un peu un mélange de tout ce que tu as cité avant ?
Simia : Tu sais quoi, on m’a déjà demandé sur Le Mal Partout et je crois que j’avais dit que c’était du post-rap. Le problème, c’est que tu peux tout mettre dedans, parce que pour moi il y a des gars comme Luther ou même Ptite Sœur, c’est du post-rap aussi. Il y a un peu moins les codes du rap qu’on a mis pendant longtemps au milieu de la table, il y a plein de choses maintenant qui deviennent pour moi du post-rap mais qui ont toujours ce lien avec l’écriture, avec la diction, etc. Donc je pense que je me situe là-dedans, tout en étant, particulièrement sur Tout Ça Pour Ça, de plus en plus indie rock. C’est compliqué de se définir. Et en vrai parfois, t’as pas envie de te définir.
Ou néo-rock, aussi. J’avais post-rap, ou néo-rock. En fait les deux ensemble. Parce que c’est du néo-rock, clairement on a composé ça comme du rock mais avec de l’autotune, avec des glitchs, donc c’est pas du rock comme on pourrait s’imaginer. Et c’est du post-rap aussi, parce que moi je viens du rap. Mais moi je dirais du post-rap, néo-rock. Les deux se complètent.
LFB : Ton nouvel EP, TÇPÇ, est sorti le 10 octobre. Qu’est-ce qu’on va retrouver dedans, c’était quoi ton fil conducteur ?
Simia : Alors musicalement, je pense que ça va s’entendre, c’est vraiment de renouer avec un truc très guitare, un peu emo, très punk, punk américain des années 2000, que j’avais moins sur Le Mal Partout. Mais je pars quand même de thèmes et de trucs que j’ai envie d’aborder d’abord dans les paroles pour faire un fil conducteur. Et le fil conducteur, c’était vraiment un truc de renouer avec une forme d’optimisme. Le Mal Partout, comme son nom l’indique c’était vraiment une énorme période très pessimiste pour moi. C’est comme ça que je m’exprime, mais ça m’a aussi entraîné dans une forme de noirceur et un pessimisme qui m’a atteint personnellement. J’ai utilisé la musique vraiment pour me relever, et j’avais envie que la musique sonne plus positive, tout en restant fidèle à mes thèmes.
Rest in Peace, le dernier morceau, les couplets parlent du fait d’être un petit peu dans le flou dans ton quotidien, quand tu sais pas où aller, donc c’est pas forcément quelque chose de très joyeux, mais il y a une cassure sur le refrain avec le fait d’être prêt à passer à autre chose, de vraiment se prendre en main. Tout a changé, c’est un morceau entre des histoires passées et des fictions autour d’histoires d’amis très proches, qui parle des ruptures, et du fait qu’il faut passer à autre chose. C’est vraiment un truc de rupture pour aller mieux. Et d’où le « tout ça pour ça » que j’aime bien utiliser dans le sens, tous les trucs qu’on vit, les chagrins, les moments de déprime, les doutes, les frustrations, pour ça. Pour la vie, pour les trucs que tu vis, pour la musique, qui est finalement un truc à la fois magnifique et assez bête et méchant, genre il suffit d’aller en studio, de faire de la musique et de le montrer à des gens. Je me suis beaucoup pris la tête pendant plusieurs années à savoir quelle musique je devais sortir, est-ce que ça c’était bien, est-ce que ça me représentait vraiment… Et en lâchant toutes ces réflexions, il y a tout ça pour ça qui est sorti, c’est selon moi la meilleure musique que je pouvais faire pour le moment, et ça m’a grave donné confiance.
Le morceau Les Framboises, qui finit le projet, c’est un clin d’œil à mon grand-père qui est décédé en 2018. On a vraiment une histoire où quand j’étais petit, il m’apprenait à manger des framboises, et je les mangeais beaucoup trop rapidement parce que j’adorais ça, et lui me disait « il faut que t’apprennes à déguster, il faut que t’apprennes à prendre le temps de manger les trucs que t’aimes ». Et c’est une espèce de métaphore, parfois on est dans notre life et on voit que le négatif parce que la vie est dure pour plein de gens. T’allumes ton téléphone, il n’y a que des mauvaises nouvelles et c’est hyper difficile de lever la tête et de se dire « tout va bien ». Mais on a quand même ce truc de « On a qu’une vie, il faut profiter », il faut arriver à mêler la conscience de la négativité avec le fait de soi-même être positif. C’est comme ça que je finis le couplet, en disant, ne pas de remuer la merde, c’est-à-dire de regarder, de fouiller dans des trucs un peu négatifs mais au final pour en retirer un projet, des bons moments avec des potes…
LFB : Tes paroles sont très engagées donc, ton message est assez politique. Comment tu ressens ta place d’artiste face à tout ce qui se passe en France, et dans le monde ?
Simia : C’est super compliqué. J’ai eu vraiment une prise de conscience il y a quelques années, quand j’ai commencé à faire des TikTok où je commençais à prendre la parole sur des sujets politiques, ça m’a libéré moi. Ça fait des années que j’ai une conscience politique, je ne vais pas dire un engagement parce que l’engagement parfois c’est s’envoyer des fleurs pour rien, je pense que je ne suis pas forcément engagé dans tout. Mais une conscience politique qui parfois crée un mal-être. Et pendant longtemps, je m’interdisais de le faire dans la musique et à partir du moment où je l’ai fait je me suis rendu compte que c’est tout à fait légitime en tant qu’artiste, en tout cas à partir du moment où tu prends la parole sur une plateforme, ne pas hésiter à militer pour ce que tu estimes être juste et légitime, ou injuste.
Il y a des moments où justement je suis heureux de pouvoir être artiste et de fédérer autour de moi. Je sais qu’aujourd’hui, il y a une grosse partie de ma communauté qui est arrivée dans ma musique, autour de moi ou à mes concerts parce que j’ai pris la parole sur des sujets politiques ou de société. Et ça me fait plaisir, parce que c’est souvent des trucs où on sent un peu seul. J’ai fait la Maroquinerie il y a plus d’un an, et j’ai un public qui est assez militant ou engagé, ça réchauffe le cœur en vrai. Quand tu sors un drapeau palestinien sur scène, et que les gens applaudissent et sont heureux de voir qu’on est ensemble face à cette injustice, je te jure moi ça me serre la gorge sur scène, plus que de faire une chanson. Je me dis, en fait je suis pas fou, c’est la merde et on n’est pas tout seul à penser que c’est la merde. Donc ça, c’est un truc où je suis heureux d’être un artiste, parce que j’ai la possibilité de partager ça avec les gens qui m’écoutent et de pouvoir m’exprimer, pouvoir fédérer autour de ça et de pouvoir prendre parti dans ma carrière.
Par exemple l’année dernière, quand on a sorti l’album Le Mal Partout, il était question de faire des t-shirts, on a décidé de faire des t-shirts de seconde main. Moi, je m’habille qu’en seconde main parce que c’est un truc qui me plaît. J’aime bien le style que ça procure. Je n’achète pas de vêtements neufs, ou très peu. Mais quand moi j’ai cette possibilité de vendre quelque chose, je me dis tant qu’à faire, je vais pas engrosser des multinationales, on va aller chiner 150 t-shirts en friperies et on va les printer nous-mêmes. Les gens, ça leur parle et ça, ça me fait plaisir.
Après ouais, il y a un truc qui est complètement contradictoire parfois. En ce moment, je vais un projet dans une semaine, je me réveille le matin, je vois ce qui se passe à Gaza, je vois ce qui se passe dans notre pays même, je suis allé manifester le 10 et le 18 septembre, et en même temps, il faut que je vende mon, enfin pas qu’il faut que je vende, que je parle de moi et mon projet. Donc il y a un truc un peu schizophrène des fois, en fait tu te sens un peu con de parler de toi. Mais du coup comme j’ai un peu rassemblé autour de moi sur des sujets, je me sens moins hypocrite.
En vrai, là, on doit remplir le Point Éphémère le 5 novembre. Déjà le Point Éphémère, c’est un endroit assez militant. Let’s go, on va en faire un truc, on va prendre la parole, on va certainement appeler à faire des actions, tout en faisant un concert. C’est trop bien. Je suis content de pouvoir faire ça dans ma vie. Donc j’essaye de faire la paix avec ce truc-là qui est un peu bizarre dans le fait d’être artiste. Le côté un peu égocentrique, qui est un peu bizarre quand on a les yeux rivés sur le monde.
LFB : C’était quoi ton premier projet sur les plateformes ?
Simia : Mon premier projet sur les plateformes s’appelait Spécial, c’était octobre 2019. C’était il y a 6 ans.
LFB : Tu trouves que ta musique a mûri depuis ce moment ?
Simia : De ouf, ça n’a rien à voir. Même moi, dans mon approche de la musique, dans ma manière de faire de la musique et dans ce que la musique est au final.
Ce projet-là, j’en suis très fier, parce que c’est un projet que j’ai mené jusqu’au bout avec une DA que j’aimais. Mais en fait, je n’avais pas encore la liberté, la confiance en moi pour suivre les vrais trucs que je voulais. C’est un peu l’époque où je faisais des morceaux pour être le meilleur rappeur, alors que fondamentalement, je suis plus heureux à essayer d’être le meilleur artiste possible pour moi-même. Pas être le meilleur vis-à-vis des autres, vis-à-vis des autres artistes ni vis-à-vis du public. Depuis Le Mal Partout, je suis vraiment en train de creuser ce cas. Et je pense que c’est plus une quête qu’un endroit où tu arrives.
Là, je pense que dans deux ans, je te dirais, TÇPÇ, c’était trop bien, mais je suis content d’avancer. Parce que le but, c’est toujours d’avancer. Une fois que tu le comprends, c’est plus facile. Sinon, tu es en quête de quelque chose et tu as l’impression que ça n’arrive jamais. Mais quand tu comprends que ça n’arrivera jamais, tu kiffes le chemin, chaque projet est imparfait pour le toi de dans deux ans. Mais pour le toit de maintenant, il doit être parfait. Donc oui, je suis très content du chemin parcouru, ma musique a changé dans le bon sens. Le moi de 2019, il serait super fier du moi de 2025.
LFB : Tu as sorti un single qui s’appelle FOMO. Est-ce que tu as un peu la FOMO ?
Simia : Oui, j’ai la FOMO qui me fait un peu chier. On a la chance d’être à Paris, d’avoir les potes à Paris. On sort tout le temps. Cette semaine, là ce soir, je vais à un concert. C’est le quatrième concert de la semaine que je fais. Pourquoi j’ai la FOMO ? Parce qu’on sort souvent. Et il y a des fois, tu es crevé de ouf et tu sais que tu as envie d’être chez toi, regarder un film ou faire de la musique. Moi, j’ai un chien, et parfois, j’aime trop juste être avec mon chien, lire un livre avec deux bougies allumées dans mon petit appart de Paris. Et d’un coup, tu as un pote qui t’écrit, ouais, on est au bar. Tu te dis, est-ce que j’y vais ? Alors qu’en fait, tu es déjà sorti toute la semaine et que là, tu as vraiment besoin de te reposer, de te reconnecter. Et tu finis par soit, ne pas y aller et du coup tu as la FOMO, soit, y aller. Et c’est un peu ça, en fait, que ça raconte le morceau. Et c’était un truc un peu avec lequel je me bagarre en ce moment. C’est être plus indépendant vis-à-vis de mes envies, tu vois.
Je pense que les réseaux sociaux, c’est grave ça aussi. Tu es chez toi, chill, tu passes un bon moment. Et d’un coup, tu regardes ta story, tu vois des potes et tu te dis « je ne suis pas assez cool » parce que j’aurais dû être à cette soirée. Trop pas. Et c’est pour ça que le morceau, il est assez douloureux. C’est une bataille avec soi-même, tu vois.
LFB : À un moment dans Rest in Peace, tu dis ce que tu es « rappeur, skateur, graffeur ». Ca ressemble énormément au début du morceau Différents d’Orelsan. C’est fait exprès ?
Simia : Ce n’est pas une ref, mais en fait, je pense que quand tu as écouté plein de gens, tu finis par avoir des refs involontaires, même dans des mélodies, tu as tellement écouté un gars qu’au final, tu finis par avoir une ref sans faire exprès. Et je pense que sur plein de choses, j’ai vécu des trucs similaires à Orelsan, un gars un peu weirdo dans l’adolescence, qui kiffe le skate, qui kiffe des musiques que personne n’écoute, ça finit par un moment de te faire écrire des choses un peu similaires.

LFB : Tu parlais un peu de la société, de la représentation, des faux semblants. On parlait des réseaux tout à l’heure, c’est quoi ton rapport à ça et comment tu écris là-dessus ?
Simia : Oui, justement, c’était vraiment un truc où j’étais très mal à l’aise, exister sur les réseaux, le fait de voir des gens. C’est peut-être un truc de rageux de dire ça, mais je ne suis pas sûr que ce soit très bon de s’exposer autant. Je pense que ce n’est pas très bon de s’exposer tout le temps, de raconter sa vie tout le temps, de montrer tout. Je pense que ça te coupe d’un truc très sincère. On parlait de la FOMO tout à l’heure, d’un truc de vivre que pour soi. Sur les réseaux sociaux, on a tout le temps besoin de tout montrer, de dire « regardez, j’étais là ». En fait, parfois, il faut juste être satisfait de ce que tu fais pour toi. Et ça crée aussi des complexes et de la frustration chez certaines personnes qui regardent.
Je pense à un métier qui est devenu un truc maintenant très normal, d’être influenceur. Encore une fois, je n’ai rien contre les gens qui le font parce que tout le monde essaie de s’en sortir et il n’y a pas de haine contre ça. Mais je pense qu’il y a quand même beaucoup de gens qui développent des complexes par rapport à des figures qu’ils voient sur les réseaux ; ils ne voient que la partie des réseaux, donc, des gens retouchés, des gens qui ne vivent pas vraiment la vie qu’ils prétendent avoir. Et ça crée de la frustration, des complexes, des choses chez des jeunes qui après vont avoir du mal à se construire. Et moi, ça me faisait chier que tout soit faux. Les réseaux sont faux. En fait, tu finis par avoir l’impression que tu connais des gens sans les avoir jamais rencontrés, d’avoir une forme de proximité avec des gens qui ne te calculeront jamais et du coup une distanciation avec toi-même.
Je pense que c’est cool d’être ensemble. Les réseaux, ça permet de se rassembler. Mais c’est bien aussi de se développer soi-même, de développer sa créativité soi-même. Parfois, il y a un truc où on dépend beaucoup des algorithmes, qui sont justement l’inverse de la recherche personnelle. C’est quelque chose qui se passe derrière pour te vendre des choses. Donc, je pense que c’est un truc qui m’a un peu trigger pendant un moment. Je suis un gars comme plein de gens, je suis très torturé, je me pose beaucoup de questions et en vrai, depuis que je fais de la musique, ça ne m’empêche pas de devenir fou en vrai, ou de devenir triste. On passe tous des moments de tristesse, mais ça me permet d’évacuer de ouf, de m’exprimer, d’avoir un endroit où je suis libre, par rapport à des choses qui me mettent en colère, qui m’attristent ou qui me révoltent.
LFB : C’est quoi le morceau que tu as écrit que tu préfères ?
Simia : Franchement, ils sont sur le dernier projet, vous avez de la chance. Pendant longtemps, c’était Du faux, mais là vraiment, depuis ce projet-là, depuis TÇPÇ, je pense Les Framboises. C’est vraiment un morceau que j’ai écrit sans l’intention de le sortir. Et c’est toujours le moment où tu t’exprimes le mieux. Rest in Peace aussi, j’ai l’impression d’avoir vraiment avoir un ton très direct et pas passer par trop de rimes, pas par trop d’images. Tout le début du premier couplet, vraiment, je me suis dit « je vais vraiment décrire ma life », et c’était littéralement un lundi matin que j’ai écrit ça, je n’avais rien à foutre et j’étais déprimé. J’entendais des gens dans mon immeuble, je me disais qu’ils avaient presque la chance d’avoir un truc à faire le lundi parce que moi, je suis juste là, j’ai pris une douche et je me suis préparé, j’ai sorti mon chien comme si j’avais un taf, il est 10h et je vais péter un câble tellement je me fais chier. Et du coup, j’ai écrit, je me suis dit, il faut que je trouve un truc à faire. Donc t’écris que t’es un loser et à la fin, t’es en mode, en fait, le morceau est bien, je suis peut-être pas un loser. J’aime bien quand j’arrive à être très sincère dans les morceaux.
LFB : Et comment tu écris de manière générale ? Des élans un peu comme ça, ou un peu tout le temps ?
Simia : J’écris beaucoup. Rest in Peace, Pas si mal, FOMO et Tout a changé sur le projet, ça a été écrit en studio, pendant la compo. J’ai tout composé avec Mattu, qui est un compositeur anglais de Manchester et du coup, on s’est vraiment trouvé musicalement et ça allait très vite. Lui, il compose très vite, moi j’écris les premiers jets assez vite. Je suis allé à Manchester faire tout le projet, il y a un an pile. Et il y a d’autres morceaux comme Les Framboises ou la deuxième version de Rest in Peace qui est devenue celle qu’elle est aujourd’hui, je suis chez moi, un peu seul dans un moment de flottement, et je me mets à écrire vraiment comme un journal intime et ça se sent. Je pense que par exemple, un morceau comme Pas si mal, ça se sent que c’est un morceau de studio où ça va vite, c’est des punchlines. On sent qu’il y a une énergie, alors que Les Framboises ou Rest in Peace, tu sens le côté journal intime, tu vois. Vraiment, je pose le ton, je prends le temps de dire un truc et ça, c’est des morceaux que j’ai écrits chez moi. Pas si mal, c’est écrit en peut-être une heure, une heure et demie, et le temps de vraiment tout fignoler, de tout peaufiner, d’enregistrer, en deux heures, on a le morceau. Alors que Rest in Peace, il faut du temps, je reviens une semaine après, je réécoute le morceau. Donc différents procédés d’écriture.
J’écris beaucoup quand même. J’ai écrit en anglais récemment pour d’autres artistes. Ça ouvre des manières de parler différentes. J’essaye d’ouvrir, justement, de pas avoir d’automatismes pour se surprendre soi-même à chaque fois.
LFB : On va parler un peu de Les Framboises. C’est un peu le morceau qui apporte la nuance au reste de l’EP, même si l’EP est un peu plus optimiste que celui d’avant. C’est la framboise sur le gâteau de l’optimisme. Pourquoi t’as envie de ré-optimiser tout ça ?
Simia : Après Le Mal Partout, j’avais besoin de raconter des choses qui me tiennent à cœur. Je me suis rendu compte que j’avais évacué ma rage dans Le Mal Partout, qui est un projet dont je suis très très fier et que j’adore toujours faire sur scène, mais je me suis dit attention, petit trigger warning poto, t’es en train de devenir que pessimiste.
LFB : Ça a suivi ton évolution personnelle aussi en fait.
Simia : Exactement. Les morceaux qui sortiront après, sans vouloir spoiler, vont être un peu plus positifs tout en gardant cette patte qui maintenant, j’ai l’impression, m’appartient, de parler de choses avec peut-être amertume et cynisme.
LFB : Je me demandais un peu quelle était l’histoire derrière Sosies, qu’est-ce que tu voulais raconter avec ça.
Simia : C’est littéralement un morceau qui a été fait à chaud de ouf. On est parti en résidence avec plein de compositeurs qui étaient proches de moi, on avait quatre jours et vraiment au bout du troisième jour, on n’avait toujours pas de bons morceaux, donc j’étais vraiment en panique. Le troisième jour, ma manager arrivait à la résidence et j’étais le seul qui avait le permis, donc je suis allé la chercher à la gare. Je quitte les compositeurs pour aller à la gare, et quand je reviens ils me disent « on a composé un truc, c’est n’importe quoi, on s’est régalé, je pense que tu vas pas kiffer, c’est bizarre ». Il y en a un qui a aboyé dans le micro, ils ont étiré le son, et c’est ça le bruit qu’on entend au début. Ils me disent, « bon, on te fait écouter quand même ! », je me dis que de toute façon ça fait trois jours qu’on est là, on a rien, faites-moi écouter. Ils me font écouter, et je leur dit « ok laissez-moi ». Ça ne m’est jamais arrivé. Ils me laissent, je suis sur mon tel, avec les enceintes dans la gueule, et je commence à crier « je vois que des sosies ! ». J’aimais bien le côté rage, dès que je sors je vois les mêmes personnes, je vois les mêmes types de gens, j’ai l’impression que j’avais besoin de diversité d’inspiration. C’est un truc de rageux un peu. Du coup, le morceau, c’était un truc bête et méchant. T’as le droit de dire « j’aime pas ta gueule » dessus. Il y a un moment, une de mes phrases préférées de ce morceau et de l’album, c’est « Y a plus de gens que je veux voir morts que de noms dans mon répertoire ». J’avais vraiment la rage.
Et du coup, tout ça pour arriver à ce moment-là de TÇPÇ où je me dis que je ne peux pas avoir cette rage tout le temps. Mais du coup, Sosies, il y avait un côté, là, on envoie tout. Tu vois Break Stuff de Limp Bizkit ? C’est un morceau de 1999. Je connaissais pas ce morceau à l’époque. J’ai découvert après le new metal, Limp Bizkit, Korn, System of a Down, tout ça. Et Break Stuff, c’est littéralement la même chose. En gros, il dit que des fois, t’as envie de te lever le matin et de casser des trucs. Sosies, c’est ça. Et le clip, c’est littéralement ça, c’est vraiment de la violence pure et dure, des gens qui se frappent. Parfois, on a besoin de ce truc-là pour pas le faire dans la vraie vie. Moi, j’ai un peu la certitude que les gars qui font du metal, pour certains, c’est les plus gentils, parce qu’ils arrivent à évacuer la rage.
Et pour l’anecdote, souvent, quand on fait un morceau en studio, on le réenregistrera après au propre, et ce morceau-là, j’ai pas réussi à le réenregistrer. J’ai fait une version, et j’avais tellement la vibe du premier jet que quand j’ai réessayé de l’enregistrer, je n’arrivais pas, ça se voyait que j’essayais de retrouver le truc. J’avais enregistré dans un placard avec un matelas, et je me suis dit qu’il fallait qu’on sorte ça, parce que l’intention vaut mieux que la qualité. Et je pense que ça se ressent, quoi. Mais c’est un morceau de zinzin.
LFB : Du coup, on parlait un peu de System of a Down, tout ça. C’est quoi tes inspis ? Des vieux trucs, des nouveaux trucs ?
Simia : Ma première tarte, c’était Eminem, comme plein de petits garçons. Et j’ai réécouté il n’y a pas longtemps l’album que j’avais quand j’étais petit, c’était The Eminem Show. C’est un des plus gros albums du monde. Je suis content de me dire qu’à 7 piges, j’avais vraiment des bons goûts. Donc ça, c’est vraiment mon premier amour.
Et après, à l’adolescence, les premiers trucs que je me suis vraiment pris, le truc que j’aime et qui va me faire viber toute ma vie, ça a été d’abord blink-182, puis il y a eu Good Charlotte un moment. J’étais vraiment un fan hardcore de Good Charlotte quand j’étais genre en cinquième. Ensuite, Blink-182, Sum 41, toute cette scène-là, très pop-punk, un peu skater, et après, à partir de mes 15, 16, 17, j’étais vraiment dans l’indie anglaise. Donc Arctic Monkeys, Bloc Party, après les Strokes… C’est pas anglais, mais c’était un peu garage, toute cette vibe. Donc j’ai vraiment été là-dedans. Et puis à partir de mes 18 piges, il y a eu toute la scène 1995, tout ça, que j’écoutais pas forcément, mais qui a remis la lumière sur le rap des années 90. J’ai écouté toute cette scène-là à partir d’albums de Nekfeu de 2015. Avant ça, j’étais un peu loin de ça. Mais par contre, comme je savais qu’il faisait des références à Time Bomb, et j’ai commencé à écouter tout ce que je n’écoutais pas quand j’étais petit. Et là, je me suis pris toute cette tarte de ouf d’écriture. C’est là que j’ai commencé à écrire. Je suis sorti du rock en 4-5 ans et j’ai fait toutes mes classes de rap.
Et là aujourd’hui, c’est vraiment des scènes un peu de niche. J’aime beaucoup Junior Varsity aux Etats-Unis, JPEGMAFIA, Jean Dawson… Je suis complètement un fan de Paris Texas que je suis allé voir il y a deux ans à la Maroquinerie. Turnstile, Idols, Fontaines DC, toute la scène un peu nouvelle de rock. Donc aujourd’hui on a vraiment de quoi manger. C’est incroyable.
LFB : Tu as des dates de prévues bientôt ?
Simia : Il y a la release party de l’EP le 5 novembre au Point Ephémère, venez ! Restez branchés, le reste arrive en 2026 !
LFB : Dans le futur de ta musique, tu sais tu vas faire un peu après ?
Simia : Ouais, je sais déjà, c’est un peu l’avantage de finir un projet, tu commences à avoir l’esprit libre pour savoir ce que t’as envie de sortir après. Donc voilà, restez branchés, il y a des trucs qui vont arriver en 2026, je vais sortir plus de trucs que l’année d’avant.
LFB : Pour finir un peu l’interview, est-ce que t’écoutes des artistes émergents, plutôt de la scène française ?
Simia : Grave, allez écouter Pab the kid ! C’est trop chaud, c’est un des meilleurs français mais qui chante en anglais, et c’est trop stylé. Allez écouter Citizen Pape, mais c’est pas français. Allez écouter Neniu, qui va faire ma première partie, c’est trop chaud, c’est trop bien. Allez écouter Kalika, qui vient de sortir des morceaux incroyables. Allez écouter Blou Feet, c’est très très lourd. Et allez écouter Rallye aussi, je trouve ça trop bien. Voilà, ça me semble pas mal déjà comme recos.
LFB : Oui, j’aime bien ! Merci beaucoup.
Simia : Merci ! C’était trop bien !