Chez La Vague Parallèle, la musique se conjugue bien souvent au présent et au futur. Parce qu’on suit l’actualité mais qu’on cherche aussi à détecter les tendances de demain, on reste fatalement ancré dans ces deux temporalités. Mais parfois, il est bon de regarder en arrière pour chercher des œuvres bien représentatives de leur époque mais dont l’influence se ressent encore aujourd’hui et se ressentira sans doute encore demain. Pour cela, on a créé Retour Vers Le Futur, des articles ou l’on parle des albums et des groupes qui nous ont marqué et sans doute vous aussi. Premier épisode : l’unique et grandiose album Fantasy Black Channel de Late Of The Pier, qui fête ses 10 ans.
Une fois n’est pas coutume, nous allons tenter d’être un peu factuel, ou tout du moins d’essayer de l’être. On va vous parler d’un mouvement que les moins de 20 ans doivent forcément connaître : la new rave. Allez ne faites pas semblant, vous savez forcément de quoi l’on parle. Si l’on était cynique, on pourrait dire que ce mouvement a été créé par le NME afin de créer des ponts entre les groupes de l’époque. Si l’on était moins cynique, on se désolerait de voir ce mouvement aujourd’hui tourné en dérision alors que plus de 10 ans plus tard, il continue d’influencer à grands flots la scène musicale.
Cette scène, essentiellement anglaise mais dont les ramifications pourraient aisément s’étendre au dance-punk new yorkais des LCD Soundsystem et de Yeah Yeah Yeahs, ne mérite pas la haine et le mépris dont on la marque aujourd’hui. Certes, le mouvement fut très court (2006-2008), certes la plupart des groupes qu’on a affiliés au mouvement on soit disparu (Hadouken ! , CSS, Datarock) soit explosé en plein vol (les Klaxons qui n’ont jamais réussi à reproduire les promesses entrevues dans l’incandescent Myths Of The Near Future) ou alors sont devenus des parodies d’eux même (The Bloody Beetroots, M.I.A). Au final, seul un groupe aura réussi à réellement s’émanciper de ce mouvement journalistique, il s’agit de Metronomy qui avec The English Riviera et Love Letters s’éloignera de la mouvance avant d’y faire un retour nostalgique avec le brillant Summer 08, hommage de Joseph Mount à cette période de sa vie. Mais justement, que reste-t-il de ce fameux été 2008, qui ressemble à un chant du cygne pour un mouvement ? Un album, incandescent, bouillonnant qui dansera sur les braises d’un genre auquel on l’accrochera à tort : Fantasy Black Channel de Late Of The Pier.
Autant le dire tout de suite, se replonger en 2018 dans l’album de Late Of The Pier, c’est s’enfoncer dans 10 ans de souvenirs, d’écoutes parfois frénétiques, parfois distraites. C’est associer des images, des sons, des sensations à l’un des albums, parmi d’autres, qui agit comme une ombre sur notre perception de la musique. D’une manière ou d’une autre, Fantasy Black Channel fait parti de nos vies passée, présente et future, car une chose est sûr, à chaque écoute on ne peut que constater la marque d’un grand album : il n’a pas vieilli. Ainsi qu’il ai guidé nos pas adolescents, de jeune adulte ou de pseudo cynique en quête de lui-même, l’unique album du quintette de Castle Donington porte toujours en lui les effluves de la modernité et de la fraicheur. Chose assez rare pour un album qu’on a du écouter plus de 200 fois sur une dizaine d’années.
A bien des égards, les 12 titres qui composent Fantasy Black Channel annoncent de manière grandiose ce que sera la musique d’aujourd’hui (et on l’espère de demain) : sans chapelle à laquelle se vouer, mélangeant les styles avec bonheur, parfois sur la même chanson, offrant un collage fou d’influences et de rythmes ainsi qu’une énergie folle qui semble avoir du mal à être canalisée.
On sent d’ailleurs l’idée de chaos tout au long de l’écoute. Cette idée que plus que des chansons, les quatre garçons cherchaient avant tout à expérimenter plutôt que de se contenter de simple morceaux. A bien des égards on pourrait comparer Fantasy Black Channel au 2046 de Wong Kar Wai : jamais vraiment fini, il aura fallu une deadline du label pour condenser les digressions et les envies de Late Of The Pier. Cette folie, on la sent aussi canalisée par l’aura protectrice d’Erol Alkan, producteur de l’album, même si ce sont les mix de Cenzo Townshend qui sont retenus pour ce qui restera deux des plus gros tubes du groupe : Space And The Woods et l’exceptionnelle Heartbeat.
Au delà de la, que dire de ce Fantasy Black Channel ? A l’image de son titre, c’est un album qui pousse vers l’imagination, vers la liberté et l’exploration. C’est un album qui nous donne la sensation de ne pas savoir sur quel pied danser, alors que finalement le plus simple est d’utiliser les deux. Dès Hot Tent Blues le ton est donné : un souffle épique, une liberté folle et une manière d’utiliser le synthétiseur comme d’autres utiliseraient une guitare. Si la dance music et la rave ne sont jamais loin, le punk et le glam rock si chers à l’Angleterre tiennent aussi une bonne place dans la musique du quatuor. Chaque chanson passe ainsi au shaker ces influences tant et si bien que les genres se fracassent entre eux pour donner une sensation d’inédit et un côté unique à chaque chanson. On est clairement proche par moment de la fougue juvénile et du je m’en foutisme absolu, mais porté par un tel talent qu’on ne peut que rester scotché à l’écoute. On ne peut d’ailleurs que vous conseiller de l’écouter d’une traite, tant cet album semble avoir était conçu pour former un tout, nous poussant parfois à oublier de respirer. Le tempo ne s’arrête jamais, on danse sur The Bears Are Coming ou Random Firl autant qu’on se fracasse la tête sur la brutale White Snake.
Autre point important de ce Fantasy Black Channel : Ici les paroles semblent avoir peu d’importance, faites de collages, d’assemblages, d’idées venues de démo, elles servent avant tout à guider le rythme plutôt qu’à dévoiler une véritable profondeur ou un sens distinct. Et c’est sans doute quand elles ne sont pas là que toute la densité musicale du groupe peut s’exprimer, la preuve avec l’immense VW, qui sert d’introduction aux deux morceaux phares de l’album : le brutal et fantastique Focker auquel répond The Enemy Are The Future, qui passe d’une épopée planante et psychédélique à des intonations disco pour finir dans l’épique et la décadence absolue (la légende dit que la chanson fut créée lors d’une jam session suite à une gueule de bois).
A l’écoute complète de l’album, on ressort épuisé et un peu hagard tant ces 43 minutes nécessitent autant d’attention que d’énergie afin de pouvoir capter ne serait-ce qu’une infime partie du message et de la folie contenue dans Fantasy Black Channel. 10 ans plus tard, on continue ainsi à découvrir des particularités, des intonations, des sonorités qu’on avait pas vu passer auparavant. La preuve que ce disque reste une merveille intemporelle et un album qui doit absolument être écouté, parfois jusqu’à l’obsession.
Et la suite, nous direz-vous ? Le chaos musical contrôlé de Fantasy Black Channel ayant été accouché dans la douleur (il leur aura fallu deux ans pour sortir l’album), on se doutait bien que le groupe aurait du mal à envisager la suite sereinement. S’ils reviendront chatouiller nos oreilles deux ans plus tard avec la sortie de deux excellents titres, Best In The Class et Burberry, la mort tragique de Ross Dawson (le batteur) dans un accident en 2015 marquera la fin définitive de Late Of The Pier dont on espérait toujours un retour.
Le groupe a annoncé récemment la sortie pour janvier 2019 d’une réédition vinyle de ce qui restera leur seul et unique album. Un album intense, flamboyant qui aura marqué son temps et fut une véritable pierre angulaire de notre culture musicale mais aussi de ce qui guidera la musique pour les années qui suivront.