En 2010, dans ce qui reste à ce jour son plus grand film, Rubber, Quentin Dupieux introduit ce qui deviendra son esthétique cinématographique : le No Reason. Selon lui, la vie, et donc l’art, est remplie de chose qui n’ont aucun sens. Dix ans plus tard, à contre-courant de ce dogme, Ricky Hollywood vient nous offrir son nouvel album, Le sens du sens, dans lequel il célèbre les petits riens de l’existence, ceux qui semblent avoir « no reason » mais qui finalement donnent du sens à l’existence. Une fantaisie nécessaire que l’on déguste avec amour.
Allez, on va être honnête avec vous : on en a assez de parler de l’époque, on a envie de mettre tout ça de côté, le temps de 10 titres et de 40 minutes et de crier » Gloire et amour aux fantaisistes « .
Ceux qui font un point d’honneur à disrupter le quotidien pour y glisser des arcs en ciel dans tous les coins, qui malaxent l’existence comme un chewing-gum pour la transformer en bulle, certes fragile et éphémère, mais bien plus douce et avenante que toute la soupe fade et sans intérêt qu’on essaie de nous servir à longueur de temps.
Aujourd’hui on a envie de mettre Ricky Hollywood sur un piédestal et de lui ériger enfin la statue qu’il mérite. Car si la vie lui sourit, ce bon vieux Ricky rend la notre bien plus charmante, et c’est une nouvelle fois le cas avec son album, Le sens du sens.
Le sens du sens est un album qui s’effeuille, mais à l’opposée de l’artichaut il ne reste rien de celui-ci dans notre assiette auditive : on l’aura dégusté jusqu’à la dernière note et jusqu’au dernier mot.
On aura pris notre temps, on aura fait des pauses, des retours, on aura récupéré toutes les miettes pour en arriver à une conclusion ferme et définitive : Ricky Hollywood est un esthète de la pop, un polisson qui sous une apparente décontraction, cache un garçon au perfectionnisme acharné, voué à nous offrir des pastilles pop à la maîtrise sonore infinie. Car c’est bien la toute la beauté de ces dix titres : ils ont l’efficacité superbe de la première écoute autant qu’ils continuent à dévoiler des trésors cachés au bout de plusieurs dizaines d’écoutes.
Le sens du sens est un album noble, un album d’artisan, du fait maison qui n’utilise aucune formule mais plutôt les invente. On se plait à y plonger, à fouiller dans les pensées de Stéphane Bellity (son nom au civil). On peut ainsi distinguer deux types de morceaux distincts : d’un côté ceux purement autobiographiques comme Tu Verras et Single ; où il raconte en parallèle quête amoureuse et quête de succès, la première s’ornant d’une rythmique la fois sèche et étonnamment rythmée dans lequel il montre une maitrise particulièrement fine et bien senti de l’autotune alors que la seconde, qu’il partage avec sa comparse Juliette Armanet, se transforme en slow accéléré qui sous ses airs désuets et son autodérision cache une petite merveille de spleen où l’on danse avec une larme qui coule doucement sur notre joue.
De l’autre côté de la pièce, et toujours bercée par cette esthétique musicale entre vibration disco, tradition de la chanson française et évasion dans un certains non sens, Ricky se fait réceptacle de questionnements à la fois personnels et universels. Que ce soit quand il parle d’amour avec le délicat Love Shy faisant ressurgir par surprise des vibrations soul, et Matière Noire, une complainte groovy qui utilise des termes quotidiens pour partir à la recherche de sentiments cachés. Il y a aussi la superbe Dispo et son refrain parfait dans laquelle, il fait défiler une journée comme une pelote de laine à la recherche de compagnie pour défier la solitude. Puis Le choix, lente montée musicale qui nous emmène au fond de nos esprits, de ces moments de doute où il faut finalement trancher, à tort ou à raison.
Et puis au milieu, il y a ces morceaux qui résonnent de manière assez étrange, transformant Ricky Hollywood en une espèce de prophète, comme s’il avait vu le futur avant tout le monde et l’avait posé sur bandes avant que les événements ne nous assiègent. Impossible de ne pas voir avec les yeux dans le présent, une sortie de triptyque apocalyptico-comique dans Tous à poil, La guerre Sibyl et Fini la déconne. La première avec sa basse imparable et son saxophone cheesy, nous entraine vers l’inéluctabilité de la fin du monde et nous rappelle qu’à la fin, on crèvera tous de la même manière : comme des cons. La seconde, sur laquelle Halo Maud pose sa voix, se place dans l’instant d’après, des territoires désolés et de la guerre civil, pour un morceau bien plus posé et calme que les autres. Enfin la dernière nous parle de l’après, des décisions à prendre et de l’évolution qu’il faudra bien donner à nos existences.
Alors quel est Le sens du sens ? La question reste en suspend, puisque la réponse est différente pour chacun. Reste un album, emballant, qui joue sur beaucoup de traditions très françaises pour les mélanger à la perfection, qui a l’amour au cœur de sa vision artistique et c’est sans doute le plus important. Un album dans lequel on prend plaisir à se perdre pour mieux se retrouver et où Ricky Hollywood nous guide et nous enchante.
On finira de cette manière : des albums de cette qualité, on est toujours Dispo pour les écouter Ricky !