Rob & Jack Lahana : “La musique doit être au service d’une narration”

Le 21 février dernier, à l’occasion de la sortie presque imminente de Summercamp, nous avons rencontré Rob & Jack Lahana. Au quotidien, que ce soit artistiquement ou humainement, ces deux-là sont de véritables atomes crochus. Un amour amical, si ce n’est presque fraternel, les unit depuis plus de vingt ans, vingt années au cours desquelles les expériences et les rencontres ont été multiples. Parmi elles, il y a ces personnes qui ont croisé leur route, à savoir Sébastien Tellier, Thomas Mars (alias Gordon Tracks) ou encore León Larregui, entre autres. Des amitiés riches et fortes, où les univers artistiques se sont mêlés les uns aux autres et ont fait de cet album cette grande fête libre et romantique dont ils parlent si justement ci-dessous. Retour sur cet échange.

La Face B : D’ici quelques semaines sortira Summercamp (interview réalisée le 21 février, ndlr). En trois mots, comment qualifieriez-vous ce disque ? 

Jack : Pour moi, c’est une fête.

Rob : Je dirais hédonisme mélancolique, ce qui fait deux beaux mots. (À Jack) Qualifie-moi la fête. 

Jack : Fête romantique. 

Rob : C’est épique, libre… Beaucoup trop de mots, tant pis pour toi. (rires)

LFB : En plus des projets communs qui vous rassemblent, vous vaquez chacun à des occupations musicales diverses. Je pense dans un premier temps à toi Rob, compositeur de bandes originales mais qui en parallèle est aussi le fidèle compère scénique de Phoenix depuis leurs débuts, et dont les sonorités musicales de Summercamp semblent faire écho aux leurs. Car en effet, on retrouve ici cette pop synthétique, mélancolique et dansante qui leur est propre. Je me demandais alors si cette influence musicale relevait presque de l’évidence finalement ? 

Rob : Je ne dirais pas que c’est une influence pour moi. Ce sont des frères donc quand tu grandis avec quelqu’un, tu traverses les mêmes épreuves, tu aimes les mêmes paysages et c’est ce qui m’est arrivé avec eux. Ce n’est pas exactement une influence, c’est plutôt une co-fraternité et ce n’est pas étonnant qu’il y ait des points communs car on vient du même endroit, on a le même âge et on a grandi ensemble donc il y a forcément plein de ponts. L’approche globale reste différente, car avec Jack on se connaît depuis vingt ans, eux, ils sont frères pour de vrai, ils sont quatre, c’est un groupe de rock qui fait de la scène. Nous, c’est peut-être plus expérimental ce que l’on traverse en studio et comme tu l’as justement remarqué, pour nous c’est quelque chose que l’on fait en marge de notre activité. Ça nous offre une liberté totale que eux n’ont pas car Phoenix n’ont que ça et pour nous, Summercamp, c’est une cour de récréation. 

LFB : De ton côté Jack, tu signes la production de grands albums tels que ceux de Fishbach, Julien Barbagallo ou encore León Larregui, pour ne citer qu’eux. Ces multiples et riches collaborations ont-elles d’une quelconque manière influencé la composition de cet album ? Peut-être quant à la palette sonore utilisée ? 

Jack : Pas tellement, enfin je ne m’en rends pas compte. Mais plutôt quand on a pensé à ces personnes-là, c’est-à-dire nos amis, nos collaborateurs, ceux avec qui on s’entend vraiment bien. Il y a eu une phase de la composition où en pensant à eux, nous avons été guidés par leurs univers. On se nourrit de tout ce que l’on a fait avec eux et vice-versa. 

Rob : C’est une grande soupe. (rires) On se nourrit les uns des autres, c’est une histoire d’amitié tout ça. Premièrement, l’amitié entre Jack et moi, on ne se quitte pas depuis que l’on s’est rencontrés, c’est même plus qu’une amitié, c’est une amitié virile au sens le plus profond. On partage toute la musique ensemble et nous avons intégré à notre amour, tous les gens qui ont traversé notre épopée depuis le début. Tous les invités que l’on retrouve là, ce sont des gens dont on a croisé la route et qui ont accepté juste par amour de la musique et un sentiment de liberté, de nous rejoindre là-dedans. Ce n’est pas vraiment une influence, c’est une bacchanale. 

Jack : C’est une fête où l’on est tous ensemble.

Rob : Où l’on s’embrasse. 

Jack : Et aussi où chacun est là pour ce qu’il est et on est tous très contents de ça. Ils sont partis dans cette aventure avec nous, sans plan, sans organisation. On ne savait même pas que l’on allait faire un disque quand on les a contactés. 

LFB : Après avoir écouté l’album dans sa totalité, je trouve qu’il existe comme un contraste entre la musique et les textes où l’une se présente comme solaire, épique et quelque peu lancinante, ce qui en fait avant tout un disque de sensations. Une musique contrebalancée par un texte qui suscite une part de mystère et un certain dramatisme parfois. La musique a-t-elle alors toujours nécessairement besoin du texte ou même de l’image comme support ? 

Rob : Je trouve que ce que tu as noté vient sans doute du fait de la méthode que l’on a utilisée presque systématiquement pour faire le disque. C’est-à-dire que nous, on a rêvé d’une musique idéale. En construisant cette musique, on s’est dit « Et si on demandait à Daniella (Spalla, ndlr) ? Et si on demandait à León ? Gordon ? » Qu’est-ce que ça donnerait ? Et si on rêvait de collaborations idéales ? Tout partait de la musique et puis dès qu’on se mettait en tête que ce morceau était pour Daniella par exemple, alors à ce moment-là, on se concentrait exactement comme un auteur de scénario qui se concentre pour son interprète. On a fait ça musicalement et après on livrait, en croisant les doigts et en espérant que ça plaise. Et il se trouve que ça a fonctionné à tous les coups ou presque, mais ceux-là on ne les citera pas. (rires)

À partir de là, eux ont reçu notre fantasme de collaboration et se sont imaginés comment ils allaient pouvoir s’intégrer là-dedans. Mais je pense qu’il y a comme une espèce de malentendu lorsque tu fantasmes de quelqu’un et que l’autre accepte ce rêve, car il en perçoit certaines substances mais pas forcément ce que toi tu as projeté. Je crois que ça les a alors plongés dans un état relativement expectatif où ils ont ressenti une part de mystère. On a vraiment pensé à eux donc j’imagine qu’ils ont reçu ça comme un cadeau.

Il y avait un vrai défi, une forme de prise d’otage et heureusement, ce sont des gens que l’on aime et qui nous aime parce que c’est très difficile. Je pense que c’était à la fois grandiose, vertigineux et un petit peu angoissant. Il y a une dichotomie entre musique et texte qui vient du fait que ce sont des éléments qui se sont rencontrés et qui ont fait un big-bang

LFB : Les textes de chacun sont-ils uniquement venus en addition des pistes instrumentales ou est-ce que la collaboration artistique est allée au-delà ?

Jack : C’était une ébauche ou le texte complet et puis nous, on a retravaillé l’ensemble en fonction de tout ça et parfois il arrivait que le résultat soit très loin de ce que c’était au début. L’un et l’autre ont créé ce que c’est devenu à la fin, on s’est mis au service du texte tout en suggérant quelques fois de réarranger l’ordre des éléments, de développer davantage… Il y a eu beaucoup d’aller-retours entre les deux, ce qui fait qu’à la fin ça nous échappe, ce n’est plus à nous. 

Rob : Et ça, c’est la spécialité de Jack, et ça rejoint la fin de ta question, c’est de comprendre que la musique doit être au service d’une narration et la narration ça va être l’interprète, le texte. C’est notre travail de musique à l’image qui nous a fait prendre ce cheminement-là, de comprendre qu’une musique ce n’est pas seulement « Trois, quatre, boum, tu danses » mais plutôt comprendre ce qui va nous amener à danser, à écouter le morceau jusqu’au bout. Et pour que cela se fasse, c’est un fil que l’on va dérouler du début à la fin, qui n’est pas forcément tout droit mais qui peut passer par une introduction, un passage, une inclinaison, un passage à vide… Et puis ça repart.

Nous sommes cent pour cent tributaires de l’image pour raconter quelque chose et ce n’est pas la musique qui doit t’emporter, à part dans certains cas particuliers où tu sens que la musique va driver l’image et qu’elle va t’emporter, ce qui est le cas dans Maniac le film de Franck Khalfoun dont on a fait la musique, et où la musique t’amène à ressentir des choses que l’image ne te montre pas. Comprendre le lien entre la narration, la musique et la troisième dimension qu’il y a, c’est ce que l’on arrive à faire en pop aujourd’hui. 

LFB : Vous affirmez alors qu’une narration découle de l’ensemble des morceaux ? 

Jack : Qu’il y ait les images c’est une narration, qu’il y ait un texte c’est une narration et qu’il n’y en ait pas, ça t’oblige à en créer une autre par une instrumentation ou un choix de mélodie. On raconte toujours une histoire, ce ne sont juste pas les mêmes intervenants. 

Rob : Tous les gens qui font de la musique en sont à peu près à cet état-là sauf que nous, le fait d’avoir fait autant de musiques de films, c’est peut-être quelque chose que l’on arrive à conscientiser. Et pouvoir appliquer cela à un disque de pop, c’est assez génial. Les Phoenix le font certainement de manière instinctive, mais peut-être qu’ils sont plus attirés par une narration qui serait radiophonique pour pouvoir amener l’auditeur à être attrapé dans un morceau de trois minutes dix, ce qui crée une forme d’efficacité. Une efficacité à laquelle nous n’avons pas forcément accès, même si l’on a également ce fantasme de l’immédiateté de l’amour que l’on peut avoir d’un morceau, en étant toujours conscient que ce que l’on veut, c’est ressentir quelque chose, une émotion. 

LFB : D’ailleurs, si je vous demandais de penser à un film qui pourrait illustrer en images ce disque, que me diriez-vous ? 

Rob : J’adore toutes les œuvres seventies de De Palma parce que justement elles ont ce côté flamboyant, ce romantisme, ces personnages torturés et en même temps avec une mise en scène hyper brillante, sharp, bien découpée. Et j’ai l’impression que c’est un peu notre façon de travailler, c’est à la fois puissant, précis et sensible. Quand on arrive à ça, c’est le moment où l’on commence à être satisfait, lorsque l’on sent qu’il y a un épanchement, quelque chose de très romantique, un sentiment très fort de l’ordre de la mélancolie. Et en même temps, il y a une sorte de patate, de foi, un côté épique, du rythme… Quand il y a les deux, alors je commence à me sentir bien. 

Jack : Et c’est comme ça que l’on fonctionne depuis longtemps, quand on est tous les deux satisfaits et qu’on arrive à ce truc-là, ce mélange.

LFB : Puisque ce disque est définit comme une invitation à l’amitié, comment définiriez-vous ce sentiment à la fois unique et particulier ? 

Jack : C’est quelque chose de très important, ça touche à l’amour et l’amour, qu’est-ce qu’il y a de plus important dans la vie ? Qu’il soit fraternel, amical ? 

Rob : Ce qui est beau dans ce sentiment amoureux, car l’amitié c’est de l’ordre de l’amour je suis d’accord, c’est qu’il y a l’amour pour tes enfants par exemple, qui est inconditionnel et je pense que l’amitié a de ça aussi. Il y a quelque chose de peut-être plus fort dans l’amitié que dans l’amour que tu peux avoir pour ta femme ou ton mari, qui serait de cet ordre inconditionnel. Là où tu pourrais projeter énormément de choses oedipiennes ou psychanalytiques dans un couple, dans une relation amicale il y a quelque chose qui est au-delà de tes travers, où tu peux aller plus loin dans la confiance et dans le rapport à l’autre. C’est la famille que tu choisis, la famille idéale

LFB : Summercamp serait donc l’illustration sonore de cette forme d’attachement ? 

Jack : Complètement. 

Rob : Absolument, oui. Déjà parce que c’est notre duo, Jack Lahana et Rob, et c’est la première fois que l’on arrive en disant que c’est un duo alors qu’on fonctionne en duo depuis vingt-cinq ans. C’est notre déclaration d’amour l’un à l’autre et on en a profité pour inviter tous les copains. 

LFB : La pop est-elle le genre par excellence pour raconter l’amour, l’amitié, les valeurs inhérentes aux relations sociales ? 

Rob : Par excellence, je ne sais pas. Mais en tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’il y a quelque chose d’universel et d’immédiat dans la pop. Quand on s’est mis à travailler ce disque, sans savoir que c’en était un, sans réfléchir, on s’est dirigé vers quelque chose de pop car on avait envie d’un reward, un retour sur investissement très rapide. Si on s’était mis à composer un opéra ou un long morceau introspectif de quarante-cinq minutes, je pense que l’on aurait mis plus de temps à atteindre ce sentiment de satisfaction. Et encore une fois, c’est un projet hédoniste où l’on recherche la satisfaction presque immédiate et la pop a ça. Ce n’est pas forcément le sacro-saint des styles mais par contre ça permet de partager vite, fort et bien.  

Jack : C’est le plus accessible et nous, le moment que l’on préfère c’est lorsque l’on est en train de le faire. Créer ce qui te fait bouger à l’intérieur ou à l’extérieur. Et ce n’est pas fini, il y a encore plein d’autres collaborations qui arriveront, tout est dans la cocotte-minute.

LFB : Natalie Portman a réalisé le clip du morceau Haute Saison. Comment avez-vous été amenés à travailler ensemble ?

Rob : Je l’avais rencontrée à l’époque de Planetarium, le film de Rebecca Zlotowski. Elle a habité à Paris pendant un an, elle était avec son mari Benjamin Millepied, et on avait collaboré ma femme et moi à la 3e Scène de l’Opéra de Paris. On avait fait un film qui s’appelle Piano Piano commandé par Benjamin donc on se croisait. Et Natalie avait été rédac chef des Inrocks, elle avait demandé à ce qu’il y ait un truc sur moi, il y avait une sorte de petit attachement où j’étais l’un des musiciens parisiens qu’elle fréquentait pendant sa période parisienne.

Faire des clips, c’était aussi le fantasme de Summercamp et pas uniquement la musique, car il y a notre attachement pour tout ce qui est films, on est entouré de réalisateurs toute la journée, tout le temps. On s’est alors tout de suite dit qu’il fallait demander à tous nos copains, on l’a fait et on voyait que c’était des réalisateurs avec une ambition de film qui voulaient un tournage, une production, un plateau. Puis on a pensé à Natalie qui avait envie de réaliser, et qui à l’époque avait uniquement réalisé un court métrage. On s’est dit que c’était peut-être l’idéal car d’une part, c’est une icône pop par excellence, c’est Miss Dior.

Il y quelque chose d’extrêmement universel chez elle et par ailleurs, c’est la meuf la plus cool que je connaisse, easy, naturelle et elle a la volonté de réaliser des choses. Je lui ai tout simplement envoyé le morceau en lui demandant si elle voulait faire un clip et immédiatement après, elle était là “Grave, ça tue ! On fait comment ?“ Et on savait qu’en lui demandant, on allait s’émanciper, sauter l’étape de la production. Elle fait un peu ce qu’elle veut et elle est très bien entourée, notamment par sa productrice en France qui est Sophie Mas. Tout est devenu facile alors que pour écrire un clip de cette teneur, on n’aurait jamais réussi.

 LFB : Peut-on parler d’une célébration de l’amitié jusque derrière l’écran ?

Rob : En quelque sorte oui, car ça s’est passé de la même façon avec elle qu’avec tous les intervenants du disque. C’est extrêmement simple et doux, c’est la vie idéale. 

LFB : Il y a vraiment une instantanéité commune à toutes ces collaborations. 

Rob : Exactement, et je me rends compte que dans la vie c’est bon signe à priori. S’il y a un effort, ça veut dire quelque chose, pas forcément qu’il ne faut pas le faire, mais quand il y a quelque chose d’instantané, tu te dis que c’est meant to be

LFB : Qu’est-ce que ces artistes ont apporté à cet album que vous ne pouviez pas par votre propre biais ? 

Jack : Les voix, déjà. 

Rob : Et ça change tout. 

Jack : J’ai eu des chansons où je chantais, Rob aussi et c’est un truc que l’on n’a pas cultivé plus que ça. Quand tu fais appel à un interprète, des vrais artistes comme eux, il faut leur faire de la place, ce que l’on a fait et ils l’ont parfaitement prise. Le message était surtout musical, ils ont réussi à mettre des mots ce qui n’était pas évident. Ils ont amené les morceaux à des endroits où l’on ne serait pas allés, ce qui crée une troisième dimension qui était insoupçonnable. 

Rob : On n’aurait jamais pu emmener ces morceaux aussi loin. On a choisi les gens avec précaution, des gens qu’on aime pour ce qu’ils représentent, pour leur présence, leur aura. Quand tu as Flora Fishbach qui rentre dans la pièce, il se passe quelque chose et ce n’est pas de l’ordre de quelque chose que tu peux raconter, c’est troublant, c’est une créature. Et c’est vrai pour tous les artistes que l’on a invités. Avec tout l’amour que l’on a l’un pour l’autre, et notre joie de faire de la musique, ça serait resté dans le même univers.

Alors que là, tout d’un coup, le fait d’avoir tous ces invités, il se passe des trucs que nous-mêmes on ne contrôlait plus, ce qui devenait jouissif. Il y avait une espèce de plongeon dans l’inconnu car parfois c’était des gens avec qui nous n’avions jamais vraiment collaboré, des gens que l’on rencontrait artistiquement, que l’on connaissait mais faire un morceau ensemble, c’était différent. Même avec Gordon Tracks, et pourtant, Dieu sait qu’on le connaît bien, mais l’inviter à mettre sa voix sur notre musique, ce n’est pas pareil. 

LFB : Et avec toutes ces collaborations, avez-vous une anecdote à partager sur l’une d’entre elles ? 

Rob : J’aime beaucoup l’anecdote de Theodora. On ne la connaissait pas du tout, et je crois que le monde ne la connaît pas encore, ce qui est bien dommage et j’espère que ça ne va pas tarder. On était dans notre studio, lui-même entouré de plein d’autres studios dans la cour, et on a la chance d’avoir de grandes fenêtres, alors on voit passer des gens toute la journée. Puis ça faisait deux, trois fois que l’on voyait passer cette fille magnétique, on avait l’impression d’une déesse qui venait de l’Antiquité, et il se trouve qu’elle avait une basse sur le dos, ce qui ne faisait qu’ajouter plus de mystère.

Elle passait tous les jours avec ses cheveux noirs de jais sublimes, et puis on a fini par rêver de ce qu’elle pouvait faire donc on s’est quand même renseigné un petit peu, on avait appris qu’elle venait finir son disque avec un ingénieur du son, Etienne Caylou. On a écouté puis un jour, on a osé ouvrir la porte. Et comme on l’a dit tout à l’heure, parfois la vie est facile et elle te fait des cadeaux. Elle est rentrée, elle a écouté puis elle a dit “À fond ! C’est génial.” Elle est grecque et italienne, elle a écrit Un’ Ultima Volta, posé sa voix sur le morceau et on a quasiment rien changé, et c’est l’un des plus beaux morceaux, l’un des plus cinématographiques aussi. 

LFB : Summercamp nous invite à parcourir vos rêves et espérances, un monde utopique en somme. Mais c’est quoi un monde utopique selon Rob & Jack Lahana ? 

Jack : C’est un monde où l’on peut pleurer en dansant. 

LFB : C’est beau. 

Rob : C’est vrai, et c’est l’un des premiers trucs qu’avait dit Blandine (Rinkel, ndlr) de Catastrophe

Jack : Il y a de ça en nous et je trouve que l’on est suffisamment libres pour en profiter, l’accepter et le transmettre. 

Rob : L’utopie c’est la vision du monde à travers le regard d’un enfant, c’est-à-dire le monde idéal, le monde que l’enfant se crée pour pouvoir survivre à ce monde abject, si je résume. La réalité est très dure disons, pour le dire de façon plus modérée. Ce regard d’enfant est constitué de tout ce que nous, adultes, projetons en tant que rêves d’enfants comme par exemple le fait d’avoir un studio, de pouvoir accorder tout son temps à la musique.

Moi, enfant, ce que je voulais faire plus tard c’était être artiste, je ne savais pas exactement ce que ça voulait dire mais je sentais que le monde des adultes n’était pas fait pour moi. Jouer de la musique, c’est un jeu et nous ici, on passe toute la journée à jouer, à être coupé du monde, des autres, avec des doubles portes insonorisées, rien ne peut nous arriver et on fait tout ça avec nos meilleurs amis. Cette utopie est là, c’est ce rêve d’enfant que l’on a réussi à incorporer à notre vie d’adulte. Et dès lors que l’on passe la porte du studio, plus rien n’existe d’autre que la joie de la musique. 

Jack : Ce qui n’est pas forcément facile à comprendre pour nos enfants, se dire qu’on s’éclate car moi, c’est au-delà de mes fantasmes. Si plus jeune on m’avait dit que je serai là tous les jours, je n’y aurai pas cru. 

Rob : L’utopie et ce que l’on vit nous ici, c’est quelque chose de sacré, c’est un pré carré, personne ne peut atteindre ce que l’on vit et crée ici, ça n’appartient qu’à nous et c’est pour ça que c’est sans doute difficile pour l’entourage. C’est une zone liée à l’enfance, l’utopie, le fantasme, le rêve, il y a des choses très profondes que l’on arrive à faire ensemble, et j’ai l’impression que personne ne touchera à ça.

Jack : Et Summercamp c’est exactement une illustration de ça, on se donne les moyens de pouvoir faire ça et ce n’est pas rien. 

Rob : Lorsque quelqu’un du monde extérieur essaie de nous faire changer quelque chose, c’est impossible car c’est sacré. Avec Jack, on n’a même pas besoin de se parler, on le fait et on est heureux. C’est miraculeux aussi d’avoir réussi à faire intervenir tout ce monde-là, car c’est quelque chose que l’on chérit. Et c’est d’ailleurs une contradiction du disque car on a une attitude ambigüe avec ce dernier parce qu’on l’a fait avec une totale liberté, sans rien attendre et sans que le monde attende quoi que ce soit de nous, on se sent très détachés.

Ce disque n’est pas un disque nécessaire, ce n’est pas quelque chose dont on avait besoin pour s’exprimer, on travaille énormément par ailleurs, on n’en n’a pas besoin pour vivre, c’est un vrai espace de liberté. C’est à la fois hyper puissant pour nous et on en est aussi très détachés, il n’y a aucune attente, c’est une zone idéale. Dans une carrière d’artiste, c’est assez unique car on fait tellement de choses, on travaille en permanence, on n’a pas besoin de Summercamp et c’est pour ça que c’est nécessaire. 

LFB : Passons à une question un peu plus légère. Selon vous, à quoi ressemblerait une colonie de vacances en compagnie de Sébastien Tellier, Gordon Tracks ou encore Vickie Cherie ? 

Rob : Le rêve franchement, le rêve ! (rires)

Jack : Pour le coup,  tu te marres

Rob : C’est énormément de rires, sûr et certain. Et malheureusement, sans doute beaucoup d’alcool. C’est une sacrée bande de cinglés qu’on a là et encore, on ne parle pas de ceux qui ne sont pas encore connus sur ce disque. C’est marrant car avec Summercamp, j’ai une vision très américaine avec le feu de camp, les chamallows, la vision un peu Wes Anderson où l’on a tous un petit uniforme et où l’on s’amuse. Sauf que l’on voit bien qu’il y a quelque chose de très français dans notre état d’esprit, d’être et de raconter des histoires. Je me dis alors qu’avec le mélange des deux, il y a un côté assez trash. Les artistes auxquels on a fait appel sont des gens assez violents. 

Jack : Il n’y a rien de lisse et conforme. 

Rob : Que ce soit Fishbach ou Sébastien, ce sont des personnes extrêmement violentes mais pas au sens agressif évidemment, au sens de leur rapport au monde, de la force de ce qu’ils expriment, de leur caractère, du personnage qu’ils incarnent dans leur vie d’artiste. Partir en colonie avec ces gens-là, ça doit être dingue ! Il y aurait vraiment moyen de rigoler et par ailleurs, Jack est aussi complètement cinglé. Je suis le seul à être normal. (rires)

Jack : On te laisse croire. (rires)

LFV : Bien que pour de nombreuses raisons ça puisse être compliqué, est-ce qu’il vous est venu à l’idée de, pourquoi pas, faire vivre ce disque sur scène le temps d’une soirée, en conviant vos amis slash artistes qui y ont participé ? 

Jack : C’est notre fantasme. 

Rob : Et tu as devant toi, notre salle de répétition avec exactement ces deux synthés. On a commencé et pour le moment on a tellement kiffé qu’il faut qu’on se débrouille pour que ça arrive donc ça va arriver

Jack : Ça va arriver même si ça ne sera peut-être pas dans l’intégralité. 

Rob : Les contraintes sont assez énormes, notamment en termes de billets d’avion. 

Jack : Ça fait partie de l’utopie. (rires)

Rob : Effectivement. (rires) Si on cite Rock’n’roll Circus ou des événements comme ça, c’est assez proche de ce que l’on aimerait faire. On est souvent confronté à un principe de réalité qui est celui de l’argent. On est libres tant qu’on fait de la musique car on a notre studio et notre moyen de production, mais dès qu’on s’attaque à autre chose que ce soit les clips, le marketing, le fait de sortir le disque, les concerts… Les petits enfants plein de rêve et d’utopie que nous sommes, sont ramenés à la réalité. Mais il en faut plus pour nous arrêter. 

Jack : Tout ce que l’on a réussi à faire pour le disque était infaisable. 

Rob : Je repense à l’affiche d’André qui avait créé l’affiche idéale du concert à l’Elysée Montmartre avec Kavinsky, Daft Punk, Phoenix, Tellier, Air. Et c’est possible. Bon, les Daft Punk ne font plus de musique mais on l’a fait, il y a Tellier, Gordon Tracks, León Larregui mais André ne connaissait pas car c’est un cake (rires), et cette affiche idéale, on l’a faite. On pensait ça impossible, un disque collectif avec des artistes du monde entier où il y a aussi bien Areski Belkacem que Nicolas Godin, car oui, il y a aussi Nicolas qui joue de la basse sur le morceau de Theodora. Et pourtant, il suffisait de le faire. 

Jack : De le faire sans y penser. 

LFB : Pour terminer, avez-vous un coup de cœur récent à partager avec nous ? 

Rob : Les films auxquels on participe et auxquels on est très attachés. Je pense à Quand tu seras grand, qui est le prochain film d’Andréa Bescond et d’Eric Métayer qui sort en avril.  Et sur le papier, c’est un film où l’on ne se dit pas qu’on va l’aimer car le pitch est peut-être un peu commercial sauf qu’il y a une liberté, un amour et une justesse. C’est un film absolument génial. Et je recommande au passage le bouquin d’Andréa qui est une femme formidable et qui a le mérite d’ouvrir très grand sa gueule pour essayer de faire bouger certains canons.

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