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La Face B : Comment ça va?
Robert Robert : Ça va bien. Full content d’être en France, ça faisait genre 4 ans que je n’étais pas venu. La dernière fois, c’était en 2018. C’est la première fois que je viens en hiver en France, j’adore ça. Paris l’hiver, je trouve ça vraiment le fun. Tout le monde est plus relax un peu. Ça fait du bien, j’ai tendance à trouver ça très énergique.
La Face B : C’est la première fois que tu présentes cette partie là du projet, avant tu étais venu en tant que DJ.
Robert Robert : Quand je mixais, je suis venu quand même plusieurs fois par année aux alentours de 2015. Mais c’est la première fois que je viens chanter en français, c’est un peu stressant.
La Face B : Comment es-tu passé de musique électronique un peu weird et purement musicale à un projet qui est, pour moi, 100% pop?
Robert Robert : Je pense que c’est un peu une genre d’évolution parce qu’à un certain point, je n’arrivais plus à dire ce que je voulais dire juste avec les instrumentales, déjà. J’ai ressenti le besoin de raconter des histoires. Mon parcours musical et la musique que j’écoute sont un peu éclectiques. J’ai écouté vraiment beaucoup de musique électronique quand j’étais jeune. J’ai développé une relation tard avec des paroles dans les chansons. J’aime le fait que tu puisses rajouter tellement de couleur à une chanson avec ça, c’est venu naturellement à partir de ce moment là.
La Face B : On dit toujours qu’on écrit des morceaux, mais j’ai l’impression que tu es passé de “écrire des morceaux” à “raconter des histoires”. Il y a une évolution intéressante : sur Silicone Villeray, on était un peu sur l’entre deux, en terme d’écriture il y avait beaucoup de boucles de paroles, sur Bienvenue Au Pays on est sur des chansons purement pop aux structures bien définies.
Robert Robert : Je pense que j’ai toujours été très chaotique dans mon approche. Ce que j’adore avec la pop, c’est que il y a comme une grosse théorie derrière ça, un univers tellement réfléchi que plein de gens ont essayé de construire depuis que cette musique là existe. J’aime comment cette structure m’aide à contrôler le chaos dans ce que je fais : avant je faisais, comme tu dis, de la musique un peu weird, je ne réfléchissais pas trop à la consistance entre les chansons. Ce n’est pas un truc auquel je réfléchis tant que ça maintenant, mais en apprenant ces codes pop là et en apprenant à jouer avec, j’ai l’impression que ça me permet de prendre mon côté weird pis de le faire shiner et de résoudre la confusion qu’il peut apporter aussi.
La Face B : Est-ce qu’il y a une espèce de “quête” quand tu joues avec les structures des morceaux pop, d’essayer de faire un morceau pop parfait avec un couplet qui raconte une histoire et un refrain qui accroche à l’oreille? J’ai l’impression qu’il y a beaucoup ça sur Peur de tout ou même sur Alex. Il y a vraiment cette idée où le refrain répond au couplet mais rentre aussi directement dans l’esprit.
Robert Robert : Je ne me suis pas jugé dans le processus et je me suis permis d’y aller aussi pop que j’avais envie d’y aller. J’ai aussi réalisé que peu importe ce que je fais, il y aura toujours un élément de weirdness que je ne contrôle pas. Ça fait tellement longtemps que je produis de la musique, ça doit faire 13 ans, j’ai juste ramassé plein de petites affaires sur le chemin dont je ne peux pas me défaire de. En jouant avec ces codes-là, c’est comme ça que j’ai l’impression d’avancer, de faire des trucs qui sont nouveaux pour moi. C’est comme l’équivalent d’apprendre un instrument.
La Face B : En parlant d’apprendre, comment est-ce que tu as découvert ta voix?
Robert Robert : J’ai passé beaucoup de temps à chanter dans le micro de mon laptop, j’ai du faire des centaines de chansons avec ce micro là. Je n’ai sorti aucune toune où je chante avant 2018, mais j’ai commencé à travailler sur ça en 2014. J’ai passé des années à chanter pis à attendre d’aimer ça.
La Face B : C’est quelque chose que tu as envie de faire depuis très longtemps en fait.
Robert Robert : Ouais. Juste utiliser de la voix, je ne joue pas spécialement de piano ou de guitare donc c’est la seule façon que j’ai de communiquer des mélodies pis des idées même quand je travaille avec d’autre monde. Chanter, c’est ma façon de sortir de l’ordinateur, sinon je suis toujours dessus à réfléchir à la musique d’un point de vue super quadrillé. I guess que chanter ça amène un côté humain dans ce que je fais.
La Face B : Ce que je trouve intéressant dans Bienvenue Au Pays, c’est que tu t’amuses beaucoup plus avec ta voix. Le traitement de la voix sur Petite Dose est multiple, comme s’il y avait plusieurs personnages. Sur Télé, le chant est beaucoup plus affirmé et presque crié.
Robert Robert : Je suis quelqu’un de très “par étape” I guess. Silicone Villeray, j’étais à l’étape où j’écrivais des tounes en français : mon focus était d’être content de l’histoire que je raconte. Une fois que j’avais l’impression d’avoir trouvé quelque chose, après je me suis dit “comment je fais pour rajouter de l’émotion dans ça?”. Je sens que l’étape dans laquelle je suis maintenant, c’est d’interpréter plus honnêtement et plus fort. C’est ça qui est ressorti dans l’album. Au final, la musique pour moi est un exercice constant, j’essaie toujours d’évoluer et d’apprendre et les albums sont des étapes. Ils existent pour ceux d’avant et pour ceux d’après. C’est dur pour moi de ne pas réfléchir en terme d’apprentissage.
La Face B : Il y a deux personnes qui chantent avec toi sur l’album. Il y a un truc de challengeant d’aller chercher des artistes comme Fernie et LUMIÈRE qui ont des voix hautes, dans l’emphase et très émotionnelles.
Robert Robert : Full. C’est des artistes vraiment talentueux, mais c’est aussi que j’ai rarement réfléchi mes collaborations, ça a toujours été très organique. Même avec Silicone Villeray pis Hubert (ndlr : Lenoir), ça a été un peu accidentel, c’est une suite de circonstances qui a fait que ça s’est produit. LUMIÈRE, on s’entendait bien, on a joué à l’ADISQ (ndlr: équivalent des Victoires de la Musique) et on s’est rencontrés là. On a décidé de jammer ensemble, je lui ai demandé de m’envoyer des accords de guit’ acoustiques enregistrés avec son iPhone, c’était un processus vraiment décousu mais au final ça a permis de voir sur quoi on était forts.
La Face B : C’est utiliser les forces de chacun pour faire avancer la chanson.
Robert Robert : Oui c’est ça, parce que moi je ne peux pas chanter comme lui, je ne sais pas encore comment. C’est ça que je trouve cool aussi, moi je ne pourrais pas faire ce qu’il fait sur la toune. Sur l’album, quand Fernie ou LUMIÈRE arrivent, c’est des moments où ça ne devait pas être moi.
La Face B : C’est comme aller chercher des gens pour la production ou d’aller bosser avec Les Louanges ou Hubert Lenoir… Même si ta structure musicale est prête, c’est des gens qui viennent t’apporter quelque chose en plus auquel tu ne penserais pas, non?
Robert Robert : 100%. À un certain point, ça fait tellement longtemps que j’écris des chansons pis que je produis de la musique que je sais que je suis pris dans mes patterns un peu. Je sais qu’il y a des choses que je ne vois plus, le poisson dans l’eau ne sait pas qu’il est mouillé. Pour moi, aller chercher des gens c’est pour avoir leur perspective extérieure et me sortir de mes habitudes. Sinon, moi je fais tout dans mon ordinateur, j’ai la tête dedans et je suis bien dans ça, mais je sais que des fois ça peut être limitant. Il y a tellement d’affaires que tu peux faire en musique, pis il y a tellement de gens qui font mieux que toi plein d’affaires. Si tu as une idée, c’est sûr que quelqu’un peut t’aider à la faire.
La Face B : Et si tu as ta patte à toi, il n’y a pas forcément besoin de se comparer aux autres. C’est intéressant parce que ton album s’appelle Bienvenue Au Pays et j’ai l’impression que c’est soit une porte ouverte dans ta tête, soit vers toi devant ton ordinateur.
Robert Robert : Je n’ai pas réfléchi au nom quand je l’ai choisi. Souvent, le nom que tu choisis se met à faire du sens après que tu l’aies choisi. Je pense que tu n’as pas besoin de te le justifier à l’instant, si tu y réfléchis c’est qu’il y a quelque chose quelque part qui cogite. Ça m’a prit un bout pour seizer c’était quoi le meaning pour moi, mais au final je pense que c’est vraiment ça : après trois ans de thérapie, j’ai eu pour la première fois la chance de regarder dans ma tête à la place de regarder ce qui sort. Je me suis senti comme si j’arrivais chez moi, mais que je ne connaissais rien. C’est ça l’idée du nom, je pense.
La Face B : C’est un peu la première phrase que tu dis dans l’album, « Bienvenue au pays où j’ai perdu mes repères« . Ce qui est intéressant, c’est qu’en utilisant cette phrase là, tu impliques l’auditeur dès le départ dans ce que tu vas proposer comme musique.
Robert Robert : Surtout au Québec, parler de pays ça vient avec un bagage politique à cause de l’indépendance. Il y des mots qui ont des charges émotives dans la vie. Genre le mot “pomme”, c’est rassurant dans ma tête même si c’est juste un fruit. Le mot “pomme” est plus rassurant que le mot “orange” pour moi. Mais le mot “pays”, ça me faisait ressentir tout le côté d’affirmation qui vient avec ça. Il y a un côté de résilience et de résistance, il y a tellement d’émotions différentes qui sont liées à la phrase “Bienvenue au pays”. Je mets le mood dans lequel ça me mettait et je trouvais ça intéressant comme tu dis de mettre les gens dans ce mood là avant d’embarquer dans cet album-là, qui n’est au final aucunement politique.
La Face B : Tu ne vas peut-être pas être d’accord avec moi, mais pour moi l’album capture toute l’ambivalence qu’on peut vivre quand on est en dépression. J’ai énormément écouté ton album, et pour moi il marche sur deux niveaux : quand je me sens bien, je l’écoute pour la prod qui est uptempo, et quand je suis dans un mood un peu plus down je l’écoute pour les paroles.
Robert Robert : 100%. Moi aussi j’ai des hauts pis des bas. Souvent, quand tu es dedans, tu ne t’en rends pas compte, c’est avec le recul que tu réalises. Dans la musique que je fais, un truc qui a été particulier c’est qu’en mixant, tu sors tout le temps. Tu sors beaucoup, tu bois beaucoup… Ma relation avec ma musique et mon cercle social, c’est la même chose un peu. Quand je sortais je travaillais et inversement. Peu importe dans quel état tu es ou comment tu te sens, tu sors. Tu vas être dans un club à écouter de la grosse musique avec plein de gens et souvent dans ces soirées là, tu parles moins et tu bois plus. Au final, tu ne restes pas chez toi nécessairement. Dans certaines chansons de cet album-là, j’ai vu que ce contraste apparaissait un peu parce que les instrumentales sont plus dans l’énergie festive mais les histoires que je raconte sont des moments où je faisais de la déréalisation. Quand je suis trop stressé, je déconnecte de la réalité et j’ai de la difficulté à percevoir les distances, des trucs comme ça. M’enfer, c’est une toune sur comment je me sens en train de déréaliser avec une instrumentale où tout le monde autour de toi continue à tourner et à être de bonne humeur, la fête existe encore.
La Face B : Le jeu de mot du titre, comment il est écrit: tu t’en fiches mais tu vis un moment proche du très très bas alors que tout le monde autour de toi fait la fête.
Robert Robert : C’est ça, pis tu ne peux pas partir de là parce que de toute façon, tes ami.e.s, c’est là qu’iels sont. C’est des histoires qui m’ont aussi inspiré parce que je pense que je ne suis pas quelqu’un qui est capable de se reconnaître dans une chanson où quelqu’un a l’air d’aller trop bien. Il y a du monde qui peuvent parce qu’ils sont de même, mais je n’ai pas accès à ça. Mais je ne peux pas écouter de la musique triste non plus parce que ça me fait sentir trop triste. J’ai besoin de prendre mes histoires où je me sens weird ou pas bien et transformer ça en quelque chose de plaisant et divertissant. Sinon, c’est trop nul!
La Face B : Il y a un équilibre à trouver. Le refrain de Alex, tu dis que finalement même si on va tous crever on fait la fête. Il y a des trucs qui sont très dark mais de la façon dont tu le dis, on a envie de faire la fête quand même.
Robert Robert : C’est peut-être un truc de génération, je ne sais pas si c’est la même chose ici. Mais à force de grandir avec une grosse épée de Damoclès qui est suspendue au dessus de la civilisation, du cynisme qui commence à paraître dans tout le monde… Parler de la fin du monde, le monde n’en a plus peur. Quand tu écris, tu peux parler du fait que demain la planète va exploser pis ce n’est pas assez menaçant pour que les gens n’aient pas envie de s’amuser.
La Face B : Si tu regardes à droite, il y a la guerre en Ukraine, en dessous il y a ce qu’il se passe à Gaza, et finalement on est là en train de parler de musique.
Robert Robert : À un moment donné, tu satures. Quand je prends le temps de ressentir les choses, souvent c’est quand j’écoute de la musique classique. Quand je laisse le monde exister autour de moi, je ne peux pas contrôler mes larmes. C’est trop émotionnellement chargé. Se protéger, ça devient naturel à ce point-ci. J’ai une fille de deux ans, je veux qu’elle vive de l’amour et du bonheur quand même. Je ne peux pas l’élever avec ce sentiment de catastrophe en moi pis lui permettre d’avoir une enfance joyeuse et agréable. Je n’ai pas le choix de couper des cordes dans ma tête.
La Face B : Pour revenir à l’album, il y a un truc que je trouve hyper intéressant dans la façon dont il est travaillé : pour moi, il y a une vraie recherche de la simplicité, ou de la fausse simplicité. Même si tu as travaillé comme un fou sur la musique, elle va arriver à l’auditeur de manière simple qui a l’air facile. Il y a un refus de la prétention dans l’album.
Robert Robert : C’est vraiment apprécié que tu dises ça. C’est un commentaire qui me touche beaucoup parce que c’est clairement une des règles qu’on avait en studio : on ne veut impressionner personne pis on ne fait pas de la musique pour les musiciens. Ça a toujours été un truc qui m’a déçu de moi-même quand je réalisais qu’il y avait des chansons qui étaient des genre de flex pour impressionner d’autres personnes, dans les choix de mots par exemple. Au final, ça nourrit le côté hyper compétitif que n’importe quel marché va inculquer à son produit. Moi, en ce moment, je déconnecte un peu du principe que la musique est un produit parce que je vois juste ça transformer des artistes en athlètes. Tu te mets à faire de l’argent, tu veux en faire plus pis ça fait juste brouiller le message que tu essaies de passer, la raison pourquoi tu fais de la musique. C’est un truc que j’essaie de m’éloigner de, surtout quand tu rentres dans la pop : il y a un côté de performance dans ton envie que ce soit catchy, diffusé…
La Face B : Il faut faire un tube pour que ça passe à la radio…
Robert Robert : C’est ça. J’ai la petite endorphine quand je check mes streams Spotify quand je vois qu’on tape le million ou peu importe… Je le sens qu’il y a des petites hormones dans mon cerveau.
La Face B : Oui, même si tu t’en protèges. Il y a des gens qui vont à l’encontre de ça : Hubert Lenoir, son deuxième album est l’antithèse de l’album avec des tubes. Il y avait une recherche pure de musique. Là chez toi, je trouve qu’il y a une recherche pure de la pop, de quelque chose qui est là pour plaire à celui qui l’écoute.
Robert Robert : Full d’accord. Aussi d’avoir le moins de trucs possible dans la chanson. Surtout que maintenant, tu peux rajouter des affaires à l’infini. Si je me laisse emporter un peu, tu écoutes la chanson et tu t’habitues, et soudainement tu entends des vides. Mais les vides que tu entends parce que tu l’as trop écouté, au final ils n’existent pas. La seule personne qui va te reprocher de la simplicité, c’est quelqu’un qui pense que tu devrais faire de la musique compliquée. Pis les gens qui veulent que la musique soit complexe, des fois ils l’écoutent peut-être même pour des raisons plus identitaires. Je n’ai pas envie d’occuper cette place-là.
La Face B : Ce qu’il y a de marrant, c’est que tu écris énormément sur toi, tu écris pour te soigner, mais en même temps tu fais de la musique qui n’est absolument pas égoïste. Les morceaux parlent de toi mais quand tu les partages, c’est pour les autres. Il y a un vrai cheminement vers l’autre. Je trouve que ça se ressent énormément dans l’écriture et sur le choix de tes paroles, d’aller chercher les mots les plus directs et les plus frappants sans chercher un truc lyrique.
Robert Robert : C’est clairement un truc qui est important pour moi. C’est un exercice d’aller chercher des histoires que t’as vécu et d’être brutalement honnête sur comment ça s’est passé et sur comment tu te sens. C’est gênant au départ d’être vulnérable à ce point là avec du monde que tu connais pas. Au final, je réfléchissais à “c’est quoi une œuvre utile en musique? Comment tu fais pour aider quelqu’un en faisant de la musique?”. La seule façon que j’ai figure out, c’était de prendre des trucs que moi je trouvais difficiles, les partager en espérant que ça aide d’autres personnes à le vivre. Dans ce contexte-là, complexifier ma musique, ça va juste empêcher des gens de profiter de ces histoires-là. La pop, c’est comme si ça devenait un véhicule pour faciliter la connexion entres les histoires que je raconte et les gens qui vont les entendre.
La Face B : C’est comme si ta musique était un wagon qui cherchait à se rattacher au train de la vie des autres gens.
Robert Robert : Ouais, genre. Je viens de commencer à ne plus être fucking stressé avant un show. Ça m’a pris 2 ans. C’était les moments les plus stressants de ma vie. Me faire kidnapper aurait été moins stressant. Clairement, je me suis vraiment fait chier : j’ai jamais aimé tant que ça être pris en photo, communiquer… J’aime communiquer sur les réseaux, mais je n’aime pas ce que ça fait à mon cerveau de vouloir avoir des followers, de vouloir me trouver beau sur une photo. Mais j’aime ça quand j’arrive au show pis que tout le monde connait les paroles. Ça, j’aime ça, c’est pour ça que je le fais je pense.
La Face B : Un morceau comme Peur de tout, c’est un morceau qui m’a vachement aidé : à des moments où je n’allais pas bien, je le gueulais chez moi. Je trouve qu’il y a un truc de relâcher l’émotion. En quoi la musique t’aide à réfléchir sur ton existence? En quoi c’est une thérapie, et en quoi elle nourrit la musique et inversement?
Robert Robert : Je pense que la musique est une thérapie parce que ça t’oblige à penser à ce que tu ressens. Du moins, pour moi, c’est quand j’ai des émotions lucides que je suis capable de composer les chansons que j’aime le plus. Pour moi, une émotion lucide c’est quand ta tête et ton cœur se comprennent parfaitement et que les deux sont activés. La thérapie m’a surtout aidé à nuancer les histoires que je racontais parce que ça m’a fait réaliser à quel point tu peux rapidement tomber dans le blâme des autres quand tu n’as pas le recul de réaliser qu’on déteste les gens qui nous ressemblent. Tu fais une seconde de thérapie, tu t’en rends compte. Après ça, tu as une nouvelle histoire à raconter parce que tu peux aller creuser un peu plus loin à la place de juste dire “je suis en amour avec toi” ou “je te déteste”. Tu peux dire “j’aime comment tu me rassures”. Il y a des trucs cachés derrière ces émotions-là. Moi, ça m’a aidé pour ça, je pense.
La Face B : Est-ce que tu as l’impression qu’avec ta musique, tu te redécouvres en permanence? Dans la création, dans l’écriture… De prendre de la hauteur, ça te permet de découvrir des facettes de toi que tu n’imaginais pas ou que tu n’aurais pas vues autrement?
Robert Robert : Je pense que sur le moment-même, pas nécessairement tout de suite parce que je suis trop dans le truc. Mais quand je ré-écoute des vieilles chansons que j’ai faites, oui. Tu sais quand tu sens une odeur et ça te rappelle quand tu étais enfant? C’est comme émotif, tu te rappelles comment tu te sentais… Ça me fait ça. Ça me ramène à l’état d’âme dans lequel j’étais à ce moment-là. Je peux m’écouter d’un nouvel angle, ça me permet d’apprendre à me connaitre dans le passé. Je trouve ça cool à ce niveau là, c’est comme des photos, c’est des souvenirs.
La Face B : Tu as composé la musique d’une série télé, comment tu l’as vécu? Qu’est ce que tu as pensé d’être sur un exercice très différent ou tu dois composer pour de l’image?
Robert Robert : Déjà, ils voulaient du rock des fois pis moi je ne joue pas de guitare ni de batterie. J’ai appris la guitare pour ça pis j’ai utilisé des plug-ins de drummer robot. J’ai appris à tricher (rires). Je suis bien tombé parce que la réalisatrice était vraiment ouverte d’esprit et avait de bonnes références musicales. Je me suis rendu compte que les émotions que les scènes créaient étaient fertiles pour moi. Tout ce que j’avais à faire, c’était de prendre la scène, de parler avec la réal de l’émotion que cette personne ressentait, chercher dans quel contexte moi je ressentais ça et de m’inspirer de ce contexte-là pour faire la chanson. Au final, si la chanson que je compose me fait ressentir cette émotion-là, ça va marcher.
La Face B : Ça fait une symbiose.
Robert Robert : C’est ça. C’est aussi agréable que de faire un album.
La Face B : Tu viens en France présenter ta musique, ça représente quoi pour toi? À une époque, pour les québécois.e.s, c’était peut-être important de venir en Europe.
Robert Robert : Je pense que c’est particulier parce que j’ai beaucoup été ici avant. Pour moi, venir ici, t’es pas arrivé. Arriver en France pour un spectacle, c’est le début. C’est un nouveau combat : découvrir une nouvelle crowd, une industrie qui fonctionne complètement différemment. Des fois, j’ai l’impression qu’il y a un petit handicap avec l’accent… Parce qu’il y a plein de personnes qui s’en foutent, mais il y a du monde qui ne s’en fout pas non plus. Même encore maintenant, des fois je me fais répondre en anglais quand je commande dans un restaurant à cause de mon accent. Ça, c’est intimidant, parce que des fois j’ai peur que ça peut rendre ça moins accessible, ça crée un genre de petit mur. Mais en même temps, je suis vraiment curieux de voir avec qui ce mur là ne va pas exister et de quelle façon ce mur-là va peut-être disparaître. Voir ce que ces gens-là vont trouver dans la musique que j’ai faite. Je trouve que c’est nice.
La Face B : Est-ce que tu peux me parler de ta rencontre avec Bernard Lavilliers, qui apparemment s’est très bien passée?
Robert Robert : Quel homme! Je sais qu’il a un très gros chien, d’où il vient… Il a un petit peu un vibe de pirate, un homme libre qui navigue les mers en quête d’aventure. Il m’a dit que j’étais un solide gaillard, pis ça m’a marqué à vie. Je le porte comme un titre d’honneur maintenant. C’était cool parce qu’en plus j’avais récemment commencé à écouter sa toune « On the road again » on loop parce que pour une raison ou une autre ça me faisait penser à du Porches, je ne sais pas si tu as déjà écouté? Cette toune-là, l’instrumentale et même les mélodies de voix ça fait un petit peu Porches et je pense que c’est pour ça que je me suis mis à tripper dessus. Quand j’ai su que l’émission était avec lui, j’étais stoked.
La Face B : C’était le destin, quoi.
Robert Robert : C’est ça. Il est vraiment cool pis il était full gentil aussi, il posait des questions… C’était intimidant d’être à la radio, et les deux interviewers connaissaient très bien Bernard Lavilliers et étaient très curieux de ce qu’il pensait des choses, pis moi ils me connaissait clairement moins. Tu te demandes un peu si tu as vraiment ta place dans cette émission de radio, mais il a go out of his way pour me faire sentir inclus. J’ai vraiment trouvé ça cool. Pis turns out qu’il est ami avec tous les grands noms québécois : Robert Charlebois, toute ça… C’est sa crew. C’est fou.
La Face B : Est-ce qu’il y a des choses qui t’ont plus récemment en musique, un film, un livre, que tu as envie de nous faire découvrir?
Robert Robert : Erotic Probiotic 2 de Nourished By Time. Ça, je l’écoute encore on loop au point où j’ai perdu des amis pour cet album parce que je l’ai trop écouté. Je pense que tu l’entends dans la production et dans la façon qu’il a fait ses voix, c’est je pense aussi quelqu’un devant son laptop avec son style de son. C’est pas particulièrement toute peaufiné, c’est super chaotique mais ça sonne vraiment comme lui. C’est dans les meilleures tounes que j’ai entendues depuis vraiment longtemps. Sinon, j’écoute juste des séries de merde.
La Face B : C’est quoi tes séries de merde?
Robert Robert : Je ré-écoute Daredevil en ce moment, pis Snowfall j’ai trouvé ça insane.
La Face B : Daredevil, c’est pas de la merde, c’est bien! (rires)
Robert Robert : Non non! Dans le sens, c’est divertissant. Si on me demandait de recommander quelque chose qui m’a ébloui, je dirais peut-être pas Daredevil. Mais c’est vrai que c’est vraiment bon.