L’artiste kurde Ruşan Filiztek explore les exils musicaux de la Mésopotamie à l’Andalousie

Le joueur de saz, chanteur et ethnomusicologue kurde Ruşan Filiztek tisse un lien entre deux continents avec son dernier album Exils. Il y invite de nombreux amis, aussi issus des musiques traditionnelles et de diaspora méditerranéenne.  

Imaginez se dessiner la fleur de l’exil. Ses racines s’ancrent dans une terre étrangère mais ses pétales se souviennent de celle originelle. Les turcophones parleront de « sürgün » pour décrire autant la pousse que le départ forcé. Le musicien kurde Ruşan Filiztek fait grandir cette fleur à travers son album Exils. Un titre pluriel qui se prolonge du sous-titre « de la Mésopotamie à l’Andalousie ». Le diplômé en ethnomusicologie étire ses influences du maqâm au flamenco, avec la Méditerranée en fil conducteur.

Des compositions originales

Ruşan Filiztek affirme des morceaux plus passionnés, portés par des rythmes marqués et mélodies nerveuses. Avec ses précédents projets, comme l’album Sans Souci, le musicien invitait son auditeur au calme et à une contemplation quasi-spirituelle. Exils convoque le partage et la fête qui explosent dans le clip du morceau Kubar Yarê Esmerê. Il transparaît dans cet album une urgence de dire ou simplement d’évoquer l’exil avec onirisme. Ruşan Filiztek pourtant habitué aux reprises de chants traditionnels, écrit ses propres compositions instrumentales comme Nomades, Neighbours ou Exils.

Le musicien, qui réalise une thèse sur la musique assyro-chaldéenne à la Sorbonne, reprend principalement des morceaux traditionnels kurdes. Cela dès l’ouverture de l’album avec Çoxê Mino, Bisk et Kubar Yarê Esmerê. Il s’inscrit dans la ligne d’auteurs interprètes plus ou moins contemporains qui modernisent ces héritages. Le morceau Soleá del Encuentro s’inspire dans sa première partie du musicien turc et joueur de saz Mukim Tahir. Hassan serait un chant alévi, repris par le musicien grec Sokratis Malamas, originaire de Thessalonique. À quelques kilomètres du bassin méditerranéen Aparanipar est un chant traditionnel d’une danse arménienne dont l’arrangement le plus célèbre vient du compositeur Khachatur Avetisyan.

Il s’accompagne d’autres artistes pour explorer ses exils. Le guitariste de flamenco François Aria colore, nuance, teinte l’album de ses influences hispaniques. D’une main rapide, le musicien s’amuse avec les compás, des rythmes propres au flamenco.

Il s’accompagne de Juan Manuel Cortes, jouant des paumes de main, et de la chanteuse Cécile Evrot, qui orne un duo d’un cante jondo (Soleá del Encuentro). Ruşan Filiztek partage aussi un chant avec la chanteuse franco-grecque Dafné Kritharas. Donnant un morceau planant, onirique et éthérique. L’instrumentiste kurde s’accompagne aux vents de Sylvain Barou (flûte celtique) et Artyom Minasyan (doudouk). Mais aussi des bassistes jazz Leila Soldevila et Emrah Kaptan, ou encore de Marie-Suzanne de Loye, au violon.

L’exil en héritage

En dédiant tout un album aux exils pluriels, Ruşan Filiztek s’ancre dans une tradition de chanteurs turcs ou kurdes évoquant le départ et la perte de son pays. Il est des figures comme Ahmet Kaya, immense chanteur kurde ayant trouvé refuge à Paris. Ses chansons très politiques abordent le souvenir et le désir de revenir comme Karwan. Autre grande figure de la musique engagée en Turquie, Selda Bağcan chante l’exil forcé de minorités avec Sürgün. Cette chanson est présentée comme faisant référence au départ des Juifs de Turquie.

A partir de mi-janvier 2025, Ruşan Filiztek narrera à l’aide de son saz un autre exil… celui de Mélénas, héros grec dont la femme Hélène a été enlevée par le prince troyen Pâris, ce qui déclenche la guerre de Troie. Il tente de reconquérir sa femme après le conflit. L’artiste kurde accompagne l’acteur Simon Abkarian dans sa pièce de théâtre Nos âmes se reconnaitront-elles ? sur ce mythe.

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