Discuter avec Sabrina Bellaouel est toujours un plaisir, entre sa casquette de productrice et celle de chanteuse, elle a des choses à raconter. C’est à distance et depuis son appartement parisien qu’on a pris le temps de parler de son premier album Al Hadr. Avec passion et bonne humeur, on vous invite dès maintenant à plonger dans cette discussion.
LFB : Comment vas-tu Sabrina ? As-tu hâte de libérer cet album et de voir comment le public va le recevoir ?
Sabrina Bellaouel : Oui j’ai hâte d’accoucher là (rires) ! Cela fait longtemps que je travaille dessus et là il est prêt.
Je sais qu’il faut être patiente, mais ça y est il est prêt et j’espère qu’il surprendra les gens qui me suivent, qu’ils vont comprendre là où j’ai voulu aller mais aussi qui je suis devenue entre les différents projets et celui-ci, car c’est quand même quelque chose le premier album.
LFB : En plus d’être ton premier album, c’est aussi ton plus long projet. Comment l’as-tu construit ?
Sabrina Bellaouel : Cela s’est fait sur plusieurs années. Il y a des morceaux qui datent de 2018. Il y a eu beaucoup d’introspections, de mises à l’épreuve.
Concrètement, mon processus créatif est toujours plus ou moins le même que ça soit pour mes EP’s ou sur un plus gros format comme ici : c’est des chutes de tissus que je mets les unes à côté des autres. Il y a des beats que j’ai travaillé sur Logic, des enregistrements de session de pianos faites à Londres, des sessions studios avec Basile, du sample et beaucoup de feel recording à l’iPhone aussi.
Je ne voulais pas me dire que j’allais traiter de tels ou tels thèmes, c’est plus comme un puzzle immense. Le vrai travail il se fait quand je suis seule en studio et que j’essaye d’assembler les pièces pour que ça sonne bien. Ensuite, il y a un travail d’écriture. D’abord je trouve l’ambiance, après j’écris de quoi il s’agit et puis il y a les arrangements, j’appelle mes potes, là ça a été le cas pour Monomite que j’ai appelé pour des basses.
Au final, le plus gros de cet album s’est fait en isolation totale.
LFB : Ce n’est pas une période trop compliquée cette introspection seule ?
Sabrina Bellaouel : Que ça soit la période en isolation ou celle en studio avec d’autres personnes, les deux m’excitent. C’est deux phases de travail super intéressantes pour moi car je m’y remets en question. Je garde quand même un contrôle dans les deux phases !
Quand je suis seule, j’essaye de me mettre en danger, d’aller là où je n’irais peut-être pas. C’est beaucoup d’intuition, j’essaye de me faire confiance. Même si je fais des associations bizarres, j’essaye et si ça ne me plait pas, tant pis, je peux rater ! Et parfois il y a des erreurs qui fonctionnent.
La période de collaboration est excitante, dans le sens où je sais que le musicien en question va lui apporter une couleur qui lui est propre, c’est en dehors de moi.
Voir le résultat de ces deux phases c’est ce qui m’excite le plus.
LFB : La dernière fois qu’on avait discuté ensemble, tu venais de sortir deux EP’s consécutifs qui avaient des couleurs assez différentes. T’ont-ils permis de trouver l’équilibre de cet album ?
Sabrina Bellaouel : C’est clair ! Même si c’est un équilibre qui tangue toujours.
Soniquement, j’ai tenté des choses, mais la voix est toujours restée la même. Ici, j’ai fait le même travail d’exploration, sur un temps plus long et en incorporant plus de collaborations. C’est l’aboutissement de tout cela. C’est pour ça que l’album s’appelle Al Hadr qui signifie le présent car il traduit ce que je suis au moment présent : toutes ses sonorités mélangées.
Je suis assez fier, car je t’avoue que je ne pensais pas arriver à faire un jour un album. Pour moi je ferais toute ma vie des EP’s et s’il fallait faire un album on collerait deux EP’s ensemble sauf que ça se passe pas comme ça (rires). Le travail est tellement différent !
LFB : À l’heure actuelle, grâce aux plateformes, de plus en plus d’artistes ne dévoilent que des EP’s. Accordes-tu une importance symbolique au format album ?
Sabrina Bellaouel : Pour moi, le mot album s’oppose un peu au mot stream. Il y a un constat, la consommation a changé maintenant on stream alors qu’à l’époque j’achetais des albums et je les consomme toujours aujourd’hui.
Le format album c’est tout un univers, une histoire raconté par quelqu’un et par ses émotions. C’est hyper intime et je comprends que tout le monde n’aime pas écouter des albums mais moi c’est ce que j’avais envie de proposer. Je pense que ça fait partie de mon développement. À un moment il fallait que je sorte un album.
LFB : Est-ce que c’est cette partie intimiste que requiert le format album qui a pu te faire douter de son aboutissement ?
Sabrina Bellaouel : J’ai toujours été OK avec le fait de partager des choses intimes car c’est ce que demande la musique. C’est plus que je pensais que ça allait être compliqué pour moi de dévoiler autant de choses sur un album.
LFB : Comme tu l’as dit un peu avant, le titre du projet signifie présent. Quand on est un artiste on a souvent l’envie de durer dans le temps. Est-ce que c’est un questionnement qui t’es apparu pendant la conception de cet album ?
Sabrina Bellaouel : Je n’ai pas voulu faire partie de mon temps en faisant cet album. Je n’ai pas réfléchi à marquer l’histoire de la musique. Je voulais juste être ancrée dans qui je suis maintenant, ce que j’écoute et ce que j’ai envie d’écouter.
Je pense que c’est l’authenticité du moment qui fait que ta musique elle a du sens et elle reste.
Al Hadr c’est comme un mantra me rappelant l’importance du moment présent. Ça me dit de ne plus me comparer à l’ancien moi ou à mon futur. C’est créer la forme la plus authentique de musique que je puisse faire à ce moment là.
De toute façon, je sais que cet album va être un OVNI mais il est important parce qu’il arrive au moment de ma vie où je suis le plus mature pour le sortir.
Puis Inshallah peut-être ça sera un classique pour certaines personnes (rires).
Les albums ça accompagne des moments de vie. C’est pour ça qu’en les réécoutant, on se souvient des sentiments qu’on a vécu à ce moment là. Dans cet album j’ai donc mis un maximum de mes sentiments d’aujourd’hui pour le réécouter plus tard et comprendre dans quel état d’esprit j’étais, qui est un état de transition vers quelque chose de plus solide, une affirmation artistique. C’est un peu le reflet de ce que j’ai envie que la culture soit aujourd’hui : des choses décloisonnées.
LFB : En te trouvant musicalement, est-ce que tu as pu te trouver humainement ? Est-ce que l’un va avec l’autre ?
Sabrina Bellaouel : Je pense que ça fonctionne en vase communicant, l’environnement influence ta créativité. C’est vrai que ça nécessite aussi d’être bien avec soi-même pour créer des trucs cool.
J’en ai eu marre de faire des chansons tristes, donc j’ai changé mon environnement et je vois les choses de manière plus positive.
J’ai vécu 5 ans à Londres et cette ville est fascinante. Comme la musique anglaise, ça évolue constamment. Elle fait partie de mon ADN musical donc je l’incorpore naturellement à ma musique.
Ma musique découle vraiment de mes goûts, ma formation musicale et ça donne un heureux mariage.
LFB : J’ai l’impression que tu as toujours navigué entre les styles. C’est quelque chose d’important pour toi ? D’où cela te vient-il ?
Sabrina Bellaouel : Ça vient du fait que j’ai beaucoup voyagé même juste avec mon oreille. Je suis super curieuse et j’ai vécu dans une maison où ma mère écoutait de la musique classique orientale, du rai, de la house. Mon frère c’était plutôt du rap ou de la chanson française. Ma soeur, elle, c’était la musique cubaine.
Grandir là-dedans, ça m’a forcément imprégnée.
Je fais presque une distinction entre mon côté chanteuse et mon côté productrice. Quand je produis, j’ai ce truc d’expérimentation où je me mets des défis d’innover. Le côté chanteuse lie tout ça. Je joue avec la technicité de ma voix et les effets. Je pense que ça apporte un lien entre les morceaux qui fait que c’est cohérent et harmonieux.
LFB : En 2020, tu me disais qu’assumer totalement cette casquette de productrice t’avais libérée. Est-ce que c’est toujours le cas ?
Sabrina Bellaouel : Maintenant que je suis libérée, nan (rires) ! C’est juste que c’est bon, ça fait partie de moi.
Ça ne veut pas dire que je vais tout produire en solitaire. J’ai encore cette envie naturelle de collaborer ou d’être uniquement chanteuse. Puis j’ai encore beaucoup de choses à apprendre. J’ai été autodidacte pendant longtemps et maintenant j’essaye de m’entourer. Plus j’avance et plus je m’améliore. Ce qui m’intéresse c’est de trouver mon son et ça évolue tout le temps !
J’essaye de faire une chanson qui va me faire vibrer de A à Z. Elle peut être catégorisée comme trop expérimentale ou pas mais ce n’est pas quelque chose à laquelle je réfléchis.
LFB : Est-ce qu’un jour on pourrait avoir un projet uniquement instrumental ? Ou c’est un besoin pour toi de chanter ?
Sabrina Bellaouel : Oui, c’est sûr ! L’un des derniers rêves que j’ai réalisé c’est d’avoir mis de la musique à l’image. J’ai réalisé la bande son d’un documentaire pour Arte qui s’appelle La Foire aux Vanités qui traite d’Instagram. Les 3/4 des morceaux se sont que de la production ! J’adore faire ça ! Je crée des bandes sons de ma vie, j’en ai des tas sur mon ordinateur. Ça fera partie des choses que je compte proposer.
LFB : Et produire pour d’autres artistes, tu l’envisages ?
Sabrina Bellaouel : Je commence déjà à le faire. J’ai travaillé sur un morceau du dernier album de Lord Esperanza. C’est la première fois que je travaillais avec un rappeur. J’ai aussi travaillé sur des arrangements.
Je suis en train de faire des packs de beats que Gracy Hopkins n’arrête pas de me demander (rires). J’en serais super fière, ça nourrirait mon côté productrice de fou !
LFB : Tu travailles pas mal avec des musiciens aussi, c’est important pour toi de garder cette patte organique ?
Sabrina Bellaouel : Oui grave ! J’ai bossé pendant longtemps avec Loubensky, au sein de The Hop et sur d’autres collaborations. Quand il a besoin de voix, il m’appelle. Il a aussi arrangé pas mal de mes morceaux en posant des basses. Il m’impressionne toujours autant, il a une immense richesse dans ses sons. On s’entend archi bien musicalement et humainement aussi, forcément que je vais lui demander de poser des trucs. Son groove est incroyable !
J’ai commencé avec le côté organique quand j’étais en groupe. J’avais besoin de ça, c’est important de trouver une harmonie entre l’électronique et l’organique.
Monomite, sa façon de jouer je trouve qu’elle est incroyable : toujours juste avec un grain de folie. Quand j’ai pensé à la basse, c’était évident pour moi que ça soit lui et pas une basse en midi.
LFB : Est-ce que tu comptes présenter cet univers sur scène ?
Sabrina Bellaouel : Évidemment, c’est la suite logique et le but ultime d’un projet ! Pour proposer une expérience, un visuel lié à l’album. Je bosse avec une pianiste multi-instrumentistes et elle m’accompagnera sur scène pour la partie organique. À côté de ça, je travaille avec Irkam sur des objets technologiques, un peu innovants que j’intégrerai au live. Je travaille là-dessus depuis que l’album est terminé.
LFB : À part une belle tournée, qu’est ce que je peux te souhaiter pour la suite ?
Sabrina Bellaouel : De ne pas perdre les pédales (rires). Tu peux me souhaiter bonne chance !