Sadandsolo : « Tout ce que je fais artistiquement vient d’une envie de découvrir »

Quoi de mieux qu’un soleil plein et un ciel bleu pour retrouver Sadandsolo dans les jardins botaniques de Bruxelles ? Franchement, pas grand-chose. Alors on a pris le premier banc qui passait sur notre route et on a discuté de son rapport à la scène, de son amour pour l’expérimentation et les formats courts, mais aussi…pour les jeux vidéos.

LFB : On se retrouve à Bruxelles parce que tu joues ce soir au Botanique. Tu viens de sortir des balances, comment te sens-tu ?

Sadandsolo : En vrai, j’ai l’habitude (rires), j’ai fait des scènes assez vite donc je me sens préparé.
J’ai un super DJ qui m’accompagne sur toutes mes dates. Donc c’est la même configuration à chaque fois, ce qui fait que je suis assez tranquille.

LFB : Quel rapport entretiens-tu avec la scène ?

Sadandsolo : J’ai été danseur du coup, j’avais déjà une expérience de la scène. Quand j’ai commencé la musique, ça n’a pas tout de suite été du rap et ça m’a permis de faire des petits concerts dans des bars et ce genre de choses. Pendant un an, j’ai aussi fait partie d’un groupe avec qui j’ai fait quelques événements, dont un festival qui s’appelait Jazz en Baie. D’ailleurs, on y a fait la première partie d’Earth & Fire Experience (rires)
Après, j’ai accompagné Lala &ce sur deux tournées.

LFB : En parlant de Lala &ce, elle se retrouve sur Oasis, ton dernier projet. Comment t’en as vécu les retours ?

Sadandsolo : C’était une sortie moins calculée que Subsahara sorti en février, sur lequel je m’étais vraiment pris la tête. Oasis, c’est plus spontané ! Je pense aussi que c’est peut-être plus accessible, car c’est une musique du moment. J’en suis très content !

LFB : C’est important pour toi de garder ce caractère spontané quand tu sors de la musique ?

Sadandsolo : Chacun a son point de vue là-dessus, mais je sais que moi, je suis très productif, je fais de la musique tout le temps. Pour moi, c’est quand même cool de sortir les morceaux après. Même si je pense que je préfère les faire que de les sortir parce que je crée pour mon propre plaisir. J’ai aussi du mal à stocker des morceaux, parce qu’après ça m’amènes à calculer pour savoir ce que je veux/dois mettre dans un projet.

J’aime bien faire des projets réfléchis, mais j’aime tout autant sortir de la musique spontanée.

LFB : C’est pour ça que quand on regarde ta discographie, elle est déjà bien remplie et principalement par des formats courts. Est-ce que tu les vois un peu comme des mini-laboratoires d’expérimentations ?

Sadandsolo : Exactement, je pense que j’adore expérimenter. Je fais beaucoup de musique tout seul ! Il y a plein de choses que j’ai fait que personne n’entendra jamais (rires).

Ce qui est bien avec les petits formats, c’est que ça permet, quand même, d’avoir quelque chose de réfléchi, d’offrir un concentré de sonorités que j’ai envie de proposer avec une direction artistique assez claire. Même si je pense qu’il y a quand même une continuité entre ces projets. Ça découle du fait que je viens de cette école du long format qui n’est pas juste une playlist, mais un projet où tu peux jouer avec la longueur du format pour construire quelque chose de cohérent.

LFB : Pour certains artistes, il y a cette difficulté d’être identifiable au début car ils ont difficile à digérer leurs influences. En tant qu’auditeurs, j’ai l’impression que t’as réussi à vite t’en détacher. Comment as-tu travaillé pour qu’au niveau de l’énergie et des mélodies ça soit singulier ?

Sadandsolo : Je pense que j’ai une manière très analytique, ce qui peut-être contradictoire avec le fait que ma musique soit très spontanée et légère. Ca me vient de mon éducation de danse contemporaine. Il y a beaucoup de modes de réflexions qui sont proches de l’art contemporain où c’est très cérébral, c’est une science. Tout ça m’a permis de digérer mes influences sans trop être dans l’analyse non plus. C’est ce qui fait que tout est très clair pour moi et s’inscrit dans une continuité. C’est une recherche très personnelle qui après débouche sur des formats qui peuvent être différents.

Je sais aussi où sont mes limites, il y a des choses que j’aime, mais je sais qu’elles ne sont pas forcément pour moi.

Et puis, je ne vais pas te mentir, mais je croise aussi beaucoup les doigts (rires) en espérant que les gens s’y retrouvent. Heureusement, j’ai des gens autour de moi qui me comprennent et me rassurent, ce qui me permet de garder la tête froide.

LFB : Tu as travaillé avec Skuna (360) et Brodinski (FOOT ON GAS), ça fait deux projets en commun avec des producteurs. Comment ça se fait et comment ça se travaille ce genre de projets collaboratifs ?

Sadandsolo : Sur la quasi-totalité de ma carrière, c’est moi qui produis. Du coup, de temps en temps, j’ai envie de m’ouvrir et de travailler avec quelqu’un d’autre. Skuna, je le connais depuis que je suis arrivé en France après avoir vécu en Afrique de l’Ouest. C’est vraiment un de mes plus anciens potes, on s’est connu grâce à la danse et puis on s’est mis à la musique de notre côté sans trop prendre ça au sérieux. Le temps a passé, on s’est professionnalisé et après avoir travaillé sur de gros projets, il a voulu expérimenter et faire des projets à son nom. Donc, ça s’est fait assez naturellement !

Brodinski, c’est un autre karaté, j’ai beaucoup travaillé avec un groupe qui s’appelle The News Corp qui fait de l’accompagnement d’artistes et dans les deux fondateurs, il y avait mndyrmm avec qui je suis devenu très bon pote. Il est aussi ami depuis l’enfance avec Brodinski et il lui a parlé de moi. Je trouvais ça cool, mais je ne pensais pas que nos musiques allaient matcher. Le déclic s’est fait quand on s’est croisé dans un studio et on s’est capté parce qu’il est très gentil, très généreux dans sa musique, il ne se prend pas la tête, du coup, on a essayé et ça a donné FOOT ON GAS.

LFB : Comme tu l’as dit, tu produis beaucoup, t’es aussi souvent au mix de tes morceaux, c’est important pour toi d’être à 360 ?

Sadandsolo : C’est une question que je me pose souvent (rires) parce que des fois, ce n’est pas clair. Tout ce que je fais artistiquement vient d’une envie de découvrir quelque chose plutôt que d’avoir un produit final. Du coup, c’est un mix : ça m’intéresse, et j’ai envie d’aller plus loin.
J’ai souvent appris parce que je ne connaissais personne pour m’aider ou parce que je n’avais pas les moyens et au final, j’aime le faire.

Là, on est un peu en train de changer, sur mes derniers projets, ce n’est pas moi au mix, même si je supervise, parce qu’on est dans une autre logique où j’ai envie d’aller plus loin. Ce qui fait que je ne peux pas être sur tous les fronts.

LFB : Tu n’as pas dur de déléguer ?

Sadandsolo : Très très dur (rires). Je suis très control freak. J’ai l’habitude de tout faire et du coup, je dois un peu me faire violence en me disant que c’est pour le mieux. Après, il y a des choses sur lesquelles je ne lache pas la main. Pour le reste, je teste et si ça ne me plait pas, je récupère.

On m’a souvent découragé de faire tout par moi-même, mais mes exemples artistiques, ce sont des gens très touche-à-tout et je trouve que c’est ça qui fait leurs particularités. Ca assure une patte, parce que jusqu’au bout, ça sera mon produit.
C’est vrai aussi que pour aller plus loin, il faut investir ! Mais ça tombe bien, pour le mix, je suis tombé sur quelqu’un avec qui ça passe bien et dont j’aime beaucoup le travail.

LFB : Un autre élément qui prend beaucoup de places dans ta musique, c’est la mélodie. Tu n’as jamais eu l’idée de topliner pour d’autres gens ?

Sadandsolo : Non, ça ne s’est jamais fait, mais ça pourrait me faire kiffer, pareil pour les instrumentaux. Le problème, c’est que souvent, quand ce n’est pas pour moi je fais assez vite quelque chose de générique. Je pense que c’est un exercice de garder sa singularité tout en allant vers le style de quelqu’un d’autre.

Je pense qu’il a des gens qui ont été plus formés à la collaboration et ont moins ces freins-là. Personnellement, j’ai beaucoup fait tout seul et quand il faut s’ouvrir aux autres ça coince. Mais je connais des gens qui n’ont pas du tout ces problèmes-là.

LFB : On va revenir un peu sur ton année musicale qui est déjà riche de deux projets (Subsahara et Oasis) qui laissent entrevoir une direction artistique qui s’affine. Penses-tu avoir trouvé la base solide qui composera ta musique à l’avenir ?

Sadandsolo : Je considère vraiment mon oeuvre comme un tout. A chaque fois que je crée, je cherche quelque chose, et même si ce n’est pas toujours pareil, l’exploration est assez similaire. Depuis que je publie mes morceaux sur Spotify, j’ai l’impression de creuser à chaque fois un peu plus. C’est ça qui me donne envie de continuer.

Je fais quand même la distinction avec les projets collaboratifs où je peux laisser plus d’ouverture, et qui ressemblent plus à de petites parenthèses, ce qui reste important pour moi.

En gros, je ne sais pas vraiment encore vers où je veux aller, mais je sais où je ne veux pas aller.

LFB : On arrive à la moitié de l’année et tu as déjà sorti deux projets, 2023, c’est une année que tu veux charnière dans ton développement ?

Sadandsolo : Je suis très au jour le jour, du coup, j’ai du mal à compter en termes d’année. En tout cas, je sais que ce n’est pas très courant de sortir des projets aussi rapidement. Mais je n’ai pas trop cette conscience du calcul. Je ne me dis pas que parce qu’on est en été, je dois faire de la musique estivale, par exemple. Ca vient peut-être du fait qu’au début, je ne faisais pas de rap, du coup, je n’ai pas vraiment un mindset de rappeur. Ce qui m’a permis aussi de beaucoup jouer avec les instruments et de les combiner avec des éléments plus « rap ». Même si j’aime aussi faire des « tout droits » où il n’y a pas 36.000 éléments à raccrocher, comme Chouchou avec Squidji, par exemple. J’aime bien avoir cette dualité ! Je pense aussi que c’est plus dur face au public d’être un artiste un peu pluriel parce que ceux qui vont aimer Pull Up avec thaHomey vont peut-être moins aimer Subsahara. Mais les artistes qui m’inspirent sont des gens qui n’ont pas peur de tester des choses et c’est par la persévérance qu’ils ont ouvert des portes.

Pour le moment, c’est clair que je suis dans un mindset où je suis de plus en plus confiant. J’ai envie de pousser les choses encore plus loin. Ce n’est pas pour rien que Subsahara, c’est mon premier projet long depuis Go let’s go qui date de 2020, il a la volonté de m’identifier.

LFB : Et ça a bien marché j’ai l’impression.

Sadandsolo : Ca reste subjectif, en tout cas moi, j’en suis content ! Je vais pouvoir le réécouter dans deux ans sans le trouver naze. On verra, mais je trouve qu’il a un côté « hors du temps ».
J’en suis assez fier parce qu’aussi, ça m’a permis d’aller au bout de quelque chose sans devoir faire de compromis.

LFB : Pour moi ta musique je pourrais vulgairement la résumer par « banger et soleil » mais tu t’appeles Sadandsolo

Sadandsolo : (rires) C’est un blase que j’ai pris quand j’ai créé mon premier Soundcloud, qui de base n’était que pour que je puisse écouter mes morceaux, je n’avais pas de volonté de les partager à cette époque. A cette même période, j’étais complètement dépressif, et c’est venu tout seul.

La musique fait partie des éléments qui m’ont beaucoup aidé à aller mieux, du coup, je trouvais ça cool de garder ce nom. J’en faisais comme une activité ludique et pas spécialement comme quelque chose de cathartique. Je pense que si j’étais parti en mode exutoire, je ne m’en serais pas sorti.

LFB : J’ai l’impression qu’il y a deux écoles à ce sujet : ceux qui voient la musique comme une manière de retranscrire ses maux pour aller mieux et ceux pour qui ça ne va être que de s’enfermer dans un cercle vicieux.

Sadandsolo : Je suis clairement de la deuxième école !

LFB : C’est cool que tu aies réussi à t’en détacher. On a souvent l’image de l’artiste triste.

Sadandsolo : J’ai aussi été victime de cette idée et je connais beaucoup de gens qui ont été dans ce cas-là aussi. T’arrives même à un moment où tu te dis que si tu vas bien, tu ne peux pas faire de musique. Ca ne fait que de te conforter dans ton mal-être et tu ne fais rien pour arranger les choses. Ca reste un calvaire pour toi, pour les gens qui t’entoures,…
Après, je pense que ça peut marcher pour des gens, c’est une question de personnalité. En tout cas, c’est sur que quelqu’un qui a vécu quelque chose de fort, ça va se répercuter dans sa musique, mais quelque chose de fort, ça peut être quelque chose de positif aussi.

En tant qu’ancien dépressif, je ne peux plus écouter de musiques tristes, même quand je vais moins bien. Je vais plutôt aller vers des gens qui, à travers leur art, vont se servir de ça pour s’en extraire plutôt que pour le cultiver.

LFB : Au niveau des thématiques, il y a quelque chose qui revient assez souvent, c’est les jeux vidéos. Quel est ton rapport avec cet univers ?

Sadandsolo : Je suis très content qu’on me pose la question parce que c’est un axe omniprésent dans ma musique que les gens ne captent pas tout de suite. En vrai, ça ne me dérange pas, parce que c’est un peu comme un easter egg pour les initiés, mais en même temps, vu qu’on ne m’en parle pas, j’oublie d’en parler. Les jeux vidéo, ça fait partie de ma vie depuis tout petit. C’est une inspiration quotidienne dans tout ce que je fais. J’ai surtout joué en solo, moins en multiplayer.
Je suis un passionné de technologies. J’ai un regret, c’est de ne pas avoir fait de filière scientifique pour capter ce monde-là. J’ai déjà essayé parce que, comme la musique, ça devient de plus en plus accessible, mais il y a des backgrounds que je n’ai pas, faute de temps. Ce que je kiffe, c’est la liberté d’expression, il y a de tout dans un jeu vidéo : de l’image, du son,…Ca apporte des sensations et c’est ce que je recherche dans l’art. Par exemple, quand j’ai appris à conduire, je jouais à GTA en respectant le code de la route et j’avais presque les mêmes sensations qu’au volant.

Je vais dire une dinguerie, mais je pense que là, je pense autant de temps à faire de la musique qu’à jouer aux jeux vidéo.

LFB : Bientôt les lives sur Twitch ?

Sadandsolo : En vrai, j’aimerais bien plus parler de ça en interview.
Si je devais avoir un plan B, ça serait chroniqueur de jeux vidéo.

LFB : Et si tu ne devrais garder qu’un jeu ?

Sadandsolo : Je n’ai pas qu’un jeu préféré, mais celui qui est le plus représentatif de ce que m’apportent les jeux vidéo avec ce mix d’artistique et de gameplay (expérience de jeu, ndlr) ça serait Outer Wild !

LFB : Hormis un bon show ce soir, qu’est-ce que je peux te souhaiter pour la suite ?

Sadandsolo : Franchement pas grand-chose (rires). J’ai beaucoup d’ambitions pour la suite, mais je suis aussi très reconnaissant de là où j’en suis, je ne prends rien pour acquis. J’ai vu beaucoup de choses dans ma vie qui font que je suis déjà très satisfait de là où j’en suis et je veux aller encore plus loin. Mais à la fin de la journée, c’est important de savoir la chance qu’on a et je me considère plutôt chanceux.

Sinon, la santé !