Cinq ans après un premier EP Elémentaire, Bleu Reine nous revient avec son premier album intitulé La Saison fantôme. Avec un nom pareil, mon esprit convoque un événement qui s’est tenu en 2015 à La société de curiosités poétiquement nommé « 283 jours fantômes de consolation immobile ». Mais rien d’immobile dans ce bel objet phonique de Bleu Reine publié chez Sanit Mils Records. Trois ans de labeur durant lesquels Bleu Reine s’est auscultée pour explorer les liens qu’entretiennent, selon ses mots, la solitude et la liberté, ses inclinaisons romantiques et son affrontement du réel.
La Saison fantôme s’ouvre sur un titre au nom d’une ville roumaine : Sighișoara. Bleu Reine pose en premier lieu un morceau empreint d’une sonorité folk noire, chargée de mysticisme. Il en va d’un morceau bouleversant, profond et très ancré dans le réel – en tendant l’oreille on entend des petits bruits parasites mais bruts – qui donne le ton de l’album. Des mots aériens qui vous enveloppe. De toute beauté, le morceau fait tomber le rideau sur un chœur traditionnel roumain.
Un visage sur un nom fait naviguer dans une lumière pure, celle qui passe la fenêtre. Là aussi, il y a quelque chose de l’ordre du surnaturel, Bleu Reine avec son orchestration convoque les âmes multiples. Dans la dernière minute, le morceau prend une autre dimension ; le voilà plus grand, plus massif et pourtant ce n’est que le deuxième.
D’une sensualité fiévreuse, Le Bal des Sabres fait onduler des couleurs proches du doré se mêlant au noir profond. Sans qu’on ne parvienne à trop pouvoir expliquer pourquoi, le morceau nous inspire cette juxtaposition de couleurs. Des images de rideaux drapés qui s’enroulent dans l’air. Le morceau offre quelque chose d’orientalisant dans les percussions introductives pour partir dans une direction très rock ambient sauce And Also The Trees.
Pour Comme un seul homme, Bleu Reine reprend le chemin mystique introductif avec une guitare électrique puissante, des chœurs purs. L’influence d’une certaine PJ Harvey se fait sentir. Le morceau oscille entre ombre et lumière, un vrai clair-obscur musical.
Dans Grenat, le morceau le plus court de l’album, Bleu Reine interroge l’existence des anges. Ici, on pense à la période rock d’un Alain Bashung. Le thérémine interprété par Léa Jacta Est ouvre Belle qui tiens ma vie. Un morceau très aérien, chargé de mystères plongés dans la nuit. Le curieux instrument s’approche d’une voix additionnelle. On pense à Cocteau Twins et la mouvance ethereal wave.
Pâle lumière nous emmène dans un univers beaucoup plus sombre, dans le prolongement des influences précédemment citées. Bleu Reine joue sur les multiples juxtapositions vocales. Le morceau donne l’image d’un oiseau – oserait-on jusqu’à imaginer un corbeau ? – qui tournoie dans une tourelle à la recherche d’une issue pour mieux s’envoler à l’air libre. Toujours se méfier de L’eau qui dort à ce que l’on dit. Mais ici point de méfiance à avoir. Bleu Reine nous entraine dans des sonorités plus psyché qui jusque là n’étaient pas très présentes et avec finesse, la promenade fonctionne.
Pour ceux qui suivent un peu les aventures de Bleu Reine, Retournée a trouvé sa place dans l’album. Ecrite en 2020, cette chanson est très symbolique pour la chanteuse qui traversait une sale période. Les bruits marins qui introduisent le morceau apportent une touche reposante à ce slow folk à la And Also The Trees (encore eux !). Il y a un côté bruitiste insolite qui l’inscrit dans une dimension onirique qui tend à infuser tout au long de l’album.
Les Braises résonne en écho à Comme un seul homme avec sa composition en clair-obscur. Un aspect presque chamanique prend le dessus dans la dernière minute. Lorelei renchérit sur l’aspect mystique que l’on a laissé sur Belle qui tiens ma vie. Une part belle faite à la voix combinée à la lecture d’un poème en langue allemande qui surplombe une envolée très lumineuse. La nature a beaucoup inspiré Bleu Reine et ici avec Automne Orange le paysage mental se veut chargé en feuilles mortes. Et non pas elles ne prendront pas la couleur orange mais lie-de-vin, les fines gouttes de pluie glissent lentement. La rosée du matin juste avant l’orage.
L’album se referme sur un générique de fin sobrement intitulé Outro qui mêle toutes les ambiances décrites jusqu’ici. Un souffle final.
Avec La Saison Fantôme, Bleu Reine cartographie la mélancolie non sans une certaine exigence sonore. On retrouve une plume sensible, qui invite aux voyages intérieurs. Un album-voyage aux multiples chemins tant les genres s’entremêlent. Bleu Reine a su injecter ses émotions dans chaque titre se voulant très riche instrumentalement parlant. Une saison qu’on accueille avec plaisir dans nos vies.