Il faisait étrangement doux en cette fin de mois de septembre lorsqu’on est parti à la rencontre d’Adrien, tête pensante de Samba De La Muerte. Si doux qu’on a décidé de se poser en terrasse pour réaliser cette interview. On a parlé de son nouvel album, A Life With Large Opening, mais aussi du fait que les voyages ne dépendent pas de la distance, de son label, Collectif Toujours, et de la difficulté de créer une tracklist parfaite.
La Face B : Salut Adrien, comment ça va ?
Samba De La Muerte : Ça va , je suis un peu fatigué mais ça va. J’ai joué hier soir avec Mamba de la Suerte, la variante en duo puis un DJ set jusque tard, d’où la fatigue.
LFB : Ton album sort dans une semaine, tu te sens comment ? (NDLR : interview réalisée en septembre)
SDLM : Excité, super excité, content de le réaliser de bout en bout par moi même parce que je le sors aussi sur mon label. Et les choses passent plutôt bien, assez naturellement, je pensais qu’il y aurait plus de pression à faire ce job-là et finalement c’est assez agréable d’être au contact des gens. C’est deux ans d’écriture qui vont arriver dans les mains du public, donc c’est toujours assez excitant.
LFB : Tu as déjà eu des premiers retours ?
SDLM : On a sorti 3 morceaux. Il y a eu quelques bons retours, surtout sur Fast, le premier qu’on a sorti. C’était super de sortir ça en premier parce qu’il y a eu vraiment une vague de gens qui ont été surpris mais dans le bon sens. Après Colors, où il y avait eu du français, l’idée était d’arriver avec un titre post-punk avec l’envie de marquer les esprits et ça a marché, ce qui est bien. Là il y a tout le reste de l’album à découvrir, j’en ai sorti trois, il en reste six. Il y a plein de surprises encore, des morceaux plus folk, des choses plus électroniques, donc j’ai hâte d’avoir des retours des gens surtout.
LFB : Est-ce qu’on peut dire que ta musique est inspirée par le voyage ?
SDLM : C’est ce que les gens disent en général. Récemment j’ai sorti des choses aussi en rapport avec l’Iran. Là le nom de l’album A life with Large Opening, je l’ai trouvé en rentrant du Japon. C’est un concept architectural japonais qui a donné son nom à l’album. Il y a toujours de l’inspiration à aller quelque part et rencontrer des gens. Ça peut très bien aussi être en tournée ou en bas de chez moi, j’ai un morceau sur l’album qui s’appelle Park parce que je l’ai imaginé dans le parc où je sors mon chien tous les matins. C’est aussi ça le voyage pour moi, dès qu’il se passe quelque chose dans ma vie. Effectivement il y a quelque chose d’assez riche de partir et de rencontrer des gens d’autres cultures et de revenir, ça peut soit se retrouver dans la musique, ou dans les textes, ou dans les émotions.
LFB : J’ai aussi l’impression que ton album regarde plus vers l’Angleterre que vers la France au niveau influences.
SDLM : C’est aussi un choix de revenir à uniquement de l’anglais parce que c’est clairement inspiré de musiques du Royaume-Uni. J’écoute beaucoup la nouvelle scène jazz anglaise, du post-punk, là je regardais justement avant de venir Idles aux Mercury Awards. Ces groupes-là en ce moment me marquent par la manière qu’ils ont de retourner un peu le système établi dans la musique, revenir à des trucs rock, des groupes, on en voit de moins en moins. C’est assez plaisant pour moi et donc j’ai mis de ça dans mon album, de cette énergie-là. Chose qu’on a pu vivre avec Concrete Knives il y a quelques années en allant tourner en Angleterre. Je pense que c’est encore une fois le voyage, ces choses-là qui reviennent plus tard en moi et que j’ai envie d’écrire.
LFB : Donc tu as tourné la page du français ?
SDLM : Le français était venu sur trois titres sur le premier album, mais en général j’écris la musique d’abord, j’ai une structure et par dessus j’ai envie de chanter donc je vais chercher des mélodies. Sur les morceaux que j’avais écrit en français sur Colors, les mélodies venaient en français, en tout cas les mots qui sortaient de ma bouche. Ça m’a un peu surpris au début, et puis j’ai continué à écrire en français ces trois titres. Et là, le nouvel album, à aucun moment je n’ai eu cette envie là. Si c’était revenu, je l’aurais fait mais effectivement les mélodies qui me venaient étaient plus anglophones.
LFB : C’est donc d’abord la musique qui vient avant les paroles.
SDLM : Sauf sur deux morceaux. Park justement, où c’est d’abord une mélodie de voix que j’ai eue, il y a quelques mots qui sortaient comme ça, et puis Home qui est l’avant-dernier titre de l’album, que j’ai écrit en piano-voix. Ce sont les deux seuls, sinon j’écris la musique d’abord.
LFB : Tu parlais tout à l’heure du titre de l’album, comment on traduit un concept architectural en musique ?
SDLM : En fait, le concept architectural, Life with a large opening, correspond à une maison à Tokyo, qui a été construite entre deux énormes bâtiments. On imagine Tokyo comme une ville où il y a beaucoup de monde, et l’idée de ce bâtiment c’est qu’il n’y a pas de cloison dans la maison et tout est ouvert. Et ils traduisent ça par une idée de bienveillance et d’ouverture et ça se reflétait bien avec ma musique et ce que j’avais envie de transmettre. Et puis Life with a large opening c’est une éthique de vie que j’ai envie d’avoir, c’est de rester ouvert au monde, aux gens qui m’entourent, et d’être toujours un peu à l’écoute de ce qui se passe autour de moi et ne pas m’enfermer. Comme ma musique est très ouverte depuis le début, je trouvais que c’était un bon point d’accroche pour résumer tout ça.
LFB : Finalement tu fais plus une musique de sensation que de thème.
SDLM : Ce pour quoi j’aime la musique, c’est parce qu’elle m’émeut. C’est pour ça que j’aime bien aller voir des concerts de jazz ou de musique classique où tu as souvent quelque chose de très aérien, qui donne beaucoup d’émotions, plutôt que des concerts pré-faits avec de gros shows lumière, qui ont plus de mal à m’atteindre. Ma musique est plus là-dedans, dans l’émotion, dans les sensations et c’est pour ça aussi qu’il y a plein de sons faits maison. J’avais envie de retrouver un peu ça plutôt que quelque chose de trop produit, qui peut parfois paraître un peu lisse. J’avais envie de revenir à des choses sentent un peu le bois, la maison quoi.
LFB : Même dans les parties électroniques, on sent qu’il y a quelqu’un derrière.
SDLM : C’est complètement ça. Faire de la musique électronique mais de manière organique. Et puis c’est en ré-écoutant de vieux EP que j’ai fait, plus folk, que j’ai retrouvé des choses que j’avais un peu perdues et que j’avais envie de remettre dans ma musique. Quelque chose d’un peu plus sensible, des guitares acoustiques, qu’on n’entend pas forcément, ce n’est pas ce qu’on a en premier lieu quand on écoute mais elles existent et elles ajoutent quelque chose.
LFB : J’ai noté quelque chose qui m’a plu dans l’écoute de l’album. Je trouve qu’il y a vrai sens de l’exploration musicale.
SDLM : C’est vraiment ça. Après pour moi l’enjeu sur cet album, c’était d’être un peu à l’opposé de Colors, où c’était clairement affiché que ça allait être un album coloré avec des morceaux très différents, que j’ai essayé d’assembler, mais qui s’assemblaient beaucoup moins bien que ceux que je viens de faire. Il vaut mieux explorer beaucoup de choses, tout en mettant un lien dans tout ça. Il y a de longues intros, de longues fins. Quand je les avais finis, j’ai posé tous les morceaux, j’ai cherché longtemps la bonne tracklist, et puis quand je l’ai eue j’ai ajouté des choses pour que ça puisse mieux s’imbriquer encore. C’est un exercice pas facile mais que j’ai vraiment essayé de faire, notamment dans la musique.
Ce n’est pas un album de rock, ce n’est pas un album de musique électronique ni un album de chanson. Après, le lien que j’ai trouvé se fait dans les instruments : je voulais de la batterie, de la basse et du Wurlitzer. Vu que je ne compose pas avec un groupe, à part deux morceaux, que je suis tout seul, souvent je me dis « oh tiens aujourd’hui je vais utiliser ça » et puis le lendemain en fait j’utilise un autre truc. Et là je me suis dit non, je vais utiliser le Wurlitzer qui est dans mon studio, cette basse et je vais demander au batteur de Samba de faire les batteries et puis avec ça on va essayer de créer un son, ce qui, je pense, donne plus de lien à l’ensemble de l’album même si on voyage dans différents styles.
LFB : Ce qui est intéressant, et tu en parles aussi, c’est que les chansons respirent. Elles évoluent par elles-mêmes.
SDLM : Sur Motech, effectivement, j’étais vraiment surpris. C’est un des deux morceaux qu’on a fait à quatre. Imaginer une sorte de pièce classique avec plein de mouvements différents dans le morceau, une évolution en pensant au live ensuite. J’ai vraiment voulu laisser de la place, avoir quelque chose d’assez minimaliste, ne pas mettre trop de sons, c’est pour ça sans doute que ça respire, qu’il y a des moments calmes, beaucoup dans les nuances, plus que sur l’album précédent.
LFB : On trouvait déjà ça sur la dernière chanson de Colors.
SDLM : C’est marrant parce que Fire, sur le premier EP, avait été une ouverture à ce qui allait se faire après. Love Song dont tu parles m’a aussi ouvert d’autres portes, notamment par le biais du live, parce que quand on l’a jouée sur scène, ça a pris des dimensions qu’on n’aurait jamais imaginées, avec le public notamment. Et donc j’avais envie de continuer là-dedans, dans cette expérience live et de danse. Mais tout en faisant un album qui s’écoute à la maison. C’est peut-être ça aussi, j’ai voulu que le son soit assez doux et qu’on puisse l’écouter dans n’importe quelle condition.
LFB : Comment tu vas retranscrire ça sur le live ?
SDLM : On est quatre sur scène. Un batteur, un bassiste, moi je fais des claviers, il y a un autre claviériste qui est un peu un savant fou, qui a plein de claviers, une guitare, des percussions, lui il fait un peu tout le vernis au-dessus, nous on est la base et moi je chante. Mais c’est assez agréable parce que c’était dans la démarche. Ce morceau-là, que j’ai co-écrit, on va prendre Fast, il y a une boîte à rythme, une basse, du chant et un peu de claviers mais la formation de Samba va pouvoir la jouer, on n’a pas besoin de sampler, mettre un ordi derrière alors qu’il y a quelque chose d’assez électronique sur certains morceaux. L’idée était de se dire chacun a un poste, essayons de faire l’album de cette façon-là. Donc l’album, on le joue déjà depuis six mois, mais c’est génial, on joue tout. Il y a peu de choses qui sortent de pads et ça marche super bien.
LFB : Et sur Mamba de la Suerte, vous n’êtes que deux c’est ça ?
SDLM : Oui. Ça c’est la variante originale de Samba. C’est plus inspiré d’un groupe qui s’appelle Bumcello, avec Cyril Atef et Vincent Segal. Avec Philippe le batteur de Samba on les voit depuis longtemps, on est fans de ces gars-là. L’histoire c’est que Philippe et moi on habite à Caen donc quand on répète pour Samba parfois on répète à deux, et pendant ces répètes là on a commencé à faire des jams et un jour on nous a proposé de faire une première partie de copains à Paris à l’Olympic Café, et puis on s’est dit « Tiens on ferait bien une tournée avec Mamba de la Suerte« .
Là j’étais au téléphone avec quelqu’un qui vient de me proposer de jouer au New Morning avec ce projet-là. Donc en fait ça prend une petite ampleur qui me va très bien et qui nous permet de jouer, de parler de Samba, de créer une petite actualité. Tant que les gens ne s’y perdent pas, ça va.
LFB : Toi ça te permet d’avoir deux projets en un.
SDLM : Pour les gens qui connaissent Samba, ça leur permet de voir le petit laboratoire, on se lâche pendant une heure et demi de set, on ne sait pas ce qu’on va faire, les gens ne savent pas, on joue. Certains vont y retrouver des choses qu’on peut faire avec Samba. On peut se lâcher. Déjà avec Samba j’essaie de laisser beaucoup de liberté, mais alors là Mamba c’est le summum de la liberté.
LFB : J’aimerais bien que tu me parles de Marguerite qui conclut l’album. Elle tranche énormément avec le reste de l’opus. Comment tu en es arrivé à faire un morceau comme ça ?
SDLM : Avec Motech, on arrive très très fort avec quelque chose de groove et dansant et je ne voulais pas finir l’album sur cette note-là. J’ai donc écrit Home et après Marguerite, cette ballade folk mais avec quand même un pied derrière droit, une boîte à rythme, une TR 808. Je pense que si on la joue en live ça pourrait être assez dansant. C’est des histoires de vie aussi, Marguerite c’est ma grand mère, qui est décédée l’année dernière donc je voulais lui écrire une chanson parce que ce que je suis aujourd’hui c’est un peu grâce à elle. C’était important pour moi qu’elle fasse partie de ça. Quand j’écoute un album, et qu’il se termine par le même genre morceau que le deuxième, je suis hyper déçu. Le dernier morceau d’un album m’a toujours marqué, je pourrais presque commencer l’écoute comme ça pour voir si l’album va me plaire. Souvent les gens mettent une surprise là et moi c’était ça ma surprise. Peut-être aussi pour ceux qui ont écouté Samba il y a longtemps et qui vont peut-être retrouver quelque chose que j’avais un peu laissé de côté et le folk, de cette manière-là, ça me plaisait de le refaire.
LFB : Au final la première chanson fait très intro et la dernière très outro.
SDLM : Land était en 6 sur la première tracklist et ça ne marchait pas du tout. Je commençais par Motech justement. Après j’ai ré-écrit ça et c’est bien d’avoir des morceaux introductifs. Land est un vrai résumé de ce qui va se passer ensuite. Musicalement il y a un peu tout ce qu’on va entendre, l’électronique, l’acoustique, la batterie groove, les basses. Ce n’est pas facile de faire une tracklist.
LFB : Tu as monté ton label pour cet album, est-ce que le projet c’est de ne faire que Samba ou de travailler pour d’autres personnes ?
SDLM : J’aimerais bien travailler pour d’autres personnes. Je voulais tester le label sur cette sortie, parce que si je fais le label c’est aussi pour redevenir indépendant, même si je l’ai toujours plus ou moins été. C’est reprendre le contrôle de certaines choses. Et je le vis plutôt bien, j’avais envie de voir un ce que c’était, dans toute la promo, construire une équipe de distribution, des subventions… Là en six mois je vois un peu comment on peut produire un disque, le sortir et l’année prochaine j’aimerais bien faire ce travail-là pour quelqu’un et le faire bien. A Caen ça fait dix ans que j’organise des concerts, l’idée c’est de promouvoir la musique des groupes qui viennent de chez moi, j’aimerais bien signer un groupe Normand au moins, et puis développer des musiques assez ouvertes, faire des beaux objets, je travaille avec ma copine qui fait tous les graphismes de Samba, un photographe qui a fait toutes les photos et qui fait les clips, j’aimerais bien monter un peu cette équipe-là, comme un No Format, c’est un label Parisien qui a sorti Balaké Sissoko ou des choses assez musiques du monde et c’est un mec qui fait les pochettes de tous les projets. Ça fait assez famille et j’aimerais bien avoir ce modèle là.
LFB : Un peu comme Soulwax avec Dee-Wee. La même esthétique sur chaque pochette, les numéros de sortie.
SDLM : Après ça c’est très typique des labels de musique électronique. Après si je fais ça j’aimerais bien laisser plus de liberté, en tout cas sur le graphisme, aux groupes. Après j’ai une idée de sortie mais il est encore trop tôt pour en parler.
LFB : Monter ton label ça t’a permis de sortir ton album aussi ? Le faire avec d’autres ça t’aurait peut-être forcé à faire des compromis sur le style ?
SDLM : Je ne pense pas non, de toute façon je l’ai fait tout seul chez moi, je n’avais besoin de personne pour le faire,c’est assez simple, ça demande pas énormément de moyen. Je l’ai fait écouter à des labels étrangers et à Yotanka qui était mon label avant. Et puis il s’est avéré que j’avais cette idée-là depuis assez longtemps dans ma tête de faire ça par moi-même, et puis pas de label étranger intéressé parce que pour les intéresser faut les connaître et c’est un peu un fantasme donc je me suis dit allons-y, il est temps de faire ça, il y a plein de groupes qui le font, je vois plein d’amis qui sortent leurs albums sur leur label avec de la promo donc pourquoi pas moi ?
LFB : Est-ce que tu as des coups de cœur récents ?
SDLM : J’ai lu le dernier bouquin de Kate Tempest cet été (Regarde la Ville Tomber), que j’ai trouvé super. Sur la société anglaise ou londonienne dans laquelle elle vit, pas forcément réjouissant mais il y a de belles histoires, de beaux portraits de personnes et je trouve qu’elle a construit ça d’une manière assez forte. J’ai trouvé ça super beau, et j’ai enchaîné sur le prix Goncourt, Et leur enfants après eux. C’est marrant parce que je n’ai pas réussi à plus avancer que ça parce que Kate Tempest m’a plus marqué. J’ai vu une similitude comme si c’était la même histoire en France. J’ai vraiment adoré qu’on parte d’un personnage et puis qu’on aille vers un autre, et puis vers un autre encore… j’adore ce genre de films ou de livres où tu as plein d’histoires différentes et que d’un coup à la fin tout se recoupe. Ça m’a bien marqué. En musique, tout à l’heure j’ai parlé d’Idles. Je trouve que ces mecs ont un truc qu’on n’avait pas vu depuis bien longtemps, et qui fait beaucoup de bien à de nombreuses personnes et puis aux musiciens aussi, ça va mettre quelques claques, ça remue, c’est intéressant.