De l’icône punk qu’on n’aurait pas prédite, à l’archétype maternel presque marial en passant par la figure ambitieuse mais authentique… La chanteuse d’origine marocaine Sarah Maison rend hommage aux divas à l’identité kaléidoscopique avec son dernier album Divad.

Des strass tombent en cascade sur ses cheveux longs et ondulés. Sarah Maison fait correspondre ses boucles d’oreilles miroitantes à ses ongles argentés. La chanteuse assume ses airs de diva. Une figure source d’inspiration. En ce sens, elle dédie son premier album Divad à ces icônes. Sans pour autant mettre de côté le second degré auquel elle est attachée. Comme elle le montre avec un jeu de mots dans le titre. Avant ce disque, l’artiste partageait deux EP (Soleils et Sarah Maison), parsemés d’humour, de subtilité linguistique et de kitsch assumé.
L’hommage aux musiques orientales constitue aussi l’identité artistique de Sarah Maison. D’origine amazigh du Maroc par sa mère, elle honore le Maghreb et le Moyen-Orient avec des arabesques et des rythmiques entraînantes jusqu’à la transe. Ces régions possèdent aussi leur prima donna. C’est d’ailleurs à ces dernières que l’artiste pense en composant. Loin de la diva arrogante ou inaccessible, Sarah Maison utilise cet archétype pour mieux aborder des thématiques personnelles et universelles. Avec Divad, l’artiste joue les idoles pour toucher un large public en évoquant avec authenticité la mélancolie, le rejet et les ruptures.
« Sortons les strass et les paillettes ! »
La Face B : Pourquoi avoir fait le choix d’appeler l’album « Divad » et non pas « Diva » ?
Sarah Maison : À l’origine, j’ai écrit le morceau Divad, donnant son nom à l’album, pour quelqu’un qui s’appelle David. J’avais inversé les lettres. Parce que je trouvais que garder son prénom tel quel aurait été trop direct, trop premier degré. J’aime bien glisser des petits codes ou des clins d’œil cachés dans mes chansons, un peu comme à l’époque de Muzul ou d’autres morceaux.
Au départ, Divad n’était pas du tout censé devenir le titre de l’album. Mais à force de le voir écrit, je me suis dit que c’était intéressant. Le mot « diva » y apparaissait déjà en creux. Désormais il prenait une résonance particulière. Je trouvais beau ce jeu d’inversion. C’était comme si cette personne me renvoyait un miroir, et qu’en inversant son prénom, je voyais aussi une part de moi-même. Dans la chanson, je m’adresse à une personne qui traversait des difficultés d’acceptation de soi. Pourtant, au fond, c’est aussi à moi que je parle. C’est un peu comme Flaubert disant « Madame Bovary, c’est moi » !
J’ai donc fini par trouver ce titre parfait. Appeler la chanson « Diva » aurait été trop évident. Surtout qu’à ce moment-là plusieurs artistes comme Saint Levant ou La Zarra sortaient des chansons avec ce titre. « Divad » avait quelque chose de plus mystérieux, un équilibre entre le masculin et le féminin. Finalement, c’est ça que j’aime : qu’un mot puisse avoir plusieurs sens, certains visibles, d’autres, que je garde pour moi.
LFB : Vous vous considérez ainsi comme une diva ?
Sarah Maison : Je pense en être une, du moins à travers mon personnage et ma direction artistique. À travers mes visuels, mes tenues et mon univers esthétique, ce trait est clairement accentué. Dans la vie de tous les jours, je ne me vois pas comme une diva. Je suis simplement une personne avec ses émotions. Quand j’ai grandi, le mot « diva » avait une connotation plutôt négative, du genre « elle fait sa diva ». Mais avec le temps, la perception a changé. Sans doute aussi grâce à de nombreuses chanteuses pop qui se revendiquent comme telles. Aujourd’hui, je trouve que c’est devenu quelque chose de très positif et même d’« empouvoirant ». Il y a aussi, je trouve, une part de nostalgie dans cette figure de la diva. Parce qu’elle évoque toutes les grandes pop stars des années 1990.
« Quand j’ai grandi, le mot »diva » avait une connotation plutôt négative »
LFB : Même au-delà de cette décennie, les Seventies inspirent votre identité visuelle et musicale. Comment cela vous est venu ?
Sarah Maison : Au fur et à mesure de mes recherches. Au début, je m’intéressais beaucoup au rock, puis j’ai exploré d’autres genres : de la musique, française et arabe, venant de différentes périodes. C’est là que je me suis rendu compte que les années 1970 me parlaient le plus. J’aime énormément cette esthétique. Les caméras de l’époque, les looks, et le style très développé des hommes, qui s’est un peu perdu avec le temps.
Une fois que j’ai compris que j’aimais cette ambiance, je suis allée voir ce qui se faisait à cette époque. En écoutant des playlists, j’ai facilement reconnu le son que j’aime : des chansons des seventies ou des morceaux actuels inspirés de cette décennie. C’est comme ça que j’ai continué à explorer. Dans chaque époque, il y a un peu de nostalgie. Puis, je trouve ça assez drôle d’être passionné par une période qu’on n’a pas vécue.

LFB : Vous vous considérez comme nostalgique ?
Sarah Maison : Plutôt une forme de mélancolie. Comme celle qu’on ressent en écoutant les violons d’Oum Kalthoum. Ce son familier qu’on entendait dans nos foyers quand on était enfant. C’est plus une rêverie poétique qu’une nostalgie du passé ou le désir d’avoir vécu à une autre époque. C’est une manière de retenir ce qu’il y a de plus beau, de plus touchant, pour mieux comprendre l’âme humaine. Et c’est une chance de pouvoir se retrouver dans des chansons qui prennent la forme de mémoires, de témoignages.
La Face B : Vous parlez de votre découverte d’Oum Kalthoum, enfant. Est-ce que vous avez d’autres souvenirs de grandes divas ?
Sarah Maison : Musicalement, Oum Kalthoum a été un premier coup de cœur. C’est une musique que ma mère écoutait souvent, en boucle, le matin pendant qu’elle faisait le ménage. Au début, je n’aimais pas vraiment, c’était trop intense, trop grandiloquent. Pourtant à force d’entendre ces morceaux, quelque chose s’est imprimé en moi. Vers mes seize ans, ma mère s’est assise face à mon frère et moi pour nous expliquer ce que représentaient ces boucles musicales, ces morceaux qui pouvaient durer une heure avec des variations subtiles, propres à la musique arabe. C’était comme une véritable leçon d’héritage familial.
Je n’avais pas encore découvert Oum Kalthoum visuellement, avec son fameux mouchoir et sa prestance. C’est venu plus tard. L’un des grands chocs esthétiques était Amanda Lear. Je suis tombée sur des vidéos d’elle des années 1970 – 1980. C’est une femme d’une beauté, d’un humour et d’une liberté incroyable. J’aime aussi beaucoup Majida El Roumi, une chanteuse libanaise. L’une des premières que j’ai écoutées lorsque j’ai commencé à composer.
« Toutes les divas ont quelque chose de punk »
À mes débuts, avec Musul, on me rangeait dans la catégorie « kitsch ». Au lieu de le prendre mal, j’ai voulu jouer avec ça : « Vous trouvez ça kitsch ? Très bien, alors sortons les strass et les paillettes ! » C’était une façon de répondre à cette incompréhension qu’ont parfois les gens face à certains sons synthétiques ou électroniques.
Et puis il y a tout ce qui entoure les divas : le drama, la culture queer, le monde du drag. Les marginalisées, en somme. Le fait d’être une femme, aussi. C’est toujours un combat : si tu te tais, on te critique ; si tu parles, on te critique aussi. Alors autant embrasser pleinement une forme de déviance, d’exubérance, et en faire une force. C’est comme ça que s’est construit, au fil des années, mon alter ego.
LFB : Vous pensez que la figure de la diva aujourd’hui est une figure politique ?
Sarah Maison : Avec internet et la circulation massive de l’information, dès qu’une personne a une visibilité ou une plateforme, il devient presque nécessaire de se positionner. Ne rien dire, c’est risquer d’entretenir un système qui oppresse. Autrefois, le mot « diva » pouvait avoir une connotation négative. Aujourd’hui, il est devenu positif, presque un signe de puissance et d’admiration. Lorsqu’il s’accompagne d’un engagement, cela renforce encore cette aura. La « diva » devient une figure presque maternelle, une « mother ». Je pense à certaines artistes actuelles qui incarnent à la fois la grâce, la puissance. Elles ont un engagement politique fort, sans que leur art soit nécessairement militant dans son propos.
Toutes les grandes divas que l’on connaît, comme Mariah Carey ou Amanda Lear, ont, d’une certaine manière, quelque chose de punk. Pourtant, elles affirment ne pas être politisées, disent chanter uniquement pour elles-mêmes, et revendiquent une forme de liberté artistique totale. Le documentaire Enigma, de Zackary Drucker consacré à Amanda Lear, illustre bien cela. Elle y nie tout au long du film être une femme trans, refuse de parler de ses origines ou de ses parents, et garde le mystère sur sa vie. À l’époque, cette posture consistait à dire : « Je ne suis qu’une artiste, je n’ai pas à avoir de position politique ».
« Un peu comme Flaubert qui disait ‘‘Madame Bovary, c’est moi’’ ! »
LFB : Avez-vous aussi repensé l’espace scénique pour mieux incarner cette image de diva ?
Sarah Maison : En travaillant avec le directeur artistique Nissim Tretiakov sur la conception du spectacle : un vrai travail de mouvement, de mise en scène et de rythme s’est mis en place. Chaque chanson s’enchaînait avec des extraits sonores, des phrases ou des voix d’artistes aimés, formant une sorte de medley structuré. Ce format a permis de créer un véritable spectacle, plus précis et plus théâtral qu’avant, plus proche d’un show. Cette expérience a été libératrice. J’aimerais, à l’avenir, une scénographie plus ambitieuse et revenir à une configuration plus large. Jusqu’alors, je faisais beaucoup de plateaux en guitare voix.
« Autant embrasser pleinement une forme de déviance, d’exubérance, et en faire une force »
Avec le temps, il est aussi devenu évident que le public le plus réceptif était constitué majoritairement de femmes et de personnes queer qui voient dans cette figure de diva quelque chose de positif, d’affirmé, loin du cliché péjoratif. Bien sûr, certains hommes comprennent aussi cette énergie, mais il y a eu un vrai renversement du regard : passer du male gaze à un regard féminin et queer, beaucoup plus libérateur et joyeux.
En tant que femme racisée, confrontée au racisme et au sexisme, la proximité avec la communauté queer s’est faite naturellement. Il ne s’agit pas seulement de collaborer avec des personnes queer ou trans, mais de travailler avec des amies et amis, de partager un même espace de création et de soutien. C’est ce qui rend le projet fort : il parle de manière authentique, sans chercher à plaire. Même si le résultat reste un peu mystérieux ou niche, il touche.