Avec Séverin, en attendant de devenir les nouveaux dinosaures

Artisan musical aussi rare que précieux, Séverin sculpte depuis bientôt 20 ans une œuvre musicale qui lui ressemble et qui grandit avec lui. Funambule, navigant en permanence entre légèreté et gravité, il revient aujourd’hui un peu plus sérieux, mais jamais désespéré, avec le superbe Nouveaux Dinosaures. Alors, en attendant la fin du monde, on se plonge dans ces dix nouveaux morceaux.

Une pochette d’album dit souvent beaucoup de choses. Celle de Séverin ne déroge pas à la règle. Ici, elle nous parle de la fantaisie qu’on laisse entrer dans le réel, celle qui nous sauve souvent de la cruauté et des saloperies qui peuvent nous frapper dans le monde. En somme, elle est la première page des Nouveaux Dinosaures, celle qui nous accueille dans ce petit univers devant lequel Séverin pause, Cette maison autour de laquelle on dessine et qu’on transforme un peu, sans jamais la dénaturer.

Cette maison qui tient d’ailleurs une place centrale dans la création de ce nouvel album. C’est ici qu’il a été enregistré, dans une pièce ou Séverin a déménagé son studio parisien. Un lieu lié à l’enfance, à la création et à son passé. Un lieu qui vit, avec ses forces et ses limites. Comme un membre du groupe, c’est lui qui donnera à Nouveaux Dinosaures sa chaleur, sa douceur et sa couleur. C’est lui aussi qui, faute de place, offrira aussi une caractéristique de ces dix morceaux : l’absence de batterie.

Accompagné de Sage, Jérémie Arcache, Michelle Blades aux instruments et chœurs et d’Étienne Caylou à la prise de son, c’est dans cette maison que Séverin aura fait vivre cet album. Ainsi, au long-court, il se dégage une tranquillité d’apparence de l’album, un apaisement en trompe l’œil qui nous donne envie de nous plonger dans ces morceaux et dans la relative douceur qui trouve par moment des formes angoissantes (Allée A), joyeuses (Nouveaux Dinosaures), Onirique (Silence) ou bien plus solaires (Amour Partout)

Multi-instrumentiste, l’artiste n’aura pourtant mis ses mains sur rien pour Nouveaux Dinosaures, se concentrant uniquement sur sa voix et sur le chant. Cela se ressent fortement, la voix prend ainsi une place centrale, sans jamais être trop en avant.

De son amour pour la folk, Séverin tire ici cette façon de raconter des histoires, sans jamais forcer sur la voix, sans jamais chercher à en faire trop. Cette façon d’envisager le chant et l’émotion, il la couple à une révérence très chanson française pour le texte, le mot juste et évident. Cette rencontre explosive s’inverse parfois, notamment sur la sublime Silence partagée avec Alex Montembault, seul morceau où la guitare s’absente et qui offre à l’album une pause presque irréelle qui rappelle le meilleur de Berger.

Le mot donc, car Séverin a beaucoup de choses à dire. Si la gravité a toujours survolé sa musique, elle semble ici la traverser de part en part. Comme si la vie d’adulte avait décidé de s’installer durablement dans le regard pétillant du musicien. La paternité aurait-elle quelque chose à voir là dedans ? Sans doute un peu, mais le monde qui nous entoure aussi, tant il semble difficile de fermer les yeux.

Portrait Séverin • Célia Sachet
Portrait Séverin • Célia Sachet

De fait, l’un des personnages principaux des nouvelles histoires de Séverin semble être la mort, implacable et inéluctable. Dès Nouveaux Dinosaures, et son texte sur notre fin prévue et annoncée couplée au réchauffement climatique, elle trace son chemin, notamment de manière très frontale et directe sur l’émouvante Allée A qui nous tire les larmes à chaque écoute.

La mort, c’est aussi celle d’une amitié qui s’effondre dans Tchao Bye-Bye, d’une relation destructrice qu’il faut cesser pour le bien de l’autre dans C’est plus de l’amour ou des faux semblants dans Nos Vérités.

Mais si elle se présente ici et là, rien n’empêche de la fixer et de s’amuser avec elle, de ne pas la prendre au sérieux et de tenter de l’esquiver, au moins pour un temps.

Si l’album est plus sérieux que d’habitude, il trouve néanmoins certains respirations bienvenues que ce soit dans la beauté subtile de Silence ou dans les géniales Où c’est la sortie et Amour Partout. Jamais totalement défaitiste, Séverin nous rappelle qu’on peut aussi voir le soleil dans le monde, même si il se cache souvent.

Avec Nouveaux Dinosaures, Séverin nous offre une nouvelle pièce d’artisanat comme on les aime. Un album fait à la main, sans cynisme aucun mais avec un amour total pour la musique et pour ceux qui l’écoutent. Le genre d’albums dont on a définitivement besoin en ce moment.

Retrouvez notre entretien avec Séverin par ici