Esthète, Siau nous avait touché en plein coeur fin 2022 avec la sortie de son premier album Superama. Dix titres connectés, intenses et nourris par le réel pour un voyage de réconciliation entre deux parties d’une même personne. On avait eu le plaisir de le retrouver lors de sa release party au Motel afin d’échanger avec lui sur cet album, son évolution musicale et toutes les aventures qu’il a traversées jusqu’à l’arrivée de Superama.
LFB : Salut Simon, comment ça va ?
Siau : Ça va super bien, parce qu’on est au Motel, où je vais faire la release party de mon album Superama, qui est au sorti il y a une dizaine de jours, donc je suis très content de faire la fête ce soir, d’être ici. On va s’installer et je suis trop content de jouer mes titres.
LFB : Tu as mis un certain temps entre ton EP et on album. Ta musique a beaucoup évolué entre les deux. Est-ce que tu as eu besoin de repenser ta musique d’une certaine manière, de digérer certaines choses pour l’emmener ailleurs ?
Siau : Complètement. Quand j’ai commencé à travailler sur l’album, je crois que je n’avais pas encore sorti mon deuxième EP, qui est sorti en 2019. Ça s’est enchaîné comme ça et je n’avais pas forcément conscientisé que j’allais faire un album. Je faisais des titres comme j’en fais toujours un peu au quotidien. Là, ce qu’il s’est passé, c’est que j’avais envie de faire progressivement plus qu’un EP. J’avais envie de penser plus globalité, ce qui ne m’était jamais arrivé avant.
Avant, je faisais des titres, je les compilais et je les sortais comme ça. Là, c’est un tout. Ça a été assez long de processer ça, d’avoir des titres qui vont ensemble et naturellement, quand j’ai commencé à maquetter, j’ai eu envie de mettre des batteries, des basses, des instruments qu’il fallait jouer plus en groupe. Jusqu’à présent, j’étais très dans le homemade, à faire des trucs dans l’ordi, un peu avec la contrainte de jouer tout seul. Alors que là, je ne m’étais fixé aucune contrainte, ce qui a forcément mis plus de temps.
LFB : Ce qui est marrant, c’est que du coup l’album s’appelle Superama. Pour les personnes qui ne le sauraient pas, la Superama c’est une association de galaxies. En regardant de façon très imagée, c’est un peu ce que t’as fait en ouvrant ta musique aux autres. Ta galaxie propre s’est ouverte et associée à d’autres personnes dans ta musique. Étrangement, quand j’ai écouté l’album et par rapport à ce que tu disais sur le côté solitaire de ta musique d’avant, j’ai l’impression que ça colle super bien à ta musique en fait.
Siau : C’est marrant. En même temps, c’est vrai qu’il y a cette volonté d’ouverture, plus que sur les précédents EPs où j’étais plus dans un exercice de recherche je pense. Je n’étais plus dans un travail de recherche, comme si je sortais mes recherches. Mais pas forcément prêt à parler de moi. C’était quelque chose qui était extrêmement difficile avant et qui est devenu plus simple aujourd’hui, parce que l’album a été un vrai processus pour moi de travail thérapeutique. Il y a vraiment eu un travail de s’assumer, d’oser dire « je », d’oser tout court. Pendant tout le travail du disque, je suivais aussi une thérapie et du coup, c’était très mêlé aussi.
LFB : Peut-être que l’un comme l’autre, ça faisait une sorte de ping-pong ?
Siau : Complètement. Je parlais à ma psy des titres que j’écrivais et elle me disait ce qu’elle en pensait dès que j’en parlais. Donc forcément, je prenais conscience de certaines choses. En soi, je ne maîtrise pas forcément ce que j’écris parce que c’est souvent des choses assez spontanées qui viennent, que je n’ai pas forcément envie d’intellectualiser et je me mets à les intellectualiser ensuite pour pouvoir, par exemple, en parler. Mais du coup, pouvoir faire cette thérapie, ça m’a permis d’avoir un regard de quelqu’un de plus pragmatique, quelqu’un qui a plus de recul sur les raisons que j’ai eues d’utiliser certains mots ou certaines thématiques.
LFB : De manière un peu plus claire, il représente quoi ce mot « Superama » ? Un titre d’album, surtout un premier, c’est quelque chose d’important.
Siau : C’est vrai que dans tout ce que je fais, dans tout ce que j’écris, dans ma façon de travailler en fait, que ce soit au niveau du texte, des titres des chansons ou de l’arrangement, il y a toujours cette volonté d’esthétiser. C’est-à-dire que je pars de quelque chose de parfois assez simple ou de quelque chose du quotidien, qui peut être assez banal. Et cette chose banale qui va me toucher, je vais avoir envie de la rendre esthétique.
Superama, avant toute chose, je voulais un titre d’album qui soit hyper pop. Comme un titre d’album des années 80, un truc qui en jette mais de façon presque un peu too much, limite kitsch quoi. Du coup, le son de ce mot, j’ai adoré avant même de savoir ce que ça voulait dire. Superama, c’était déjà cool, j’adorais le son quoi. Ensuite, c’est la première chanson que j’ai écrite, ça a été le nom de l’album provisoire pendant tout le temps du processus et c’est devenu le nom de l’album à la fin. Aussi parce que c’est la première chanson et qu’elle a vraiment guidé tout le reste, comme un peu une sorte de fil, d’étoile qui va emmener quelque part.
Ça a été important pour moi ce moment, c’était un moment un peu difficile de ma vie. Je venais de me séparer, je n’avais pas envie de faire un album de rupture, mais ça a démarré par une rupture. La première scène du film, c’était une rupture quoi. Et cette superama, c’était complètement ce que je ressentais à ce moment-là, une sensation d’être plongé dans l’obscurité, d’être dans un moment sombre de la vie mais en même temps, avec toujours cette quête d’espoir qui me ressemble bien. Parce que j’ai toujours été dans un truc à jamais me morfondre, mais toujours essayer d’aller vers quelque chose. J’étais dans cet appartement, vide, avec des cartons partout et une image comme : « OK, il va se passer des trucs incroyables, je ne sais pas encore quoi, mais ça va être fou ». C’est aussi ça que ça symbolisait. C’est pour ça que cet album, je trouvais ça assez juste de l’appeler comme ça, parce que c’était ce que j’avais projeté en fait, dès le départ.
LFB : De manière presque instinctive, le champ lexical du monde des étoiles et de la nuit nourrit vachement cet album. Ça le traverse tout du long jusque Glitch, où tu as l’impression que ce bug dans la matrice fait revenir la lumière. Mais tu as vraiment cette traversée de la nuit. Comme si tu t’en servais pour t’évader du quotidien dont tu parles. Je trouve qu’il y a une forte idée d’évasion qui traverse aussi l’album.
Siau : Je pense que quand je parle d’espoir et tout ça, c’est que je suis quelqu’un qui est beaucoup ramené vers l’obscur. Naturellement, je me sens attiré vers l’obscur. J’ai un côté assez dark en moi, comme sûrement beaucoup de gens. Quelque chose d’assez sombre m’attire et je suis tout le temps en lutte pour aller vers quelque chose de plus lumineux. C’est marrant, parce que je me suis rendu compte aussi que mon premier EP s’appelait À la lueur, que le deuxième s’appelait Hypnotisé et celui-ci s’appelle Superama. Tout est porté vers la lumière, le rapport à l’ombre et la lumière. Et ça, ça a été complètement inconscient. C’est à la fin, là presqu’il y a quelques mois, que je me suis rendu compte de ça. À la lueur, ça commence. Hypnotisé, c’est le trop plein de lumière et Superama, c’est complètement l’extrême. Je pense qu’il y a cette quête en permanence de sortir de cette attirance vers l’obscur.
LFB : Si je te dis que pour moi, Superama est un album de conversation et de réconciliation, est-ce que ce sont des idées qui te parlent ?
Siau : Ouais, complètement. C’est complètement ça. Déjà, à l’origine, quand j’ai commencé à faire de la musique, j’écrivais des chansons très classiques. Je chantais sous un autre nom, qui est mon nom : Simon Autain. J’étais dans un registre très chanson, qu’ensuite j’ai eu envie de complètement balayer, comme si ça n’avait pas existé. J’ai commencé à faire ces EPs sous le nom de Siau, et je voulais que jamais on ne me parle de ce que j’avais fait avant.
C’était vraiment un truc tabou pour moi à ce moment là. J’avais envie d’être dans un truc beaucoup plus spé, plus synthétique, justement ce travail de recherche, plus laboratoire et tout ça. Et tout ce qui était beaucoup plus droit au but, peut-être plus chanson classique avec des paroles simples, une mélodie simple, c’était quelque chose qui me rebutait un peu.
Là, ce qui s’est passé quand j’ai commencé à travailler sur l’album, j’ai réécouté ce que je faisais avant et je l’ai apprécié. J’ai accepté. Je comprends cette histoire d’acceptation, de conversation. Que ce sont toutes les facettes que j’ai pu avoir, et toutes les parties de moi en tant qu’artiste en fait. Il y a eu un espèce de travail de synthèse, d’acceptation de toutes ces parties-là et ok, on est tous ensemble et maintenant, on fait un disque.
LFB : Finalement, tu as eu le recul nécessaire pour te rendre compte que tu pouvais mélanger cette envie de choses un peu spé, pop, très métaphoriques, avec un format de chanson… Peut-être aussi parce que la musique française a évolué dans le sens où justement, cette idée de chanson revient fort aussi.
Siau : C’est vrai. Il y a quelques années, quand j’ai commencé à venir à Paris chanter des chansons, tout le monde me demandait pourquoi je chantais en français. Même les interviews que j’avais à l’époque, c’était : « Et alors, pourquoi le français ? ». Je trouvais cette question incroyable. Peut-être que c’est parce que c’est ma langue natale ? Mais c’est vrai que c’est quelque chose qui a énormément évolué en dix ans. Maintenant, chanter en français, tu n’as plus besoin de te justifier. Maintenant, c’est l’inverse. Alors qu’au début des années 2010, 2012, tu avais que des groupes anglais, c’était cool. Tout le monde voulait être Phoenix, être Daft Punk.
LFB : D’un autre côté, tu chantes en français mais ta musique est très nourrie de traditions sonores anglo-saxonnes en fait.
Siau : Ouais, c’est vrai que les artistes français que j’aime le plus sont aussi des artistes qui s’inspirent de choses plus anglophones. Que ce soit Daho, Christophe, même Polnareff, ce sont des artistes qui pour moi sont hyper anglais. Qui vont avoir ce truc pop qui va au-delà du texte. Je trouve qu’en France, après ça change de plus en plus, mais je trouve qu’on a cette culture du texte qui parfois fait que la musique est accessoire ou va accompagner le texte.
Là où chez les anglo-saxons, tu ne vas avoir aucune hiérarchie entre le son, la texture du son… Si tu enregistres sur bandes, si tu fais des trucs un peu fous qui se baladent un peu de gauche à droite, la mélodie, le chant, le choix du micro, j’ai l’impression que tout est au même niveau.
Quand tu écoutes Radiohead par exemple, les derniers disques, The Smile, tu sens qu’ils sont dans un truc où ouais, Thom Yorke chante mais tous les instruments sont importants et ce n’est pas tout sur Thom Yorke, tout sur le texte, c’est vraiment une multitude de choses qui est en France, je trouve, assez rare. On l’a avec Feu Chatterton! par exemple, ou des groupes comme ça.
LFB : Pour rester sur le texte, tu en parlais un peu tout-à-l’heure, c’était déjà le cas dans tes précédents EPs, je trouve qu’il y a une utilisation des pronoms qui est super intéressante sur l’album. Le « je » est très discret et j’ai l’impression que tu caches un peu ton ego dans tes chansons et que tu es plus là en termes de conteur, tu parles plus à des gens qu’à toi-même par moment.
Siau : Ouais, c’est marrant parce que Patrice Demailly de Libé qui a fait ma bio me disait que je n’utilisais pas souvent le « je ». En y repensant, je me suis dit que je l’utilise pas mal, le « je », quand même. Dans Glitch ou Un bug dans mon coeur, il revient assez souvent. Le « je » ou le « tu ». Le « tu » est beaucoup utilisé pour raconter. Brûler la maison, c’est différent, c’est « elle ». C’est hyper rare que j’utilise il ou elle. C’était plus pour raconter une histoire. Sinon, c’est le « tu » et le « je » qui est quasiment tout le temps présent. Après, c’est marrant parce qu’en fait, j’ai l’impression que le pronom n’est pas forcément lié au fait que je parle de moi ou pas. Parfois, je dis « on » pour dire « je », parfois je dis « je » alors que je vais plutôt parler de « tu ». J’ai l’impression que ce n’est pas du tout par ça que je vais définir si ça parle de moi ou non.
LFB : Finalement, quand on se plonge dans ta musique et qu’on regarde bien, on voit que toute ta musique est nourrie de tes histoires à toi. Justement, je me demandais si encore aujourd’hui, le fait d’utiliser « tu », « elle » ou « il », ce n’était pas aussi une manière de te protéger de tes propres histoires par moments ?
Siau : Ouais, protéger ou peut-être les rendre accessibles, écoutables. Je pense que c’est la dernière étape du travail que je fais. Au début, je n’y réfléchis pas trop, j’écris, après je structure un peu, j’essaie avec la mélodie et après je regarde si on comprend un truc. Et là, je change des choses, là il y a tout qui change. Il y a beaucoup de choses qui changent. C’est peut-être aussi pour pouvoir être entendu, compris. Après, moi ce qui me plaît le plus, c’est quand on me dit qu’on a ressenti quelque chose ou qu’on se l’est approprié. Par exemple, j’adore qu’on me dise : « Ouais, elle est trop belle cette chanson d’amour » alors que pour moi, ça n’en est pas une. C’était arrivé, on m’avait dit : « cCest trop ma chanson d’amour et tout », une chanson qui s’appelait De l’inconnu, une chanson que j’avais sortie sur mon premier EP, les gens me disaient que c’était une belle chanson d’amour alors que pour moi, ce n’était pas du tout une chanson d’amour. C’est une chanson d’amitié, de plein de choses, mais pas du tout d’amour. J’adore ça. Pour moi, c’est quelque part l’un des objectifs. C’est que ça puisse être déformé, approprié.
LFB : Il y a un truc très labyrinthique par l’utilisation de l’onirisme, de la métaphore, même s’il y a des choses qui ramènent au quotidien quand tu parles de cocktails, ou même quand tu dis « Est-ce qu’on deviendra fou », mais je trouve qu’il y a aussi cette idée de fou, c’est presque abstrait de dire aux gens : « Oui c’est mon histoire, mais ça peut être la votre aussi et il faut vous approprier mes chansons ».
Siau : C’est vrai que par exemple Brûler la maison, c’est une chanson qui est complètement différente parce qu’elle est très narrative, il y a une histoire, c’est relativement clair comme histoire je pense. J’ai aimé écrire cette chanson mais j’écris assez rarement dans cette forme parce qu’une chanson, en général, tu la chantes beaucoup de fois et chanter tout le temps la même histoire, c’est un truc que je n’aime pas forcément. Au bout d’un moment, ça m’ennuie aussi qu’il n’y ait pas de relief dans la chanson. J’aime bien aussi qu’il y ait des lectures possibles, même pour moi, ça me permet de les réinterpréter et de les apprécier d’un façon différente.
En fait, c’est vrai que la seule chose peut-être à laquelle je me rattache quand je suis un peu perdu quand j’écris, c’est ce truc-là peut-être de cinéma aussi. Souvent, je pense à un personnage dans un film qui aurait une fulgurance et qui se mettrait à dire quelque chose. Ça peut être proche de la comédie musicale, parce que la chanson et le cinéma se rejoignent sur la comédie musicale. Parfois, j’imagine ça. Genre là, on est autour de cette table et tout d’un coup, je chante une chanson et qu’est-ce que je raconte ? A partir de là, tout est possible. Ce que je vais dire peut être très réaliste, comme ça peut être complètement fou tout d’un coup. Parce qu’on a bu des coups et je pars en vrille. Ça, ça m’aide à sortir du truc de : je vais vous raconter une histoire qui va être très claire.
LFB : Dans cet album, tu parles de choses très universelles. Tu parles de rupture, d’amour, de rejet, du manque des autres. Tu parles de tout ça, mais on sent que sur tes titres d’avant, c’était peut être moins nourri par la vie ,j’ai l’impression.
Siau : Ouais. Je pense qu’il y a le réalisme. Enfin, les moments un peu plus clairs. J’aime bien les choses qui ramènent d’un coup au quotidien au milieu de choses qui étaient spatiales deux secondes avant. On parle des étoiles, de quelque chose hyper lointain. Dans Est-ce qu’on deviendra fou, je parle de jus d’orange par exemple. Les mots se mélangent au jus d’orange. Sur mes précédents EPs, j’étais beaucoup plus dans l’onirisme en permanence. Ce qui fait qu’au bout d’un moment, même moi, je ne savais plus trop à quoi me rattacher. Ok, tu imagines des jolies images, des jolies choses, mais concrètement, il me manquait un truc de l’ordre du réel, du terre à terre. Et je pense que c’est ça qui est arrivé dans l’album aussi, d’accorder un peu les deux aspects et de retrouver des moments un peu de quotidien, très simples.
LFB : L’album est un peu plus en chair musicalement, avec de la texture et un coté organique. Ce que tu faisais avant était très électronique et très épuré. Je me demandais comment tu en étais arrivé à cette envie ? L’album, dès la première chanson, on sent qu’il y a quelque chose de très organique, très humain qui se dégage de tout ça.
Siau : Déjà techniquement, c’est un album qui a été joué, qui a été beaucoup plus humain en termes d’enregistrement. On a joué en groupe. On a enregistré des prises dans un studio dans les Landes qui s’appelle le Shorebreaker. On a joué batterie, basse et clavier en même temps, sur quasiment tous les titres. Il y a une énergie live qui est là au départ, sur laquelle on a produit, rajouté des synthés, quelques trucs comme ça. Mais c’est un album qui a été beaucoup plus partagé, où il y a eu aussi le regard de Johannes Buff , l’ingénieur son du studio, qui a une culture beaucoup plus rock, de musique jouée quoi. Jusqu’à présent, j’avais tout enregistré seul, avec que des machines, tout seul chez moi, c’était un vrai travail solitaire.
Donc les deux aspects d’enregistrement sont très différents et ce qui m’a emmené à vouloir ça, c’était assez naturellement je pense cette histoire d’acceptation de tout ce que j’avais fait avant, qui était beaucoup plus organique. Je viens vraiment du piano, je ne connaissais pas les synthés et je les ai découverts au moment où j’ai commencé à chanter sous le nom de Siau. Avant, j’enregistrais vraiment du piano, batterie. C’était vraiment un travail de groupe ce que je faisais avant. Du coup, ça a été je pense motivé par cette réconciliation.
LFB : C’est ce dédoublement qui fait que tu redeviens une personne complète, qui s’accepte totalement, même dans sa musique.
Siau : Je pense que j’ai récupéré ce que j’avais perdu un petit peu en chemin. En même temps, j’ai gardé ce que j’avais trouvé aussi dans cette période plus synthétique. Toutes ces choses-là, on les retrouve dans le disque. Il y a beaucoup de synthés, j’en ai acheté plusieurs pendant la création du disque. J’avais vraiment une idée des sons que je voulais, des sons un peu à la Air, j’écoutais beaucoup Electric Light Orchestra, qui est un groupe des années fin 70, mais qui a commencé à vraiment élaborer des synthés assez planants, Pink Floyd aussi, beaucoup.
LFB : Ça reste aussi très dans cette idée de comédie musicale.
Siau : Ouais, c’est un peu les Queen de l’indé.
LFB : Tu en parlais au début de l’interview. Je trouve qu’il y a une importance notable accordée à la construction mélodique de la basse et de la batterie. On pourrait se dire que c’est assez classique de le faire comme ça, mais c’est vrai que quand on réfléchit à ta musique et à son évolution, je trouve que revenir… Même s’il y a un gros solo de batterie à un moment, même si elles sont assez discrètes, je trouve que toute la structure des morceaux part de ces deux instruments-là à chaque fois.
Siau : Quand j’ai commencé à faire les maquettes, j’ai joué des batteries sur mon clavier. Je ne suis pas batteur. Depuis que je suis petit, je m’amuse à faire des trucs avec le clavier, faire des batteries avec mes doigts. J’enregistrais les batteries comme ça et c’est un instrument que j’adore, c’est complètement fou. Tu fais des breaks. C’est un instrument qui est un peu exutoire. Et du coup, j’enregistre mes trucs et comme je suis un faux calme, c’est-à-dire qu’on a l’impression que je suis calme alors qu’à l’intérieur je suis totalement hyperactif. Donc je tape mon truc et je n’arrive pas à tenir trois minutes en faisant la même chose. Donc je mettais toutes les trois secondes un break. Et ce truc-là des breaks, je l’ai un petit peu enlevé au fur et à mesure en me disant que c’était too much. Il y en avait partout et en même temps, ça a donné une couleur. Il y a eu deux batteur.se.s : Swanny qui m’accompagne sur scène, et Félix, qui ont joué sur le disque. J’envoyais aux deux mes parties de batterie de base et ils me disaient que ce n’était pas du tout un truc de batteur. Même au niveau synchronicité, c’était absurde. Et en même temps, ils trouvaient ça intéressant parce que ça les emmenait dans un truc qui n’était pas forcément classique, et je pense que c’est ça. Il y a aussi eu un espèce de truc un peu naïf dans ma façon de travailler. Pareil, les basses je les faisais au clavier avec un espèce de son de basse un peu pourri. L’espèce de discussion entre la basse et la batterie, c’était un truc qui était un peu naïf et pas très scolaire dans ma façon de travailler. Et du coup, on l’a retrouvé avec un peu plus de structure quand même quand ça a été joué en studio. Mais on a retrouvé, je pense ,ce truc un peu décousu.
LFB : Avec des fulgurances de synthétiseurs, des choses comme ça autour qui te ressemblent.
Siau : Je pense que moi je m’y reconnais au niveau de ma personnalité. Il y a ce truc en moi, je sens que je suis quelqu’un d’assez calme, assez bien élevé mais en même temps, j’ai un truc un peu barré par moments. Ce truc-là, c’est quelque chose dans ma musique que je retrouve aussi dans l’envie d’avoir des moments de surprise, harmoniques aussi. Un accord que tu n’attends pas forcément, qui va un peu te tendre et ensuite revenir sur quelque chose d’hyper doux. Ça m’intéresse beaucoup d’aller explorer toute cette gamme-là d’émotions.
LFB : Ce côté collectif et beaucoup plus organique a eu aussi beaucoup d’effets sur la façon dont tu chantes et sur la façon dont tu utilises ta voix sur l’album par rapport à avant.
Siau : Ça a beaucoup changé, ouais.
LFB : Il y a un truc parfois plus murmuré, qui surprend parce que tu as toujours ces envolées lyriques qui arrivent à certains moments. Je trouve que tu utilises ta voix de manière très différente par rapport à tes EPs.
Siau : Les EPs, j’étais beaucoup en voix de tête. Quasiment tout le temps. Pour moi, ça revient un peu toujours au même truc, mais chanter avec ma voix parlée, c’était un truc de chanson française quoi. Je ne voulais pas aller là-dedans et faire comme les Anglais, c’est-à-dire où tu chantes toujours aigu. Enfin, les anglais chantent souvent plus aigu parce que la langue anglaise est plus aiguë, ils parlent plus aigu aussi. Du coup, moi je ne voulais absolument pas être Français, tout en chantant français, mais c’était tellement une quête qu’à un moment je me suis rendu compte que c’était absurde, parce que ça devenait une contrainte.
Justement, si j’avais envie d’être plus dans une culture anglo-saxonne, il fallait plutôt se libérer. C’est-à-dire arrêter de se dire : « Est-ce que ça fait trop ci, est-ce que ça fait trop ça ? » mais plutôt se dire qu’en fait je m’en fous, ça fera ce que ça fait. Là, j’ai envie de chanter avec ma voix parlée. Je pense que le prochain disque que je ferai, il est possible que je parle par moments,. J’ai commencé à faire des maquettes où je parle, où je prends la parole comme si je faisais un slam alors qu’il y a quelques années, ça m’aurait semblé complètement horrible d’imaginer faire ça. Mais du coup, c’est ça, je pense que ça a été cette volonté de retrouver quelque chose de plus simple, plus naturel. Chanter avec ma voix normale.
LFB : Ça va paraître négatif mais il y a peut-être moins d’esbroufe. Je trouve que la façon dont tu chantes chaque morceau, il y a quand même des variations, des allers/retours et surtout, ça colle beaucoup plus aux émotions de ce que tu racontes dans les morceaux. Peut-être aussi parce que c’est plus personnel au final, mais je trouve que la voix colle plus aux sentiments que tu veux apporter dans le morceau.
Siau : Oui, je pense que c’est aussi parce qu’il y a ce retour à quelque chose de plus sobre, de plus naturel, de plus direct. Et je pense qu’il y a quelque chose qui s’est décomplexé un peu parce qu’au début de l’album, j’ai fêté mes 30 ans. Ça a été une petite crise existentielle. Séparation. Après toute une partie de vingt ans où j’étais en couple avec cette personne. Je me sépare, je me retrouve à 30 ans et là, je pense que je me dis aussi : « Vas-y, je m’en fous, je dis les choses telles que j’ai envie de les dire ». Je ne vais plus forcément essayer de bien faire. Je ne vais plus essayer de faire quelque chose de beau mais, je vais essayer de trouver quelque chose qui va me faire vibrer.
Et si ça me fait vibrer en chantant très grave, tu vois sur Est ce qu’on deviendra fou, au début je me rappelle que j’ai fait écouter à Thelma, ma copine, elle était très speed à cette époque. Parfois, elle passait dans l’appart, elle n’était plus là, elle revenait. D’ailleurs, elle a nourri la chanson avec ce côté un peu « où es-tu ? ». Je pense qu’elle a involontairement inspiré la chanson. Quand je l’ai faite écouter, je pense que je suais, je tremblais tellement j’étais là en mode : « Putain, je vais faire écouter une chanson que je chante dans ma voix grave ». Ça ne m’était jamais arrivé. Je lui ai fait écouter en me demandant pourquoi je lui faisais écouter et en me disant qu’elle allait se foutre de ma gueule. Vraiment, j’étais convaincu qu’elle allait dire : « Pourquoi tu fais ça ? Tu te prends pour Benjamin Biolay ? » ou un truc comme ça, alors qu’elle n’est pas du tout comme ça.
En fait, quand je l’ai mis, elle m’a dit qu’elle adorait et que c’était la meilleure chanson que j’avais faite. Et ça, je pense que ça m’a aussi vachement conforté dans l’idée que c’était possible de chanter grave, aigu. Tu as une voix, tu t’en sers comme un instrument en fait.
LFB : Si tu as la possibilité d’utiliser plusieurs textures, ça nourrit aussi ta musique.
Siau : Oui. Tout ça, c’est toi, c’est ton spectre. On est jamais content de ce qu’on a, mais j’ai la sensation que si on assume ce qu’on a bien, qu’on l’utilise à bon escient, ça va forcément être intéressant. Je pense qu’au début, j’assumais pas. J’ai toujours cru que j’allais avoir une voix super aigue. Quand j’étais ado, je pensais que j’allais avoir une voix à la Beach Boys ou à la Freddy Mercury. J’imaginais des mélodies comme ça en fait, qui se baladent de malade. Ça a été dur pour moi de me dire que je n’étais pas un immense chanteur en termes de technique, mais si je fais en sorte de bien utiliser ma voix, ça peut être vraiment cool. Ça, ça a été bien de l’accepter aussi.
LFB : On reste sur cette idée de réconciliation finalement. Est-ce que t’es sorti apaisé de la création de cet album ?
Siau : Ouais, complètement. Ça m’a fait du bien. Quoiqu’il arrive, c’est un disque… Je suis hyper heureux et il est hyper important dans ma construction en tant qu’humain ou en tant que personne, avant même de savoir si ça va permettre de jouer ou être entendu. Ce que je souhaite évidemment. Mais avant toute chose, je sens que quand c’est sorti, jai juste senti avoir avancé dans mes questionnements d’humain.
LFB : Puisque tu en parles, comment tu le vois vivre sur cette scène, cet album ? Est-ce que t’as envie d’avoir un groupe ?
Siau : Ouais, j’ai un groupe sur scène. On a un live qui est bien préparé parce qu’on avait fait beaucoup de résidences. On a un live en trio : Swanny à la batterie/choeur et Antoine à la basse, qui fait des chœurs aussi, des synthés. Moi, je fais du synthé et je chante. Là, j’ai aussi fait une première partie où j’étais en solo, beaucoup plus clavier/voix comme je vais faire ce soir, avec quelques sons de mellotron … Mais je suis vraiment plus dans un truc de chanter les chansons, les livrer, qu’on entende bien la voix, qu’on entende bien les chansons.
LFB : Ça te permet aussi de faire deux propositions différentes au final.
Siau : Oui. En groupe, il y a une dimension orchestrale qui par moments va plus loin. On pousse le truc très fort. Et on a vraiment travaillé sur des nuances assez extrêmes. Il y a aussi des moments solo dans le live en groupe. En solo, c’est hyper intime, ultra intime.
LFB : Très chanson.
Siau : Ouais, très chanson mais en même temps, il y a un côté assez onirique. En solo, je me suis dit que j’avais pas envie de repartir avec des machines comme je faisais avant. Parce qu’avant, je chantais en solo avec des machines et tout ça. J’ai plus envie d’assumer un truc qui est l’extrême de l’intimiste. Dans les deux cas, il y a la volonté de pas être entre deux choses.
LFB : L’album vient de sortir. Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour le futur ?
Siau : J’espère qu’il sera écouté évidemment, qu’il va beaucoup circuler, voyager. J’espère qu’on va beaucoup, beaucoup jouer en fait. J’ai hyper envie de faire des concerts parce que j’adore ça. Je me rends compte, là j’ai fait une première partie au Trianon de Wolf Alice il y a quelques jours. Je me suis rendu compte que sur scène, j’étais bien, je me sentais vraiment à ma place et c’est un endroit qui est important pour moi. Pas que je l’avais oublié mais là, c’était vraiment évident qu’il fallait que j’y sois et que j’y retourne le plus souvent possible. Donc je pense que la chose la plus importante que je souhaite à ce disque, c’est de permettre qu’on voyage aussi en live.
LFB : Est-ce que t’as des coups de coeur culturels récents à partager avec nous ?
Siau : Très bonne question. En ce moment, j’ai le temps de rien. En lecture, j’ai lu un gros best-seller de Sally Rooney, Normal People, que j’ai adoré. Je l’ai vraiment adoré et j’ai acheté un autre de ses romans qui s’appelle Conversation entre amis. Je crois que c’est le premier. J’ai vachement aimé parce que c’est une écriture qui est hyper actuelle. Elle est née en 91 ou 92 je crois. Moi je suis né en 88. Vu qu’elle parle des années lycée et tout, genre vraiment c’est hyper générationnel, ça me parle vraiment. Ça m’a même donné envie d’écrire des nouvelles, alors que je ne suis pas du tout dans l’écriture en prose. Ça m’a vraiment beaucoup plu.
Sinon, j’ai vu une série incroyable, Modern Love. C’est des histoires vraies qui proviennent du New York Times. Ça ne se suit pas. C’est comme des courts-métrages. C’est sur Prime. Le réalisateur fait des films assez musicaux en général. Il avait fait un film qui s’appelle Once, sur l’histoire d’un guitariste qui fait la manche et qui rencontre une fille. C’est une espèce d’histoire d’amour mais très beau film. Il avait fait un autre film de musique : Sing Street. C’est un groupe qui se monte dans les années 80.