Il y a de cela dix ans, l’éternel Alain Bashung nous quittait. Il laissera derrière lui son dernier souffle : à la fois inspirateur et créateur pour une lignée d’artiste. En hommage, nous avons demandé à certains musiciens de la nouvelle scène française de témoigner sur le chanteur. Pour poursuivre cette série, le rappeur Tomasi ainsi qu’une des têtes pensantes du duo 2PanHeads invoquent le chanteur tel un souvenir d’enfance.
2PanHeads
“Comme beaucoup de ceux de ma génération, ça a commencé par Fantaisie militaire, dans la voiture d’un parent sur la route de l’école. Moi j’y entendais des hymnes, en tout cas ça semblait être de la grande chanson, et s’il fallait m’attarder sur le sens profond de tous ces mots mis bout à bout, c’est clair que je n’y comprenais rien.
Mais ces guirlandes de sons tressées par cette voix caverneuse, ça, ça semblait clair, y’avait pas à l’expliquer. Comme si au final, y’avait quelque chose qui dépassait l’importance du sens, une vibration tenue sur une syllabe belle et bien déterminée semblait avoir au moins autant d’impact qu’un mot clairement défini. Le son de cette voix invoquait en lui-même une idée, un concept, une énergie filée par une orchestration qui emportait tout sur son passage. Ça, ça reste à vie. Et puis ça a continué avec une nuance Bleu Pétrole, j’sais pa’ pa’ pa’, véééénuss’, je tuerai la pianiste. C’était une belle claque ça, et pas qu’à coups de syntaxes, mais surtout de sonorités. L’interprète d’un texte est un grand artiste, ça c’est clair.
Du coup quand on a goûté à ça plus jeune, on y retourne plus tard pour entendre ce qu’on a manqué. Pizza. Un gros rock français qui s’impose comme un anti-premier degré, comme si l’énergie d’un registre musical devenait figure de style, ça en devient cynique, l’humour détrône le pathos et ca nous emmène ailleurs. Nous on écrit des conneries en anglais, et ça me semble important ça, la connerie, car elle sait rester profonde, ça peut être une figure de style ça aussi. Mais surtout, le point de départ émane d’un son qui résonne, qui s’enchaîne avec d’autres, et un univers se façonne, comme le tout petit big bang d’un petit bar de quartier.”
Tomasi
“Quand j’ai eu 15 ans, de passage chez mes grands parents, j’ai récupéré la collection de vinyles familiale. Dans le lot il y avait du Bob Marley, le white album des Beatles et Electric Ladyland d’Hendrix. Mais c’est Roulette Russe de Bashung qui m’a le plus marqué. D’abord cette pochette dont le décor me faisait étrangement penser à ma chambre, chez mes parents mais surtout les titres de chanson : Je fume pour oublier que tu bois, Pas question que j’perde le feeling, Milliards de nuit dans le frigo entre autres, m’ont fait me dire que c’est cet album que j’allais écouter en premier.
Et je n’ai pas été déçu !
Les textes de Bergman, et le phrasé si caractéristique de notre Alain m’ont tout de suite attrapé et ne m’ont plus jamais lâché.
Alors depuis je fume pour oublier qu’il est mort, je fais comme chez moi.”
Illustrations réalisées par Camille Scali.
Photo de couverture : montage réalisé d’après une photographie de Catherine Faux (SIPA).