Spill tab: « Même dans les meilleurs moments de ma carrière, j’ai du mal à vivre pleinement et à me détendre »

Spill tab, c’est le nom d’une artiste qui semble porter en elle mille vies. Un mélange d’origines, d’influences et d’expériences personnelles qui donne naissance à une pop hybride, affranchie des codes, mise à l’honneur dans un premier album intitulé ANGIE. Inclassable, spill tab s’éloigne de l’image de la bedroom pop du confinement qui l’a fait connaitre avec un projet surprenant qui se démarque par ses productions et ses effets de voix.

Après une première interview en 2021, on la retrouve dans les bureaux parisiens de son label, après une traversée de la ville à pied, sa carte SIM française lui ayant joué des tours. Face à nous, une jeune femme chaleureuse et naturellement à l’aise, prête à nous partager un bout de la création de son nouveau 12 titres, dont chaque morceau est une (belle) surprise.

crédit : Laura Tonini-Bossi @ tcedrvm

LFB : J’aimerais qu’on commence par parler de tes productions, car c’est vraiment ce qui m’a frappée en écoutant l’album. Même si tu collabores avec d’autres personnes, tu gardes la main sur l’ensemble des prods. Est-ce que tu sais dès le départ où tu veux aller quand tu entames un morceau, ou est-ce que tu te laisses guider par l’instant, par l’improvisation ? Est-ce qu’il t’arrive de partir avec une idée précise de sonorité en tête, ou est-ce que tu préfères voir ce qui émerge naturellement ?

spill tab : Je pense que c’est un peu des deux. Il y a des journées où j’arrive et j’ai vraiment un truc en tête que je voudrais essayer. By Design c’était un peu ça, c’est parti d’une chanson que j’aime beaucoup d’Alex G, qui est une chanson qui est très agressive et assez en dents de scie. Les personnes avec qui j’ai collaboré sur l’album sont tous super forts en prod mais sont aussi des super bons musiciens. Donc on fait des jams au départ avec de la basse, de la batterie ou de la guitare et on crée des petites vibes comme ça.

LFB : Ce que je trouve intéressant dans tes morceaux c’est qu’à des moments, il y a des switches. Le début est différent de la fin. Est-ce qu’il y a une intention de peut-être proposer deux morceaux en un ou juste de montrer la même émotion d’une manière différente, par exemple ?

spill tab : En vrai, ça dépend de la chanson aussi. Je pense que Pink Lemonade, c’était plutôt que je voulais créer une sorte de son qui se répétait. C’est un peu comme un mantra. Et qu’à la fin, ça se dénoue totalement en trucs un petit peu plus loose et plus funky, si c’est le bon mot. Pour By Design c’était que la mélodie je l’adorais tellement que je voulais la recontextualiser avec des nouveaux accords et une nouvelle instrumentation. Donc c’était ce rapport-là entre la mélodie et les accords que je voulais explorer un peu plus. Et pour De Guerre, c’était un son un petit peu plus hyperpop, parce que la chanson au début c’est plus noise/garage mais ça donnait une base superbe pour créer plus de sons un peu plus glitchy et hyperpop.

LFB : Comment ça se retranscrit après de travailler avec d’autres personnes sur scène ?

spill tab : Ce que je trouve assez cool avec mon groupe sur scène, c’est que les morceaux viennent de personnes différentes, donc chacun·e a sa façon de jouer : la batterie, la guitare, tout sonne un peu autrement selon qui les a créés. Ce qui est fort, c’est qu’ils arrivent à intégrer toutes ces variations et à les rejouer en live. Ils interprètent en quelque sorte plusieurs approches d’un même instrument. Du coup, ça ne pose pas vraiment de problème sur scène, c’est juste que ça demande un peu plus de temps pour tout apprendre.

LFB : Est-ce que tu as des producteurs de musique qui t’inspirent particulièrement ? Même dans d’autres styles différents du tien ?

spill tab : Je trouve que Saya Gray est incroyable. BJ Burton aussi, qui travaille avec Bon Iver. Et puis il y a Spirit of the Beehive, un groupe de Philadelphie qui fait des sons super excentriques. Je ne sais pas qui produit leur musique, mais en tout cas, l’identité du groupe est vraiment marquante. J’ai rencontré pas mal de producteurs qui m’ont influencé et ce que je remarque, c’est que tout repose sur une dynamique très particulière entre deux personnes. Tu ne peux pas simplement recréer ce lien en collaborant avec le même producteur. Même quand un·e producteur·rice sort un projet de son côté, le résultat est complètement différent. Ce que tu crées à deux, c’est vraiment unique, impossible à reproduire. Et je trouve ça très fort.

Dans le monde de la musique pop à Los Angeles, il y a beaucoup cette volonté de faire appel à des producteurs parce qu’ils ont fait un grand album avec un grand artiste. Il y a toujours ces conversations-là et je trouve ça malsain. En vrai, tu ne trouveras jamais un hit juste parce que tu embauches quelqu’un qui a fait un hit avec quelqu’un d’autre. C’est pas vraiment possible de recréer quelque chose qui a marché avec une personne différente.

LFB : Tu entretiens quel type de lien avec tes producteurs ?

spill tab : On est très proche. C’est important parce que de un, on passe beaucoup de temps ensemble dans une pièce Et aussi, financièrement, je n’ai pas envie de donner de l’argent à n’importe qui. C’est super important pour moi de travailler avec des gens dont je sais qu’ils sont de bonnes personnes parce que j’ai pu créer un lien avec eux avant.

LFB : Est-ce que tu es du style à avoir des dizaines de versions de tes chansons ou tu arrives à rester sur la version originale ?

spill tab : Je ne sais pas si c’est productif de reproduire une chanson sept fois. Parce que je pense que la plupart du temps, pas tout le temps, parce qu’il y a gens qui font ça et ça marche, mais pour nous, si l’âme de la chanson n’est pas là du premier jour, ça ne sera jamais là. C’est mieux de trouver vraiment la grande idée le premier jour que d’essayer de la trouver encore et encore. En plus ça ne donne pas trop envie à la fin de reproduire la chanson d’une nouvelle manière quand on l’a écouté dix mille fois. J’avoue que si c’est une chanson qui a été écrite acoustiquement ça vaut le coup parce qu’en vrai les instruments, pour moi, ça influence beaucoup la façon dont j’écris.

Par exemple, Cotton Candy, c’était ça. Je l’avais écrite avant qu’on la produise. On a essayé plein de trucs pour que la prod soit au service de la chanson et pas dans l’autre sens. Des fois ça a du sens mais je pense que pour les sons que je fais qui sont créés en duo avec la prod c’est mieux de juste trouver cette âme du début.

LFB : Dans ce projet et dans d’autres morceaux de ta discographie, on retrouve le chant lexical du corps, et pas forcément que de la sexualité même si ça en fait évidemment partie. Est-ce que tu as un lien particulier avec ça ? Est-ce que tu es une personne qui accorde beaucoup d’importance à être ancrée physiquement ? 

spill tab: L’album parle beaucoup d’amour, de perte et de deuil. Toutes ces choses, je les sens beaucoup dans le corps. Je suis quelqu’un qui porte beaucoup de stress dans mon corps. Comme je n’explose pas beaucoup, je ne suis pas trop dans les côtés colère ou agression. J’internalise et je le sens beaucoup dans mon corps et quand j’écris c’est aussi le côté tactile des émotions. Pour moi c’est super intéressant, comment les émotions se retrouvent dans nos corps parce que c’est différent à chaque fois.

LFB : C’est un album qui parle beaucoup d’amour, mais ce n’est pas des chansons de ruptures ni idylliques. Je trouve que c’est un peu cet entre-deux aigre-doux parfois de désir, de manque, de yearning. C’est une émotion pour toi particulièrement intéressante à travailler ?

spill tab : C’est juste la manière dont je suis. J’ai toujours en tête les pour et les contre. J’ai l’impression que chaque fois qu’on perd quelqu’un, ou que quelque chose se désagrège, il en ressort toujours une forme d’apprentissage, que ce soit sur soi-même ou sur ce qu’on vient de traverser. Donc il y a toujours du positif qui vient de ça. Il y a du négatif dans ça aussi, quand on tombe amoureux on se perd un peu, il y a toujours les deux côtés de chaque situation. Pour moi tout est nuancé. Tout n’est pas noir ou blanc.

Quand j’ai commencé l’album, je voyais quelqu’un et nous nous sommes séparés, puis j’ai vu quelqu’un d’autre pendant longtemps et nous avons rompu ensuite, et je me suis mise en couple après. Il y a plein d’histoires dans tout ça donc je pense que ça couvre plein de sentiments. Tout est une chanson d’amour, mais ce n’est pas que les amours romantiques… ça parle du familial, de l’amitié.

LFB : Concernant la pochette de l’album, ça change un peu de ce que tu as pu faire auparavant. Comment est-ce que tu as pensé ça ?

spill tab : C’est une peinture qui a été faite par ma copine Alex Risk. Elle est dans notre groupe d’amis donc je vois ses peintures depuis longtemps et j’ai toujours aimé la façon dont elle peint les gens. Il y a toujours un côté un peu étrange, c’est pas totalement sain, il y a un truc bizarre avec les visages et les yeux et j’ai toujours adoré ça. J’aime bien qu’elle utilise les couleurs non traditionnelles pour la couleur de la peau, ça fait un peu comme si la personne était malade.

Ça représente bien les tons et les textures de l’album, qui ne sont pas non plus dans un truc infiniment expérimental mais on retrouve des détails qui sont assez bizarres et des textures qui sont plus distordues ou psychédéliques. Je trouvais déjà que c’était un beau mariage entre son style de peinture et la musique. Elle maîtrise aussi Photoshop donc pour elle, elle crée ses compositions comme une photo d’abord. Elle manipule la photo et de ça, elle peint.

On a ajouté plein de easter eggs de l’album, chaque chanson a une référence sur la cover. J’ai voulu que ça soit une énergie très vivante et busy.

LFB : On retrouve souvent l’image du poisson dans ton esthétique, comme ici sur la pochette. Qu’est-ce qu’il représente pour toi ?

spill tab : Je trouve ça trop mignon. J’ai un tatouage que j’ai fait il y a trois ans, donc c’est bien avant que j’aie commencé l’album. Mais spécifiquement sur l’album, c’est une espèce de saumon qui est né en haut du courant et qui descend avec le courant quand il grandit. Vers la fin de sa vie, il remonte le courant. Ils pondent leurs œufs en haut et puis ils meurent à cause de la fatigue due au courant. C’est ce cycle où ils passent tout leur temps. C’est un peu ce cycle de la vie et je trouve que l’album parle beaucoup de cycles. Il y a tellement de répétitions dans les événements de la vie mais aussi dans les systèmes de digestion des émotions. Je trouve ça super poétique et tout simplement aussi parce que j’adore les poissons, je trouve ça super cool.

LFB : Angie est à la fois le titre de ton album et celui d’une de tes chansons. Est-ce que ce choix de titre s’est imposé naturellement ?

spill tab : Ça vient de la chanson du même nom et cette chanson parle un peu d’une phase de ma vie où j’allais pas très bien. J’aimais pas la musique que je faisais. Je faisais beaucoup de sessions et je me perdais un peu et j’étais très très critique envers moi-même. J’étais juste dans le négatif complet. C’est à ce moment-là que j’ai écrit Pink Lemonade. Et je me souviens le jour même je pensais que ce que j’avais écrit c’était de la merde, je n’aimais pas. Angie je l’ai écrit quand je ressortais de cette phase là et c’est un peu une chanson qui parle d’accepter cette vision là parce que ça fait partie de moi et de ne pas être aussi dur avec moi-même.

Pink Lemonade et Angie sont les deux piliers de l’album et parlent beaucoup au concept de la production entre le digital et l’organique et puis il y a cette conversation, les allers-retours entre les deux. C’est cool qu’en fait ces deux chansons aient été écrites dans deux phases très différentes de ma vie mais les mêmes thèmes sont là. Il y a une identité, même si on ne la voit pas, dans nos créations et dans nos personnalités.

LFB : Est-ce que tu t’es mis en album mode ? Ou est-ce que c’est plus des morceaux qui ont été piochés il y a quelques années, ensuite des nouveaux et tu as fait ton mélange ?

spill tab : Au début, c’était trois, quatre chansons que j’aimais beaucoup et que je voulais sortir. Je savais qu’elles étaient très spéciales pour moi et que de juste en faire un EP, ça ne marchait pas dans ma tête. Donc j’ai commencé avec ces quatre-là, je pense que c’était Hold Me aussi qui était sur ce lien-là mais après ça on a commencé à un peu piocher dans le passé. L’interlude c’est une chanson que j’ai commencé avec David il y a 5 ans et on a rajouté des violons par-dessus en live, on a rajouté un moog synthesizer. Il y a des chansons comme Adore Me qu’on a commencé il y a un an et demi. L’idée, c’était de rassembler les anciens morceaux et les nouveaux autour de sons qui viennent compléter et donner une cohérence au concept de l’album.

LFB : Dans ta carrière, tu as collaboré à plusieurs reprises avec d’autres artistes. Ton album ne contient aucun featuring, c’était une décision volontaire de le proposer entièrement en solo, ou ça s’est fait comme ça ?

spill tab : Je pense que, sur cet album, c’était surtout des morceaux que j’aimais particulièrement. Et il y avait des petites discussions ici et là pour trouver des features mais je ne sais pas, finalement on a pas trop forcé non plus. J’ai toujours détesté écrire les deuxièmes couplets donc souvent si je n’en avais pas, je proposais à d’autres artistes de poser dessus. Sur cet album, c’est des chansons que j’adore tellement qu’il y avait toujours déjà un deuxième couplet et du coup il n’y avait pas trop de pression de trouver quelqu’un d’autre.

LFB : Je voulais qu’on parle de De Guerre aussi, parce que je trouve que c’est un morceau qui est un peu différent du reste de l’album surtout dans le thème que tu évoques. À quel moment tu as pu ressentir ce genre de sentiment que tu as voulu exprimer dans ce morceau ?

spill tab : Cette chanson parle un peu de sortir faire la fête et d’y aller fort. De ne pas se préoccuper du regard des autres et de passer un bon moment, c’est plus une énergie de libération que de la rage pure et dure.

LFB : As-tu des anecdotes sur la création de l’album que tu aimes bien raconter ?

spill tab : Il y avait tellement de bonnes journées, des journées pas aussi cool non plus, parce qu’il y avait des jours où on refaisait tous les vocals et où on passait 10 heures dans une chambre enfermée, donc c’était un peu chaud. Pour Pink Limonade on était quatre dans la chambre et c’était une énergie folle. C’est une bonne ambiance et ça a créé une chanson qui a un peu le vibe de cette journée-là.

LFB : Est-ce que t’as déjà eu des sortes de butterfly moments dans ta carrière ? Une action où tu t’es dit que c’était anecdotique et en fait, ça t’a fait rencontrer quelqu’un ou ça t’a ouvert des portes et au final, ça a donné quelque chose de plus important que tu ne le pensais à la base ?

spill tab : Je pense que c’était surtout au début… Quand j’ai fini la fac j’étais en stage et je pensais aller travailler pour eux après. J’ai pris des vacances d’un mois en Thaïlande et à Bali et pendant ce temps-là ils ont trouvé quelqu’un d’autre à embaucher à ma place. Donc j’ai perdu le job et j’étais à Los Angeles sans boulot.

Et c’est marrant parce que, par un enchaînement un peu improbable, c’est un pote à moi, que j’avais rencontré via un autre pote de NYU, dont le cousin faisait le tour management pour Gus Dapperton qui m’a donné une opportunité. Leur personne en charge du merch avait lâché l’affaire au dernier moment, genre deux semaines avant le début de la tournée. Du coup, ils cherchaient quelqu’un en urgence. On s’est appelés et ils m’ont pris direct. Je me suis dit que ce serait un bon plan quoi qu’il arrive, au moins pour être payée. Mais au final, on est tous devenus super proches. 

LFB : Si tu avais poursuivi une carrière dans le secteur corporate de l’industrie musicale, vers quoi penses-tu que tu te serais orientée ?

spill tab : J’aurais sans doute fait un truc lié à la tournée, du tour management ou du merch management, un truc comme ça.

LFB : J’ai l’impression que tu n’es pas la seule à avoir un parcours comme ça, où tu passes des deux côtés de l’industrie, mais peu en parle.

spill tab : Quand t’es aussi artiste, c’est pas vraiment tabou, mais je sais pas, il y a une espèce de perception un peu bizarre. C’est pas toujours bien vu. Parfois, les gens se disent que si t’as bossé du côté business de l’industrie musicale, alors t’es un peu un traître. Comme si t’étais pas un vrai artiste juste parce que t’as déjà mis les pieds dans un bâtiment de label. 

LFB : Tu as commencé ta carrière en étant indépendante, ensuite tu as signé dans un label avant d’en changer. Ça c’est passé comment pour toi ?

spill tab : Dans le premier label avec lequel j’ai signé, il y avait 2 ou 3 chansons qui n’étaient pas sorties donc ils savaient ce que les prochaines releases allaient être, mais rien au-delà de ça. Je pense qu’après ces chansons, il est devenu de plus en plus clair que nous avions différents goûts. A la fin de cette relation, c’était juste très évident que nous n’étions pas le bon équilibre l’un pour l’autre. Je savais que la prochaine chose que je voulais faire, c’était un album. J’ai juste pris la décision de ne pas signer avant de le faire, de ne pas du tout devoir en parler niveau créatif et de trouver ensuite un partenaire qui comprenait ce que j’avais à proposer, une fois le travail fini.

LFB : As-tu l’impression que, côté réception, ton public américain accroche à tes chansons en français ? Est-ce que tu ressens parfois une sorte de barrière quand tu veux promouvoir ta musique auprès d’audiences aussi différentes ? Ou au contraire, tu trouves que ça s’équilibre bien ?

spill tab : Je trouve que ça va. C’est marrant, parce que même hier, j’ai chanté un morceau en français et j’ai eu ce moment de « ah oui, en fait vous comprenez ». J’ai tellement l’habitude que, quand je chante en français, les gens ne captent pas les paroles… Et là, tout à coup, si. C’est trop bizarre mais super cool aussi. Parce qu’en France, il y a beaucoup de gens qui parlent anglais, souvent très bien, donc il y a cette dualité qui n’existe pas vraiment par rapport aux États-Unis. Du coup, pouvoir jouer avec les deux langues, c’est vraiment agréable.

LFB : Quand tu as commencé à sortir tes sons, il y a eu quand même un engouement assez rapidement autour de toi et tu étais souvent décrite comme « la prochaine », « Up Next« , « The Artist to Watch« , etc. Comment te sentais-tu à l’époque ? Et maintenant avec le recul ? Comment est-ce que tu vois ces termes ?

spill tab : Je pense que quand tout a commencé à vraiment bouger, c’était une période assez étrange parce que j’étais en plein stress. Les six premiers mois où tout montait, où il y avait cette ascension, c’étaient aussi les six mois pendant lesquels on négociait tous les contrats pour potentiellement signer avec un label. Et comme je viens d’un parcours en business que j’ai étudié pendant quatre ans, j’avais constamment en tête toutes les mises en garde qu’on entend dans ce milieu. Ça tournait en boucle. J’étais sous pression en permanence, je ne dormais pas, je faisais des cauchemars toutes les nuits. Franchement, j’étais au plus mal pendant six mois, je suis même tombée malade et ça a duré deux ans.

Du coup, je n’ai même pas vraiment eu l’occasion d’être excitée ou de profiter de ce qui se passait. C’était super bizarre, parce que je savais que c’était incroyable, que mes rêves se réalisaient… mais en même temps, physiquement et mentalement, j’étais à bout.

Et une fois que j’ai signé, tout s’est accéléré d’un coup. J’ai tendance à toujours imaginer le pire scénario possible, même quand tout va bien. Du coup, même dans les meilleurs moments de ma carrière, j’ai du mal à vraiment les vivre pleinement et à me détendre. 

Avec le recul, c’est marrant… Je repense à tout ça et je me dis « Mais si j’avais eu un peu plus de maturité à l’époque, j’aurais peut-être réussi à simplement apprécier ce qui m’arrivait. » C’est fou comme ça peut prendre du temps, à l’âge adulte, de vraiment apprendre à se connaître. Que ce soit par la thérapie ou à travers l’écriture ou peu importe… juste arriver à être bien, à être reconnaissante. C’est super difficile, en réalité.

Je continue de travailler là-dessus mais je sens déjà que j’ai progressé. Et aujourd’hui, je vois bien que ce n’est pas aussi grave que je le croyais. À 23 ou 24 ans, j’avais vraiment l’impression que chaque décision, chaque moment, c’était la vie ou la mort. Et en tant que fille de deux parents immigrés, la musique, ce n’était même pas une option envisageable. C’était médecin, avocat, un métier sûr, qui permet de subvenir aux besoins. On n’avait pas le luxe de rêver. Donc c’était une pression en plus, forcément. Mais aujourd’hui, il faut juste essayer d’avoir confiance. Que ce soit d’un point de vue spirituel ou religieux, pas pour moi, mais pour d’autres peut-être, avoir foi en l’univers, croire qu’on va s’en sortir. 

LFB : Tes parents avaient quel regard sur ça quand tu as commencé à faire de la musique ? Est-ce qu’ils étaient un peu inquiets pour toi, vu qu’ils viennent de ce milieu ?

spill tab : Mon père est décédé il y a un moment déjà mais il était vraiment passionné de musique, c’était un vrai musicien dans l’âme. À l’époque, mes parents avaient même acheté un studio, juste avant la récession de 2009. Ils avaient fait un emprunt énorme auprès de la banque. Pendant un ou deux ans, ils ont réellement pu vivre ce qu’on pourrait appeler leur « American Dream ». Mais après la crise, tout s’est effondré.

Et c’est particulier, parce qu’on pourrait croire que des parents qui viennent de milieux créatifs comprennent un peu mieux que c’est possible de vivre de son art. Mais je pense que justement à cause de leur parcours instable et difficile, ma mère était très réticente. Elle m’a dit très clairement : « Si tu veux faire de la musique, fais-le à côté, mais pas à la fac. » Alors j’ai choisi de faire des études en music business, un compromis entre la passion et quelque chose de plus “sérieux”. Et même quand j’ai signé mon premier contrat, elle n’en revenait pas. Elle m’a dit : « Attends, tu gagnes de l’argent avec ça ? » Et j’étais là : « Oui, on peut vraiment en vivre ! » Il lui a fallu un peu de temps pour comprendre que c’était possible… et que ça pouvait vraiment marcher.

LFB : Pour toi, réussir, c’est quoi ?

spill tab : C’est une bonne question, parce que ça change toujours. Vraiment, chaque année, j’en apprends un peu plus sur ce que ça veut dire d’être très successful. J’ai des amis, des amis d’amis, qui sont très connus et pourtant ils ne sont pas heureux. Donc je ne sais pas si c’est ça l’objectif pour moi. Ce serait juste bien de pouvoir payer mon loyer, prendre soin de ma mère, avoir un chien, un·e partenaire, une maison. Vraiment les bases. Mais en Amérique, c’est compliqué. Juste ne pas avoir de stress financier, ce serait cool. Et pouvoir créer ma musique sans compromis.

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