Quatre ans après Musique de Supermarché, Stav passe le pas du premier album solo. Ca s’appelle Contretemps et c’est un bel album de pop qui marque beaucoup d’avancées et de changements dans la musique de l’angevin. Un album qui mérite du temps et c’est ce qu’on a fait avec Stav : prendre le temps d’une longue conversation pour délier tous les fils de ce premier album qu’on a beaucoup apprécié.
La Face B : Comment ça va Benjamin ?
Stav : Ça va. J’étais malade la semaine dernière, je suis resté cinq jours au lit. Je crois que j’avais un contrecoup de la période qui était un peu intense et j’étais content d’être malade. Ça m’a forcé à me reposer. J’ai été très studieux. J’ai regardé tous les films que je ne pouvais pas voir. Je me suis reposé, ça fait du bien.
LFB : CONTRETEMPS devait être deux EPs à la base. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’en faire un seul album ?
Stav : Je crois que j’ai toujours eu envie d’en faire un album. Mais je pense que pendant toute la phase de création entre Musique de supermarché et CONTRETEMPS, j’étais un peu dans une phase expérimentale où je n’étais pas forcément sûr de moi. C’est une phase où j’ai fait d’autres projets, j’ai passé des phases de ma vie personnelle de transition différentes, compliquées ou non mais assez riches. J’ai commencé à m’intéresser plus à la musique et aussi à mon niveau artistique. Je me rendais compte que je tournais en rond sur pas mal de choses parce que moi je viens vraiment d’un truc très do it yourself à la base avec le rap et je pense que j’avais besoin de retourner d’une certaine manière à l’école. Du coup, j’ai pris des cours de chant. Ce qui m’a fait bosser beaucoup de trucs au niveau du rythme, du tempo, de la théâtralité, de l’incarnation de la voix. De fil en aiguille, ce mélange de vie personnelle et de ce que je vivais, m’ont donné envie de faire un album en entier. L’album a été très long mais au bout d’un moment, il y a beaucoup de choses qui se sont déclenchées. La démarche a été longue, sans savoir où j’allais au départ mais il les choses se sont déclenchées ensuite.
LFB : Si je ne me trompe pas, les morceaux CPT et Collège ont été faits en dernier.
S : Collège oui. CPT a été fait tôt. Il a été fait courant 2022. Il y a eu plein de versions avant d’arriver à cette version plus organique, avec cet accord/basse. Lui, c’était clair qu’il était en intro. C’est un peu là que j’ai trouvé mon fil conducteur pour commencer par un état dépressif. Quand on a fait Collège, je pense que dans ma tête inconsciemment je savais que c’était le dernier morceau. Mais quand je fais un morceau, surtout celui-là, on a passé un weekend dessus, on a fait que ça. J’ai besoin de prendre un peu de recul. Je suis allé au studio deux jours après et ATOM m’a dit que c’était le dernier morceau de l’album.
LFB : L’évidence. De la même manière que CPT, je trouve qu’il a un côté crépusculaire, un truc de fin de chapitre.
Stav : Ouais, voilà. Comme CPT. Je trouve qu’ils se répondent aussi bien de loin que de près. Il y a un truc très cyclique dans ce disque. CPT correspond à une période de ma vie, qui est un peu la période où je suis arrivé à Paris et où j’étais un peu pommé aussi bien musicalement que personnellement. J’étais dans une certaine solitude. J’étais dans mon appartement à Bagnolet et ça avait pris ce truc de passer du temps seul dans mon appartement et tout. À la fois, rencontrer plein de gens, d’être dans la capitale mais aussi passer beaucoup de temps seul à gamberger. Collège, je l’ai écrit quand je suis revenu à Angers. Je venais de me séparer sentimentalement et en même temps d’une rupture géographique parce que je suis rentré.
LFB : C’est marrant que tu dises ça parce que je trouve que les deux morceaux ont un côté très province dans ce qu’ils racontent. Même sans le vouloir parce qu’ils ont été créés à deux époques complètement différentes. Ce que j’entends par province, c’est ce truc de nuances de gris qui n’est pas un truc à Paris où tout est noir ou blanc. Il est aussi dans tout l’album au final.
Stav : Il est très important ouais.
LFB : De la nuance partout
Stav : Ouais, ce truc de lumière. C’est marrant quand tu parles de nuances de gris, ça me fait penser aux lumières de chez moi, la Loire. Ce truc de soleil qui transperce toujours au lever ou au coucher. Moi, c’est très important dans ma musique parce que je me rends compte que c’est très important dans ma vie, les contrastes. Je pense que CPT a un côté un peu où à l’époque je voulais renouer d’une certaine manière avec le rap.
LFB : Il un truc très San de Orelsan.
Stav : Voilà. Je pense que je l’ai écrit peu de temps après que l’Odeur de l’essence soit sortie. Il y a cette inspiration, je ne l’ai jamais caché. Même si beaucoup moins ces dernières années parce que je m’en suis détaché. Je pense que ça me parle moins ce qu’il fait maintenant mais cet album m’avait parlé. Je pense qu’il y avait ce truc à la fois de vouloir aussi être capable de se mettre dans un personnage, de partir d’un truc hyper négatif/dépressif et d’en faire quand même quelque chose de lumineux et de pouvoir mettre mon second degré. C’était mon premier truc un peu expérimental, de comment revenir au premier degré.
LFB : Avant de te parler des thématiques, j’aimerais bien te parler de la construction musicale de l’album. Pour moi, Musique de supermarché avait un côté très synthétique, presque froid par moment alors que là j’ai l’impression que tu as pris un chemin complètement différent avec quelque chose de très chaleureux dans la production, notamment avec l’utilisation de la basse, de la batterie et même de la guitare. Je me demandais si c’était la volonté de passer un cap musicalement ou d’une évolution logique ?
Stav : Je pense que c’est une évolution. Il y a plusieurs raisons à ça. Déjà, ça ne vient pas forcément de moi. En tout cas, le déclic parce que le choix est de moi. Le déclic, je pense que c’est plus les gars qui me l’ont donné. Je pense que ce déclic de l’organique est né avec Beau chez nous. Ça a été plusieurs choses. C’est un titre que j’ai écris en 2019, sur une prod’ hyper deep. La première version ressemblait un peu à un truc épique, un peu quand NERLOV commençait à faire de la musique avec ATOM. C’était un texte assez triste, sur une prod assez triste. Je l’avais rangée direct. D’ailleurs, je l’avais plus écrit pour moi ce texte.
Ça n’allait pas du tout dans Musique de supermarché. Quand j’ai recommencé à faire de la musique, Titouan me parlait toujours de ce texte. Je n’avais pas le même refrain, à l’époque je ne savais pas chanter. On a commencé à travailler une topline de refrain, on a juste gardé la ligne de synthé sur le refrain. On a fait une prod’. Le refrain, quand je le chantais sur la première prod’ de Titouan, ça me faisait penser à du Ben Mazue. On a enregistré cette maquette, on l’a envoyé à Chahu. Il a commencé à doubler des guitares chez lui. On l’a rangé un peu et puis en mars 2022, je devais aller au studio et j’ai eu le Covid.
Du coup, je suis resté bloqué à Angers. ATOM a commencé à bosser sur des prod’. Il a bossé Beau chez nous en repartant complètement sur le côté organique de la guitare. Il a fait une batterie acoustique et une basse semi-acoustique avec des plug. Au début, il me l’envoie, je suis complètement dérouté. Mais il n’y a pas vraiment de DA sur ce qu’on fait. On a coffré des sons, je suis encore à vouloir faire des trucs très dansants. Le temps passe et tout, j’enregistre les voix et je me rends compte qu’il y a vachement de place pour la voix en fait. Surtout, j’ai l’impression que ma voix est plus naturelle. De là, il avait fait une fausse basse acoustique donc on appelé un pote à moi qui a commencé à faire des lignes de basses. Donc le côté organique est de plus en plus présent. Et puis je fais un autre séminaire avec Chahu et Titouan pour faire d’autres morceaux et là tous les morceaux sont guitares et voix. De fil en aiguille, ATOM est aussi en train de réaliser l’album de Nerlov avec beaucoup de vraies drums.
Du coup, il était à fond dessus. On trouve cette ligne de basse de CPT. À partir de là, Titouan passe en studio et il commence à phraser les trucs de guitare, il enregistre plein de lignes de guitare mais un peu en mode ambiant, des lignes de synthé. Et il part et ensuite on prend tout ça avec ATOM et on commence à bosser. Je me dis que sur CPT, j’avais vraiment l’impression d’incarner le texte. Jusqu’ici, on travaillait les morceaux en se disant qu’ici, il fallait un morceau plus trap, toujours dans la lignée pop. J’avais envie de faire plein de choses mais je ne savais pas quoi. Là, on a enfin trouvé ce truc qui pouvait lier les choses. Avoir des rythmes différents. Il y a surtout de truc où j’avais de la place pour la voix donc ça a redonné aussi du contraste un peu plus chaud avec mes textes plus deep.
LFB : C’est vrai que finalement, ça laisse la place à beaucoup plus de nuances dans la voix et il y a aussi ce truc très pop dans le sens où la voix est mise beaucoup plus en avant que la production sur l’album. J’ai eu la sensation d’avoir un album de chanteur.
Stav : Ça a été un peu bossé comme ça. On a beaucoup travaillé la voix. Il y a aussi pas que ma voix. Il y a aussi celle de Titouan beaucoup mais aussi beaucoup de voix qu’on a faites à quatre devant le micro. Genre l’intro de Meilleur ami, il y a cinquante prises de voix. Parfois on est quatre. Il y avait aussi un autre truc. C’est là où je pense qu’à partir du moment où on avait le côté plus organique, que j’en ai pris conscience, c’était aussi qu’on se disait qu’on était tous contents de le faire. On avait l’impression de faire de la vraie musique. C’est con à dire, mais un truc qui va être durable. Après j’ai trouvé CONTRETEMPS, ce truc ou même le sens de pourquoi je faisais ça et pourquoi j’avais envie de le faire. J’avais ce truc de dire qu’il fallait que j’ai envie de l’écouter dans plusieurs années.
LFB : Musique de supermarché, c’était essentiellement de la musique très uptempo en plus. J’ai l’impression que ralentir le rythme, ça t’a permis d’explorer plein d’autres choses. Même en termes d’interprétation et d’acting, d’incarner les morceaux. Je trouve que cette évolution est évidente et sert beaucoup le propos de l’album.
Stav : Carrément. C’est marrant parce que ça donne une impression plus downtempo mais il y a quand même des BPM assez up. Il y a eu plein de choses. Quand on bossait la batterie organique, quand on baissait la batterie, la vraie ligne de basse prenait de l’ampleur et du coup, il y avait de cohésion basse/batterie. Moi jusqu’ici je venais du rap et pour que ça cogne un son, il fallait que ça kick. Alors que là, quand tu baissais la batterie, tu te rendais compte que c’était plus dansant. J’ai appris plein de trucs comme ça. Il y avait ce truc de rapport au texte, de liberté. Comme à ce moment-là, je n’étais plus sur les réseaux, je ne sortais plus de sons donc je n’étais pas dans un truc de sur-confiance en moi. Donc je ne me rendais pas compte de tout ça, je kiffais les morceaux. Je pense que petit à petit, j’étais de plus en plus en paix avec moi-même et ce que j’avais envie d’incarner et de montrer. Le but, c’était vachement de raccrocher les wagons avec qui je suis. C’était vraiment le but premier.
LFB : On revient sur cette idée que finalement, Benjamin a repris le pas complet sur Stav sur cet album. C’était déjà un peu le cas avant mais là, ça l’est complètement. Tu as pensé à changer de nom ?
Stav : J’ai pensé à l’appeler Benjamin mais je me suis dit non parce que Stav c’est important car d’une certaine manière, c’est la porte d’entrée pour Benjamin. C’est ce que j’ai dit d’ailleurs quand j’ai annoncé l’album, qu’on allait laisser un peu de chance à Stav.
LFB : Pour rester sur la construction musicale de l’album, le fait d’inviter Brö et Chahu qui apportent de la nuance au niveau de la voix. Qu’est-ce que ça t’a apporté pour ces morceaux-là et pour la couleur de l’album ?
Stav : Comment ça ?
LFB : D’avoir plus de nuances au niveau de la voix. Ce sont des voix qui sont sur des spectres complètement opposés.
Stav : Je pense que pareil, ça apporte un ying et un yang. Avec une voix de Brö très solaire. C’est peut-être le morceau le plus positif de l’album au final. En tout cas, sur la gamme musicale et sur le message. Après, ce sont aussi deux personnes complètement différentes parce que Chahu compose beaucoup et c’est un featuring qu’on a fait pendant ce séminaire en Bretagne. Pour l’histoire de ce morceau, c’était marrant parce que c’était plus Titouan qui était aux manettes des prod’ et Chahu faisait des arrangements de guitare. À un moment, il s’est enfermé dans sa chambre et il a fait une prod’, il me l’a proposé, j’ai trouvé qu’elle était vachement bien. C’était vraiment basé sur l’arpeggio au début. J’étais un peu perdu.
J’ai commencé à écrire parce que la prod’ m’inspirait quoiqu’il arrive. J’enregistre le premier couplet et le refrain, je ne sais pas trop de quoi je parle. Il me dit qu’il la kiffe et qu’il a envie d’écrire un deuxième couplet. Je lui ai dit que ça tombait bien parce que je pensais être arrivé au bout de ce que je voulais dire. Du coup, il s’enferme une heure, il écrit et en écoutant son texte, je comprends le mien. Titouan arrive, il nous dit que c’est pas mal et c’est là où il est hyper important. ATOM a le côté réal, technique et tout et Titouan a le côté accord mélodique de comment les morceaux peuvent se ressembler. Il nous dit que c’était pas mal mais qu’il ne voyait pas comment ça rentrait dans l’album. C’est là qu’il enregistre les chœurs sur le refrain. Après, il re-travaille des guitares avec Chahu un peu plus solaires.
Ce qui fait que c’est un morceau plus solaire que ce qu’il fait et qui a la touche un peu Stav. C’est un peu la construction. Après avoir fait ce morceau, on avançait dans les morceaux et j’avais idée d’inviter Brö depuis longtemps parce qu’on se croisait sans trop se connaître. Un jour où j’ai un peu plus confiance en moi, et j’avais le label qui me poussait, je lui envoie des morceaux et il me dit carrément. C’était une période où je n’écrivais plus trop à ce moment-là. Elle me dit qu’on peut se voir sur Paris, qu’elle était dispo le 9 juin.
On réserve un studio et je demande à Titouan comment il veut bosser. Il dit que ça serait bien qu’elle vienne. Jules qui travaille avec elle et qui est hyper chaud est arrivé. Le matin, on bosse un truc avec Titouan et il me dit qu’il a réécouté l’album de Brö et qu’il y a un truc qu’il kifferait, ça serait un truc Bossa nova. Il y avait plein de guitares acoustiques. Ils font la prod’, je pensais qu’on allait juste faire du yaourt, des toplines et tout. Elle, elle avait écrit un couplet et le refrain. Elle fait des harmonies et tout, je suis grave en stress. Je recommence à écrire et on a fait tout le son dans la journée.
Pareil, au début le son je me disais que ça ne ressemblait à rien de ce que j’avais déjà fait. Mais Titouan et ATOM font que ça se lie dans le projet. Là, je me dis que c’était limite trop solaire. En plus, j’étais un peu dans un moment dans ma vie où je n’écrivais pas trop parce que j’étais un peu dans un truc de changement où j’allais travailler, c’était un peu les moments où je me disais que j’allais peut-être arrêter d’en faire mon métier. Que j’allais prendre un boulot de monteur à France TV, que j’allais essayer de construire avec la personne avec qui j’étais. C’est un peu ce que raconte ce morceau. Du coup, c’est une des phases du personnage.
Ce sont deux spectres complètement différents. Ça n’a pas été calculé en tant que tel. Je suis quelqu’un qui travaille plus au feeling. Je ne suis pas musicien. J’ai appris mais je n’ai pas ce truc ludique et ce n’est pas un truc qui me passionne. J’ai juste appris pour pouvoir en parler, donner des idées et pouvoir travailler un morceau. Je travaille plus au feeling et aux émotions que ça me procure. Du coup, j’avais envie de travailler avec ces deux personnes. Brö avait un côté plus jazz, plus R&B. Chahu a un côté plus cold-pop, à la fois très chanson française mais avec des influences très UK. Finalement, ces deux artistes-là font que c’est un album qui mélange. On est retourné vers des influences plus groove.
LFB : Ce qui est marrant, c’est que de tout ce que tu me racontes, ça rejoint un truc que j’ai ressenti en écoutant l’album : l’album thématiquement s’appelle CONTRETEMPS, mais je trouve qu’il aurait aussi pu s’appeler Conversations.
Stav : Oui, carrément.
LFB : Dans ce raconte l’album et même dans la façon dont il est construit, le fait que tu utilises beaucoup le « je » et le « tu » en permanence dans les morceaux, il y a un vrai truc de dialogue dans cet album.
Stav : Parce que c’est un album construit sur le relationnel. Au début, je me disais que je mettais trop de « tu » et en fait, c’est ça la ligne directrice.
LFB : Il y a le « tu » où tu parles à quelqu’un et il y a aussi le « tu » où tu te regardes dans un miroir.
Stav : Ouais, mais des fois, ce sont les deux dans le même morceau. J’ai toujours voulu faire une libre interprétation mais oui, il aurait pu s’appeler Conversations, ça aurait été un beau titre. Mais j’ai galéré parce qu’à un moment, j’ai voulu changer CONTRETEMPS à cause de Flavien Berger. Après, j’ai voulu l’appeler Saisons mais le jour où je me suis dit ça, il y a un truc qui est sorti avec ce nom-là. Conversations, ça aurait été beau. Peut-être pour le prochain album. Je pense que je vais garder ce truc un peu.
LFB : C’est hyper intéressant parce que chaque morceau présente un prisme différent d’une même personne je trouve.
Stav : C’est exactement ça que je voulais montrer.
LFB : Pour moi, c’est un album qui parle énormément d’amour. Des autres mais de soi aussi.
Stav : Ça parle de l’amour mais en fait ça parle des relations passionnelles. Cet album a été écrit en transition. J’ai eu deux relations sentimentales fortes, toutes les deux basées sur la passion. Il y a eu ce rapport avec ma passion à moi. Il y a eu cette acceptation de se dire que je suis quelqu’un de passionné mais ça déborde et ça devient toxique sur beaucoup de points. Je suis passionné aussi par les être passionnés. Ça fait des cocktails explosifs. Du coup, ça n’a pas été une écriture directe mais ça a été une écriture un peu thérapeutique. C’était toujours un dialogue parce que ça me permettait à la base de prendre du recul. Un peu comme si je parlais avec mon psy. Mais aussi de parler à quelqu’un à qui je n’arrive pas à parler dans la vie. De prendre du recul, de ne plus être dans le déni. Même sur la position. Ce sont des moments dans ma vie où j’ai compris que je ne serais jamais une star et que toute ma vie, j’ai voulu devenir une star. Mais quand j’ai accepté de ne plus l’être, j’ai surtout accepté de ne plus être dans le déni de ça. Du coup, accepter que j’étais quelqu’un d’auto-centré aussi de par ma vie d’artiste et tout. En fait, je me suis dit que c’était mieux de m’accepter plutôt que d’être dans le déni et d’apprendre à vivre avec, comme si c’était une part de moi-même.
LFB : Il y a vraiment cette idée de s’accepter complètement pour pouvoir avancer dans l’existence aussi.
Stav : Voilà. Au lieu de se dire que je devrais essayer de faire ça ou ça pour aller mieux, un rapport très binaire. C’est plutôt qu’est-ce que je suis en fait ? Qu’est-ce que je n’aime pas chez moi et pourquoi ? Qu’est-ce que je n’accepte pas et pourquoi je suis dans le déni de ça ? C’est tout. À partir de là, je pourrais aller mieux. En fait, c’est juste accepter ses problèmes. Être autocentré, ce n’est pas forcément un problème. Tu peux vivre avec ça, il faut juste en avoir conscience. En tout cas, si tu veux te séparer un peu de ça et pouvoir vivre avec, avoir un rapport sain. C’était un peu un truc, aussi bien dans ma musique avoir un rapport sain avec les autres et me retrouver moi-même.
LFB : Tu parlais tout à l’heure d’écriture très premier degré et moi je trouve qu’il y a beaucoup de tendresse aussi dans la façon dont tu écris. Est-ce que tu as l’impression d’avoir laissé tomber les derniers bouts de pudeur qu’il te restait dans ton écriture.
Stav : Non je ne pense pas. C’est très important pour moi la pudeur. La pudeur, je la retrouve plus dans comment on l’incarne.
LFB : Tu te dévoiles énormément.
Stav : J’ai l’impression que d’avoir dévoilé, lâché les chevaux, ça me permet de moins en faire trop dans l’incarnation, que ce soit l’utilisation de la voix, de comment je vais faire un clip, de moins me cacher derrière un personnage. Là où je pouvais en faire trop dans Musique de supermarché. Stav était complètement folie et inarrêtable.
LFB : C’est un peu ce dont tu parles dans Meilleur ami. C’est marrant parce que tu parlais de psy mais c’est un truc que Tyler, The Creator a fait, de faire intervenir son psy dans son album comme un personnage. Alors que toi tu fais intervenir Stav qui parle à Benji. Il y a un truc hyper intéressant dans la tracklist, c’est que même si ça n’a rien à voir avec la thématique des morceaux, il y a quand même cette idée de Cassé et Réparé l’un après l’autre. Comme Chahu a mis Overdose et Réussi l’un après l’autre.
Stav : Ça, c’était obligé. J’ai hésité à faire l’inverse mais pour un souci musical de tempo, c’était mieux comme ça. Ce qui est marrant pour ces deux morceaux, c’est qu’ils ont été créés en même temps mais je m’en suis rendu compte qu’en rentrant chez moi. Ni Titouan, ni Chahu n’avait percuté. Dans Réparé, je parle d’un mec qui n’est pas réparé en plus. Après, ce sont des petits trucs, c’est comme quand on parlait de CPT et Collège. J’aime bien mélanger quand même parce que si on s’y tenait… et c’est un peu aussi comment chacun prend l’histoire. Comme quand j’écris Collège, je n’ai pas envie que ça soit une chanson qu’on capte forcément que je parle de la musique en fait. J’ai plus envie que les gens puissent aussi… Si je prends le choix de partager ma musique à un moment, c’est pour que chacune et chacun puisse en faire une interprétation.
LFB : Que chacun puisse se rattacher à son propre ressenti.
Stav : Voilà, c’est hyper important.
LFB : Du coup, il y a une phrase de Chahu qui correspond bien à la morale finale de CONTRETEMPS, quand il dit prendre soin de soi et prendre soin des autres. Il y a plein de mantras comme ça dans l’album, comme quand tu dis tout va bien au début de Dancefloor. Il y a vraiment cette idée d’avoir des points d’ancrage comme ça pour se rappeler qu’il faut prendre soin de soi et des autres en fait.
Stav : Oui, c’est ça. De toute façon, tu ne peux pas prendre soin des autres sans prendre soin de toi. L’un ne va pas sans l’autre. Mais c’est vrai que cette phrase est très importante. Il y a aussi sa phrase « c’est mieux à deux » que j’ai reprise dans Promesses.
LFB : Ou comme quand tu dis « Ça prend du temps ».
Stav : Ouais, il faut être patient avec soi, patient avec les autres. Et surtout, j’ai eu plusieurs relations dans ma vie, j’ai eu pas mal de ruptures que ce soit amicales ou amoureuses, certaines où c’est resté à l’état rompu parce que pas au bon moment, pas les bonnes personnes. Parfois tu te rends compte qu’il y a la passion, c’est trop cool mais s’il n’y a que ça, ça ne peut pas marcher. Surtout tu te rends compte que la passion peut aveugler dans le fait que les deux personnes sont complètement différentes et n’ont rien en commun, n’ont pas des objectifs de vie communs. L’amour ne suffit pas.
LFB : Ce sont deux personnes qui se brûlent ensemble mais séparément.
Stav : C’est ça. Mais par contre, il y a des relations où il y a eu des ruptures mais aussi des retrouvailles. Tu te rends compte que la séparation a fait du bien, chacun a un peu pris du recul sur sa vie et sur les autres, d’autres expériences. Et quand tu te retrouves, il y a des choses beaucoup plus simples qu’avant. Ça, c’est hyper beau. Tu sens que c’est fragile sur certains sujets mais il y a des trucs où putain mais les discussions qu’on a là, on n’aurait jamais pu les avoir il y a cinq ans parce qu’on pointait du doigt nos différences. Où tu dis que tu es comme ça et que tu ne penses pas comme moi. Ce sont plein de trucs.
Même avec la musique. Cassé parle plus de relations amicales par exemple. Mélanger le pro et le perso, c’est ce que je dis. C’est un peu aussi un mantra. Il y a ce truc de santé mentale. Hier dans une interview, on m’a demandé pourquoi j’avais pris autant de temps, parce que je suis quelqu’un de productif. J’ai dit que j’ai essayé de comprendre le monde autour de moi. J’ai 38 ans, je viens d’une génération où a vécu les années 2010 où c’était vachement optimiste, il fallait charbonner. Ça fait peu de temps qu’on commence à parler de santé mentale, accepter de dire qu’on ne va pas forcément bien.
Accepter de ne pas être dans le déni des choses. Si j’accepte le fait que je suis triste, c’est peut-être une voie pour aller mieux. Avant de se dire qu’il faut que j’aille bien, et où tu te réveilles un matin, tu fais plein de trucs. J’ai un autre morceau qui va sortir en 2025 avec un autre artiste où je reprends Cassé et où je dis « adulte cassé, au moins j’en ai conscience ». Je suis pas mal dans ce mantra-là. D’une certaine manière, la société m’a aidé.
Je lisais l’interview de Chahu que vous avez faite où il parlait de sa place de mec aujourd’hui, je me reconnais aussi. J’ai pas mal de potes du rap qui me disent que je devrais refaire un EP où je kicke. Souvent je réécoute tous mes trucs d’avant. Sur le coup, je ne m’en suis pas rendu compte mais quand j’ai arrêté Renzinsky, il y avait ce truc où ne s’entendait plus très bien et où on aspirait à des choses différentes. Mais c’est aussi beaucoup moi parce que je me rendais compte que j’étais en couple avec une personne qui était hyper engagée de manière féministe et qui m’aidait sur des questions.
Quand je réécoute tous mes textes, je me rends compte qu’il y a plein de trucs hyper misogynes, qui sont problématiques. Je n’arriverais pas à refaire un truc comme ça, par rapport au sens mais il a fallu que je prenne le temps de digérer tout ça.
LFB : C’est marrant parce que c’est ce que j’allais te dire. Est-ce que l’album ne s’appelle pas CONTRETEMPS parce que c’est toute la vie d’avant qui t’a nourri pour cet album ?
Stav : Ouais voilà. Le journaliste hier me disait que c’était un peu comme si je me nourrissais de tous mes brouillons en fait, que j’avais attendu ce moment-là. CONTRETEMPS, il y a aussi ce truc où j’ai 38 ans et j’étais un peu dans un mode où il fallait que je perce avant la date de péremption. Il y a cette acceptation de dire que je ne suis pas une star mais je suis un artiste et j’en serais toujours un.
Dans tous les cas, quoi qu’il arrive, je serais un artiste. Par contre, j’ai l’impression aujourd’hui de n’avoir jamais été aussi cohérent avec moi en tant que personne. Je ressens un apaisement par rapport à ça. C’est un peu ça CONTRETEMPS, le fait d’avoir voulu revenir au kiffe et d’avoir fixé le temps d’une certaine manière et de ne plus courir après cette horloge, comme le font plein d’artistes. Quand je vivais à Paris, c’est pour ça que je n’en pouvais plus. Il y avait ce truc.
LFB : Du coup, même si tu dis que tu as fait le deuil un peu de l’idée de percer, comment tu le vois vivre cet album ? Qu’est-ce que tu as envie de faire ?
Stav : J’ai envie de le faire vivre longtemps. Quand je dis longtemps, c’est de manière solide en fait. Là, je n’ai pas de recul parce que ça fait dix jours qu’il est sorti. J’ai un label, j’ai beaucoup de chance mais je n’ai pas de plan de tournée. Mais je me rends compte que le premier objectif, je crois que j’arrive à l’atteindre dans le fait où c’était que je voulais que ça soit solide et je me rends compte que dans les gens qui me parlent, je reçois des messages que je n’ai jamais reçus avant. Les gens se sentent touchés, parfois me parlent de leur vie et je ne sais pas quoi répondre. Je sens que je suis dans un truc beaucoup moins volubile comme pouvaient l’être les brouillons. J’ai l’impression qu’il touche là où j’avais envie que ça touche. En tout cas comme ça m’a touché moi. J’ai envie de le vivre comme ça, qu’il accompagne longtemps. Qu’il puisse aussi ouvrir la porte à d’autres projets, d’autres choses. J’ai envie de le tourner longtemps. Je sais que ces morceaux, je vais les jouer longtemps. Bien sûr que j’ai envie qu’ils puissent me faire créer un autre album.
LFB : Est-ce que tu te vois jouer sur scène avec des gens ? J’ai l’impression que c’est un album qui est fait pour être joué avec des musiciens.
Stav : Dans une première partie, on va passer dans une nouvelle formule où je ne serais plus qu’avec Titouan. Après il part à l’étranger, mais il y aura Chahu aussi. On sera trois, et après si on a les moyens quatre. Dans l’idée, j’aimerais qu’on soit quatre. J’ai envie de le jouer avec des instruments parce qu’on s’est rendus compte pour le peu qu’on a joué ces morceaux que le set change complètement. Ça m’a dérouté au début parce qu’il y avait un truc où ça bouge moins mais en même temps, la voix prend place et je me suis rendu compte que je n’avais plus besoin d’en faire des tonnes. Je m’étais complètement débarrassé de mes gimmicks de rappeur. Non, tu vois les gens qui écoutent et ils viennent te voir après le concert en te disant que c’est vachement bien. Même mes potes du rap viennent me voir et me disent qu’ils n’ont jamais vu un concert aussi bien de moi. Ça c’est cool. Je me dis que c’est un album qui raccroche pas mal les wagons. Je suis apaisé par rapport à ça et j’ai envie de le montrer. J’ai envie de le faire vivre, de le partager. En fait, c’est trop marrant parce qu’on parlait avec des pro l’autre fois et pour moi cet album marque limite plus des fois en termes de sens, de comment il a été construit, de qui je suis, de rupture entre Musique de supermarché et cet album, qu’entre Musique de supermarché et Renzinsky. J’ai mis tellement de temps à le faire et ma démarche était tellement longue, mais en même temps la moitié du disque s’est faite à la fin de manière très rapide. C’est vraiment la démarche qui a été longue. Ça fait que je me suis libéré de pas mal de choses. Aujourd’hui, je me sens capable de faire beaucoup de choses. Là où avant je montrais peut-être plus de sur-confiance et tout. Là, j’ai plus retrouvé ma timidité, même quand je communique. Ça a été très dur de revenir sur les réseaux sociaux parce que j’avais vachement mal vécu ces choses-là de miroir et tout. Maintenant, c’est beaucoup plus sain.
LFB : Est-ce que tu as des coups de coeur récents ?
Stav : Je n’ai pas eu trop de coups de coeur en films. Mon grand coup de coeur dernièrement, c’est Normal People. J’ai mis du temps. Il faudrait que je lise le bouquin. Il y a une chanteuse aussi Ettela, une chanteuse grecque. J’ai vu Emilia Perez, j’ai bien aimé. Pas tout mais je trouve le pari hyper réussi. J’aime bien Chahu. Si je fais le chauvin, il y a une chanteuse que j’aime beaucoup. J’attends ce qu’elle va faire parce qu’elle va commencer à chanter en français à Angers, c’est Anna Bozovic. Elle chante super bien. Elle est en feat sur l’album de Chahu.
LFB : J’ai une dernière question d’une personne qui s’appelle Charles et qui demandait si tu avais appelé ton album CONTRETEMPS pour créer un clash et pourquoi pas un octogone avec Flavien Berger.
Stav : Ça serait marrant un octogone chamallow mais non. C’est un peu une fausse question en plus parce que Chahu a été pendant longtemps à me dire « Flavien Berger, Flavien Berger ». Et un jour je luis écris et je lui ai dit que je n’en avais rien à foutre. D’ailleurs, c’était juste après que je lui dise Saisons et c’est lui qui m’a envoyé la pochette de Pomme. Je me suis dit que ce n’était pas du tout pour les mêmes raisons et à la limite, je m’en fous, ce n’est pas très grave. Flavien Berger, quand je me suis mis à la chanson, c’est peut-être l’un des seuls dans la pop que j’arrive à supporter au début quand je faisais du rap. Je n’ai jamais eu peur des références. Quand j’ai trouvé CONTRETEMPS, j’ai mis quatre mois alors que j’avais beaucoup écouté, à me dire « ah mais oui, Flavien Berger ». Mais non, pas d’octogone mais un featuring, pourquoi pas. Restons dans l’amour.
Crédit Photos : Carmen Lambert