À la fin de l’été, on a retrouvé Marvin et Pierre de Structures à l’occasion du Bivouac Festival. L’occasion d’enfin discuter avec eux de leur premier album A Place For My Hate. Une conversation où il est question de la construction de l’album, mais aussi de colère, d’amour, de visuels et de penser la musique pour le live.
La Face B : Comment ça va ?
Pierre : Ça va, il pleut.
Marv : On n’a même pas pu se baigner.
LFB : J’aime beaucoup le titre de votre album. Est-ce que vous pensez que la colère est une force motrice et créatrice ?
Pierre : Oui, complètement. Après ça dépend de ce que tu en fais. Je pense que même pour toi-même, ça l’est énormément.
Marv : Ouais, carrément. Il n’y a que ça. Si je ne suis pas en colère, je n’écris pas. J’arrête la musique.
Pierre : Il fait en sorte d’être tout le temps en colère. Tout a l’heure, il nous a dit de venir se baigner, qu’il allait pleuvoir donc ça serait nul et il serait blasé. On va dire que comme toute émotion, chaque émotion peut amener à une force créatrice. Et la colère en fait partie.
LFB : C’est compliqué de ne pas être en colère.
Pierre : C’est vrai que par les temps qui courent, c’est un peu compliqué de ne pas l’être. On peut essayer de s’en éloigner le plus possible mais ça finit toujours par nous rattraper.
LFB : Le titre va clairement de pair avec la pochette qui est très belle aussi. J’aimerais savoir si c’est important pour vous aussi qu’au-delà de la musique, il y ait un objet esthétique qui est une création autour de la musique, même avant l’écoute, et qui indique un peu ce qui va être proposé ?
Pierre : On a toujours mis l’accent sur ça depuis le début. Je pense que ça a toujours été important pour nous de trouver ça.
Marv : On s’est pris la tête pendant longtemps et au final, on a pris ce qui était le plus évident. C’est une photo que Pierre avait faite. C’était un scan de ton téléphone cassé je crois. Elle a toujours été sous notre nez, on a toujours bien aimé. On a pensé à plein d’autres trucs parce que vraiment, on cherche ce qui pourrait le mieux définir ce nom. Au final, on l’a toujours eu devant nos yeux.
Pierre: Ça a été le premier choix. J’ai quand même dit qu’on allait quand même essayer de trouver autre chose, d’aller plus loin.
Marv : Tu avais peur que ça rende mal en impression aussi.
Pierre : Ouais, vu que c’est un scan d’un écran de téléphone. Je me suis dit que c’était peut-être trop simple. Mais less is more. Pour revenir à l’esthétique globale, c’est vrai que même moi, de par ma formation de graphiste, j’ai toujours cherché à lier la musique et l’image. Donc oui, ça va complètement de paire, même quand on écrit des chansons, j’imagine toujours des images.
Marv : Oui, la cover sur single et tout.
Pierre : Ouais, mêmes des images animées, des clips potentiels qui sont irréalisables parce qu’on n’aura jamais l’argent pour les faire. Mais il y a toujours un truc cinématographique aussi.
LFB : Les clips sont hyper importants dans l’historique de votre groupe. Les derniers qui sont beaucoup plus cinématographiques, où il y a eu un switch à partir de 2022 à peu près. On est sur des trucs qui sont presque des courts-métrages en fait.
Pierre : On avait vraiment cette volonté de trouver, avec le peu de moyens qu’on avait, un médium pour pouvoir le faire et pour passer sur quelque chose de plus narratif aussi. Ça a été super bien fait, ça a été tourné en Serbie. Les deux ont été faits par la même équipe.
Marv : C’est pour ça que les deux ont une esthétique assez similaire, parce que ça a été fait par la même personne.
Pierre : Bien qu’ils ne racontent pas du tout les mêmes choses. Ça permettait d’ouvrir vraiment. On n’avait pas vraiment envie de faire un clip où on nous voyait. C’est toujours un peu la solution de facilité. On avait vraiment envie de pousser le truc.
LFB : Qui va de paire avec la pochette. Il y a ce rejet de l’égo, qui est à contre-courant de l’époque aussi.
Pierre : Ouais, on préférait montrer dans les deux clips un genre de monde dystopique sous différents aspects. En essayant de montrer vraiment le monde, plus que nous.
LFB : Est-ce que ça vous a soulagé de pouvoir sortir un album ?
Pierre : Ouais. Ça nous a soulagé et ça nous a aussi beaucoup frustrés. Je pense que c’est comme pour beaucoup, faire un album, ça amène son lot de soulagement, de joie mais aussi plus de colère, de frustration. Je ne dis pas que ça a été facile, même entre Marvin et moi, ça a été plein de zones de conflits, de rassemblements. Mais oui, ça nous a grandement soulagé, en sachant qu’on n’avait pas pu le faire avant.
LFB : J’ai l’impression que c’est pour le mieux. Vous avez pris un soin particulier à décoller les étiquettes qu’on vous avait mises plus ou moins contre votre volonté aussi, en termes de style de musique ou de vous mettre dans une espèce de fourre-tout qui ne vous correspondait pas.
Marv : On nous avait rangé dans une case juste parce qu’on avait fait les premières parties de Rendez-vous ou Frustration. Après, on accepte, parce que ce sont des groupes qu’on aime beaucoup et qu’on respecte. Mais ça n’est pas une facilité. On ne s’est jamais dit qu’on voulait faire comme eux.
Pierre : On ne s’est jamais posé non plus de limites en termes de style et de genre. Avec A Place for my Hate, on a vraiment mis un soin à affirmer qu’on n’était pas à ranger juste dans une seule case.
LFB : C’est un peu ce qu’a fait Rendez vous aussi avec son deuxième album. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que finalement on se retrouve avec un album qui est hyper varié dans ses structures musicales et dans ses influences, mais je trouve que le ciment de l’album est vraiment les thématiques. Que ce soit la colère, l’amour ou même cette espèce de fraternité et ce besoin de trouver un endroit où tu peux être toi-même sans trop te poser trop de questions.
Marv : Il parle beaucoup d’amour en vrai.
Pierre : Même dans la colère. Parfois, l’amour amène à la haine et inversement.
Marv : En vrai, il doit y avoir 2-3 chansons qui ne parlent pas d’amour.
Pierre : Ouais, et encore. Je me rends compte que mon leitmotiv d’écrire restera toujours l’amour. Que ce soit l’amour de quelqu’un, de ses amis, du monde dans lequel on aimerait vivre, un désir profond de quelque chose. L
Marv : L’amour de la haine.
Pierre : Ouais, c’est ça. Et s’aimer soi aussi beaucoup.
LFB : Même l’amour entre vous deux.
Pierre : Ouais, comme les frères Gallagher.
Marv : C’est vrai que ça a longtemps été ça.
LFB : Je vous suis depuis un moment et j’ai l’impression qu’il y avait cette nécessité de se recentrer sur vous deux, de retrouver des raisons de faire de la musique ensemble et de pourquoi vous étiez un groupe. Je trouve que ça ressort aussi malgré tout dans l’album.
Pierre : Ouais, et au-delà de faire de la musique ensemble, retrouver l’envie de faire de la musique tout court. Parce que c’est vrai que ça n’a pas été toujours facile.
Marv : Ouais, on s’est trimballés de local de répét’ en local de répét’. On ne l’a même pas fait en studio cet album. On l’a fait partout, dans plein de salles différentes.
Pierre : Il y a un truc très vagabond. On a trimballé notre haine, tout ça pour trouver la vraie place. La place est partout en fait.
Marv : On n’avait pas de thune, on a fait avec les moyens. On a été assez vite, il fallait qu’on sorte un album.
LFB : On ressent cette espèce d’urgence et d’instantané dans l’album. Le fait aussi est à travers votre histoire, d’avoir dû tout reprendre à zéro aussi. De repartir rapidement de rien pour justement construire douze morceaux, plus le double-single.
Pierre : Le double single ne fait pas partie de l’album mais c’était une espèce de relance. Mais oui. Je pense qu’on ne repartait pas de zéro parce que sans tout le bagage, on n’aurait peut-être pas eu comme ça cet album et on ne serait pas là, avec ses chansons-là et ces thèmes précisément. C’est un mal pour un bien. J’ai juste hâte de faire le prochain.
LFB : Est-ce que c’était intéressant pour vous, en sachant que vous êtes un groupe reconnu pour le live, d’avoir fait un album sans passer par le live et le test des chansons ? Vous avez fait ce que vous aviez envie de faire sur le moment.
Marv : C’était nouveau. Déjà, on n’avait pas vraiment le choix parce qu’on devait faire une pause donc ça s’est un peu imposé à nous.
Pierre : C’est sûr qu’à deux, on ne pouvait pas jouer les morceaux live. Mais comme tu le dis, on avait quand même toute cette expérience de live qui nous a bâti. Donc la force dans la création et l’écriture de l’album, ça a été d’avoir ça en nous. L’expérience du live fait qu’on sait écrire des morceaux de manière à ce que ça passe en live. Jamais à un moment quand j’écoute un morceau qu’on fait où je ne pense pas live. Je nous imagine le jouer sur scène, comment ça s’articulerait… C’est toujours réfléchi d’une manière live.
LFB : Ce que je voulais dire, c’est que le fait de couper le biais de la personne en face de soi vous a offert aussi une liberté que vous n’auriez peut-être pas forcément eu en suivant un schéma classique de tester les morceaux sur scène et de voir les réactions des gens.
Pierre : Oui, complètement. C’est vrai qu’on n’est pas passé par ce truc.
Marv : Même d’être à plusieurs aussi.
Pierre: On n’était que tous les deux et c’est vrai qu’il y a eu cette liberté du coup de ne pas se fier à la réaction.
Marv : C’était plus simple de faire des compromis aussi, à deux plutôt que quatre.
LFB : La construction musicale de Structures a toujours été plus centrée, et ça vous a permis de resserrer aussi justement, de faire un dialogue plutôt qu’une cacophonie.
Pierre : C’est ça et au final, on a gagné du temps aussi.
LFB : Sur les morceaux précédant l’album, je trouve qu’il y avait un truc volontairement provocateur et un peu malsain sur certains trucs. Est-ce que cette pause et le fait de pouvoir vous recentrer sur d’autres choses vous a permis de gommer ce qui était un truc un peu adolescent de provocation ?
Pierre : Pour moi, oui d’une certaine manière. Ce n’est peut-être pas la pause qui a fait ça mais c’est vrai que sur l’écriture d’avant il y avait plus un truc dans lequel où je m’imaginais parfois dans des rôles ou dans des situations. Que ce soit sur Sorry ou même quand on avait sorti Robbery, il y avait vraiment ce truc de se mettre à la place de l’autre. Et incarner l’autre. Alors que sur l’album, c’était plus être soi.
LFB : Il y a plus de sincérité. Un morceau comme Sorry, si tu le regardes maintenant, il a quand même un truc. C’est un personnage mais…
Marv : Tu veux dire qu’il est border ?
LFB : Oui, clairement.
Pierre : C’est vrai.
LFB : Le problème est que l’image que tu avais sur scène faisait que les gens ne voyaient pas la ligne entre le personnage et ta personne je pense.
Pierre : Oui, c’est vrai. Je ne m’en suis jamais caché, il y avait une vraie volonté de jeu d’acteur dans tout ça. Et peut-être cacher une sensibilité derrière un truc plus robuste et parfois, qui explorait les limites des personnages, c’était pour moi intéressant. C’est passé. Il y a un truc de maturité je pense. On a toujours dit que A Place for my Hate, c’était vraiment une manière de s’assumer soi-même et de livrer un truc complètement honnête et sincère.
LFB : Pour parler de ça, je trouve qu’il y a deux morceaux sur l’album qui vivent parfaitement ensemble : le titre éponyme et Home qui est le morceau qui dure quasiment huit minutes et qui vient après. Je trouve que ces deux morceaux-là racontent toute l’histoire de l’album et aussi toute l’histoire de Structures.
Pierre : Ouais, Home doit être le plus vieux, qu’on avait complètement abandonné et en fait, on s’est dit que c’était vraiment dommage de ne pas le faire aboutir. Il a vraiment ce truc très noir. Je pense qu’au niveau de l’écriture de texte, ça doit être celui dans lequel je me mets le plus à nu.
LFB : Il est noir mais il évolue vachement aussi vers quelque chose de lumineux.
Pierre : Pour moi, j’ai toujours tendance à faire évoluer les choses vers quelque chose de lumineux, même quand c’est complètement noir. J’ai envie de toujours voir la lumière au bout du tunnel. Alors que Marvin a plutôt tendance à dire que si c’est noir, c’est noir. En vrai, non sur Best Friend par exemple, ce n’est pas noir.
Marv : C’est le seul morceau à peu près optimiste que j’ai écrit, je n’en ai plus refait depuis.
LFB : C’est un morceau qui est aussi intéressant dans l’histoire de Structures. Il commence sur une basse-voix et évolue vers quelque chose d’épique, lumineux et tout. J’ai l’impression que ça correspond un peu à votre relation.
Pierre : Ouais, franchement je n’y avais jamais pensé mais c’est vrai que ça raconte clairement l’album. Ce basse-voix, c’est juste nous deux et il n’y a rien d’autre. Tout s’ajoute. Ouais, je n’y avais pas pensé, bien joué.
LFB : On est en fin de tournée d’été. Vous reprenez à la rentrée ?
Pierre : Fin d’été et on reprend en octobre pour une petite série de dix dates jusqu’à la fin de l’année. Après, on va commencer à mettre le pied sur autre chose.
LFB : C’est quoi vos envies ?
Pierre : Marv va bientôt lancer son projet solo qui s’appelle Split, qu’il a écrit.
Marv : Après, il y aura un deuxième album aussi.
Pierre : J’ai commencé quand même à écrire des nouveaux morceaux pour le prochain album. Il est prévu qu’on se voit très prochainement pour avancer là-dessus.
LFB : Est-ce qu’il y a des choses récentes qui vous ont plu ou marqué ?
Pierre : Je suis allé voir une pièce de Pina Bausch à l’Opéra de Paris, Barbe Bleue. C’est hyper poignant. C’est assez fou en termes de trucs artistiques. Si tu nous demandes au niveau politique, la liste est longue, on ne va pas commencer.
Marv : Moi j’ai découvert New-York, depuis j’ai envie d’y retourner tous les jours.
Pierre : Le dernier album de Fontaines D.C. qui est bien mais qui n’est pas leur meilleur pour t’auto-citer. Massive Attack à Rock en Seine. Je crois que c’est le meilleur concert que j’ai vu de ma vie. Sinon, le fait d’avoir fait une pause d’un mois m’a marqué. D’être parti en vacances et de ne pas avoir ouvert un ordinateur, pas un mail. Ça m’a fait énormément de bien.
Crédit photos : David Tabary