L’adage dit qu’il ne faut pas rencontrer ses idoles. En fin d’année passée on a décidé de passer outre cet adage et on est allé à la rencontre de Julien Barthélémy aka KingJu de Stupeflip. Un long entretien autour de son dernier album, Stup Forever, mais aussi de tout ce qui compose la galaxie de Stupeflip.
La Face B : La première question que je pose au gens – et elle est toujours hyper sincère – c’est de leur demander comment ils vont.
Julien Barthélémy : Ça, c’est la question qu’il ne faut pas me poser. Quand on me dit : « Ça va ? », je réponds :« Ça va mal !».
La Face B : Et, est-ce que c’est vrai ?
Julien : Ça dépend des fois. Je deviens un peu agoraphobe en vieillissant. Allez voir des gens qui vous demandent comment ça va alors que toi…. Moi, c’est au jour, le jour. Donc je ne peux pas trop répondre. Ma définition du bonheur, c’est « ne pas être malheureux ». C’est une définition simple et c’est vraiment ce que je pense.
La Face B : Avant de parler de Stup Forever, j’aimerais revenir sur Stup Virus. J’ai lu que tu avais été déçu par le mix et par la réception de l’album. J’ai une question toute simple. Est-ce que la surabondance de thunes que tu as eue avec le crowdfunding de l’album qui a été énorme n’a pas été un truc qui t’a fait vriller ou qui t’a mis une pression particulière.
Julien : Oui, le crowdfunding n’était pas mon idée, mais celle du gars avec qui je bossais à l’époque. Je n’avais même pas pensé à ça. On l’avait déjà fait, paraît il, pour Hypnoflip. J’avais complètement oublié. C’était une moins grosse somme. Là, quand la somme a commencé à monter, il fallait promettre de nouvelles choses. Et ça, c’est horrible. J’aime arriver avec quelque chose que je maîtrise. Du coup, il a fallu faire des clips à l’arrache.
Mon boulot, c’est faire du son, des créations. Le reste ce n’est pas du tout mon truc. Les contreparties, c’est un enfer. Tout d’un coup, tu dois promettre des choses qui ne sont pas encore réalisées. Et plus l’argent monte, plus tu dois promettre. Et c’est là où ça a vraiment foutu la merde. Il y a eu trop de pression sur cet album. Je ne t’expliquerais pas tout en détail parce qu’il faudrait que l’on discute ensemble pendant au moins trois heures et revenir sur les vingt ans de Stupeflip. Pour moi, tout ce qui ne relève pas de la création n’est pas intéressant. En fait, c’est juste ça que je pourrais te dire.
J’étais touché qu’il y ait cette somme, mais en même temps c’était horrible. De toute façon, j’ai fait un burnout à l’époque et j’ai tout laissé tomber. Comme à chaque sortie d’album ou après les concerts.
La Face B : Pour moi Stup Virus, quand il est sorti, j’avais l’impression que c’était ton album « fantasme ego trip hip-hop » et qu’il sortait de la ligne que tu t’étais définie avant. Je me demandais, si Stup Forever n’avait pas été fait en réaction à Stup Virus.
Julien : Bien sûr, c’est exactement ça. En fait, mes maquettes – car à chaque fois j’ai vingt maquettes par morceau – pour Stup Virus sonnent comme pour Stup Religion ou comme Stup Forever. C’est exactement le même son. Par rapport au crowdfunding, ce qui est choquant, c’est cette somme. Tu sais que je n’ai pas fait du tout fortune. Ça a été réinvesti. Et l’on a mis trop d’argent dans des clips foireux. Pour moi, c’est un ratage. À l’époque, il y a eu des articles qui ne parlaient que du crowdfunding. Pas un mot sur l’album. Je m’en fous de tout cela. Je fais de la musique. Maintenant si tu écoutes l’album, tu verras qu’à l’arrivée le truc est pas mal. Pour moi, Stup Virus c’est l’album de Kubrick de Stupeflip. Il est kubrickien. C’est la fin de 2001 l’Odyssée de l’Espace.
La Face B : Même dans la pochette il y a des trucs qui s’y réfèrent.
Julien : La meuf qui parle, c’est le robot. Je m’en suis rendu compte il n’y a pas longtemps. C’est l’album Kubrick. Mes maquettes étaient incisives comme d’hab. Peut-être qu’à la fin, je n’en ai pas choisi les bonnes versions. Dans une catastrophe aérienne, il y a toujours 20 causes qui jouent et jamais une seule. Je suis tellement passionné, tellement dans mon truc, que je pense, que rétrospectivement ce n’est pas un ratage. Il y a juste que je ne peux pas écouter cet album.
La Face B : Moi, je l’aime beaucoup. Si tu regardes, il a des textures très pop et limite tu aurais l’impression que c’est Pop Hip qui l’a mixé.
Julien : J’avais eu l’idée d’un peu l’aseptiser et le rendre mainstream, au moins au niveau du son. J’adore les mixeurs et le mix, mais je suis assez mauvais. Par exemple, Stup Forever, j’adore l’intention, mais, si tu écoutes bien, tu verras qu’il n’y a pas d’espace entre les instruments. Ce que je n’aime pas chez les mixeurs, et tous les mixeurs font pareil, c’est qu’ils mettent de l’espace entre les instruments. Tu écouteras les très bons mix – les plus forts dans le domaine ce sont les Américains – ils mettent beaucoup d’espace entre les instruments. Du coup pour moi, c’est décousu. Stup Virus a été mixé un peu comme cela. Les gars mettent de l’espace et trippent sur des espèces de fréquences qui ne sont pas forcément les miennes, surtout que je deviens sourd d’une oreille [Rires].
Par contre, je peux te raconter une histoire sur le talent de ces mecs. J’ai travaillé avec René Ameline des Studios Ferber qui est mort depuis. C’est le mec qui a construit Ferber. C’est lui qui avait mixé l’album [Hypnoflip], malheureusement il est mort quelques mois après. Tu lui amènes un son avec 50 pistes. Je rajoute ensuite un clavier. Et deux mois plus tard en réouvrant le morceau, instinctivement le premier truc qu’il a mis de côté c’était ce dernier clavier.
Ces mecs, ce sont des oufs. J’ai beaucoup de respect pour eux. Maintenant dans Hypnoflip ou Stup Virus, certains mix ne sont pas comme je les aurais souhaités. Au bout de trois jours, les deux mixeurs m’ont engueulé. Je leur avais demandé de faire les niveaux entre les instruments. Ils m’avaient dit « Mais bien sûr ». Et quand j’ai commencé à le faire, c’était devenu hors de question. Les mecs s’énervaient. Les mixeurs font ce qu’ils veulent.
La Face B : C’est un peu deux dictatures qui entrent en collision.
Julien : C’est exactement ça ! Et tout le problème que j’ai avec Stupeflip, c’est de ne surtout pas devenir un dictateur. Mais, je sais exactement où je veux aller. Ce qui s’est passé par exemple avec Renaud Letang, c’est qu’à un moment, il s’est senti blessé par un truc que je lui avais dit. Dans ma tête, ce n’était pas blessant. C’était juste un avis. Il m’a dit que ça lui avait fait perdre un peu ses moyens. J’ai une personnalité assez cool, mais je peux avoir par moment un regard assez déstabilisant.
La Face B : C’est ce qui doit être encore plus frappant quand tu portes ton masque.
Julien : Oui, ça dédouble le truc.
La Face B : Ce qui est marrant, c’est que tu dis que tu ne veux pas être une dictature, mais en fin de compte Stupeflip c’est un peu une dictature schizophrénique.
Julien : Je le suis avec moi-même. C’est très dur de faire un bon morceau. J’en fais cinquante avant d’y arriver. Alors oui, je suis hyper dur avec moi-même. Mais je ne veux pas être dur avec les autres. C’est pour cela qu’aujourd’hui je travaille tout seul, comme je l’ai pratiquement toujours fait. Surtout, je ne veux emmerder personne. Je suis dictatorial avec moi-même. C’est pour cela que c’était une erreur de vouloir me trouver les meilleurs mixeurs. Ils n’avaient pas très bien compris qui je suis. Je ne suis pas trop fait pour bosser avec d’autres gens.
La Face B : Finalement, tu représentes bien cette idée. Sur les 20 ans de Stupeflip, les gens qui sont les plus durs avec eux-mêmes, ce sont ceux qui appellent le plus à la bienveillance. Et pour moi, toute la musique c’est ça.
Julien : Comme je passe 90% de mon temps à être dur avec moi-même, quand je décide de voir des gens je suis hyper cool. Je n’ai pas du tout envie d’emmerder qui que ce soit. Par contre, les milieux artistiques sont remplis d’ego et de tensions. Dans ce milieu, c’est une tension tous les six mois. Et elle vient de partout. C’est hyper dur pour moi. J’en ai chié. J’en ai vécues et je n’ai jamais vraiment gagné beaucoup d’argent parce que je me suis retiré à chaque fois que ça commençait à marcher.
La Face B : Un album comme Stup Religion, c’est un suicide commercial. L’album est incroyable pour quelqu’un qui aime Stupeflip, mais c’est un suicide commercial. Tu te fous de la gueule des maisons de disque, tu te fous de la gueule du milieu. Tous les piques lancés aux majors, des titres comme Argent ou Stup Monastère c’est de la sulfateuse.
Julien : Argent et Stup Monastère sont mes deux préférés. Dans Argent la musique n’est pas terrible, mais j’adore son texte. Stup Monastère, c’est un des seuls morceaux que j’écoute de temps en temps, les autres pas trop.
La Face B : Du coup, on va revenir sur Stup Forever. Tu parlais de solitude. Et ce qui est marrant c’est que quand on regarde les pochettes il existe une évolution entre tes disques. Sur celle de Stup Forever, tu es seul sur la pochette. Et c’est une première. Comme si King Ju était devenu un isolé du monde qui l’entoure. Il y a quelque chose de crépusculaire dans cette pochette.
Julien : Souviens
toi des interludes qui expliquent le truc dans le premier album de Stupeflip, l’Épouvantable épouvantail ou À bas dans la hiérarchie, ça a toujours été une histoire de vengeance de King Ju. C’est ça l’histoire de Stupefilp. Mais le premier album n’est pas très connu. Le tee-shirt « Vengeance » que je porte c’est ça. C’est pour boucler une boucle.
On pourrait penser que MC Salo ou que Cadillac ont disparu, mais ils sont dans le vaisseau quelque part sur la planète. Il se trouve que l’on me voit à cheval parce que je trouvais cela bien de ne montrer, pour une fois, qu’un seul personnage. Je faisais toujours des pochettes avec dix mille persos.
Et ce qui est très drôle dans cette pochette, c’est la tête de cheval que j’ai fait à la peinture. Je suis capable de faire une peinture un peu comme une photo. J’adore le côté concentré, un peu sombre, de King Ju et en opposition avec le côté débile du cheval. Les yeux de King Ju, c’est le cheval.
La Face B : Il y a un côté Don Quichotte
Julien : C’est ce que l’on m’a dit, mais je n’avais pas du tout pensé à ça. Tu sais pourquoi on pense à Don Quichotte. C’est parce qu’il est de face et qu’on imagine souvent Don Quichotte sur un cheval maigre. Mais c’est plus un truc de science-fiction et non une référence à Don Quichotte.
La Face B : Du coup, il y a vraiment un retour aux côtés éclatés de Stupeflip. Beaucoup de Hip-hop et dans la rythmique un Boom Bap qui est très présent. Mais j’ai l’impression que l’album trouve son unicité dans la présence fantomatique de ton père qui relie les morceaux.
Julien : Elle a toujours était présente. Elle est là depuis le premier album. C’est clair que mon papa, c’est quelque chose d’important pour moi. C’était quelqu’un d’incroyable. D’ailleurs, c’est lui qui m’a – vraiment – fait découvrir la musique. Il était très fan de musique.
Le premier article publié dans les Inrocks en 2002 a été écrit par le patron des Inrocks. Il s’était mis toute l’industrie de la musique à dos en disant que c’étaient des cons de s’être barrés au concert de Stupeflip des Trans Musicales. On était provocants. Il avait dit : « Vous êtes tous des cons, je comprends pourquoi je vis en Angleterre ». Il savait que mon père était peintre et qu’il venait de mourir (il est mort juste à la sortie du disque). Sur le fait que je crie, il avait écrit « C’est la voix d’un père autarcique qui résonne encore ».
Il y a énormément de cela dans Stupeflip. À la base, Stupeflip s’adressait à la misère des garçons ou à la connerie des hommes. Ça a toujours été tourné dans ce sens. C’est en même temps un hommage à mon père et l’exposition d’autres choses, pouvant paraître impudiques que je regrette peut-être un peu.
La Face B : Ce qui a d’intéressant dans cette impudeur, c’est que cela fait écho aux précédents albums. À l’Enfant fou, Au Cartable… cela change la perception de ces morceaux.
Julien : Ce que tu dis, ce journaliste Jean-Daniel Beauvallet l’avait remarqué dès le début. Il y a énormément l’image du père, parfois un peu à l’ancienne. Daniel Goossens, un auteur de bande dessinée qui est pour moi un génie, n’arrête pas de se moquer de l’image du père qui est un peu comme un mur. Je ne sais pas comment est ton papa, mais des fois ils sont un peu fermés. Ils ne parlent pas, ils sont pudiques. C’est l’image du mâle à l’ancienne qu’il faut changer. Il y a aujourd’hui un repli réactionnaire pour ceux qui tiennent à garder cette image. Mais ce mâle à l’ancienne, pour moi, est très problématique.
La Face B : Tu en parles de manière très discrète, mais pour moi il existe un interlude à portée politique sur Stup Forever qui m’a directement fait penser à Zemmour.
Julien : Non, c’est plus le délire sectaire. Tu peux penser à plein de trucs en écoutant ça. En fait, ma référence c’est le Collaro Show. Tu vois l’histoire des sectes : « Maître, quel est le nom de cette secte ? ».
L’interlude dont tu parles, c’est celui avant L’truc xplosiff. C’est un énorme pied de nez à toutes les idées conspirationnistes. C’est complètement surréaliste quand tu l’écoutes. La secte qui se réjouit que le monde aille mal. Ça me fait hurler de rire. Stupeflip a toujours été collapsologue. Tout va s’effondrer. Regarde la pochette du premier album. Mon influence, c’est Tintin. Dans l’Etoile Mystérieuse, il y a une espèce de taré qui dit « C’est la fin du monde » en tapant sur un gong. Le délire est là. Il n’est même pas politique. D’ailleurs, ce n’est jamais vraiment politique, car il n’y a pas de parti pris. C’est ce qui me plaît. Enfin si, ça prend parti, mais comme le fait Stupeflip.
La Face B : Tu cites Tintin, mais il y a toujours eu beaucoup d’influences, de science-fiction, de jeux vidéo.
Julien : Si j’ai adoré les jeux vidéo, mais j’avais les Vectrex, les premiers.
La Face B : Dans l’ego trip ou le name droping, tu parles de sujets actuels, mais tu name dropes des choses qui ont des rapports avec ton enfance et ta jeunesse.
Julien : Parce qu’il faut toujours raconter ce que tu vis. C’est ce que les gens aiment. Mais, il y a une composante perverse – et je fais très attention à cela – sur les quelques punchlines impudiques (sur les cinq albums, il y en a trois-quatre), par exemple sur le morceau de Nan ? … Si ?. Le problème des fans de musique – ceux qui aiment la musique profonde (et Stup c’est assez profond même si cela ressemble à une grosse blague) c’est qu’ils aiment voir l’artiste souffrir.
C’est pour cela qu’un mec comme Jacques Brel est porté aux nues et que l’on dit que c’est le plus grand chanteur. Mais Jacques Brel, ce n’est que de la souffrance. 80% de souffrance, d’aigreur et de dureté et j’ai l’impression que les gens aiment ça. C’est ce qui me gêne. Il y a un côté « pute » dans le chanteur. Moi, je m’en fous, je suis chanteur par nécessité. Je fais des sons. Je n’en ai rien à faire des chanteurs. C’est pour cela que je transforme ma voix et que j’essaye d’en faire un instrument. Ça ne m’intéresse pas d’être chanteur. Alors évidemment je deviens King Ju, le chanteur, ou Rascar-Capac. Mais ça m’emmerde. Ça me fait grave chier cette idée-là. Mais malheureusement, notre société communique beaucoup sur l’image.
La Face B : Tu joues avec ta voix et tu as plusieurs personnages pour éviter ça.
Julien : Exactement, c’est pour éviter ça.
La Face B : J’ai l’impression que tu ressens une vraie crainte et un vrai danger provenant des mots. Tu pèses vraiment les mots quand tu les utilises.
Julien : Je l’ai dit dans toutes les interviews. On pourrait croire que Stupeflip est subversif, mais au contraire, c’est extrêmement bien-pensant dans le bon sens du terme. Parce que maintenant, la bien-pensance a une signification péjorative. D’ailleurs, si cela intéresse des gens, j’ai lu un texte sur la bien-pensance d’une musicienne qui s’appelle Jeanne Cherhal. Son texte est extrêmement bien vu. On est dans une société où les gens en ont marre. Alors quand tout part en couille, on s’abreuve à des eaux bizarres. Dans toutes les périodes où ça a été mal, les gens cherchent des réponses qui ne sont pas les bonnes et se font embringuer dans des escroqueries.
La Face B : Pour la blague, je viens d’Hénin-Beaumont et j’ai vu le pouvoir que pouvaient avoir les mots, le chaos et la dépression qu’ils ont sur les gens.
Julien : Je ne veux pas donner d’avis politique, mais je pense qu’il faut changer la façon d’en faire. Je fais extrêmement attention aux mots dans Stupeflip. Je te jure, je fais super gaffe. C’est coupé au cordeau. Il n’y a rien à censurer. Ce que j’écris est bienveillant. Quand je vire un mot, c’est qu’il ne sonne pas ou que c’est trop abusé. Ou alors je les mets à l’envers. Quand je mets des mots à l’envers, c’est qu’ils ne me plaisent pas trop.
La Face B : Tu en joues aussi. Sur un titre comme Étrange Phénomène, tu coupes les mots, mais pour en faire du son. Et de ce fait, le morceau gagne en hauteur.
Julien : En fait, la voix, je la vois comme une petite trompette présente sur tout le morceau. Je déteste tout le côté starification. Cela m’a toujours emmerdé. Maintenant, on en est tous victimes. Toi en tant que fan de musique, sur le fait d’aimer quelqu’un et de triper sur lui. Si tu as un blog, La Face B, c’est aussi pour cela. C’est aussi, j’imagine, pour rencontrer des gens que tu aimes bien. Mais pour moi, même ce principe là est chiant. Je suis un fan de musique. Et quand je rencontre quelqu’un que j’aime bien, je suis comme un con.
La Face B : Comme quand je t’ai croisé. Je me suis senti complètement con.
Julien : Mais qu’est-ce que tu veux dire au mec ? « Bravo ». Et puis cela n’apporte rien. J’ai ma vie. Quand je me lève le matin, je ne pense pas à Stupeflip.
La Face B : Pour moi, Stupefilp, c’est une secte sans gourou.
Julien : Bien sûr, c’est exactement ça et j’ai brouillé les pistes. Il y a plein de personnages. Salo et Cadillac ont leurs propres écritures avec des punchlines de ouf que les gens connaissent par cœur. Tout cela fait l’unité. C’est pour cela que dans Le Crayon Titi, je dis « Il est sympa Stupeflip ». Ouais, il est sympa comme on pourrait dire « Il est sympa Les Beatles » [Rires]
La Face B : Mais même un personnage comme Pop-Hip que les gens aiment détester, pour moi il représente la pureté de l’enfance.
Julien : Je trouve plutôt qu’il a un côté angoissant.
La Face B : Sur Stup Forever, tu le switches complètement. C’est presque lui la voix la plus sérieuse de l’album.
Julien : J’avais déjà commencé dans Stup Virus, avec Lonely Loverz. En fait Pop-Hip a grandi. Pourquoi ? C’est une histoire à la con. Je regarde parfois les messages sous les vidéos, il y a un mec et un seul qui avait mis « C’est sympa Pop-Hip, mais Julien tu devrais le faire vraiment pop. ». Il avait raison et c’est ce que j’ai fait sur les deux derniers albums. Pop-Hip c’était un peu un mec à la Lio, un peu oui-oui. Tout d’un coup, il a grandi et s’est fondu dans les formats de la pop.
La Face B : Il y a ce passage à l’âge adulte dans ce personnage. C’est celui que tout le monde déteste, mais c’est aussi celui qui évolue le plus dans ses pensées et sa façon d’être.
Julien : Plus touchant. Sur les deux derniers albums, il devient plus mélancolique. Je le savais plus ou moins, mais je le découvre vraiment en t’en parlant.
La Face B : Ce qui m’avait fait rire, dans Stup Religion c’est un gamin. « Et… Et par exemple si j’dis « poivron », par exemple, et bah si plein plein de gens achètent le disque, hé bah c’est plein plein de gens qui vont entendre le mot « poivron » » c’est une blague de gosse ! Vraiment, il y a cette évolution.
Julien : Elle est terrible cette punchline ! Mais tu sais ce que ça veut dire ? Ça veut dire, je fais ce que je veux ! J’ai dit « poivron », mais j’aurais pu dire « perroquet ». Et ça, c’est fort ! [Rires]
La Face B : C’est toute la liberté de Stupeflip.
Julien : C’est toute la liberté de la création, sans me la péter. Je suis un petit artisan. Je ne pense pas être « artiste » dans le sens où on l’entend « l’artiste, tu vois… » [prononcé avec l’accent mondain].
La Face B : Et quand tu emploies un terme comme « le patron de la menuiserie » pour moi, il n’est pas anodin. Car oui, Stupeflip c’est de l’artisanat.
Julien : Attends, il faut que je mette ça au clair. Beaucoup de gens disent que le patron de la menuiserie c’est Cadillac. Il faut expliquer qu’au premier morceau de Stupeflip, celui où je gueulais, j’avais un quatre pistes à l’époque et c’est Cadillac qui avait enregistré la voix, tout comme sur Comme Les Zot. Je faisais déjà de la musique chez moi – l’endroit où Stupeflip a grandi – « La vieille dame du dessous elle aime pas les basses. Et la vieille dame du dessous elle aime pas beaucoup les basses ».
Mais j’allais aussi chez Cadillac. J’avais plein d’idées et je voulais qu’il soit comme un concierge en blouse bleue. Il était dans la paille, dans la menuiserie. C’était lui, le patron de la menuiserie. Je le voyais avec une moustache en vieux concierge avec sa blouse bleue avec des stylos. C’est pour cela que Cadillac est devenu le patron de la menuiserie.
La Face B : Il y a cette idée d’artisanat.
Julien : Oui, j’ai fait le morceau des années avant. Sept ans avant que sorte Je Fume Pu D’Shit. C’est de l’artisanat poussé à son extrême. Il n’y a pas de prétention derrière. Mais si je suis touché quand ça parle aux gens, cela me parle d’abord à moi-même.
La Face B : C’est ce qui est très clair lorsque l’on t’écoute. Pour moi, Stupeflip même si tu parles aux autres, c’est un acte égoïste.
Julien : Attends, c’est important l’égoïsme. Parce qu’on est dans des sociétés ultra égoïstes. Chacun pour sa gueule. C’est bizarre, parce qu’il y a un truc complètement fou – égoïste – de se dire je parle à des milliers de gens quand je fais un disque. Rien que ça, c’est dingue. Mais en fait, je ne pense pas à ça. Par rapport à l’égoïsme, ma passion, le pourquoi je fais ça (et je l’ai dit des milliers de fois), c’est pour les sons. C’est vraiment pour les mélodies, les claviers, les beats, les transitions, les interludes, les départs de morceaux, le départ du refrain… C’est ce qui m’intéresse. Et c’est pour cela que je fais ça.
Et ça, ce n’est marqué par rien, ni par l’argent, ni par l’amitié, ni par l’amour. C’est une passion. Alors, évidemment, on peut penser que c’est de l’égoïsme. Tu focalises sur un truc tout seul. Mais j’ai toujours pensé que c’était plus fort quand cela venait d’une seule personne. En l’occurrence, cela vient de « nous », car il ne faut pas oublier Cadillac et Salo. Mais quand il existe un point de vue unique, d’une seule personne, c’est forcément très fort.
La Face B : Pour moi, Stupeflip c’est plus que des albums. Ce sont des films. Il n’y a pas pauses entre les morceaux et dans la structure des fois, c’est comme s’il y avait des changements de plans.
Julien : Tu vas me prendre pour un fou, mais dans dix ans, dans vingt ans, ou peut-être avant, il y a aura une comédie musicale Stupeflip.
La Face B : On n’attend que cela ! J’imagine le truc !
Julien : Je devais faire de l’image. J’ai été graphiste illustrateur indépendant pendant quatre-cinq ans. J’ai bossé pour des magazines, j’ai beaucoup dessiné. Là, je m’y remets. Et en fait, ce sont des images. Des images en musique. Mes musiques créent des images. Et pourquoi j’aime Booba ? Parce que Booba crée des images lui aussi. Quand il dit : « Si Y’avait Des Bites Par Terre Y’en A Qui Marcheraient Sur Le Cul ». C’est une image. Tu vois les mecs, le fute baissé. Avant Stupeflip, je devais faire de la bande dessinée. Et finalement j’ai fait de la musique.
La Face B : Il y a toujours eu ce côté cinématographique et je trouve qu’il est encore plus présent dans ton dernier album. Des morceaux comme Gluô, je les trouve passionnants parce qu’ils font dire que l’émotion de Stupeflip passe d’abord par le son. J’ai l’impression que tu pourrais sortir un album instrumental.
Julien : Le premier album de Stupeflip devait être à 50% instrumental. Mais on m’avait plutôt poussé à écrire des textes. Ça aurait été beaucoup moins vendeur. C’est toujours pareil. Les gens veulent une voix, les gens veulent un artiste, les gens veulent une personnalité. Et quand je dis que les gens veulent, c’est plutôt le milieu qui le veut.
La Face B : J’ai l’impression qu’avec l’aura que tu as aujourd’hui et la base de fans qui te suit…
Julien : Elle n’est pas énorme.
La Face B : Oui, mais elle est terrifiante.
Julien : Tellement terrifiante, que je ne parle même plus à certains fans. Il y en a des vraiment fous. Sur 1 000 fans de Stupeflip, il y en a bien 50 qui sont complètement dingues. Ça, c’est internet. Et je tiens à dire : « CE N’EST PAS STUPEFLIP QUI GERE l’A.S.F.H. !!!» [Association de Stup Fanatique]. L’A.S.F.H., on ne s’en occupe pas. C’est un groupe que les mecs ont créé. Et il y existe des tensions comme dans tous les trucs internet.
La Face B : Il existe des tensions comme dans les histoires que tu racontes.
Julien : Le pire, c’était l’époque des forums. Tu n’as pas connu. Surtout que je ne suis pas lié à l’A.S.F.H.
La Face B : Ce qui a de marrant, sans le vouloir, tu as été un des premiers en France à avoir cette base de fans et à l’utiliser.
Julien : On l’utilise jamais en fait. Ils sont déjà utilisés par les sons. Tout album, toute musique, toute création est en soi une manipulation. Ce qu’il faut comprendre, c’est que le milieu de la musique a voulu jouer avec le fait que les mecs sont fans. Mais non, les gens sont déjà manipulés par le son. C’est ce que je voulais. Mais quand tu as ce pouvoir de manipulation – parce que c’en est un – tu es condamné en retour à être très cool. il y a tant de gens qui t’écoutent et pour qui c’est important que je fais super gaffe à ce que je leur mets dans la tête. Je fais Stupeflip comme si je parlais à un gamin, en essayant d’être, en même temps, super cool et honnête.
La Face B : Même si tu le penses, je trouve que la bienveillance n’est pas feinte.
Julien : Une des définitions de Stupeflip c’est : « Je fais ce que je veux ». Et on n’a pas envie de s’embêter avec tout ce qui nous emmerde dans nos vies. On n’a pas envie de se faire emmerder par les patrons ou même par les potes. Tu peux t’embrouiller avec. Mais ce n’est pas être anarchiste. Je suis passé sur France Inter et ils ont dit que Stupeflip était un peu anarchiste. Ce n’est pas du tout le cas. Être anarchiste c’est détruire.
La Face B : Au contraire, Stupeflip c’est de la construction.
Julien : C’est une construction mathématique et j’étais nul en math. Finalement, ce n’est pas si construit que cela. Je fais du son. Je fais des assemblages de sons. Et après je me laisse aller à trouver des sujets. Et cela fait un gloubi-boulga. Par contre, sur le dernier album il y a un truc puissant que personne n’a remarqué, c’est que les morceaux s’enchaînent. Ils font 2mn30, on dirait Trompe le Monde des Pixies. C’est pour cela que c’est mon album préféré. Déjà, il n’y a pas de Pop-Hip comme sur Hypnoflip – les Cœurs qui Cognent et les Blousons en Daim.
La Face B : C’est l’évolution du personnage…
Julien : Il a laissé quand même pas mal de merdes sur les albums de Stupeflip. Il faut être honnête.
La Face B : Mais j’ai l’impression que tu l’utilises pour t’autoriser à parler du côté superficiel. Pour moi, le Blouson en Daim c’est une critique de la société de consommation.
Julien : Pop-Hip, c’est marrant. Ça donne de l’air dans les albums, mais il aurait fallu que ce soit plus classe. C’est vrai qu’à l’arrivée on dirait une grosse blague des années 80, comme Partenaire Particulier. Et le côté grosse blague, second degré ou on ne sait pas trop. Rien n’est vraiment au deuxième degré dans Stupeflip.
La Face B : Pour moi, c’est du premier degré total.
Julien : Mais pareil, dans la radio après anarchiste, il me dit que c’est cynique. Mais pas du tout. Il y a très peu de cynisme dans les morceaux de Stupeflip. Il y en a certains, certaines punchlines…
La Face B : Lorsqu’à 15 ans, j’ai commencé à écouter Stupeflip, j’écoutais aussi Klub des Loosers. Vous étiez deux héros masqués, mais tout en étant le yin et le yang. Tu étais la bienveillance et lui le cynisme.
Julien : Il m’a l’air assez misanthrope le Fuzati. Je sais qu’il n’aime pas trop Stupeflip. Il a dit dans une interview que ça le faisait chier d’être comparé à Stupeflip. Et je le comprends.
La Face B : Oui, parce que vous n’avez rien à voir.
Julien : Non, mais… J’aime beaucoup Fuzati. Je l’ai déjà dit. Après, il a un côté très misanthrope. En fait, sur la misanthropie, j’ai toujours parié – je me trompe peut-être – sur le fait que Fuzati est un faux misanthrope. Mais peut-être pas…
La Face B : Ce qui a de marrant, c’est que lui a une voix hyper monocorde – le truc qui ne change jamais – alors que toi tu joues complètement avec elle et avec tes personnages. Chez toi, c’est le son qui importe. La voix est un instrument.
Julien : La vedette, c’est la musique. Si tu compares à d’autres choses. Fuzati c’est vachement différent, mais je trouve qu’il écrit incroyablement bien. Mon truc, c’est davantage la musique. Pendant des années, j’ai écouté des sons américains où je ne comprenais pas les paroles. Cela vient simplement de là. C’est comme cela que j’ai été construit. Stupeflip, il faut le voir d’un point de vue musical. Après, ce qui plaît aux gens, ce sont les comparaisons. Mais si tu te focalises sur la musique, tu as tout pigé.
La Face B : Tu parlais du côté blague chez Stupeflip, il y a une phrase qui résume très bien cet aspect qui figure dans le morceau Stup Danse : « Gratte dans la terre et trouve les pommes de terre ». Stupeflip, tu peux rester à la surface, mais le vrai intérêt est quand tu creuses.
Julien : Exactement, quand tu rentres dedans. Mais ce n’est pas facile de rentrer dedans. Après « Gratte dans la terre », je l’avais déjà dit une fois il y a quinze ans et peu de monde le sait, mais cela vient de mon père qui dessinait des pommes de terre. Il en faisait des alignements. Des dessins de ouf au crayon à papier. Ça vient de là. C’est pour cela que je te dis que mon père revient souvent en message caché. Mais il n’y a pas que mon père. Il y a plein d’autres souvenirs d’enfance. Et c’est ce qui crédibilise l’univers de science-fiction. Cela fait vriller certaines personnes parce qu’ils ne comprennent pas ce qui fait que ce que je dis est fort. Mais moi, je le sais. C’est dingue.
La Face B : Ça te fait marrer, les gens qui fouillent et qui cherchent des théories sur Les clés du mystère au chocolat, La Menuiserie.
Julien : Ils peuvent en trouver encore pendant 700 ans. Parce que – comme le complotisme – plus ils en trouvent, plus cela s’alimente. Effectivement, j’ai lu certains longs papiers évoquant des trucs auxquels je n’avais pas du tout pensés. C’est normal, car j’ai fait en sorte que tout soit lié. C’est un puzzle, tout est interconnecté. Tu peux trouver des connexions de partout. C’est comme un arbre généalogique. C’est ce qui est génial. Chaque morceau est une fusion en lui-même et chaque autre morceau est un autre délire. Finalement, l’album est une fusion de plein de délires. C’est ouf. On sent bien que le mec veut que les gens s’aiment. Moi j’ai envie que les gens s’aiment.
La Face B : Tu dis penser que les gens sont généralement trop durs.
Julien : La musique sert à ça : « Faire que les gens s’aiment ». Même si c’est un peu niais de le dire.
La Face B : Quand tu dis que le Stupeflip Crou ne mourra jamais, parce qu’au bout d’un moment, il ne t’appartient plus.
Julien : Non, ce n’est pas ça. J’ai dit : « Il ne mourra jamais parce qu’il était gravé sur disque ». Je faisais de la musique depuis dix ans et je n’avais encore eu un vrai CD. C’était ça « le Crou ne mourra jamais ». Si une apocalypse nucléaire se produit, quand l’espèce humaine reviendra après avoir disparu, des gens pourront tomber sur l’album de 2002/2003.
La Face B : Oui, mais à la manière de Pop-Hip c’est quelque chose qui a évolué. Les gens se sont tellement accaparé Stupeflip.
Julien : Oui, mais parfois la façon dont certaines personnes s’approprient Stupeflip fait peur. Il y a des gens qui sont tellement dépressifs – on l’est tous plus ou moins – et qui n’ont tellement rien dans leur vie qu’à un moment la musique devient, pour eux, tout. Ça, c’est extrêmement dangereux. C’est une des raisons – je sais qu’il existe des gens qui écoutent et qui aiment bien, mais ils sont peu – pour que le truc reste positif. Sans faire le canard ou le rebelle à deux balles. Sans s’autocensurer, car je ne me censure pas.
La Face B : Tu dis ça, mais personnellement j’ai utilisé à plusieurs reprises Stupeflip comme une bouée de sauvetage. Et ce même si tu ne l’as pas pensé comme cela.
Julien : Tu l’as pris comme une bouée de sauvetage parce que – et c’est hyper prétentieux de le dire – surtout pour HypnoFlip et Stup Forever, c’est juste que tu as écouté de la super bonne musique ! Tu as écouté des mélodies, des beats, des rythmiques, des paroles, une ambiance. C’est ça le truc !
La Face B : Et le fait de se raccrocher à un univers qui nous correspond. D’être face à un artiste. Déjà, il y a 20 ans et c’était compliqué de le faire, c’était de la musique qui explosait les genres.
Julien : Oui mais, pour moi, le premier album est vraiment moins bon. Même Stup Religion, avec le temps, ne sonne pas très bien.
La Face B : Là, c’est aussi parce que tu es trop dur avec toi-même.
Julien : Non, ce n’est pas vrai. Stup Forever c’est le seul album que j’aime vraiment bien [Rires]. Il y a une énergie dans le dernier, si tu écoutes bien comment les beats tournent, tu verras qu’ils tournent beaucoup mieux que sur HypnoFlip, Stup Virus, Stup Religion et le premier.
La Face B : Parce que tu as cette volonté de rester moderne dans la façon de faire de la musique.
Julien : Je ne suis pas moderne, je suis passionné. Je ne pense pas à la modernité. Stupeflip n’est pas du tout moderne. La mode se démode super vite. Stupeflip a toujours été hors mode. Le dernier album est un album des années 90.
La Face B : Les gens aiment Stupeflip pour les mêmes raisons que d’autres ne l’aiment pas. Quand tu en parles, ils disent que c’est toujours la même chose.
Julien : Non, tu ne peux pas dire ça. Stup Virus est super différent [Rires]
La Face B : Je parle de gens qui écoutent Stupeflip de manière superficielle.
Julien : Ce qui m’intéresse, c’est appâter les gens avec du son, avec de bons sons qui les hypnotisent. Quand c’est réussi, c’est gagné. J’en reviens toujours au son. Il faut que ce soient des sons qui hypnotisent. Si cela m’hypnotise, cela hypnotisera tout le monde. Je suis dur avec moi-même. Je ne prends que les meilleures versions.
La Face B : Un de mes titres favori de Stupeflip, c’est un titre qui n’est même pas officiellement sur les albums, c’est Cold World.
Julien : Si ! Il apparaît en morceau caché sur HypnoFlip
La Face B : Oui, mais on est sur un morceau caché qui est quasiment instrumental et qui répond par une attitude « Stay Positive » à la fin d’HypnoFlip.
Julien : C’est le pendant de l’album. Mais je fais tout le temps cela. Gentil-méchant, blanc-noir, sombre-joyeux…
La Face B : En fait, Stupeflip c’est une musique d’écho. Il y a plein de trucs qui se répondent.
Julien : Oui, Cold World c’est une réponse positive, mais quand même un peu mélancolique. Je me sers beaucoup de l’aspect « comme je suis », mais cela me gêne toujours un peu. Là on a encore pris des photos avec la cagoule, pourtant elle m’emmerde depuis longtemps maintenant. Je n’aime pas me mettre en avant, je n’ai pas été élevé comme ça. Si Stupeflip est une réussite c’est grâce au son, même si parfois il y a aussi du déchet sur certains albums. Grâce à l’hypnotisme et à la chaleur que peut envoyer un son qui rentre dans la tête, tu as envie d’appuyer le bouton « Replay ».
La Face B : Et tu n’as pas envie de produire pour d’autres ?
Julien : Je suis tellement sur mes trucs que je n’y pense même pas. Mais – ce n’est pas de l’égoïsme – je suis tellement tenu par mon truc que c’est difficile de le lâcher. Mais là, je vais décoller un peu, pendant quelques années. Je vais me calmer, car j’ai beaucoup fumé. Ça a été tendu. Je vais essayer de vivre un peu plus normalement.
La Face B : La seule vraie collaboration de l’univers de Stupeflip – à part les albums de Cadillac et de Mc Salo – c’est Pop-Hip et Simone.
Julien : Non, j’avais aussi fait un truc avec Lofofora. Il y a eu des collaborations, mais Stupeflip possède un univers trop fort pour qu’elles fonctionnent bien. Déjà quand tu extrais un morceau, souvent en dehors du contexte il ne fonctionne pas. Il faut écouter le disque. Faire des collabs ne m’a jamais enthousiasmé. Mais je vais en faire. Et même des surprenantes. Vous allez être sur le cul. Un jour je reviendrai et tu n’imagines même pas avec qui je vais faire des trucs. Vous allez être morts de rire.
La Face B : Tu parles de passion pour la musique. Est-ce que tu continues d’écouter des choses neuves ?
Julien : Bien sûr et à fond. Je trouve qu’il y a de bons trucs en drill de rap, j’écoute du ricain aussi. Des fois, un peu de chanson. Un peu de vieux rock, de vieux rap surtout. Je suis encore sur le rap 90. J’ai trouvé des inédits de Wu-Tang. Toute l’épopée de GP Wu, Pop Da Brown Hornet c’étaient de mecs qui étaient à la base de Wu-Tang à Staten Island. Pop Da Brown Hornet, c’est un mec qui n’a pas eu de succès, mais qui a été à l’origine de beaucoup de choses. Bien sombre et avec des rappeurs de ouf, très New York.
La Face B : Justement, dans les rappeurs récents, celui que je rapprocherai le plus de ce que tu aimes c’est Benjamin Epps. Du coup je me demandais si tu le connaissais.
Julien : Benjamin Epps, je connais son nom, mais je ne l’ai pas encore écouté, je vais le faire. Ce qui est gênant avec Stupeflip, et c’est pour cela que je fais cela seul depuis des années, c’est qu’il n’y a besoin de rien. Cela ne ressemble à rien. Enfin si… il y a quelques influences – un peu trop visibles – comme Béru pour le premier album. La voix d’À bas la hiérarchie fait très Béru. En plus, j’ai appris qu’à l’enterrement de mon père, le père du chanteur des Béru était présent. Je ne savais même pas qu’ils se connaissaient, c’est un peintre comme lui [Claude Guillemot].
Dans les influences, il y a aussi un peu de Wu-Tang et d’Onyx. Je revenais de New York et j’avais envie de crier du français. Et je tombe sur Cadillac au studio son des Arts Déco et lui n’aimait pas trop le rap. Je voulais absolument faire un truc rap gueulé et finalement, ça s’est fait plus tard. Mais je gueulais déjà du rap en 1993. Je me mettais du coton dans la bouche en hurlant. On s’enregistrait comme cela [Rires]. Bien avant TTC ou Klub des Loosers !
La Face B : J’en avais parlé avec Disiz La Peste, vous êtes, toi et lui, beaucoup aimé par d’autres artistes, mais qui ne l’assumeront jamais.
Julien : Disiz, je connais mal. Je me suis arrêté à J’Pète Les Plombs. Je t’avoue que j’avais écouté des trucs un peu plus bizarroïdes que j’avais moins aimé. Il faudrait que j’écoute ce qu’il fait maintenant. Je suis plus rap ricain. Mais des trucs comme on en a actuellement, on appelait ça de la trap, maintenant c’est plus de la drill. La pulsation est dingue, car la pulsation de la drill, c’est du métal. Ils sont exactement sur les notes du métal quand il est lent. Tous les Slayer … C’est passionnant. Il y a trop de trucs qui sortent. Je ne peux pas tout checker.
La Face B : Est-ce que tu penses que pour certains artistes il y a une influence de Stupeflip qu’ils n’assumeront jamais.
Julien : Je n’y pensais jamais. Mais depuis trois-quatre mois, je me demande pourquoi Stupeflip est complètement comme ça. Ça vient de moi qui ne sort pas beaucoup. Dès qu’il y a plus de trois personnes, mon radar ne comprend plus. Et puis, il faut se mettre à la place des autres. Les autres musiciens se disent qu’on a nos délires et puis que l’on est très bien comme ça. C’est un délire tellement marqué et approximatif parfois. Ce n’est pas du tout dans les codes du rap de maintenant. C’en est très, très éloigné. Les gens ont comparé certains trucs à Vald, mais c’est très loin de tout ce qui sort aujourd’hui.
La Face B : Les gens ont comparé ça de manière superficielle en mode c’est du troll rap.
Julien : On était les premiers trolleurs du rap, et même de la musique en France. Il y a avait Trust longtemps avant [Rires]. On est parmi les premiers trolls respectés sur internet.
La Face B : J’ai vu en direct votre prestation à Top of the Pops à la télé
Julien : Tu sais que j’avais interdiction de faire Stupeflip. Ils voulaient que je ne fasse que Je Fume Pu D’Shit. L’enregistrement a été fait dans les conditions du direct. Ça passait un quart d’heure après et ils n’ont pas eu le temps de couper le massacre. C’était fou ! Je faisais : « Bande de bâtards ! »
La Face B : Je me souviens de ça et aussi d’une émission de radio avec Stéphane Bern où vous avez repris Amoureux Solitaire de Lio.
Julien : On a été tellement horrible, tellement sacripant, qu’à la fin il a dit : « Si c’est comme ça, je ne donne pas les dates ». Et il n’a pas donné nos dates de concert.
La Face B : Avec le recul, Stupeflip n’aurait pas pu autrement que ce que cela a été.
Julien : Parce que si dès le début, j’avais joué à être sympa avec les journalistes ou avec Ardisson ça aurait été baisé. Du genre : « Ah oui, Julien il est sympa on va l’inviter… » « Ah oui, Stupeflip c’est marrant pouêt pouêt gadget ». Tu deviens vite une espèce de connard.
La Face B : Et as-tu des regrets concernant Stupeflip, à part certains titres dont tu parlais ?
Julien : Si, j’ai des regrets lorsque les sons ne sont pas assez bons. C’est tout. Sinon des regrets, j’en ai peut-être sur des choix, mais les mixeurs faisaient ce qu’ils voulaient sur HypnoFlip et sur Stup Virus. Il y a des trucs que je regrette, mais bon. Ce n’est pas grave. Je trouve, quand même, qu’ils ont bien bossé.
Comme je suis quelqu’un de très sensible avec le milieu de la musique et les concerts, les pressions m’ont fait péter un câble à chaque fois. À chaque fois, j’ai fini en burnout. Il faut que les gens le sachent. C’est pour cela que j’ai parfaitement compris lorsque Stromae a fait son burnout. J’ai vécu exactement la même chose et plusieurs fois.
La Face B : Tu parles de Stromae, c’est marrant parce que je vous avais vu sur le même plateau à Saint-Quentin.
Julien : Je me rappelle comme si j’y étais encore. On aurait même pu aller le voir dans sa loge. Il était juste à côté. C’était avant qu’il cartonne. On n’a pas osé. Pourtant j’aime beaucoup Stromae, je trouve que c’est le meilleur. Souvent, on demande qui est le meilleur en France. Et bien c’est Stromae, un Belge. Après je n’écoute pas du Stromae quand je veux faire une fête et m’éclater en fumant des joints. Mais je kiffe à mort ce qu’il fait. Orelsan est très bon aussi. Il fait le boulot.
Stupeflip, c’est moins dans l’époque. C’est plus un ovni que tu pourras écouter dans dix ans et dans les mêmes conditions. Peut-être qu’un jour je ferai un truc avec un grand mec hyper connu. J’aimerais bien.
La Face B : On lance le message !
Julien : Serge Lama, j’aimerais bien.
La Face B : Tu parles de ça, mais j’ai l’impression que la phrase qui résume le mieux Stupeflip est dans une chanson de Renaud : « Je suis une bande de jeunes à moi tout seul »
Julien : C’est ce que j’ai dit dans les interviews. « Je suis une bande de jeunes à moi tout seul », et c’était clair dès le début, mais – et le « mais » est très important – il y a aussi Cadillac et Salo. Ce sont mes deux meilleurs amis de l’époque et aujourd’hui encore ce sont des gens que j’adore. Ils sont là, présents, avec une écriture qui est propre à eux, avec une vibe qui leur est propre – bien dingue. Je suis fan de Cadillac et ses punchlines sur les chenilles et les chevaux. Il fait davantage de jeux de mots.
Je ne veux pas trop parler d’eux parce qu’ils ont fait leurs albums, mais il y a dedans des trucs hyper intéressants. « Je suis une bande de jeunes à moi tout seul » (c’est vrai et j’adore Renaud. J’en écoute de temps en temps d’ailleurs, particulièrement son album place de ma mob) mais avec aussi Cadillac et Salo. Au début, Cadillac et Salo étaient prévus comme des featurings, mais ils ont vraiment intégré Stupeflip.
La Face B : Oui, ils sont sur la pochette du premier album. ils font partie du Crou
Julien : Mais le Crou c’est en même temps d’autres choses, une espèce d’utopie. Au début c’était nous, puis c’est devenu aussi les gens qui nous écoutent.
La Face B : C’est ce dont on parlait tout à l’heure. Stupeflip est une secte sans gourou puisque tu refuses ce poste.
Julien : Pour le gourou, j’ai pris une voix différente, celle d’une espèce de maître à la Palpatine (en fait, juste ma voie en pitché grave) avec Joël qui est l’adepte. Finalement, s’il y a un chef, ce serait plutôt ce mec-là. C’est cette voix grave : « Qu’est-ce que tu fais ? »
La Face B : Qui n’apparaît que dans Stup Religion
Julien : Non, il apparaît aussi dans Stup Forever ! Va écouter l’intro de Tellement Bon !
La Face B : Ah oui ! « Joël ? Que fais-tu ? Qu’est-ce que c’est qu’cette odeur ? ». Ce qui est marrant, c’est que ce personnage réapparaisse. C’est comme tuer Sandrine Cacheton pour faire revenir Fabien Pollet.
Julien : Sandrine Cacheton, c’était pour donner un coup de pied dans la fourmilière. J’en avais un peu marre. Il y avait eu des tensions avec Stupeflip sur les forums et autres merdes du genre Facebook. C’était tellement entre mecs que j’ai voulu mettre une voie de meuf pour calmer les choses. Je trouvais génial, tout d’un coup, d’arriver avec une atmosphère ouatée.
En fait, c’est abusé ce que j’ai fait avec Stup Virus. C’est complètement abusé, mais j’en avais parfaitement conscience. C’est un véritable ovni.
La Face B : C’est un album de rap-science-fiction
Julien : On a l’impression que l’on est dans l’espace et en même temps qu’il n’y a plus de sons. Comme dans une chambre capitonnée, une chambre pour les fous.
La Face B : C’est dans l’esprit de l’ego de King Ju
Julien : Tout est dans la tête. Il y a beaucoup d’ego trip. Mais moi, l’ego trip c’est naturel, ce n’est pas pour frimer. C’est juste qu’à l’époque j’écoutais du rap qui disait « Je suis le meilleur… » L’ego trip c’est un prétexte.
La Face B : Est-ce que la prochaine étape pour Stupeflip ne serait pas de réaliser un film de SF ?
Julien : J’en ai parlé dans les interviews que j’ai données. Mais le problème c’est que le cinéma coûte très cher et qu’il faut avoir à faire à des producteurs qui avancent de l’argent. J’ai un problème avec la production car souvent ce sont des mecs sans affect, sans emphase, sans empathie. Malheureusement, c’est soit ça, soit j’apprends à me servir tout seul d’un logiciel 3D.
La Face B : Tu pourrais réaliser un film d’animation ou revenir à la BD.
Julien : Pour l’instant, je n’ai rien de concret. Donc je ne dis rien. Et pour la BD, non, j’ai envie d’une image qui bouge avec du son. Mais le problème, c’est que l’image qui bouge c’est une grosse tannée. C’est une grosse galère, mais je vais y arriver.
La Face B : Et dernière question qu’on t’a déjà posée. J’avais eu la chance de te voir réapparaître sur scène avec Cadillac à la Cigale.
Julien : Je suis allé le soutenir.
La Face B : Mais pour toi, le live c’est fini, fini ?
Julien : Plus jamais, ça m’a tué. En plus, j’ai appris récemment que j’ai une cataracte. Ça m’a bousillé les yeux. Les genoux aussi. Depuis dix ans, j’ai une sciatique à cause de ça. Puis la tension, la pression, la fatigue. Il faut dire que ça fumait pas mal aussi. Ça n’aide pas. Pour les concerts, c’est très cool d’être avec Cadillac et tous les potes, mais c’était également fatigant. Entre 2012 et 2013, ça défonçait ce que l’on faisait en concert.
La Face B : Sur la deuxième partie HypnoFlip où vous faisiez des DJ Sets après.
Julien : Là, on a fait quelques bons concerts.
La Face B : Je vous ai vus à cette époque et ça défonçait.
Julien : Tu as eu de la chance. Mais il fallait nous voir en 2013. C’était là où c’était top !
La Face B : J’ai des souvenirs de votre deuxième Aéronef à Lille.
Julien : Terrible ! Ça commençait à bien tourner. En fait, si j’avais continué, ça aurait pu devenir gros. Et je voulais éviter ça. Peut-être que l’on pense que je pète un câble quand je dis ça, mais franchement si on avait continué ces concerts là ça serait devenu big. En même temps, c’est hyper courageux ce que j’ai fait. J’ai sabordé le truc et je suis hyper fier de l’avoir fait.
La Face B : C’est ce que tu as fait à chaque fois.
Julien : Je ne veux pas être dans la lumière. Je veux que l’on m’oublie. De toute façon, maintenant on va m’oublier. Je fais un peu de promo et puis au revoir.
La Face B : Détruire pour mieux reconstruire.
Julien : J’ai besoin de me retrouver un peu tranquille.