Le sorcier à quatre têtes Sugar Wizard fait dans l’incantation. Pas de tour de passe-passe sur « Drifting Minds », mais une magie blanche que les quatre mages Victorien, Philippe, Aymeric et Kevin dispensent avec maîtrise dans ce premier EP 5 titres aussi fracassant qu’exigeant.
Le premier titre, « Bad Trap », annonce la couleur. Déjà, on prend cher. Des riffs psyché aux inflexions presqu’orientales nous métamorphosent, et de meuf posée en train de chroniquer un EP, on devient djinn qui ferait du headbang. Entre deux bonds impérieux, on se dit que ouais, c’est énergique et grisant, et qu’à ce stade, franchement, on s’en satisferait.
On est loin de capter l’essence du morceau à la structure pleine de reliefs pourtant. L’accalmie rebat les cartes. La batterie, soudain, se fait distante, et de ces sonorités étouffées naît une sensation étrange… L’esprit tournoyant comme par le truchement d’une prophétie autoréalisatrice, on s’interroge. Sommes-nous dans une crypte, une cave ? Car ce son opaque, n’est-ce pas celui caractéristique des lieux de nivellement inversé ? L’abri de tous les fantasmes, de la naissance des groupes de demain, tapi hier dans l’ombre et qu’on aimera au grand jour, sitôt que…
Le sort se rompt et la cavalcade reprend. Tirés vers la lumière à mesure que le rythme s’emballe, ça devient clair : ces quatre-là savent où ils vont et nous promènent.
Sur « Feel Good on the Konkrete » qu’on pourrait lire comme un clin d’œil à l’expérience passée, la ligne mélodique très narrative nous entraîne dans diverses directions. À frôler l’interdit : flirter avec la pop, ce genre mal aimé. On a à peine le temps d’être surpris qu’on bascule encore. De l’introspection à la taquinerie, « Practicing Magic Away From Home » ? vient nous chatouiller là où on ne s’y attendait pas. Les petites cymbales renforcent le côté titillant d’un propos sarcastique, quand la ligne de basse ancre le morceau dans une énergie combative. Des lames de fond, les chœurs. En émerge une forme de beauté brute, comme un avertissement.
En équilibre enfin sur le pont mélodique du titre éponyme, percutés de battements sourds, on ressent clairement la filiation avec leurs aînés. Le côté conclusif pressenti parfois s’affirme sur « How I could die ? », et le goût pour les compositions franchement mélodiques s’épanouit enfin. L’émotion qui affleure, tant dans le timbre que dans les arrangements, nous gagne, et à nouveau, on se croit en 2002, les ongles fébriles déchirant le blister de la compile mensuelle de Rock&Folk, sur CD. L’enchantement est bien là, né sans doute des ref’ 70’s et 90’s qui fourmillent, mais pas que.
Parce que ce qui distingue Sugar Wizard, c’est son inventivité. Les tests sur les effets, les structures qui se réagencent, le tout fait montre d’une témérité certaine, avec un fil rouge : créer la magie loin de la maison, tout en réfutant des dictats de l’industrie.