Une conversation avec Suzane

En fin d’année passé, Suzane a sortir son second album Caméo. Un album dans lequel elle s’ouvre plus que jamais et où elle explore avec bonheur les genres musicaux autant que les émotions. Nous avons eu le plaisir d’échanger avec elle autour de cet opus. L’occasion de parler d’ouverture, du fait de ne pas se retrouver piéger dans un personnage, d’échanger avec le monde et de féminisme.

Crédit : Cédric Oberlin

La Face B : Salut Suzane, comment ça va ?

Suzane : C’est une bonne question ça. C’est vrai qu’on nous la pose rarement en fait. En général, t’es toujours obligé de répondre à peu près la même réponse. « Ça va ». Non franchement, tu me chopes un bon jour. Ça va. C’est une belle journée, il fait beau. J’étais en tournée il y a quelques jours, j’ai passé des bonnes dates. Franchement, ça va quoi.

LFB : Comment se passe les retrouvailles avec le public pour cet album ?

Suzane : Je ne sais même pas si on pourrait parler de retrouvailles parce que ça s’est tellement enchaîné. Genre, je me disais il y a quelques jours, on se faisait la réflexion avec mes équipes live, ça fait quatre ans qu’on tourne, sans trop de stop finalement parce que j’ai à peine terminé la tournée Toï Toï que je me revois un mois et demi après, j’étais déjà en résidence pour proposer le deuxième show de Caméo. Les gens, ça fait à peu près 370 concerts qu’ils me suivent. Donc les retrouvailles, je ne sais pas si ce sont des retrouvailles mais en tout cas, c’est un long chemin qu’on fait ensemble.

LFB : La redécouverte peut être.

Suzane : Ouais, c’est ça. La redécouverte aussi. Suivre l’évolution, suivre l’histoire. Je pense que tout ces gens mine de rien… Ce public en fait partie de cette histoire puisque si on réfléchit un peu aux débuts, c’est quand même comme ça que ça s’est passé. Encore aujourd’hui, je remplis des salles sans trop de radio, sans trop de télé, sans trop de tout ça. Donc on va dire qu’aujourd’hui, c’est quand même le public qui, depuis la première scène à aujourd’hui avec ces deux Olympia remplis, a fait cette histoire.

LFB : Justement, le fait qu’il n’y ait pas eu de pauses entre les deux, comment tu as pensé à cet album ? Comment t’es venue l’idée de cet album-là, qui est quand même assez différent du premier sur plein de choses.

S uzane: J’imagine que si j’ai écrit cet album, c’est parce que j’en avais besoin, envie. On était en pleine pandémie. C’est vrai que c’est arrivé au moment où je tournais encore un petit peu mais c’était des jauges réduites, des salles assises, masquées. On était quand même nous, dans notre vie d’humain, dans un contexte un peu particulier quoi. Et donc, j’ai eu envie d’écrire des chansons, d’écrire ce deuxième album. Après, c’est vrai, peut être qu’il est arrivé très vite. Mais moi je n’ai pas ressenti que ça allait vite en fait. Je me juste dit que j’avais envie d’écrire un album.

Effectivement, je le trouve un peu plus doux cet album. Maintenant, en le réécoutant. Parfois, on ne se rend pas compte. Tu vois, tu écris, tu fais des chansons, tu les sors et c’est un an après où tu te dis « tiens c’est marrant, ça, ça, ça ». Je crois que j’avais envie d’un peu de douceur dans cette période où on ne voyait pas le bout du tunnel. Il y a pas mal de gens qui me disent qu’on ressent pas mal de nostalgie aussi dans cet album. Alors ça, je ne sais pas trop. Mais en tout cas, moi j’ai essayé de parler de l’essentiel. Dans mon essentiel, il y a ces 16 titres qui parlent d’amitié, de famille mais qui parlent aussi de féminicide, de plaisir féminin.

LFB : J’ai beaucoup aimé le titre de l’album parce qu’il a un côté très cinématographique qui correspond beaucoup aux morceaux et à ta musique. Quand on écoute l’album, est-ce que tu n’as pas eu l’impression d’avoir été un peu un caméo dans ta vie et aussi dans la vie de tes proches ? C’est peut-être aussi ce qui t’a donné envie de faire cet album-là.

Suzane : Ouais complètement. Je pense que ce mot caméo, il m’a inspiré de plusieurs manières. Déjà oui, effectivement, il vient du cinéma et depuis le départ, je me dis quand même que j’écris des chansons un peu sous forme de portraits, de films, de tout ça. Moi, j’ai eu l’impression de faire une apparition dans mes propres rêves en fait. A force de scénariser tout ça. Je me revois en train d’écrire mes premières chansons où je dis que je rêve de l’Olympia, etc. Je ne pensais pas que ça allait arriver pour de vrai. Et donc ce caméo, c’est une façon d’entrer dans la scène, un peu à la Hitchcock qui faisait très souvent ça dans ses films, qui rentrait dans sa propre œuvre.

Donc oui, déjà cette manière un peu d’entrer dans la scène et entrer dans la scène de mes proches aussi. Entrer dans la scène de tous ces gens qui, finalement, font ma vie. Parce que je les rencontre, ils m’enrichissent d’une manière ou d’une autre, que ce soit mes amis, ma famille, même mon ancien patron. Voilà, c’est une sorte de moi qui entre dans des scènes et qui les décrit. Donc oui, je pense que ce mot marche plutôt bien et je trouve qu’il évoque pas mal aussi la mise à nue. Là où je recherchais un peu ce truc-là sur Caméo, sur ce deuxième album. Un petit clin d’œil où on voit peut être un peu plus Océane, celle que je suis dans la vie privée, si on peut dire ça comme ça. Ça veut dire que l’évolution ne continuera pas dans les looks, etc. Je crois que j’ai toujours besoin de me transformer. Mais là, en tout cas sur celui-ci, peut être que j’ai eu besoin d’enlever un peu.

LFB : Il y a peut-être aussi une prise de contrôle sur le personnage de Suzane qui t’avait peut-être un peu dépassé à un moment.

Suzane: Peut-être oui.

LFB : Une prise de contrôle qui passe aussi par le changement de look, de coiffure ou des choses comme ça. On avait tendance à te catégoriser dans cette cas-là.

Suzane : Je n’avais pas envie que toute ma vie… Alors je ne sais si c’est toute ma vie parce qu’aujourd’hui, il faut tenir mais en tout cas, j’ai adoré arriver dans cette combi. Tu vois, quand je regarde cet album, je me dis voilà, c’est moi qui l’aie pensé tout ça. J’avais cette envie là donc je suis arrivée comme ça. Effectivement, au moment où je me suis sentie un petit peu emprisonnée dans « Suzane, ça ne serait qu’un carré, ça ne sera qu’une combi, ça ne sera de la musique électro » … Il y a commencé à y avoir trop de codes autour de moi. Et pour le coup, moi qui suis censée être une artiste où… On dit beaucoup de moi mais je le fais un peu naturellement, que je casse les codes, les diktats dans ma manière d’écrire, d’aborder différents thèmes. Je trouvais ça dommage de me sentir enfermée par les autres et d’être petit à petit dans un truc où mince, Suzane c’est que ça en fait.

LFB : Ça ne t’appartient plus en fait.

Suzane : Ouais, exactement. Je pense que c’est là où il y a eu une réaction peut-être. D’ailleurs, on l’entend peut-être dans le titre qui ouvre l’album, qui s’appelle Océane. Je pense aussi qu’à force d’avoir entendu pendant 4 ans « Suzane, Suzane » … bah ce n’est pas mon vrai prénom Suzane. C’est le blaze que j’ai piqué à mon arrière-grand-mère. C’est super, j’adore l’utiliser pour me sentir plus ouverte, machin mais je n’avais pas envie d’oublier finalement Océane, qui est la petite provinciale qui vient d’Avignon. Je crois que peut être qu’à un moment donné, il y a des gens qui m’ont fait ressentir qu’Océane était moins bien que Suzane et qu’il fallait surtout pas que je montre cette partie là de moi parce que ça ne serait pas assez bien. J’ai fait le contraire, évidemment. Ça ne m’a pas trop plus et je pense que par réaction, j’ai eu besoin de dire : ok, Suzane, Océane, peu importe, j’écris de la musique. C’est ça qui compte en fait. C’est pas mon carré, c’est pas ma combi, c’est ce que je raconte. Après, vous prenez ou vous ne prenez pas.

LFB : Il y avait quelque chose de presque schizophrénique au final.

Suzane: Clairement. C’est vrai qu’on peut le vivre un peu comme ça aussi. Moi, à la base, Suzane c’est… Est-ce qu’il y a aussi un moyen de se protéger derrière ce blaze et peut-être aussi derrière cette combi ? Je me rappelle que quand je suis arrivée là, j’avais ultra peur. J’ai encore peur, peut-être un peu moins. Mais il y a quand même beaucoup de gens qui m’ont posé cette question de : qui es-tu Suzane ? C’est dur de répondre à qui es-tu tout court. Je pense que parfois à un âge avancé, on ne sait toujours pas qui on est. On est dans cette recherche constante. Moi, j’ai la chance de me chercher en musique et peut-être de m’aider en musique à trouver qui je suis. Mais je pense qu’il fallait revenir par cette case. Toï Toï, Caméo, on verra ce qu’il se passera plus tard mais en tout cas, il fallait que je me recentre un petit peu avec cet album-là. Je pense que le public qui me suit depuis Toï Toï est ravi de me connaître peut être un peu plus « personnellement ».

LFB : C’est la suite logique j’ai l’impression. Tu parlais de douceur mais c’est peut-être aussi une volonté de surprendre parce que même dans ton chant ou dans la production, je trouve qu’il y a quelque chose de plus apaisé en fait.

Suzane : Possible. Après, je pense que j’ai toujours cette urgence en moi. Je pense que mon anxiété se retrouve dans les deux albums. On sent quand même qu’il y a des endroits où j’écris des chansons parce que là il faut quoi. Génération Désenchantée, La fille du 4ème étage, toutes ces chansons peut-être un petit peu sombre, c’était des évidences. Donc ça, les évidences, je les laisse arriver. Mais oui, effectivement, sur la prod’, sur plein de choses et tout, j’ai eu envie de m’ouvrir. Déjà, je pense que ça part aussi… Toï Toï, j’avais qu’une Akaï mini, mp4, c’était vraiment le seul truc que je pouvais m’acheter à cette période. On me l’avait offert d’ailleurs. C’est ma nana qui m’avait offert ça. Et j’ai pu composer ce premier album. En tout cas, je l’ai commencé comme ça. Là, pour mes 30 ans, mes amis et ma famille se sont réunis pour m’offrir un piano. Merci beaucoup. Ce qui a permis que sur cet album, il y ait un peu plus d’accords. Je suis partie d’accords. J’ai cherché beaucoup d’harmonie. Ce qui fait qu’avec ma vie, j’ai voulu aller plus loin aussi, dans les voix de tête, dans toutes les nuances. Alors, il y a pas mal de gens qui me disent aussi : Suzane, normalement, c’est la voix comme ça, un peu fermée, un peu nasillarde. Oui, mais il y a aussi d’autres facettes. Je pense que dans la voix d’un artiste, dans une voix, c’est intime la voix en plus. On ne peut pas avoir qu’une seule manière d’aller raconter quelque chose. Ça, c’est quelque chose que j’essaie encore d’explorer sur celui-ci mais sur les autres aussi.

LFB : Il y a un truc proche de l’acteur finalement. On parlait de caméo. J’ai l’impression que de pouvoir étendre et de pouvoir vivre de manière différente chaque morceau, qu’ils ne soient pas forcément drivé par un certain son, ça permet aussi aux différents messages et aux différentes chansons de mieux passer.

Suzane : Je suis assez d’accord avec toi parce que pour moi, les émotions, c’est un peu comme des couleurs. La musique aussi, c’est des couleurs. Donc tu ne peux pas raconter une émotion sur constamment la même musique. Pour moi, ce serait frustrant de ne pas pouvoir… Je pense qu’aujourd’hui, la musique est très large. On est dans une génération où on a beaucoup de mal à se catégoriser et je trouve çà cool en fait.

Parce que quand on nous demande « c’est quoi ta musique en trois mots ? » ou « c’est quoi ton style ? », franchement je trouve que c’est très dur d’y répondre. Alors peut-être qu’il y a des artistes qui arrivent à répondre plus précisément « ça, c’est mon style, il y a de ça, il y a de ça et il y a de ça ». Mais, je recherche constamment le lien entre la chanson française, entre le rap aussi parce que mine de rien, je crois que dans le rap, c’est là où on met les mots encore plus en avant, encore plus que dans la chanson. Peut-être qu’à l’époque, la variété, on mettait un peu les mots en avant. Là, je trouve que parfois, dans les chansons de variété, on perd un peu le sens. Dans le rap, il y a un vrai sens. Enfin moi, je consomme quand même pas mal de rap. Je ne suis pas toujours d’accord avec les phrases misogynes mais sur le côté conscient de ce qu’il se passe dans le monde, les mots en avant, ça j’aime beaucoup.

Et puis, la pop et la musique électro. Je n’avais pas envie de m’enfermer dans un seul truc de « Suzane, c’est une chanteuse sur fonds d’électro ». Oui, j’adore l’électro. Il fera toujours parti je pense de mon ADN mais j’avais très envie aussi de pouvoir me frotter à la pop, à des trucs plus urbains. Et que chaque chanson soit un peu son propre film, dans l’univers, dans les couleurs, dans les images et dans les mots.

LFB : C’est marrant parce que c’est exactement ce que j’ai marqué. Finalement, on parle de cinéma mais il y a aussi sur cet album, un côté un peu recueil aussi avec ces 16 morceaux. Chaque morceau a son propre univers, sa propre histoire et comme tu le disais toute à l’heure, tu les traverses en fait et les raconte.

Suzane : Ouais, c’est clairement ça. Et puis moi, tu vois dans ma vie, ces 16 morceaux m’ont accompagné pendant un an et demi. Je les aies créé petit à petit. C’est comme je te dis, parfois c’est en sortant du truc, en sortant de processus de création, quand tu as tout terminé que tu te dis : « c’est marrant, j’ai écrit à cette chanson à cette période-là, émotionnellement je ne suis pas étonné parce qu’il y avait ça ou ça dans ma vie ».

En tout cas, je sais que La couleur de l’été est arrivé dans un moment où oui, je pensais à cette amie, c’était la période un peu noire. Hop, c’est arrivé là. Soit c’est des mini-thérapies, soit c’est des angoisses qui sortent, soit c’est des moments de bonheur que je réussis à retranscrire. J’ai l’impression de raconter un peu ma life. Alors je ne sais pas si ça intéresse les gens mais en tout cas, j’essaie d’être sincère dans la manière de le faire.

LFB : Ce qu’il y a d’intéressant dans la manière dont tu le racontes, c’est que j’ai l’impression que ce sont plus les morceaux qui t’ont choisi que toi qui as choisi les morceaux en fait.

Suzane : C’est souvent ça. Les morceaux arrivent un peu comme des caméos aussi. Ils arrivent un peu par surprise dans la vie. Tu ne sais pas pourquoi, d’un coup, tu as telle phrase dans la tête qui te revient. Pourquoi cette phrase elle revient ? C’est qu’il faut que j’en fasse quelque chose. Pourquoi cette phrase arrive en réaction après quelque chose que j’ai vécu quelques jours avant ? Les chansons, on ne les choisit pas trop en fait. Elles arrivent à nous. Soit tu acceptes de les écrire, tu es prête à les écrire, soit il y en a parfois, je sens que je ne suis pas alignée. Je n’y arrive pas, je ne force pas. Océane, je n’ai pas réussi à l’écrire tout de suite. Je sais que ça a été l’une des chansons les plus difficiles parce que c’était une mise à poil qui était… Il fallait trouver les mots justes quoi. Donc voilà, il y a eu quelques chansons comme ça où trouver les mots juste, ça a peut être été un peu plus compliqué. Mais tant que je me sens alignée, je vais jusqu’au bout quoi.

LFB : Ce côté d’écriture intime, est-ce que tu as l’impression que comme il y a eu le succès de Toï Toï et la reconnaissance, tu t’es trouvée un peu libérée de l’idée de parler plus franchement de toi. C’était déjà le cas dans les autres morceaux mais c’est un peu plus masqué je trouve.

Suzane : Ouais, possible. C’est vrai que j’ai écris un peu plus en « je » sur cet album-là. Là où sur ToÏ ToÏ, j’écrivais toujours en « il » à travers des personnages. Je me mettais plutôt dans une position omnisciente. Là où je suis plutôt protagoniste sur Caméo. Je n’avais pas envie non plus que ce soit un espèce d’égotrip à la fin, que je ne parle qu’en « je ». Parce que non, moi ce que j’aime par-dessus tout, c’est quand même regarder ce qu’il se passe autour de moi. Donc il y avait quand même forcément cette envie d’aller parler des gens qui m’ont encore une fois nourris.

Sur l’autorisation de l’intime, je pense que je ne me suis jamais trop posée la question. Mais je crois que la rencontre avec le public, quand même m’a un peu ouverte à… ça donne un petit peu confiance je pense aussi. En même temps, ça donne confiance et tu te poses peut-être les mauvaises questions. « Qu’est-ce qu’on attend de moi ? Qu’est-ce qu’on n’attend pas de moi ? » Bon, j’avoue que je n’ai pas essayé de me poser cette question-là. Mais quand je suis arrivée avec cette chanson Clit is good, première sortie, je m’attendais à ce que ce soit un sujet normal finalement parce qu’on parle juste du plaisir féminin. C’est là où je me suis rendu compte que je n’avais jamais pensé à m’auto-censurer mais l’algorithme Youtube le fait pour moi. Suite à ça, je me dit de plus en plus que je ne m’auto-censurerait pas dans mes chansons et que chaque thème abordé, j’essaierais d’aller au bout et de le défendre.

Crédit : Cédric Oberlin

LFB : Quand tu vois un clip comme Vitrine de Vald et Damso, qui n’est pas censuré et quand toi tu arrives avec ton clip qui est beaucoup plus poétique et beaucoup moins direct, il y aussi cette idée de parce que t’es une femme, tu dois rester bien sage.

Suzane : Que ce soit sur Clit is good sur cet album ou sur SLT sur le premier, il y avait ça. Il y avait quand même ce truc de « oui on t’entend mais qu’est-ce que tu fais chier de raconter ça quoi ». Il y a toujours ce truc de la meuf relou qui vient casser l’ambiance en soirée parce qu’elle est féministe. Effectivement, les artistes masculins peuvent poster des vidéos où l’image de la femme est dégradée, dans les mots on peut aussi partager des chansons où l’image de la femme est dégradée. Moi, au moment où je sors une chanson où je fais en sorte que les femmes puissent se réapproprier leur image, leur corps, leur plaisir… Sachant qu’encore une fois, on vit dans une société où les femmes à poil, on en a tous vu avant 10 ans.

C’est quand même assez incohérent de se dire qu’au moment où une femme parle des autres femmes et de ses sujets là, on la passe très vite sous silence. Et n’en parlons pas parce que c’est quand même un peu un sujet tabou et qu’est-ce qu’elle vient nous emmerder avec ça celle-là. Moi, je l’ai ressenti un petit peu comme ça. Je trouve ça assez dommage mais on vit encore dans une société où le patriarcat sévit et dans le monde artistique aussi. Après, on s’étonne de pourquoi il y a moins de chanteuses. C’est encore une question mais est-ce que les chanteuses femmes sont vraiment écoutées pour ce qu’elles racontent ou est-ce qu’on veut juste des trucs un peu édulcorés, mignons et qui passent partout ? Ouais, je crois qu’on en est encore là malheureusement.

LFB : Tu as ouvert une porte quand même. Une artiste comme KALIKA, c’est la droite lignée.

Suzane : Je suis content que tu parles de KALIKA.

LFB : Elle n’aurait peut-être pas pu avoir le rayonnement qu’elle a eu si tu n’étais pas passée avant.

Suzane : Je suis ravie que tu puisses penser ça. Peut-être que chaque femme qui arrive à chaque fois à pousser une petite porte aide celles qui arrivent derrière. D’ailleurs, c’est KALIKA qui fera ma première partie à l’Olympia. Je trouve que c’est une artiste monstrueuse et j’espère que les médias en parleront beaucoup plus très vite. En tout cas, j’ai eu la chance de l’accueillir plusieurs fois sur mes premières parties et j’ai très vite compris que c’était une vraie de vraie. Ça bosse fort quoi. Donc oui, des artistes comme ça, je suis très contente de me dire qu’on sera ensemble pour continuer de faire des choses qui cassent un peu les codes. Qui cassent un peu les diktats. Peut-être qu’on mettra notre temps à être « reconnues », peut-être plus longtemps que prévu mais je sais que KALIKA a un public très fort et le mien aussi. En tout cas, des gens qui aiment que ces messages soient véhiculés.

LFB : Finalement, comme tu disais tout à l’heure, c’est le public qui vous porte. Il y a donc une réponse à des titres comme Clit is good ou même elle avec Chaudasse. Il y a une réponse derrière qui n’est pas que du public féminin, qui est très intéressant aussi.

Suzane : C’est clairement vrai.

LFB : Du coup, je trouve qu’il y a une vraie évolution. J’ai plus de 30 ans et je la vois l’évolution.

Suzane : Ouais, tu la sens, tu la vois. Et c’est génial. Parce que moi, c’est vrai que je me revois sortir SLT il y a 4 ans et les gens ici qui me disaient « t’es sûre ? Ça va faire vachement peur aux gens. T’as l’air en colère ». Moi, je pensais que c’était une chanson tout à fait normale à sortir et qu’il fallait la sortir absolument. « T’as pas peur de faire peur aux hommes ? ». Bah non, les cocos, ne vous inquiétez pas, les hommes qui se sentiront concernés par ces façons de se comporter, je pense qu’ils vont peut être se remettre en question ou pas. Mais en tout cas, il y a combien d’hommes qui écrivent sous cette chanson. Que ce soit Clit is good ou SLT, j’ai autant d’hommes que de femmes qui disent « ok, génial, on arrive enfin à effacer les comportements, des petits mots, des petites phrases qui aujourd’hui ne passeraient plus ». Il y a dix ans, ça passait. Aujourd’hui, ça ne passe plus mais ça, c’est à force de beaucoup de travail, beaucoup de petits pas. Et je pense que mine de rien, les chansons peuvent aider à faire ces petits pas dans la collectivité. Parce qu’après tout, la musique réunit les gens et il y a que comme ça qu’on peut essayer d’être collectifs.

LFB : Quand tu parles de ces deux morceaux, je trouve que ça note aussi l’évolution dans ta musique, sur les 4 ans. Parce que je trouve que dans Clit is good, il y a un côté beaucoup plus subtil et du coup c’est peut-être limite disruptif dans le sens où tu le fais passer par la douceur mais le message est tout aussi percutant et clair que sur SLT.

Suzane : Oui, ça c’est clair mais c’est vrai que sur Clit is good, j’avais envie de douceur, de sensualité, ce moment où tu te retrouves un peu avec toi-même. Je n’avais pas envie d’être aussi cash. On ne parle pas de la même chose. Enfin, à la fin si, on parle de la liberté des femmes, la liberté de leur corps, etc. Mais SLT, je parlais d’harcèlement. J’avais envie qu’on ressente la violence des mots quand on les reçoit et qu’est-ce que ça peut faire en nous de recevoir ça, ce genre de mots plusieurs fois par jour ou tous les jours quand on est une femme dans ce monde.

Et Clit is good, oui, j’avais envie d’une ode au plaisir féminin. Déjà, quand il est arrivé dans ma tête, je t’avoue que… Je me suis dit « je vais écrire là-dessus, ok ». Et j’ai eu envie de mélo assez bonbon, de trucs assez pop. Mine de rien, elle est très pop cette chanson. Quand j’ai commencé à taper les premiers accords, je me suis dit que c’était vachement ouvert, c’est marrant et en même temps, je me suis laissée aller là-dedans parce que je ne suis pas habituée à ces chansons aussi ouvertes. Mais c’est ultra sensuel et ouais, c’est un rapport un peu à moi-même aussi et j’avais envie de cette douceur et de cette sensualité dans le morceau.

LFB : Sur Caméo, est-ce que t’as réfléchi un peu à ce dosage entre des sujets un peu politiques et des sujets intimes et les façons que tout soit uni ensemble ?

Suzane : C’est vrai que je réfléchis rarement à la fin si tout ça se lit. J’ai tendance à être un peu… Pour chaque chanson, je me sens alignée. Donc je me dis que si je peux la défendre, c’est qu’elle est ok. Est-ce qu’entre elles, ça colle ? Je ne sais pas. C’est vrai qu’on dit souvent de moi que je peux être très large sur ma manière de composer. Notamment sur cet album où on peut retrouver de la musique vraiment très urbaine comme des chansons française full guitare/voix, comme Clit is good qui est ultra pop. Enfin, ça dépend. Je crois que le dosage se fait un peu par chanson. Une dose d’intime selon les chansons, selon l’émotion que tu veux véhiculer et à la fin, ça fait un album complet. C’est là où je me dis que j’ai toutes mes émotions. Donc pourquoi elles ne marcheraient pas ensemble ? Parce qu’après tout, c’est tout ce que tu as vécu. Moi, toutes ces émotions que je vis, je ne me demande pas si elles vont se raccorder entre elles. En général, ouais mais on est un peu obligé. Et là, sur l’album, c’est à peu près pareil. Après, la tracklist, c’est des sensations. « Après ça, j’ai bien envie d’écouter ça ». Pour que le voyage soit peut-être plus digeste.

LFB : Par exemple, un morceau comme Océane, c’était évident qu’il soit le premier.

Suzane : Ça oui. Océane, Caméo, ça c’était très clair. Océane au début, Caméo à la fin. Comme un espèce de truc où limite tu peux retourner en boucle et te refaire l’histoire. Mais ouais, je pense que chaque morceau que j’ai écrit à sa place et j’avais envie de les aligner comme ça sur cette tracklist. Je crois que les gens les reçoivent plutôt bien.

LFB : Ce traitement des émotions te permet aussi d’avoir une ouverture musicale et une liberté. Je trouve que c’est un mot qui va bien aussi à l’album. Une liberté de variété des genres. On écoute Suzane pas parce qu’elle fait de l’électro ou de la pop, on écoute Suzane parce qu’on écoute Suzane. Cet album t’autorise à explorer plein de trucs et j’ai l’impression que c’est limite un deuxième premier album.

Suzane: C’est vrai. Ça peut l’être. Je m’autorise, comme tu le dis, à ne pas forcément refaire la même recette qui a déjà fonctionné. Ouais, ok, on a fait un disque d’or avec Toï Toï. Les gens ont aimé ces chansons à texte sur fonds d’électro. Mais c’est vrai qu’il fallait que je continue moi aussi d’évoluer. On ne la sent pas l’évolution. C’est trop compliqué pour moi de dire si j’ai évolué ou pas. Moi, je me dis juste, « ok là j’ai envie de faire quoi sur le moment ? »

Là, c’est l’instant T, c’est ça que je vais sortir. Je suis ravie d’entendre ce genre de phrase, que les gens ne viennent pas voir Suzane pour entendre telle ou telle chanson parce que c’est vrai qu’actuellement, on ne peut pas dire de moi que j’ai un énorme tube qui est passé tous les jours en radio. Non, il n’y a pas ça. Je pense que les gens viennent plus me voir pour un propos, pour une énergie, pour quelque chose que je vais dégager sur scène. Je ne sais pas. En tout cas, c’est vrai que j’ai un public… Je suis toujours étonnée mais il y a quand même du 7-77. Je me dis toujours : attends, il y a les enfants mais il y a aussi les grands-parents. Comment les grands-parents peuvent aimer un album comme Toï Toï qui est quand même très clivant dans les sons ? Caméo aussi, il peut y avoir des trucs très générationnels aussi où je parle de ma génération, de trucs où je me dis : pourquoi des gens de 60 ans sont là quoi ? Mais en même temps, ils s’y retrouvent. Donc c’est là ou je me dis ok, génial. Il n’y a pas une histoire de décor. Les gens ne viennent pas selon le décor qu’a choisi Suzane. On va voir Suzane tout court et ce qu’elle nous propose.

LFB : C’est un truc qui touche à l’intime.

Suzane : Exactement. Et ça, je trouve ça super. Et ça me permettra j’espère, sur tout ce que je fais après, d’être libre. D’être constamment libre et de me dire ok, là j’ai fait de l’électro, là j’ai fait de la chanson française, j’ai fait un peu les deux. Là j’ai fait de la funk. Mon rêve. Moi, je veux m’amuser. On dit souvent qu’on joue de la musique quoi. Ça part du mot, on joue. Moi je m’amuse. Si je commence à ne plus m’amuser, ce n’est plus drôle. Donc ouais, j’ai pas trop envie de me prendre la tête.

LFB : Et l’évolution sur scène, tu la vois comment ?

Suzane : Je suis encore toute seule mais je sentais qu’il fallait que je pousse encore des trucs de base qu’il y avait déjà sur mon show. En fait, c’est vrai que quand je suis arrivée sur scène, je n’avais jamais fait un concert de ma vie. Je sortais de danse classique, donc rien à voir. J’étais alignée avec les nanas, on se tenait bien, on souriait. Rien à voir. Et donc la première fois que je me suis retrouvée avec un micro à la main, devant un public, je n’ai pas trop compris. J’ai eu très, très peur. Ça a été un peu : vas-y quoi.

Je n’avais pas trop calculé, encore une fois. Il y avait un truc très spontané. Un micro dans la main et vas-y. Il n’y avait pas d’histoires de lumières. Non, j’y suis allée un peu en mode viens comme tu es. Présente-toi au public comme tu es et c’est là où il y a eu les premiers échanges, premiers rencards. Et puis finalement les gens reviennent et à la fin, ça devient un truc où je me dis ok, c’est le truc que t’as donné de base, un truc très cash dans l’attitude, la danse. Mettre aussi tes messages à portée de ces gens quand tu les chantes en live.

J’ai eu envie de pousser sur le deuxième album, notamment sur la scéno. Je suis arrivée avec une petite scéno sur le premier avec ToÏ ToÏ. Là, il y a un grand écran qui m’accompagne. Ce n’était pas juste pour dire : regardez j’ai un grand écran. Non, c’est cool de l’avoir mais c’est surtout que ça soulignait mes mouvements, ce côté film qu’il peut y avoir dans chaque chanson. Ce côté où je peux aller jouer sur la couleur, sur des matières, des textures, tout ce que tu veux. Je voulais un show très visuel pour les gens. Alors moi j’adore les shows à l’américaine. Quand je suis tombé sur le Rihanna du Super Bowl, je me suis dit : ah quand même. Les danseurs et tout le bordel, moi j’aime bien ça.

Alors oui, je suis encore toute seule sur scène et peut-être qu’un jour, je ne le serais plus. Mais en tout cas, je sais qu’il y a de plus en plus de monde sur le côté pour ces écrans, pour faire évoluer le show. Et je pense que les gens qui ont vu ToÏ ToÏ et qui ont vu Caméo ensuite, ils se sont quand même dit « ouais c’est en train de grimper quand même ». C’est toujours du Suzane. Je n’ai pas cassé ce truc du seule en scène et tout à coup, je suis arrivée avec un band quoi. Non, parce que je n’en ai pas l’envie et puis seule en scène, moi je le vis bien, je l’aime. Jusqu’au moment où je me dirais que je tourne en rond.

Mais en tout cas, sur le show, ça m’a permis de préciser encore plus la danse, les mots parce que je pense que c’est un travail de longue durée et que j’aurais pas tout, tout de suite comme ça. Peut-être que je serais un monstre dans quelques années mais en tout cas, je travaille encore, beaucoup.

LFB : J’ai remarqué que sur cet album, les morceaux dépassent rarement les 3 minutes. Est-ce qu’il y a une recherche d’efficacité ? Les morceaux se tiennent très bien comme ça, il n’y a pas de superflu.

Suzane : Même dans ToÏ ToÏ, c’est un peu comme ça. J’ai beaucoup de mal à faire des morceaux de plus de 3 minutes. Alors je ne sais pas si ça part de moi. Moi déjà, j’ai beaucoup de mal à écouter un morceau en entier. Je ne te cache pas dans ma consommation de musique, à part Orelsan qui me tient jusqu’au bout parce qu’il y a des mots. Parfois, si tu me mets 4 refrains à la fin, moi j’écoute pas les 4 refrains. Ce n’est pas trop mon truc. Moi, j’aime surtout que le sens soit concis. Donc en général, c’est vrai que je me retrouve à faire des chansons où il y a beaucoup de textes. On me dit souvent que j’ai beaucoup de texte dans mes chansons et peu de musique. C’est vrai mais parce que j’ai peut-être tendance à mettre les mots plus avant que la musique.

Même si la musique reste très importante. Au moment où j’ai terminé de dire ce que j’ai à dire, je ne vois pas pourquoi la musique continuerait. La structure est là uniquement pour accueillir mes mots et mes phrases. Après, il y a des morceaux comme SLT qui durent plus de 4 minutes parce que le texte, j’y suis allé, j’y suis allé, j’y suis allé sans m’arrêter. Mais effectivement sur Caméo, il y des chansons beaucoup plus… Non ce n’était pas forcément une recherche d’efficacité, c’est juste que tu ressens quand elle doit se terminer. Voilà, sans se dire qu’il faut qu’il y en ait des 7 minutes, d’autres de 3 minutes et machin. Mais oui, j’ai tendance à faire des shots. C’est plutôt des shots que je sers, des shots d’émotion plutôt que des pintes. Il n’y a pas de 50 cl chez moi. C’est plutôt des shots d’alcool bien forts.

LFB : Est-ce qu’il y a des choses qui t’ont plu récemment et que tu as envie de partager avec nous ?

Suzane : Déjà, je pense qu’on peut parler de KALIKA parce que je pense qu’elle n’aura jamais assez de soutien pour qu’on puisse faire entendre sa musique. Donc ouais, KALIKA qui, en plus, est avignonnaise. J’ai l’impression qu’on a des liens dans tous les sens. Elle va sortir son album bientôt mais qui elle vient de sortir un single qui s’appelle Superficielle, qui est H24 dans mon crâne. Insupportable. Non mais toutes ses chansons, Les glaçons, j’étais en Australie avec elle. On a fait une tournée en Australie, avec KALIKA et Pi Ja Ma, trois avignonnaises. Donc ouais, je dirais KALIKA, son premier EP et l’album qui arrive, que les gens aillent mettre le nez dedans parce qu’ils seront précurseurs d’une belle chose.