S’il y a bien une artiste dont on attendait impatiemment le retour, il s’agit de SZA. Après la sortie de son premier album en 2017, CTRL, succès monumental tant au niveau de la critique qui fut et reste unanime, qu’en termes de chiffres, nul ne pouvait prévoir que le suivant ne serait dévoilé que 5 longues années après.
C’est avec un grand soulagement que l’on a accueilli le 9 décembre dernier le nouveau projet de SZA, sobrement intitulé SOS.
Soulagement entièrement dû au fait que ledit projet semblait presque ne jamais pouvoir voir le jour, au vu des innombrables annonces de l’artiste n’ayant finalement mené à rien au cours de ces dernières années. Après le succès de son premier opus, (dont elle a dévoilé une réédition en juin dernier à l’occasion de son cinquième anniversaire), tout portait à croire que la chanteuse allait en profiter pour enchaîner les projets afin d’exploiter la soudaine célébrité qui s’offrait à elle.
Dans une industrie où les artistes et les succès s’enchaînent les uns après les autres sans que l’on ait le temps de dire ouf, il faut souligner le courage qui lui a été nécessaire pour oser s’absenter si longtemps, sans craindre d’être remplacée ou oubliée. Une prise de risque qui a payé, puisque SZA a su créer une véritable attente autour de son retour et conserver sa fanbase, qui s’est même largement élargie durant son absence, notamment grâce à la qualité de CTRL, qui a su fédérer au-delà de son public traditionnel et ce, même plusieurs années après sa sortie.
Une attente quelque peu atténuée par la réédition évoquée précédemment, mais également par sa présence sur quelques featurings, dont principalement les hits All The Stars (avec Kendrick Lamar), et Kiss Me More (avec Doja Cat), ce dernier ayant d’ailleurs été récompensé par un prestigieux Grammy Awards. Mais une attente restant malgré tout presque insupportable de par le teasing continu de la part de SZA, laissant croire à une sortie imminente du projet, et ce depuis maintenant plus de 2 ans. Avec la sortie du premier extrait de l’album, Good Days, fin 2020, suivi de I Hate U un an plus tard en 2021, mais également l’apparition de quelques leaks de morceaux envahissant Tiktok, le moins que l’on puisse dire est que la temporalité autour de l’album était plus que confuse.
Il était donc (enfin) temps pour SZA de faire son grand retour, et le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’a pas fait les choses à moitié. L’artiste nous dévoile en effet au sein de l’album 23 titres, en faisant le plus long projet qu’elle ait sorti à ce jour. Un format exhaustif de plus d’1h10, auquel elle promet d’ajouter une réédition, qui nous paraît loin d’être nécessaire, mais que l’on accepte volontiers.
Le projet s’accompagne d’une cover la représentant pensive sur le bord d’un plongeoir, qui semble perché en plein milieu d’une vaste étendue d’eau. Cover qu’elle confirmera être inspirée par une photo similaire prise de la princesse Diana deux semaines avant sa mort, la chanteuse souhaitant recréer le sentiment d’isolation et de solitude qui s’en dégageait.
Une atmosphère indéchiffrable régnait donc autour de cette sortie, dont personne ne savait quoi attendre : peut-être pour le mieux, puisque la surprise fut d’autant plus réussie. Aussi surprenant que ce soit, même une fois le projet entre nos mains, il est toujours aussi difficile de se faire un avis précis, que cela soit en termes de goûts personnels ou de compréhension globale.
En effet, le long format laisse place à une grande diversité de styles musicaux : on retrouve évidemment l’artiste sur de la RnB, qu’elle maîtrise à la perfection, mais également sur de nouveaux genres sur lesquels on ne l’avait jamais vue et auxquels on ne peut pas dire qu’on s’attendait : de la pop-punk, de la trap, et même quelques ballades indie. Tout en nous montrant l’immense palette dont elle dispose, nous prouvant ainsi sa capacité à se diversifier et à se réinventer, cela nous perd un peu et cause un certain manque de cohésion au sein de l’album.
Il est ainsi compliqué de comprendre et d’apprécier pleinement les morceaux, au vu des genres musicaux presque opposés qui se côtoient, mais surtout à cause de leur ordre, quelque peu étonnant. L’un des choix les plus déroutants quant aux enchaînements des titres se trouve au milieu de l’album, lorsque l’on passe par exemple de Smoking On My Ex Pack, un morceau très court d’1 minute sur lequel SZA n’a rien à envier aux plus grands rappeurs des 90s, à Ghost in The Machine, une élégie enchanteresse, après laquelle s’enchaîne F2F, un titre grungy expérimental.
“SOS” : un titre explicite, qui laisse toutefois libre cours à plusieurs interprétations. L’album peut pour certains correspondre à une réponse à cet appel à l’aide, ou au contraire expliciter les raisons derrière celui-ci. Cette dernière hypothèse peut apparaître plus probable, notamment dû au fait que le premier titre du projet s’ouvre avec ce même appel à l’aide, traduit en morse, qui apparaît d’ailleurs tout au long de l’album.
Que se cache-t-il donc derrière ce signal de détresse ? Là encore, libre aux auditeurs de le déchiffrer à leur guise.
Après quelques écoutes, on peut sans trop se mouiller déduire que ce signal semble correspondre à son tiraillement face à plusieurs dilemmes lui apparaissant cornéliens, qu’elle doit affronter, notamment en ce qui concerne ses relations et sa confiance en soi. Tout en restant dans des thèmes déjà centraux dans ses précédents projets, SZA les aborde au sein de SOS de manière beaucoup plus honnête et brute.
On remarque qu’elle a une approche de ses problèmes presque contraire à celle de CTRL, dans lequel, comme le titre l’indique, elle tenait à garder un certain contrôle, quitte à ce que cela soit juste en façade. Dans ce nouvel opus, elle se laisse aller, quitte à révéler et à accepter sa vraie nature, émotive et impulsive, ce qui rend son contenu bien plus personnel et franc. Seek & Destroy, extrait de l’album, l’illustre parfaitement : elle y explique avoir abandonné ses rêves de contrôle pour une solution plus radicale : laisser sa haine et ses émotions la guider, quitte à bousculer ses habitudes.
Ce déchaînement d’émotions permet à SZA d’explorer pleinement des sentiments qu’elle tentait de réfréner par peur de sa propre personne : on la découvre en détresse sur Kill Bill, où elle s’identifie à Bill, personnage issu du film éponyme, qui a, entre autres détruit la vie de son ex-femme, après avoir découvert qu’elle avait refait sa vie sans lui. Une détresse sentimentale qui se traduit également par la seconde référence cinématographique de l’album, le dixième titre : Gone Girl, d’où sont également issus des personnages torturés et détruits par la tromperie et le mensonge. Elle utilise ainsi ces thrillers psychologiques centrés sur des relations amoureuses dévastatrices pour conter la complexité des siennes.
« I might kill my ex, I still love him though
Rather be in jail than alone »SZA – Kill Bill
Ce “SOS” apparaît donc comme un appel à l’aide face à sa nature humaine qui reprend le dessus : maintenant qu’elle a arrêté de vouloir tout contrôler et d’essayer de devenir quelqu’un qu’elle n’est pas réellement, elle se retrouve face au fait accompli : comment doit-elle agir ? Comment affronter les situations qu’elle évitait jusqu’alors ? Comment accepter ses imperfections ? L’album nous offre un aperçu de ses questionnements, qui prennent la forme d’un chemin sinueux au cours duquel doutes et inquiétudes se succèdent.
Au niveau des featurings, on retrouve là encore une certaine diversité qui peut paraître surprenante au premier abord, mais qui au final fait tout le charme de l’album. Des apparitions logiques, comme Travis Scott sur deux titres de l’album, ou encore Don Toliver, mais également d’autres noms pour le moins inattendus, comme Ol’ Dirty Bastard et Phoebe Bridgers, qui nous offrent deux des meilleurs morceaux de l’album, et par la même occasion, de la discographie toute entière de la chanteuse. Les collaborations sont un, si ce n’est le gros point fort de l’album, chaque artiste entrant presque en symbiose artistique avec SZA, leurs univers se mariant à la perfection. La plus remarquable restera sans doute Ghost in The Machine, où elle est rejointe par Phoebe Bridgers, pour nous partager une réelle ascension émotionnelle accompagnée de mélodies presque féeriques.
« I used to be special
SZA – Special
But you made me hate me
Regret that I changed me
I hate that you made me
Just like you »
On retrouve au fil du projet plusieurs morceaux de ce style presque poétique, comme Nobody Gets Me, dans lequel sa voix vacille face à l’émotion, rendant le titre d’autant plus touchant, ou encore Love Language, sur lequel on peut apprécier la présence d’un violon qui parvient à nous transporter. Mention spéciale à l’excellent Special, certainement le morceau le plus touchant de l’album, dans lequel l’artiste nous partage ses insécurités et ses doutes. Ces derniers sont une véritable plus-value du projet, puisqu’ils nous permettent une bouffée d’air frais entre les autres chansons souvent regrettablement superficielles au niveau des paroles, ce qui se traduit notamment par un manque de couplets au profit de refrains certes mélodieux, mais manquant parfois de profondeur.
Toujours au niveau des coups de cœur, en plus des titres cités précédemment, on ne peut pas passer outre les morceaux rappés de l’album : Smoking On My Ex Pack, Low, et Blind. Tout en étant chacun très différents les uns des autres, SZA adoptant par exemple un flow plus old school sur le premier que sur les deux autres, les trois ont pour similitude leur qualité et leur capacité à se démarquer des autres.
Ainsi, certains titres se détachent vraiment du reste du projet de par la proposition artistique originale qu’ils présentent, ce qui crée de réels points culminants au sein de l’album, et par la même occasion, des moments de creux avec certains morceaux moins marquants. Parmi ces derniers, on note par exemple Too Far, Open Arms, ou Far, qui passent malheureusement un peu à la trappe de par leur position désavantageuse, soit entre deux points forts de l’album, soit à la fin de la tracklist peut-être trop longue pour captiver un auditeur qui ne serait pas fan jusque aussi loin dans l’album.
Finalement, que retenir et penser du projet ? Un très (trop selon certains), long format, qui lui aura permis d’explorer sa musicalité exhaustivement sans se confiner à un genre défini, et qui nous aura agréablement surpris de par les nombreuses facettes de l’artiste qu’il nous aura permis de découvrir. Les avis vont en réalité sûrement dépendre de l’attache avec laquelle chacun accueille le projet et des attentes qui en découlent.
Pour ceux qui l’attendaient au tournant, peu de déception possible, puisqu’en réalité, tout ce qui était demandé était simplement de nouveaux morceaux, ce qui a été fait, et on ne peut plus généreusement. Pour ceux qui, au contraire, découvrent SZA avec le projet, il sera peut-être plus compliqué à saisir et pourra apparaître comme déroutant, notamment avec la quantité de projets conceptuels sortis cette année qui peuvent apparaître plus attractifs.
Ce possible manque de cohésion, bien que regrettable au premier abord, peut également être perçu comme un choix de sa part pour justement, presque paradoxalement, rester dans le thème de l’album : SOS, un cri de détresse, qui se traduit par de multiples émotions extrêmes, parfois contradictoires, retransmises par des genres musicaux très contrastés au sein de l’album. En percevant le projet comme tel, il est plus simple de pouvoir l’apprécier sans trop réfléchir à sa construction ni à d’autres questions plus techniques que purement artistiques : au final, quel appel à l’aide, qui plus est d’urgence, aurait la prétention de se dire organisé ou, pire, cohérent ?