Tapir! ou la recherche d’un monde imaginaire

Derrière Tapir ! se cache (littéralement) six musiciens tout droit venus d’Angleterre. Sous des airs folk, ils nous livrent un premier album aussi original que réconfortant. Il se nomme The Pilgrim, Their God and The King of My Decrepit Mountain et c’est définitivement ma première surprise de l’année.

Lorsque j’ai reçu l’album de Tapir !, j’ai lancé l’écoute. Distraitement. Occupée à mille autres tâches en parallèle. Mais, rapidement, je suis revenue à ce mail me parlant de ces six musiciens. Intriguée et fascinée par ce projet, qui ne ressemblait à rien d’autre que je connaissais. Et si j’espérais mettre des visages sur des accords, c’était tout bonnement peine perdue. Car le groupe avance masqué, affublé d’un masque rouge aux airs de tapir. Sur scène, les artistes sont rejoints par des acteurs et ont créé des décors faits à la main.
Le projet, presque confidentiel, a été signé chez Heavenly Records et s’écoute sur toutes les plateformes depuis le 26 janvier. Douze titres conjuguant poésie, ivresse et allégresse.

Avec ce premier album, The Pilgrim, Their God and The King of My Decrepit Mountain, les musiciens construisent un univers vaste et symbolique, où les cuivres rencontrent les bois. Où les cordes se mêlent aux claviers et aux synthétiseurs, tandis que les percussions empruntent le chemin de l’histoire contée.

Tapir ! narre ici une histoire en trois actes : celle d’un voyageur solitaire, une créature rouge, qui va effectuer un long voyage à travers des forêts étranges, des mers orageuses et des montagnes peuplées d’oiseaux blessés.

L’Act 1 (The Pilgrim) débute avec quelques mots de Kyle Field de Little Wings, collaboratrice et surtout, influence majeure du groupe. Elle prendra ainsi la parole pour chacun des actes. « From atop a green hill, The Pilgrim did hear a call from the distance. Their people are near. Towards the tall mound The Pilgrim must set, carrying only this sack, into the Nether… « . Une minute et quarante secondes, à peine, pour lancer l’histoire. C’est un air qu’on fredonne, appuyé sur un saxophone.

C’est un air qui appelle On A Grassy Knoll (We’ll Bow Together) et la voix sincère de Ike Gray. Ce sont les chœurs rassurants pour évoquer, en toute ambiguïté, l’assassinat de John F. Kennedy. Car Tapir ! se saisit d’éléments du réel pour les intégrer dans ce monde imaginaire. Et si le groupe s’inspire d’artistes aux productions léchées comme Harry Nilsson ou Masayoshi Takanaka, c’est dans une approche beaucoup plus spontanée qu’ils envisagent leur musique. Ainsi, la plupart des morceaux ont été enregistrés dans la petite chambre que Shibuichi partage avec son colocataire Hywel Pryer. Et le clarinettiste que l’on entend ici, Henry Parkin, a été recruté à 3 heures du matin lors d’une fête la veille de l’enregistrement.

Chez Tapir ! les choses vivent et se font à l’instinct : les mélodies, les paroles, les accords. Un univers riche et presque irréel que l’on pourrait comparer musicalement aux peintures d’Henri Rousseau ou bien d’Henry Darger.

La pop de Swallow puis la douceur enivrante de The Nether (Face To Face) concluent ce premier acte qui nous mène vers celui nommé Act 2 (Their God). En fond, les vagues, le vent, les mouettes et Kyle pour conter cette histoire qui ne fait que commencer.

Depuis la tristesse diffuse de Broken Ark aux chœurs doucereux de Gymnopédie, Tapir ! multiplie alors les références. L’Ancien Testament pour la première ; Erik Satie, Woody Guthrie et l’ancien festival grec Gymnopaedia pour la seconde. Les notes s’élèvent, unies autour d’un ensemble orchestral divin et presque merveilleux. Et lorsque Eidolon s’invite, c’est la voix féminine qui nous cueille, bien au-delà des guitares.

Puis, lorsque l’Act 3 s’énonce, c’est la clochette qui nous saisit. En effet, elle tinte, mystérieuse et évanescente, tapie au sein de sons enveloppés, portés par la voix de Kyle. Portés par son sifflement, reprenant le motif de l’Act 1. Une jolie répétition annonçant Untitled, les cordes qui voyagent et les mots qui dansent. Une voix féminine qui existe et qui s’étire. Avant de dévoiler My God, un prologue au conte, qui semble pourtant prendre des airs de conclusion. Il est l’heure d’ouvrir les yeux pour plonger au sein d’une réalité encore plus étrange, composée d’Iphone 6 ou d’ordinateur portable à 2000 livres. Mais tel un mantra, ces quelques mots répétés : « But don’t let it break you / Theres no complication / Its your imagination you found.  » C’est ici que réside la magie de Tapir ! Dans ces quelques phrases alignées, rappelant le pouvoir des pensées créatrices.

Finalement, Mountain Song referme la dernière page du conte. Et c’est sans aucun doute mon morceau préféré. Car il est fait d’ascension et de descente, qu’il navigue, à perte de vue et nous emporte loin par la grâce des chants. C’est bien la dernière traversée du Pèlerin. Et si une voix solitaire s’éveille, en boucle, elle est rapidement rejointe par une foule d’autres. Une chorale de trente-cinq amis du groupe pour apporter chaleur et puissance au morceau. Finalement, c’est l’explosion, les percussions, les cuivres, les bois et la joie.

Tapir ! démontre ainsi qu’ils sont un tout, à la fois indivisible, protéiforme, narratif mais surtout foncièrement créatif. Ce premier album, The Pilgrim, Their God and The King of My Decrepit Mountain est à mes yeux un ovni musical à chérir. Entre art populaire, folklore et expérimentation folk, Tapir ! compose sans contrainte, avec un amour communicatif et sincère. C’est une invitation à l’imaginaire, au sein de contrées lointaines et dangereusement radieuses.

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