The Mother Stone ou les Rêveries de Caleb Landry Jones

Caleb Landry Jones était jusqu’à présent plus connu en tant qu’acteur avec des rôles dans X-Men : Le Commencement, Three Billboards : Les Panneaux de la Vengeance ou encore Twin Peaks : The Return. Ses rôles intenses au cinéma l’ont rapidement classé « artiste torturé », et The Mother Stone ne dément pas ce statut bien au contraire. Sorte de rêverie cauchemaredesque expansive, l’album vient de sortir sur le label américain Sacred Bones, mais aurait tout aussi pu sortir en Angleterre dans les années 60. Avec des titres tels que I Dig Your Dog, Licking The Days, ou Little Planet Pig, le musicien texan exhibe un univers psychédélique aussi fantasque que sombre.

C’est Jim Jarmush qui a présenté Caleb Landry Jones à Caleb Braaten, le fondateur de Sacred Bones, sa maison de disque, ce qui a permis au musicien né au Texas dans une famille de joueurs de violon (fiddle players) de réaliser ce premier album. Le cinéaste décrit l’opus de celui qui joue Bobby Wiggins, le geek tenant la station-service dans son film The Dead Don’t Die comme « comme si John Lennon et Brian Wilson (Beach Boys) rendaient visite à Daniel Johnston dans un sous-sol sous drogues psychoactives et les trois enregistraient ensemble » et cette description est assez juste et permet une certaine compréhension de The Mother Stone.

L’album pourrait aussi être comparé à une fête foraine noire, mais à la différence de celle de Flavien Berger, celle de Caleb Landry Jones est étrange et fantasmagorique et son univers fait plus penser à la maison hantée qu’aux montagnes russes. Habité d’une aura bizarre, il regorge de détails dont on découvre de nouveaux éléments à chaque écoute : des sons de pianos métalliques, des violons fous, des contre-temps, une scie musicale (?), des cuivres, des changements de voix, ou des paroles que l’on n’avait pas perçues au préalable… le musicien expérimente avec une énergie débordante et passionnée.

Flag Day/The Mother Stone qui ouvre l’album passe de valses en violons et piano qu’on dirait mécanique, à un orchestre de cuivres et des chœurs aériens, avant de tourner en psychédélisme 60’s très british pour un voyage de 7:33 aussi barré qu’élaboré. Les paroles y sont surréalistes : « It takes a daffodil to make it right, to shake the jelly from the stone » (« Cela prend une jonquille pour que ce soit bien/correcte, pour enlever la gélatine de la pierre »), image poétique et bizarre d’un rêve sous l’emprise. La vidéo qui l’accompagne est un collage d’extravagances rococo pop montrant Jones arborant une perruque Marie-Antoinette sur des images d’archives en tout genre pour un mélange dérangeant de rêves, et de réel.

Et la dualité rêve/réalité est présente dans tout l’album, bien que la place de cette dernière soit moindre. Jones dit parler « plus de rêves que de ce qui se passe dans le domaine physique ». Ou bien « [parler] des deux et on n’est pas sûr de quoi est quoi ». Et si on perçoit des paroles ancrées dans le réel, la majorité de l’opus fait partie d’un subconscient musical dont on attrape quelques bribes à chaque écoute.

Caleb Landry Jones a composé The Mother Stone à partir de notes qu’il prend régulièrement dans des carnets, sobre ou pas. I Dig Your Dog est une chanson de cabaret psyché à la mélodie entrainante et aux paroles catchy, dont l’on attrape : “I need someone new, I say you need it too » (« J’ai besoin de quelqu’un de nouveau, je dis que toi aussi ») parmis d’autres plus cryptiques et intrigantes.  All I am in You / The Big Worm change de sons de voix et se déconstruit peu à peu en chaos cacophonique, The Hodge-Podge Porridge Poke est peut-être le morceau qui rappelle le plus les origines familiales texanes du musicien avec un violon country folk, Lullabbey est clin d’oeil à Abbey Road des Beatles (groupe dont Jones s’est fortement inspiré en écrivant l’album) et Little Planet Pig qui clôt l’opus reprend Flag Day/The Mother Stone et le transforme en brouhaha sonore avant de l’élever en chants digne d’une comédie musicale. Caleb Landry Jones mélange les styles et change de directions défiant toute logique ou bon entendement et crée un monde noir et théâtrale aux multiples subtilités.

L’album produit par Nic Jodoin (Lana Del Rey, Black Lips…) est une plongée dans les contrées sombres et absurdes, aussi poétiques que schizoïdes de l’imagination du musicien et si le message de The Mother Bone est assez brumeux, on apprécie le voyage insolite.