Il faut le dire, depuis près de 10 ans avec son Happy Soup qui le fit rayonner aux yeux du monde, chaque album de Baxter Dury créé en nous une attente particulière. Trois ans après Prince Of Tears, album sublime et désespéré, le dandy anglais est donc de retour avec The Night Chancers, qui en soi ne renouvèle pas la formule musicale connue, mais en change quelques codes pour transformer Baxter Dury en héraut nocturne.
Au petit jeu des comparaisons, on pourrait facilement comparer la musique à la cuisine. Si on occulte le cynisme de certains artistes qui se basent sur « la formule » parfaite pour finir par passer en radio et créer un hit, on peut voir au bout d’un moment qu’un artiste a sa signature qui fait qu’il est souvent reconnaissable et ce dès les premières notes. Ce n’est pas le cas de tous, certains prenant un malin plaisir à se réinventer à chaque album (transformant ainsi la réinvention en signature) mais dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, à savoir Baxter Dury, celle-ci existe. Elle est simple, et presque immuable : une voix nonchalante, presque fausse par moment, souvent désespérée, à laquelle on ajoute des éléments bien définis : une basse toujours mise énormément en avant, une guitare discrète et parfois dissonante associé à un synthétiseur toujours présent, des instruments à cordes et des chœurs féminins. A ce titre, il faut noter l’importance de Madelaine Hart dans le projet de Baxter Dury, partner in crime depuis une dizaine d’année, absente de it’s a pleasure mais qui a fait un retour remarqué sur Prince Of Tears et marque une nouvelle fois ce Night Chancers de son emprunte. Elle est créditée sur la plupart des titres de l’album et sa voix est un contrepoids parfait aux miaulements rauques de son bon vieux Baxter. Voilà pour l’habillage, mais le corps est lui aussi souvent immuable : l’amour dans ce qu’il a de mieux et de pire, avec une pointe d’humour, une bonne dose d’ironie, l’anglais ausculte la romance.
Dit comme ça, on pourrait penser que cet album est une redondance des précédents efforts et donc un album qui ne touchera que ceux qui aiment déjà Baxter Dury. C’est un peu vrai, mais pas totalement. À certains moments, la machine s’enraye, ajoute de nouveaux éléments et évolue. On le sent dans cette introduction toute en puissance sur I’m Not Your Dog, réminiscence de son travail sur B.E.D, on le note dans l’apparition du saxophone sur Hello I’m Sorry, on le sent vibrer quand il fait évoluer son style au point de l’approcher de vibration disco sur Say Nothing ou de pulsation reggae sur Sleep People ou de nous faire valser sur Daylight (qui aurait clairement pu conclure l’album). Surtout, il faut le noter, Baxter Dury a voulu faire groover sa musique, les intentions dansantes sont bien présentes, assumées et réussies. Et que dire de l’univers ? Car si il traite toujours de l’amour, de ses tenants et de ses aboutissants, Baxter Dury y est beaucoup moins personnel que dans Prince Of Tears, se transformant ici en héraut de la nuit, contant à qui veut l’entendre les histoires qui se passent dans un hôtel, les murmures qui traversent les murs, les vibrations qui grondent la nuit dans des endroits ou les romances sont éphémères, ou l’affection laisse place à la frustration et à la rancœur.
Un peu à l’image du Docteur Parnassus de Terry Gilliam, Baxter Dury se promène dans les couloirs de cet endroit hors du temps et à chaque porte qu’il traverse, devient le personnage qui habite la pièce. Homme brisé sur I’m Not Your Dog, marchand de sommeil sur Slumlord, amoureux transi et un rien inquiétant sur Carla’s Got A Boyfriend… Baxter explore ces êtres, ces fantômes, se noient dans ces histoires et surtout les interprète, sa voix se faisant mouvante à chaque titre adoptant les intonations et les émotions des personnes. Et on ne le dira jamais assez, le grand talent de Baxter Dury reste cette plume, élégante, parfois vulgaire, mais toujours honnête et directe, cinématographique par moment. Baxter Dury ne cherche en rien à révolutionner le monde, il ne cherche pas à donner son opinion sur les affres politiques de son pays. Non, Baxter Dury parle de ce qu’il connait, il passe au microscope le microcosme dans lequel il évolue pour en pointer aussi bien la beauté que les horreurs avec cette distance ironique du garçon qui sait tout mais ne prend opinion sur rien. C’est toute la beauté de ce Night Chancers, un compte d’histoires sur ces « chanceliers de la nuit » qui se termine par ces mots répétés à l’infini par Madelaine Hart : » Baxter loves you« . Cela tombe bien, l’amour est réciproque et on a envie de dire ceci : Don’t change, Baxter.