Si je le pouvais, je vivrais entre Angers et Tours. Car de ces deux villes qui se partagent la Loire, naissent des projets musicaux fascinants, dont Tiny Voices fait partie. Le groupe angevin qui officiait avant dans Wank for Peace, vient de sortir son premier album le 4 avril. Il se nomme Erosion et se nourrit de la société, de la santé mentale et de nos repères, en perte de vitesse. C’est un grand album, un bel album, qui tourne en boucle dans ma vie, et que je vous conseille fortement.
Je suis une personne monomaniaque. C’est-à-dire que j’aime écouter le même morceau en boucle, pendant un jour, trois jours, un mois. Jusqu’à ce qu’il imprègne intégralement mon quotidien et colore mes idées noires. C’est de l’éphémère qui s’installe, qui m’apaise et qui rend tout tellement plus simple.
C’est le cas du premier album de Tiny Voices qui se nomme Erosion. Mais c’est une boulimie qui ne cesse pas. Car depuis sa sortie début avril, il n’y a pas un jour sans que je ne l’écoute. Ou plutôt si. Il y a quelques semaines, j’étais en reportage professionnel. Et pendant douze jours, je n’ai pas eu le temps d’écouter de la musique. Douze jours. Alors que du matin au soir, mes écouteurs sont vissés à mes oreilles. Alors, dès que j’ai pu, dès que je me suis retrouvée dans le train, seule, j’ai lancé Erosion. Et après ces douze jours intenses et éprouvants, c’était une joie incommensurable de les entendre à nouveau. Comme s’il n’y avait jamais rien eu d’autre. J’ai oublié les tensions, les pleurs et le rythme insoutenable.
Alors, un peu trop souvent, un peu trop longtemps, je lance Erosion. Quand je marche vite dans un Paris surchauffé et agresseur, quand je suis en colère, quand je suis heureuse. Quand c’est la première chose qui me vient en tête.
Tiny Voices. Vous les connaissez peut-être déjà. Car dès 2008, ils jouaient au sein du groupe Wank For Peace. Ensemble, ils ont traversé la France, et multiplié les concerts et albums. Mais aujourd’hui, les cinq membres ont repris le chemin du studio, avec un nouveau projet : Tiny Voices. Enregistré chez Amaury Sauvé, ce premier album est plus que prometteur. C’est un catalyseur, un condensé de perceptions, une alliance de sentiments fugaces et tenaces. Il s’écoute d’une traite et se rejoue, pour le plaisir, une fois les dernières notes entendues. Fait de silence et de retenue, de douceur et de fureur, de justesse et de finesse. Il est exultant, exutoire.
Tout de suite, Hopes and Downs, la simple présence d’une guitare et les premiers mots, « I lost hope, I know ». Florent, habitué à crier derrière un micro, porte aussi un projet, Limboy, du rock énervé, made in Angers. Ici, sur le fil, la voix, sur le fil, les accords. Uniquement les cordes et les mots pour évoquer le mal-être, l’espoir qui s’effrite et les pensées noires.
Avant que l’urgence de l’énergie déboule et nous déroute. Les genoux à terre, le cœur en l’air. C’est court, ça fuit et ça nous rattrape, instantanément, avec It’s Been a While Instrospection ! Des guitares, une pluie de guitares pour un refrain entraînant. C’est un hymne à chanter ensemble tandis que se dessine The Ridge Gets Thinner, sublimé au sein d’un clip réalisé par Josic Jégu (l’un des guitaristes de Fragile). Un titre pour nous rappeler que si l’on vit dans une société nauséabonde, où nos droits sont sans cesse bafoués, nous devons restons unis.
Le titre suivant, Should I Should Have fait partie de ma (nombreuse) liste de coups de cœur. Dès les premières notes, se sentir propulsé vers quelque chose de fort. Car ce sont des rafales sonores qu’on se prend en pleine tête. Tandis que chaque instrument se dessine et se dévoile, distinctement, Florent s’interroge sur le temps qui file, sur nos erreurs et sur l’avenir.
The Treason of the Couch, encore une fois clippé par Josic, prend la tangente, à travers quelques minutes moins incisives, moins frontales, où les chœurs, omniprésents, nous mènent vers une prise de conscience : « i will embrace my wins, then get back to learning ».
A Reasonable Bully, sans doute l’un de mes morceaux préférés, surgit ensuite. Ici aussi, il est question d’émotions et de mal-être. Si batterie, basse et guitares rugissent instantanément, Florent suit. Et en chœur, les musiciens reprennent « we should refocus ». Puis, le silence se fait, brièvement, afin d’appuyer les mots, de révéler une note. Puis l’explosion, encore une fois, celle qui en concert permet de tout lâcher. Le poing levé, les pensées en vrac, le cœur en morceaux.
Car si j’attends impatiemment leur venue à Paris, c’est parce que je me rappelle encore très précisément être venue les voir chez eux, à Angers. C’était une soirée parfaite où leur set résonnait fort au creux de moi. Il y avait cette douce sensation d’être au bon endroit, parmi une foule déchainée, leurs ami.e.s, celles et ceux qui connaissaient déjà les paroles par cœur. C’était un mélange de chaleur et de force, de vulnérabilité et de retenue, des sensations, finalement, contenues depuis le début dans cet album. A Reasonable Bully s’évapore finalement, avec du silence et des voix au loin.
Pour nous installer confortablement au sein de Fatigue (You’re the Joke). La guitare, paisible, des discussions imperceptibles, puis la frénésie des accords et la voix qui part très vite, très loin. La pression, inaltérable et continue. Éveiller, réveiller les consciences. Avant que ne se manifeste That Couldn’t Be Less Funny, et la voix masculine, sur la brèche, évoquant à ces instants précis celle du frontman de Being As An Ocean. C’est un titre empreint de finesse et de célébration, où tout à coup le chant prend la première place.
From Safety to Boredom, aborde, sans détour, certaines problématiques sociétales. Comment contrer l’ennui ? Pourquoi la passion n’est plus ? A quel moment avons-nous oublié de développer nos idées ? Pourquoi rien ne nous émeut ? Amer constat, que j’aimerai contrer. Ecoutez Erosion.
Faults, Faults, Faults finalement, conclut cet album. Un grand morceau, le plus beau, le plus sacré. Évidemment, mon préféré. Il se passe quelque chose. Ça relève de l’indicible, des sentiments qu’on appose sur une relation, deux corps qui se touchent et se parlent. C’est difficile d’expliquer. Alors, vainement, tenter d’évoquer la batterie, le poum tchak régulier, la voix de Florent qui s’élève, sereinement. La mélodie, progressivement qui s’installe. Et puis, au milieu du morceau, un cri qui prend plus de place, qui me terrasse. Ensuite, ensuite. La voix, presque seule, avant que tout s’enflamme, tout s’emballe : ma boîte crânienne, la pulpe de mes doigts, les poils sur mes bras et finalement, la tension cardiaque.
Faults, Faults, Faults, le dernier morceau joué à Angers. Celui où la basse me ravit, celui que je chéris. Celui qui apaise, qui éteint la solitude, qui émeut. Celui qui annihile la violence,
Erosion, où dix titres fougueux et impétueux. Erosion, où le mélange parfait de tristesse, d’espoir et de courage. Définitivement, un premier album dont Tiny Voices peut être fier.
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