Prendre le temps. Prendre le temps de raconter l’Histoire. Prendre le temps de l’écouter, de la digérer, de se l’approprier afin de s’en nourrir et de la restituer. Toh Imago nous présente Nord Noir, taillé à même le charbon du bassin minier du Nord de la France, dont la place est centrale dans la construction du personnage et de l’œuvre. Prenez une dernière bouffée d’air frais, la descente dans la fosse va commencer.

Des grands-pères on n’en a pas cinquante. Deux, en général. Et lorsque l’on est originaire du Nord de la France, il n’est pas rare que l’un ou l’autre de ceux-ci ait fait partie des générations de mineurs qui ont fait battre le cœur de cette région, au rythme des descentes quotidiennes, de la poussière de charbon, des coups de grisou et autres explosions. C’est l’une d’elle qui a mis fin à la carrière de contremaître du grand-père de Toh Imago. Lui s’en réchappera, au contraire de plusieurs de ses compagnons moins fortunés, mais la responsabilité lui en sera attribuée. L’histoire de cet homme, c’est le point de départ qui a donné naissance à Nord Noir, au bout d’un long processus créatif.
18 mois. Si Toh Imago fréquente la scène électronique depuis 2012, il s’est laissé 18 mois pour créer cet album. Sa première œuvre est le résultat d’un travail de recherche fouillé, empruntant des extraits sonores au musée de la mine de Lewarde, et de l’influence d’un livre, Le Jour d’Avant de Sorj Chalandon. On y découvre un univers aussi électronique qu’industriel, aussi contemplatif que dansant et allant même jusqu’au quasi-expérimental.
L’ensemble résonne de cohérence et les transitions entre moments dansants et atmosphériques se font avec une douceur tout en maîtrise. Question sonorités, certains morceaux nous évoquent Rone, comme Schiste pyramide et ses synthétiseurs majestueux, qui viennent éclairer un univers très sombre au demeurant. Sombre oui, mais pas fataliste. Sombre, comme un moment d’accalmie sur Extraction 2, comme une boîte de nuit mal éclairée sur Sainte Barbe. L’écoute est organique, Vaine Bataille glisse jusque sur la peau tel un tissu fait de poussière de charbon et les percussions évoquent une ventilation anxiogène. Tous les morceaux sont incontestablement le résultat d’un travail d’orfèvre sur les sons, parfois distordus et méconnaissables mais qui apportent un sentiment d’authenticité à l’ensemble. Petit détail intéressant, l’album s’ouvre et se ferme sur des enregistrements d’oiseaux, qui apportent une dose de vie et de lumière supplémentaire à l’œuvre.
Pour résumer, on pourrait décrire Nord Noir comme la construction moderne d’un hommage à un temps révolu. Une forme de devoir de mémoire 2.0.