Charlotte Adigéry et Bolis Pupul ont dévoilé récemment Topical Dancer, un album en forme de conversation, entre le fond et la forme, entre Charlotte et Bolis, entre eux et leurs auditeurs. On a décidé de vous écrire une rédaction en trois chapitres pour vous dire tout le bien que l’on pense de ce nouveau projet commun.
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Introduction : Sonnette et portée d’entrée
Un album commence toujours par une porte d’entrée. Parfois, elle donne le ton, parfois elle prend le temps. Ici, on se retrouve dans la seconde situation, une introduction un peu surréaliste qui balance déjà une bonne dose d’humour et de recul que l’on retrouvera tout au long de ce Topical Dancer. Cet album, Charlotte Adigéry & Bolis Pupul l’ont conçu comme une représentation dansante de leurs conversations, un dialogue auquel ils nous convient avec bonheur et sans crainte. Bel DEEWEE en est l’entrée, la porte qui s’ouvre et qui nous entraine dans cette histoire sonique, cette retranscription sensible et musicale de leur amitié et des sujets dont ils parlent, ceux qui comptent et qui ont marqué leurs existences et leur collaboration.
Chapitre 1 : Politique, Ironie & Libération
Ce premier chapitre est sans doute le plus risqué, mais aussi le plus malin. Il est celui qui en mettra beaucoup mal à l’aise car au fond, n’importe qui se retrouvera dans certains propos utilisés dans Esperanto. Le premier morceau de l’album arrive comme un bulldozer, défonçant avec bonheur autant nos préjugés que notre bien-pensance. Rempli d’ironie, laissant lentement l’ambiance s’installer, utilisant les « refrains » comme des ponts musicaux plutôt que comme des instants pour renforcer le propos, ce morceau nous lance dans le grand bain de Political Dancer : un album qui danse, qui pense et qui n’épargne personne. Car il ne serait pas anormal de se sentir viser par ce morceau, mais il serait injuste de ne pas réaliser que Charlotte Adigéry et Bolis Pupul s’incluent dans ce constant des grandes phrases et des petites pensées.
Blenda poursuit ce travail intelligent et mouvant. Le morceau a tout du petit tube parfait, une production impeccable, un rythme qui ne faiblit pas jusqu’aux derniers instants et qui restent instantanément accroché à nos tympans. Et puis après cette approche physique, c’est le sens qui vient s’accrocher à nos cerveaux. Est-il possible de danser sur un morceau qui dénonce le racisme de manière aussi claire et frontale ? La preuve est ici faite. Le morceau voit alors son impact démultiplié.
Hey ralenti légèrement le rythme mais offre un message plus limpide et moins dans l’ironie. On sent ici une vraie vague de sincérité, même si Charlotte Adigéry se glisse une nouvelle fois dans un personnage, ou plus précisément dans une idée. L’écriture du morceau développe des idées simples autour de l’harmonie, la variété ou l’unité des gens. Un morceau qui offre un moment de tolérance et bienveillance et qui clôture le premier chapitre de cet album.
Chapitre 2 : L’enfant, la femme et la maman
Le deuxième tiers de l’album prend une tournure plus différente et met en son cœur le féminin dans toutes ces facettes de la découverte à l’acceptation de sa sexualité, le regard de l’autre, et de soi, sur son corps et la relation et la transmission entre une mère et son enfant.
Une nouvelle fois nourrit des conversations entre Charlotte et Bolis, It Hit Me parle de la sexualisation du corps, que ce soit à travers son propre regard, mais aussi celui de l’autre. Morceau sombre, hypnotique et légèrement dérangeant par moment, Charlotte et Bolis ont eu l’idée brillante de pitcher leur voix au départ. Ainsi lors du début de leur prise de parole, on les retrouve encore dans une part de « pureté » et « d’innocence » jusqu’au moment où « cela les frappe » laissant ainsi sur le côté toutes illusions pour passer à l’âge adulte.
Musicalement le morceau joue sur des nappes froides, et ce sifflement malsain qui revient ici et là nous frapper les oreilles. Une nouvelle manière de nous faire à nouveau danser tout en faisant réfléchir, frapper le corps et le cerveau, l’inconscient et le conscient.
Ich Mwen est sans doute le morceau le plus émouvant de Topical Dancer. On se retrouve dans une conversation entre Charlotte et sa mère, Christiane Adigéry. Le morceau joue parfaitement avec l’idée de miroir, certains propos étant repris d’un côté comme de l’autre pour multiplier leurs impacts. Il est question ici de transmission, du rôle de mère qui impacte et change tout dans une vie et de tous les questionnements qui en découle, mais qui n’ont pas de réponses tant cette aventure se vit plus qu’elle ne se réfléchit.
Reappropriate clôture cette « trilogie de la femme ». Sur des nappes oniriques et sensuelles, Charlotte nous parle de l’acceptation de sa sexualité. Avec un chant beaucoup plus posé, presque susurré par moments, elle nous entraine sur ce lent chemin intime qui mène à la réappropriation de ses propres désirs et de ses envies en tant que femme dans une société qui souvent ne laisse que peu de place au désir féminin dans les représentation très masculine de la sexualité. Un vrai moment de douceur et de tendresse qui tranche radicalement avec la troisième partie.
Chapitre 3 : Magritte sur le dancefloor
On le sait, la dérision et le non-sens sont des qualités importantes en Belgique, il était donc évident que cette thématique transparaisse aussi dans le Topical Dancer de Charlotte Adigéry et Bolis Pupul. Et on commence en fanfare avec l’exceptionnelle Ceci n’est pas un cliché. Une basse entêtante, un rythme fou et un morceau ludique et hilarant dans lequel le duo compile les pires phrases clichés de la musique pour nous offrir un grand moment de défoulement et de bonne humeur.
Ahah, joue sur cette même ligne. Centrée sur une boucle du rire de Charlotte, le morceau arrive même à créer un certains malaise tout en nous entrainant dans un univers complètement différent et presque enivrant.
Mantra et Making Sense Stop, joue comme une sorte de continuité douce dans des genres différents, la première étant une lente montée hypnitique tandis que la seconde, plus posée, semble prendre la suite de la réfléxion, invitant à laisser parfois le cerveau de côté et se lâcher et prendre du plaisir dans l’instant et le moment.
Huile Smisse quand à elle représente un vrai non-sens avec une rythmique presque reggae et un texte en français qui s’enchaine sans réellement de sens, comme une plongée dans des pensées qui se déverseraient sans lien ni connexion, comme le dit si bien Charlotte qui « adore s’écouter parler » et qui nous pousse à l’écouter en même temps.
Conclusion : Remerciement et sourire en coin
Notre rédaction auditive se termine fatalement avec une conclusion. Un dernier morceau pour célébrer tout ce qu’est Topical Dancer, dans le son comme dans les paroles. Thank You est sans doute le morceau le plus mordant et ironique de l’album, le premier qui nous avait été donné à découvrir. Il joue aussi avec la frustration, laissant espérer un drop qui ne viendra jamais vraiment tout en tirant à la sulfateuse sur tous les « commentateurs » qui sous couvert de compliments laissent souvent leur opinion prendre le pas sur l’intelligence.
Topical Dancer est donc une représentation parfaite de la relation entre Charlotte Adigéry et Bolis Pupul. Une conversation dans laquelle il nous convie et nous rappelle qu’on peut définitivement danser sur tout et proposer une expérience auditive qui ne prend jamais son auditeur pour un imbécile. C’est de plus en plus rare dans la musique dansante, il est donc important de rappeler que cet album est sans doute l’un des meilleurs de ce tout début d’année. Ni plus, ni moins.