Le groupe anglais est de retour avec Love you all over again, un huitième album qui prend la forme d’un retour aux sources folktronica. Plus que jamais, il y semble passé maître dans l’art de faire se rencontrer les impossibles.
Quelque part, on ne se souvient plus bien où, on a lu que la chanson était un art universel. Qu’il n’était nul besoin d’en comprendre les paroles pour en accéder au sens ; parce que le son en lui même en était porteur. Parce que la voix l’était également, de la même manière que tous les choix contribuant à l’objet sonore – harmoniques, rythmiques, orchestraux, techniques. En quoi, dans la chanson, tous les chemins menaient à Rome, et tous les procédés à l’intention globale.
On ne se souvient plus bien où l’on a lu pareil propos, mais on se souvient en revanche qu’en écoutant le dernier album de Tunng, Love you all over again, on y a pensé immédiatement. Parce qu’on s’est dit dès la première écoute que l’on était amoureux du disque : et que pourtant, on avait pas la moindre idée de ce dont il parlait.
Machines of loving grace
Si comme nous, vous découvrez Tunng avec ce nouvel album, vous serez stupéfaits d’apprendre que leur premier opus remonte, lui, à vingt ans. Un peu avant tout le monde (au moins avant le renouveau spectaculaire du genre depuis la fin des années 2010) le groupe anglais explorait dans Mother’s daughter and other songs (2005) la rencontre entre le songwriting folk et les expérimentations électroniques. Expérimentations vite qualifiées de folktronica ; où les bricolages informatiques rencontraient les guitares au coin du feu, où l’art de la production se mariait à celui de la narration poétique.
C’était il y a vingt ans, et, entre temps, le groupe semble avoir effleuré quelques autres esthétiques. Il s’est éloigné de sa première ambition folktronique. Qu’a-t-il choisi pour son huitième album ? Revenir aux sources. L’un des fondateurs du groupe, Mike Lindsay, explique s’être replongé dans les deux premiers albums afin de retrouver ce qui faisait l’essence de Tunng :
« Plutôt que de chercher une nouvelle voie, nous sommes revenus à ce que nous avions l’habitude de faire, ce qui, après tout ce temps, nous a semblé être une nouvelle voie… »
Parfois, créer c’est ressasser, ré-explorer, et souvent, recommencer ce que l’on a déjà essayé de dire. Parfois le risque est-il donc de céder à la redite. Mais il n’en est rien ici. Le son de Tunng a évolué. Il a mûri. Le mariage folktronique, autrefois un brin expérimental, semble ici trouver sa réalisation la plus complète.
Et ce, dès le premier titre Everything else, où les mandolines et le banjo (en cinq temps) côtoient le piano et les voix (en quatre). Où l’on accède sans attendre à ce qui fait la signature sonore de Tunng : sa capacité à créer des rencontres. Timbrales, rythmiques, poétiques. Au piano et aux cordes s’ajouteront les drum machines bricolés de Mike Lindsay, machines affectueuses, faussement défectueuses, égratignées. Et puis cette interrogation portée par la voix de Sam Genders : « Why do we do this ? ». Interrogation presque métaphysique : que savons-nous de cette force qui nous pousse à travers l’existence ? Au fond, pas grand chose. On y « boit son thé » et l’on y porte haut sa joie comme un « minuscule cerf volant ». On s’y investit avec ardeur dans des activités pas réellement plus sensées que d’autres. « It makes no sense to be here now ». Et pourtant, nous y sommes tout de même.
Puis c’est Didn’t know why avec ses guitares lumineuses -neuvièmes ajoutées, chorus léger- ses drum machines croustillantes, grésillantes, et cette mélodie aux faux airs de comptine folklorique. C’est également le retour du personnage de Jenny, que les fans de la première heure de Tunng connaissent depuis Jenny again, titre phare du deuxième album du groupe. Personnage qui porte avec lui de bien curieuses images (en 2006, une sombre histoire de mari assassiné, et ici, ce que l’on comprend comme un désir légèrement morbide de se fondre dans la nature en dévorant ses poumons et son cœur).
Après le ternaire Sixes, on découvre dans Snails la phrase qui donne son nom à l’album. Phrase elle même tirée des voeux de mariages de Mike Lindsay. La flûte et la clarinette y croisent des arpèges proches de l’égrenage fugace, ainsi qu’un étrange synthétiseur escargot, langoureux, goulu, qui occupe l’espace tout en longueur.
Tout le long de l’album, jusqu’au plus dépouillé Coat hangers, où l’on entend des enregistrements de conversations du groupe (enregistrées depuis une armoire, quelque part en tournée), on ne se lasse pas des rencontres de Tunng. On pourrait pratiquement qualifier le groupe de surréaliste, tant son iconographie aime à faire se côtoyer les impossibles (« twenty ravens in the basement/eating crisps and drinking beer » sur Levitate a little). Sa matière sonore est toujours intrigante, terriblement rafraîchissante. Ce en quoi Love you all over again est exactement le disque dont on avait besoin.
Et pendant toute son écoute, on ne peut s’empêcher de penser au poème de Richard Brautigan, All watched over by machines of loving grace. C’est que, chez Brautigan, dont le texte pourrait servir de manifeste folktronique, les machines côtoient les hommes au sein d’un environnement pastoral pas si éloigné des images de Sam Genders :
« I like to think
(And the sooner the better !)
Of a cybernetic meadow
Where mammals and computers
Live together in mutually programming harmony
Like pure water
Touching clear sky »
« J’aime penser
(et le plus tôt sera le mieux !)
À une prairie cybernétique
Où mammifères et ordinateurs
Vivent ensemble dans une harmonie mutuellement programmée
Comme de l’eau pure
Touchant un ciel dégagé »
On ne saurait mieux dire pour parler de Love you all over again. Les mammifères et ordinateurs en effet, y programment l’harmonie d’un même geste. Ils coexistent, et, par leur rencontre, créent la beauté. Il y a là bien bel idéal, et qui laisse songeur. Un idéal, qui à n’en pas douter, poussera les parisiens au Hasard Ludique le 12 mars. On avoue vouloir voir ces anglais de nos propres yeux. Parce qu’on ne doute pas qu’entre eux et nous, ils sauront programmer l’harmonie.
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