Etincelant comme une étoile filante, car “Ultra Tape” en est une d’étoile filante… Le tout dernier disque de Muddy Monk, est un hommage au temps qui passe, à tout ce que l’on perd, mais à tout ce que l’on gagne aussi, des souvenirs, des souvenirs figés dans le temps, préservés de la réalité du monde, empreintes de beauté la plupart du temps, car du passé on ne garde que le meilleur. Le tout, sur une musique électronique scintillante, des accords graves de synthés, une voix qui perce dans les aigus, des sons saturés… Après son premier album, sorti il y a deux ans, l’artiste suisse de pop électronique Muddy Monk, signe un retour scintillant avec cet EP, “Ultra Tape”.
© Dexter Maurer
Muddy Monk n’est autre que cet artiste de chanson pop électronique à la voix cristalline et aux sons saturés… Celui qui fait parler de lui depuis novembre 2018, avec la publication de son tout 1er album Longue Ride. Cette année 2020, le suisse est revenu jusqu’à nos oreilles avec de nouveaux morceaux, de nouvelles mélodies planantes, mais ce n’est pas encore l’heure du deuxième album, c’est dans un nouvel EP qu’il a choisi de présenter les fruits de son dernier travail. Au total, une grappe de cinq fruits : “Encore un peu”, “Mylenium”, “Tout ça”, “Ternevent” et “Magnolia”, qui forment l’EP Ultra Tape, d’une quinzaine de minutes et que l’on va tenter de décortiquer…
Ultra Tape, la force poétique
Sorti le 12 juin, l’EP commence par “Encore un peu”, un morceau sur le temps qui passe, sur la vie qui éloigne malencontreusement les personnes. Un titre fataliste et beau sur cette réalité-là : il y a des gens qu’on aime et que l’on va perdre, parce que nos vies vont reprendre des chemins différents, parce que vos choix de vie vous nous éloigner les uns des autres, sans l’avoir voulu : « c’est la vie qui décide qu’avec le temps, c’est la vie qu’on a prise qui nous ment […] s’il a pris la mer, s’il a pris la mer c’est qu’on devait le perdre », parce que l’on va changer avec le temps, et pas forcément dans le même sens… “Encore un peu” est sorti accompagné d’un clip animé de manière plutôt minimaliste, il s’agit de la couverture de l’EP : deux mains tendues l’une vers l’autre, formant une ligne diagonale dans le cadre, l’une est robotique, tandis que l’autre est évanescente, comme s’il s’agissait de la main d’un fantôme, ou d’un souvenir, le tout ponctué de petits éclairs rouges flamboyants, rappelant les petits éclats de jus qui sortent d’une machine en train de tomber en panne. Le clip est bien évidemment signé par l’auteur de l’artwork lui-même : Dexter Maurer, un illustrateur suisse qui maîtrise à la perfection le style rétrofuturiste.
Ultra Tape se poursuit avec “Mylenium”, qui est le premier titre que l’artiste helvète a révélé, avant même la sortie de l’EP, c’était au mois d’avril 2020, avec un clip illustré, très minimaliste : deux robots humanoïdes, enlacés, dans une chute lente, mais irrémédiable, sur fond de paysage apocalyptique. Un mélange de designs à la Metropolis, les protagonistes filant comme des comètes, le long d’une atmosphère cramoisie, mais douce et pastel à la foi. Ce n’est pas la fin du monde, c’est la fin du beau, d’un amour qui est passé, d’une fleur qui a fané. Il est question de nostalgie, mais d’une nostalgie belle et apaise, qui a certainement accepté la fatalité et qui vit ses derniers instants en contemplatif. La mise en animation est, quant à elle, très fin et très justement choisie pour ce titre, c’est une animation qui embellie ce titre beaucoup plus qu’elle l’accompagne. Une fois de plus, elle est signée Dexter Maurer. On vous avait parlé de ce titre à sa sortie, juste ici : “Muddy Monk, “Mylenium”… une chute scintillante”.
“Tout ça” est peut-être le titre le plus lumineux de cet EP, avec une rengaine lancinante. Il a des airs de virée sur les routes, quand on branche la radio et qu’on tombe sur une chanson qui a bercé toute notre adolescence, et boum ! Retour dans le passé, on se retrouve plongé dans nos souvenirs d’antan, l’école, le collège, le lycée, sa bande de potes, les quatre cents coups, des paysages familiers, une maison de vacances, des amours de jeunesses… « moi et mes amis, étions fiers, on voulait tirer des étoiles, du vent, mon amour et tes lèvres, et tout se finira, tout ça finira… » Un souvenir, encore une fois ramené à une dure réalité de vie, la conscience que chaque chose a une fin, que notre vie est ponctué d’une myriade de petites vies qui s’éteignent, d’une myriade de petites morts : celle de son soi, petit enfant intrépide, celle de son soi adolescent maladroit, celle de son soi jeune adulte fougueux… tous ces âges de nos vides qui sont à chaque fois entourées d’un microcosme d’amis, de relations, de paysages aussi… qui vont un jour prendre fin, car on a doit continuer à avancer sur le chemin de la vie, et les autres aussi, alors on se perd. Il n’y a rien de triste dans ce titre, pas de nostalgie, c’est plutôt un état de béatitude qui s’en dégage, le sentiment apaisé de se replonger dans ses souvenirs d’enfance, le plaisir de se remémorer un passé réconfortant.
“Ternevent” reste à ce jour le titre le plus énigmatique de cet EP, il n’en reste pas moins le titre le plus énervé de cet EP. On retrouve les aigus de l’artiste helvète, sur une musique qui monte crescendo, habituée par des accords graves de synthétiseurs, jusqu’à arriver à des sons de guitare électrique saturés et une batterie dans le fond, qui donnent un accent tout particulièrement rock à ce titre. Le mélange de ces lignes mélodiques plutôt virulentes à la voix voix stridente de Muddy Monk, donne un morceau profondément étourdissant et déstabilisant. « s’il est des histoires qui meurent au port, dis leur qu’on arrive […] il faudra que l’on se serre plus fort… » On ne sait toujours pas de quoi la chanson parle exactement, mais une chose est sûre, sa force instrumentale touche en plein cœur.
Il s’en suit ensuite le cinquième et tout dernier titre de l’EP, “Magnolia”, un titre qui se démarque des autres avec une voix de Muddy Monk beaucoup plus posée, les aigus et les sons perçants sont absents, Muddy Monk se place beaucoup plus dans la chanson dans ce titre. La présence des machines se ressent beaucoup moins également. C’est peut-être le juste cheminement de cet EP, des cris stridents au début, face à la douleur du temps qui passe, des relations qui disparaissent… puis un cœur et une âme plus apaisée au fur et à mesure, en retirant le positif de cette affaire : les bons souvenirs, qui vivent toujours… “Magnolia” évoque l’entrée hésitante et peureuse dans le monde adulte, ou en tous cas dans le monde « réel », la peur de sortir de nos rêves, de notre innocence, de se heurter à la dure réalité de la vie, où les rêves qui doivent parfois rester à des rêves, et en même temps toute la beauté de se libérer de ses chaînes de l’enfance ou de l’innocence dans laquelle on s’est enfermée, pour s’ouvrir au monde, et voir son arbre intérieur grandir, se développer, et fleurir, comme les magnolias du jardin.
Un travail d’orfèvre sur le temps qui passe
Fort de tous ces titres, le nouvel EP de Muddy Monk et immanquablement axé sur le temps qui passe et les conséquences qui en découlent sur nos relations sentimentales, qu’elles soient familiales, amicales ou amoureuses. Ultra Tape est un disque cosmique et nébuleux qui vous plonge dans un trou noir de tristesse et de mélancolie, mais le tout sublimé et enjolivé par la musique et la voix de Muddy Monk. Alors que ces thèmes portent bien souvent des ballades, de la chanson, des instrumentations folks… l’artiste suisse choisi quant à lui de traiter ces thèmes avec des machines, des sons électroniques et une voix cristalline à chaque instant. C’est sublime et dérangeant, comme le son d’un verre de cristal. Cela donne un vernis scintillant à toutes ses productions, même lorsqu’il collabore avec le rappeur Ichon (“Si l’on ride”), ou encore lorsqu’il fait une petite apparition sur un titre de Myth Syzer avec Ichon et Bonnie Banane (“Le Code”).
Ultra Tape est romantique, lumineux et vaporeux, il nous plonge dans les méandres des sentiments, comme une opération à cœur ouvert, une dissection de notre âme et de tous ses tréfonds sentimentaux. Par ses textes et ses musiques perçantes, Muddy Monk parvient à mettre le doigt sur des choses très intimes, des sentiments parfois mal compris par les personnes mêmes qui les portent, tellement ils sont complexes. Atteindre des choses qui sont très profondes, on ne peut y arriver qu’avec un outil très pointu… voilà pourquoi Muddy Monk y parvient. Sa voix perçante, ses sons aigus, sont capables de percer les profondeurs sombres et nébuleuses de nos sentiments, et d’atteindre des pépites. Des petits joyaux, qu’il remonte à la surface et porte à la lumière, pour les éclairer de toutes leurs facettes et qu’ils brillent de mille feux, et resplendissent dans toutes les oreilles, dans toutes les âmes et dans tous les cœurs.