En ce dernier dimanche d’avril, on continue de révéler quelques petites pépites cachées dans les tiroirs de La Face B. En novembre dernier, on avait rencontré trois des cinq têtes de l’hydre Bagarre juste avant leur concert sold-out à l’Olympia. Un petit souvenir précieux qu’on vous dévoile ce soir.
La Face B : Comment on se sent à une heure de son premier Olympia sold out ?
Majnoun : Je suis dans un mélange de soulagé, parce que c’est enfin là et c’est quelque chose qu’on a vachement attendu, et là franchement j’ai envie de me laisser glisser dans la pente et de vivre ça.
La bête : Moi j’ai envie d’y aller parce que quand tu passes une journée où tu fais des balances, tu fais pleins de trucs mais en fait tu ne fais rien et on joue très très peu. Et les rares moments où on a joué, ça m’a hyper détendu et ça m’a fait beaucoup de bien parce que je sentais que c’était là que j’étais bien, mais dès que tu ne joues pas, t’attends, c’est très très long. Il y a un truc où t’as envie d’y aller et t’en peux plus quoi. Après je sais qu’en plus il y a tout le monde qui arrive un par un, Gangreine etc, donc on les voit et tu sens que ça monte, et que ça va être fou.
Maitre Clap : C’est un peu comme Noël ou ton anniversaire, c’est un peu excitant et ça me rappelle un peu les tout premiers concerts qu’on faisait quand on était encore qu’un tout petit groupe et qu’un concert t’en fais rarement car t’es pas programmé, donc les concerts que tu fais tous les 6 mois, tu mets toute ta vie dedans, et là c’est un peu l’émotion qu’on a retrouvé pour cet Olympia. Tous tes amis viennent, t’as fait tout ce que tu voulais, donc on est hyper excités.
LFB : La musique et la politique, ça a toujours été lié dans votre musique. C’était important d’utiliser cette date pour mettre en avant les associations et les choses en lesquelles vous croyez ?
La bête : en fait, on s’est demandés comment faire en sorte que l’Olympia soit le nôtre. Et on s’est dit «qu’est-ce qu’on a de mieux à donner en nous pour les gens qui viendront ?».
Et en fait, ce qu’on avait de mieux à donner, c’était de donner de la place, de la parole et de la visibilité aux gens et idées qui nous sont proches et au monde qu’on aimerait vivre un jour. Du coup, c’est ça qu’on a essayé de créer ce soir, le temps d’un concert, de quelques heures, de créer un monde différent, libre. C’était ça le plus beau truc qu’on pouvait offrir. C’est de la politique, mais avant tout de la vie, des gens qui vivent quotidiennement comme ça, et les faire venir et de le faire vivre avec les autres et dire voilà, on peut être heureux en étant trans, pute, migrante, gay, lesbienne… en étant qui on est, peu importe qui on est.
Maître Clap : et tu peux être sur la scène de l’Olympia.
Majnoun : On peut dire la petite surprise du concert, on a les Berruriers Noirs qui sont là et qui n’ont pas joué depuis 16 ans, qui ont toujours refusé des collabs (comme PNL) et qui avait Salut à Toi et Porcherie ici à l’Olympia et qui ont accepté de venir pour jouer le premier morceau. Il m’a dit «on a toujours refusé mais là on a senti que c’était sincère».
LFB : C’est un peu la quintessence de tout ce que vous avez toujours voulu mettre en place.
Majnoun : Là on a fait un truc qui réunissait beaucoup d’envies et qui va garder un sens du show, car on avait pas non plus envie de casser la dynamique propre d’un concert, qui est un moment de musique qui doit t’embarquer.
LFB : Vous venez de sortir un album qui s’appelle 2019-2019 : alors que la plupart des groupes cherchent à toucher l’intemporel, pourquoi est-ce que vous avez fait le choix de créer quelque chose qui est juste ancré dans son époque, et qui pourra paraître dépassé dans 6 mois ?
Majnoun : En fait je ne sais pas, il y a certains morceaux je ne pense pas. Justement parce qu’ils étaient super dans l’époque, on s’est dit pourquoi pas les sortir maintenant.
La bête : Et c’est un mythe narcissique vieux comme le monde de vouloir être intemporel. La différence entre la musique classique et la musique noire américaine, ou les folklores en général quels qu’ils soient, c’est que les folklores sont les musiques qu’on connait et pas les auteurs. Et à l’inverse, dans la musique classique ou la littérature française, dans l’inconscient mythique de la culture européenne, c’est les auteurs qu’on connaît, au même titre que les œuvres. Et ce truc là narcissique de vouloir traverser le temps c’est un mythe qu’on ne contrôle pas, qu’on n’écrit pas. Tu fais un bon livre de ton époque, et en suite il vit s’il est beau. Nous je pense qu’on a écrit ce qu’on avait de mieux à faire, de plus beau à dire, et ensuite la vie aura ces morceaux, ils sont déjà plus à nous, ils ont leur vie à eux.
Maître Clap : Et toutes façons, nous on est là maintenant. On a envie de vivre ces morceaux maintenant, de les écrire maintenant, de les chanter maintenant, de parler de maintenant autant de maintenant.
Majnoun : ils ont ce côté sécrétion du temps présent, et nous on avait envie de les vivre de cette façon.
La bête : j’ai envie de te dire très sincèrement que je m’en fous des gens de demain, pas que je vais me mettre à surconsommer et faire profit de la vie au détriment de demain, mais en fait je leur fais confiance à eux, à ceux de demain pour faire un monde meilleur. Et ils ont pas besoin de moi pour le faire, ils vont y arriver très bien eux-mêmes, et on a pas besoin de toujours être subordonné à un plus vieux, à un avant.
Maître Clap : J’espère que nos chansons resteront plus ou moins, je sais pas, mais si elles peuvent aujourd’hui inspirer des gens qui écriront des chansons demain, c’est mieux.
La bête : peut-être que dans 30 ans, un petit groupe nous appellera pour nous demander de nous reformer pour faire un morceau à l’Olympia, et on dira peut-être oui.
LFB : Mais justement, tu parlais d’uppercut mais finalement oui, parce que l’album est hyper court et en même temps hyper brutal quasiment du début jusqu’à la fin. Il y avait un besoin d’exorciser quelque chose à travers ces chansons là ?
Majnoun : Il est très direct. De formuler, comme un peu Béton Armé, c’est des morceaux où il fallait en parler, pour le sortir de soi et pour s’expliquer un peu le temps présent. Tu vois je trouve que c’était le bordel cette année, on comprenait rien, politiquement la séquence était trop rapide, tout se mélange, t’es dans une espèce de kaléidoscope bourré. Et je pense que ça fait du bien de ne pas l’agencer, l’organiser, mais restituer ce truc-là aussi quoi.
La bête : On voulait le faire avec notre manière d’exprimer notre excitation de ce qu’il se passe, donc effectivement les musiques te rentrent dedans, mais c’est ce qu’on cherche. Vivre le moment musical, vivre en club. En club t’as envie de danser, t’y vas pas pour rien faire. Dans la rue, quand t’as un truc à dire, t’y vas pas pour rien faire, et t’as vie tu veux la vivre, tu fais pas une vie pour rien faire. Donc on a décidé de se dire que nous on va y aller avec notre manière de dire les choses, et de le rendre vivant, joyeux au final, même si au final c’est un peu rentre dedans.
Maître Clap : en l’occurrence pour Au Revoir à Vous, c’était carrément un exutoire par rapport au climat un peu fin du monde; D’en faire une chanson qui est en plus excitant, d’une certaine manière, ce côté demain n’existe pas. Et je pense que ça se retranscrit dans «au revoir à vous». et de le chanter en public avec des gens qui dansent, c’est la meilleure manière pour moi de sortir du côté un peu badant de ce truc là, dans lequel tu peux sombrer en ce moment, c’est quand même pas facile je trouve, ça peut être très déprimant.
La bête : Faut voir aussi les choses du bon côté, moi ça m’excite ce qu’il se passe en ce moment, y a un truc où les gens font pas rien. On peut se dire c’est bizarre ces gilets jaunes, mais en fait on devrait être fier d’avoir des gens qui tous les samedis se bougent le boule pour défendre quelque chose, même si parfois dans tout ça ils sont pas d’accord, mais quel pays fait ça pendant 1 an ? Tu vois c’est un truc de ouf. Pareil pour l’écologie, y a pleins de choses qui se passent ! Donc au lieu de voir le côté «c’est la catastrophe à venir», mais heureusement que ces gens là sont là pour sauver le monde en fait.
Majnoun : Et prenons l’énergie
Maître Clap : Tous ces trucs badants qui peuvent exister, je trouve qu’ils nous remettent vachement en cause dans ce qu’on pense, nos opinions, nos manières de vivre. et en fait c’est hyper excitant et je préfère vivre cette époque là avec tout ce qu’elle a de sombre, plutôt qu’une époque un peu installée.
La bête : tu vois les années 90 je pense que c’était une époque faussement lumineuse, tout le monde croyait que ça allait bien alors que c’était le début de la fin qu’on a actuellement, où on fait que de rattraper un truc qu’on a déjà ken il y a longtemps.
Majnoun : mais c’est vrai que les années 90 c’est vraiment le moment où on pousse à l’extrême les trucs dont on paye les pots cassés aujourd’hui. Tu vois la dérégulation financière, le tout plastique… tout le mode de vie, l’archi-consumérisme sans aucune espèce d’idée des conséquences que ça peut avoir, on est là quoi, avec la bonne conscience. C’était cool les années 90s d’être comme ça, tu regardes les trois frères tu kiffes quoi.
La bête : heureusement y avait Kurt Cobain qui en a payé le prix.
LFB : Sur l’album, vous avez bossé avec BVO, la dernière fois avec Grand Marnier et Guillaume de The Shoes, est-ce qu’il y a une volonté chez vous d’avoir du recul sur votre musique à travers quelqu’un d’autre ? Ou est-ce qu’à un moment donné, vous vous dites que vous finirez par tout faire vous mêmes ?
La bête : Je crois qu’on aimerait faire tout nous même, mais un peu comme des vrais anarchistes, on ne se fait pas confiance et on a tout le temps l’impression qu’il nous faut quelqu’un qui nous donne un contrepied, des contre-idées, donc on s’est qu’on est meilleurs quand y a quelqu’un qui vient renvoyer la balle. mais on pourrait faire tout nous mêmes, mais ça nous intéresse pas forcément.
Majnoun : Après Adrien il a travaillé beaucoup sur les productions vocales pour le coup.
La bête : Ouais mais dans le dialogue aussi des morceaux, c’est un vestiaire dans lequel tout le monde respire le même air. Après quand on sera suffisamment expérimenté et confiants en nous, peut être que le fait d’être 5 suffira à se renvoyer la balle pour faire le même effet.
Majnoun : Ce qui est déjà un peu le cas dans le processus de composition souvent.
LFB :Et même dans les chansons, je trouve que vous vous renvoyez encore plus la balle que sur celui d’avant.
Majnoun : moi je trouve qu’on joue plus collectif sur celui là, les voix s’entrecroisent. Cet abandon de la paternité, on est en train de le taffer, on a écrit d’autres chansons, pour le moment on sait pas quoi en faire, mais où y en a un qui a écrit le texte, l’autre qui le chante, et un autre qui a écrit la mélodie. Et ça c’est Bagarre dans ce que ça doit être et devenir, parce que c’est là où y a que des choses senties qui sortent.
LFB : Le futur de Bagarre c’est quoi là ? Dormir ?
Maître Clap : Moi j’aimerai bien avoir le temps de m’ennuyer un peu, parce que ça peut être enrichissant et là on a pas eu le temps de s’ennuyer ces derniers temps.
Majnoun : Même, faut vivre des trucs pour écrire des chansons.
La bête : Tu passes ta vie à te battre contre des choses, donc a priori on a toute notre vie pour continuer à faire notre musique.
Maître Clap : et concrètement je pense qu’on va retourner à nos passions de jeux vidéos, mangas.
La bête : Moi je vais re-re-re-regarder Dowtown Abbey. Et re-re-re-re-boire du thé devant chaque épisode. Et re-pleurer quand Matthew meurt. Chez moi je suis une vieille lady anglaise, tout ce qui m’intéresse c’est du thé et des gossips.
Maître Clap : Je vais me remettre au Warhammer. En plus maintenant j’ai pleins d’argent, je peux acheter tous les pots de peintures que je veux.
Crédit Photos dans l’article : Alphonse Terrier