C’est à l’occasion du Pitchfork Avant-Garde en novembre dernier, que nous sommes allés à la rencontre des excellents membres d’En Attendant Ana. Retour sur cet échange durant lequel on y parle de leurs retrouvailles avec la scène, du prochain chapitre qui s’écrit (et qu’il nous tarde de découvrir) ou encore de la difficulté en tant qu’artiste de s’extirper de sa zone de confort.
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LFB : Votre deuxième album, Juillet, sorti il y a près de deux ans n’a pas pu être défendu comme vous le souhaitiez. Excepté deux concerts en septembre, vous voilà enfin de retour sur les routes depuis hier, avec notamment un concert ce soir (interview réalisée le 20 novembre, ndlr) dans le cadre du Pitchfork Avant-Garde. Comment se passent vos retrouvailles avec la scène et votre public ?
Margaux : On a quand même un peu joué l’année dernière.
Adrien : On l’a un peu défendu.
LFB : Mais pas autant que vous le vouliez ?
Margaux : En effet. On a eu le temps de jouer quelques dates en France, on a pu tourner en Angleterre, on a joué l’année dernière entre les deux confinements et un peu cet été. Ce n’est pas comme si c’était tout nouveau, on a eu le temps de se re-rôder un petit peu. Mais c’est un peu particulier car ça fait longtemps que l’on n’a pas joué beaucoup de dates les unes après les autres. C’est un rythme à prendre et que l’on a un peu perdu pendant deux ans. Heureusement, ça se passe plutôt bien dans l’ensemble.
Adrien : Peut-être qu’on cristallise un petit peu plus les concerts, je ne sais pas. Quand je suis sur scène, j’ai aussi un peu plus d’appréhension qu’avant.
Maxence : Maintenant on joue aussi les nouveaux morceaux que l’on a eu le temps de bosser pour le prochain album, on essaie de les mélanger à ceux de Juillet et du coup ça nous pousse à reprendre nos marques.
Margaux : Mélanger un disque qui est sorti il y a un moment à des morceaux sur lesquels on est en train de travailler, c’est un mélange qui est un peu particulier pour le moment. Mais je pense que ça ira de mieux en mieux.
LFB : Sur scène, avez-vous naturellement retrouvé cette confiance, cette complicité entre vous à laquelle vous étiez particulièrement habitués ?
Adrien : Pas vraiment. (rires)
Margaux : On l’a pas vraiment perdu car on s’est vu tout le temps, on a travaillé.
Adrien : Moi en tout cas je suis un peu plus fébrile, il n’y a pas de gros drames qui se passent sur scène en terme de confiance mais ce n’est pas exactement comme avant.
Margaux : Oui mais c’est parce que je pense que quand tu fais des concerts régulièrement, tout ça est un peu désacralisé. On a eu moins de concerts et donc quand ils sont arrivés, on a eu envie que tout se passe exactement comme on l’imaginait, mais ça ne se passe jamais comme on l’avait imaginé. En ce qui me concerne, je suis toujours un peu déçue alors que j’avais réussi à être plutôt contente des concerts que l’on faisait.
LFB : Comme vous avez pu le dire un peu plus tôt, vous avez malgré tout pu tourner un peu en Angleterre. Qu’avez-vous retenu de cette expérience et surtout, quelle différence entre jouer devant un public anglophone versus un public francophone ?
Maxence : Ils étaient très à l’écoute.
Adrien : On s’était fait la réflexion qu’ils avaient une qualité d’écoute pas très enthousiaste. Mais le côté positif c’est qu’ils étaient très concentrés pendant le concert, ils applaudissaient mais ce n’était pas non plus très fou.
Margaux : Ça dépendait des dates. Le public vient pour voir des concerts et ne s’attache pas trop à l’esthétique qui est défendue mais ils sont à l’écoute. Ça nous avait fait le même effet quand on était aux Etats-Unis donc je ne sais pas si c’est la culture anglophone qui est comme ça. En tout cas, on s’y est plutôt senti bien.
Maxence : Et tous les groupes avec qui on a joué, même s’ils n’avaient rien à voir avec ce qu’on peut aimer, jouaient du tonnerre.
Margaux : C’est toujours hyper bien fait.
Maxence : Le son est super, c’est carré.
Adrien : C’est assez créatif aussi. On a joué avec des groupes qui n’étaient pas professionnels et on était assez surpris de voir le niveau de création.
Maxence : On a quand même réussi à avoir des moments où on était en larmes devant des gens qui avaient dix-huit ans et qui jouaient depuis un an. On était là « bon ok, ça fait mal car on passe juste après » (rires)
LFB : Le live occupe toujours une place importante au sein d’un projet musical. Lorsque le monde était en arrêt, comment faisiez-vous alors face à la frustration de ne pas pouvoir user de ce défouloir artistique qu’est la scène ?
Maxence : On jouait aux jeux-vidéos, enfin on n’a jamais cessé depuis. (rires) On a fait un morceau pour une compilation où il fallait reprendre un tube cheesy des années 90 ou 2000.
Margaux : C’était la compilation Sick Sad World.
Maxence : On s’était donc un peu amusé avec ça mais sinon on était un peu comme tout le monde, on passait un peu le temps comme on pouvait.
Adrien : On n’a pas fait d’apéros Skype. (rires)
Margaux : Je ne sais pas comment l’expliquer mais pendant cette période, j’avais plus la frustration de ne pas pouvoir défendre le disque qui venait de sortir que de ne pas pouvoir jouer sur scène. Enfin c’est un peu la même chose en soi…
Maxence : C’était une frustration mais en même temps vu que c’était pareil pour le monde, c’était plus facile d’accepter la fatalité.
Adrien : Il y a aussi eu plein de perspectives de dates tout le temps et rien n’a été coupé d’un coup, à chaque fois c’était « ça, ça dégage, ça c’est reporté etc ».
Margaux : Il y a eu des trucs reportés, reportés et reportés.
Adrien : Psychologiquement, le rythme était dur à tenir car c’était toujours des dates reportées ou annulées.
Maxence : Les programmateurs étaient toujours très motivés mais au final les festivals qui étaient en train de se monter se cassaient souvent la gueule.
Margaux : Je crois que ça été plus difficile l’année dernière, que ce soit pour nous en tant que groupe ou en tant que personne, ça a été difficile pour n’importe qui de continuer à bosser sans pouvoir continuer à faire les trucs qu’on aime bien faire. C’était vraiment chiant.
LFB : J’imagine que vous avez également eu le temps de composer de nouveaux morceaux depuis et que votre setlist de ce soir les mêlera aux plus anciens. D’ailleurs, quelle relation entretenez-vous avec ces derniers ? Est-ce qu’ils résonnent en vous de la même manière qu’ils le faisaient il y a deux ans ? Avez-vous cette même hargne de défendre des morceaux sortis il y a un moment déjà ?
Adrien : Alors ça, c’est vraiment une bonne question. C’est même une question qu’on se pose à chaque concert. (rires)
Camille : Il y a des morceaux que j’aime trop mais que j’ai du mal à jouer.
Vincent : Oui, c’est ça aussi. Il y a des morceaux qu’on adore en disque mais qu’on adore pas jouer.
Margaux : Il y a de ça, il y a aussi le fait qu’il a été composé hyper vite, presque un peu spontanément et il se trouve qu’on n’est plus dans la même démarche aujourd’hui. Il y a des choses aujourd’hui qui nous correspondent peut-être un peu moins.
Maxence : C’est plus une histoire d’être phasé avec certains moments car il y a des morceaux sur Juillet auxquels on était vraiment connectés et qui par rapport à ce que l’on travaille maintenant nous semblent un peu plus distants, étrangers.
Margaux : Il y a quand même des morceaux qu’on redécouvre et qu’on est super contents de jouer. Non ?
Maxence et Adrien : Oui, oui.
LFB : J’ai cru comprendre que Juillet avait été réalisé dans l’urgence, ce qui ne vous avait pas particulièrement déplu. Des conditions totalement à l’opposé de celles que vous avez pu connaître ces derniers mois concernant la composition du prochain album. Bilan donc, qu’est-ce qui est le plus bénéfique et productif selon vous ? Prendre son temps ou ne pas le prendre ?
Adrien : Je pense qu’on serait plus productif avec un délai plus court mais aussi moins créatif. Ce qu’on travaille actuellement, c’est de sortir un peu individuellement et collectivement de ce que l’on maîtrise trop, il faut se faire un tout petit peu violence pour réussir à faire plein de choses. On a tout ce système d’exigence donc ça ne va pas aussi vite qu’on le voudrait.
Margaux : J’aimais bien le côté contrainte de l’album précédent, de se dire que l’on avait très peu de temps. J’ai tendance à toujours pousser un peu dans ce sens-là, à travailler sans avoir forcément beaucoup de temps.
Maxence : Je trouve que c’est bien. Quand on n’a pas de deadline, ça peut devenir pesant alors que s’il y en a une, on se dit que tel morceau est fait et on peut passer à autre chose. On peut enchaîner sans rester mille ans sur le même morceau.
Vincent : La deadline c’est quand même un truc utile, on ne va pas se mentir.
Adrien : C’est utile dans tout, pas que dans la musique.
Margaux : J’ai l’impression que ça fait quelque temps qu’on est un peu dans un meilleur rythme, ça va un peu plus vite. Car il y a eu un moment d’inertie qui était un peu frustrant pour tout le monde, on ne savait pas exactement ce qu’on voulait.
Vincent : En gros, le Covid c’était juste l’absence de deadline.
Margaux : On l’avait toujours la deadline.
Vincent : Pour l’album tu veux dire ?
Margaux : Oui.
Vincent : D’accord mais il n’y avait plus vraiment ces impératifs avec les concerts, on n’avait pas besoin de savoir quels morceaux on devait jouer à tel endroit. On se demandait toujours si la deadline n’allait pas être repoussée d’une certaine manière et à partir de là, il n’y avait plus rien de figé dans le futur.
Margaux : En France, il se passait des trucs qui faisait que c’était incertain mais pas aux Etats-Unis qui ont rouvert bien avant. Et comme notre label est américain, il avait des deadlines alors que nous c’était un peu différent, les lieux étaient encore fermés, on en parlait même pas, c’était particulier. À cette période je travaillais dans la culture et on était tous là à pas trop savoir ce qu’on faisait. J’étais chargée de communication dans un théâtre qui était fermé depuis deux donc ça ne servait pas à grand chose. C’était de grands moments de stand-by.
LFB : Lorsque vous composez, les ébauches viennent principalement de Margaux et vous travaillez ensuite dessus tous ensemble afin d’en faire ce quelque chose de collectif. Est-ce un procédé auquel vous êtes restés fidèles pour le chapitre à venir ?
Vincent : Carrément, c’est la base. (rires)
Margaux : Pour le moment, c’est le cas, dans la majorité.
Adrien : Le morceau Anita qu’on va jouer ce soir est la seule exception.
Maxence : On va faire en sorte que tout ne repose pas sur Margaux, on doit trouver une autre coloration, un contrepoint, ça pourrait être intéressant.
Vincent : Où on en est là, on sait déjà qu’il y a une majorité des morceaux écrits par Margaux. Les bases guitare/voix sont écrites par elle et ensuite réarrangées par le groupe.
LFB : Selon moi, la pochette de Juillet représente une zone de confort partielle, dans le sens où il subsiste un contraste entre le monde intérieur et le monde extérieur. En tant qu’artiste, est-ce difficile d’en sortir ?
Maxence : C’est ultra dur ! (rires)
Adrien : C’est ce qu’il y a de plus difficile parce qu’il faut déconstruire et c’est d’une violence inouïe. Tu peux aussi être de mauvaise foi et dire que tu n’aimes pas ce type de jeu où jouer en nuances ce n’est pas intéressant et que ce n’est pas ce que tu as envie de faire. C’est beaucoup d’introspection.
Maxence : C’est un peu comme conduire, enfin moi je ne conduis pas mais c’est tout comme. (rires) On a tous fait beaucoup de concerts et quand il s’agit de tenter autre chose, on est parfois un peu réticents alors qu’on va adorer ça en écoutant d’autres groupes. Mais pour nous-mêmes, on va avoir tendance à traîner des quatre fers.
Margaux : Je n’ai pas tout capté. (rires)
Adrien : Le défi c’est de ne pas se reposer et de ne jamais se dire qu’on va faire un album qui va être similaire.
Margaux : C’est aussi une dose de stress supplémentaire. Je me demande souvent si ce n’est pas complètement éloigné de ce que l’on faisait avant, si les gens vont s’y retrouver etc. Ce n’est pas des questions très pertinentes à te poser quand tu fais de la musique mais malheureusement je n’arrive pas trop à m’empêcher de penser à ça de temps en temps et ça peut bloquer certaines choses.
LFB : Enfin, avez-vous des coups de cœur récents à partager avec nous ?
Margaux : Je dois avouer que je n’écoute pas beaucoup de musique en ce moment car je suis trop stressée et j’ai l’impression que tout ce que j’écoute c’est beaucoup mieux que ce que l’on est en train de faire.
Vincent : Moi j’écoute toujours le même album qui est fini depuis quasiment un an et demi, deux ans. C’est le disque d’Ulrika Spacek qui va sortir l’année prochaine. On l’attend avec impatience !
Maxence : Moi c’est l’album de Bryan’s Magic Tears que j’ai dû écouter une bonne trentaine ou quarantaine de fois depuis qu’il est sorti.
Margaux : En coup de cœur, je vais mettre le groupe de ma sœur qui est venu enregistrer avec nous et qui sortira un single dans quelques semaines. Ça s’appelle Sos Citizen.
© Crédit photos : Alexandra Waespi et Paul Rannaud