Le 10 juin dernier sortait le premier album de Film noir, Palpitant, un album à l’image d’un cœur qui bat au rythme d’une renaissance salvatrice. C’est alors que nous sommes allés à la rencontre de Joséphine et Alexandre De La Baume pour discuter de l’importance du collectif, de la qualité cathartique de la scène live, ou encore de leur désir de réaliser un projet filmique commun. Retour sur cet échange.
La Face B : Votre premier album, Palpitant, est sorti il y a déjà près d’une semaine (interview réalisée le 15 juin dernier, ndlr). Quels sont aujourd’hui les sentiments qui vous animent quant au fait d’avoir enfin pu le délivrer aux oreilles du monde ?
Alexandre : C’est vrai que ça a un peu été un parcours du combattant, mais je ne pense pas que nous ayons été les seuls dans ce cas. L’étape la plus difficile a été de l’enregistrer, parce que le moment où l’on était vraiment prêts, où on avait le sentiment que tous les morceaux l’étaient, à être sûrs que leur structure fonctionnait, on n’a pas pu le faire. Avec les EPs, on fonctionnait en faisant tourner les morceaux en concert et à sentir un peu comment ils marchaient sur scène. Pour l’album, ça a été plus difficile, car il n’y avait pas de concert ou alors très très peu. On a pu le faire a minima et parfois dans le studio où l’on faisait venir des gens pour qu’ils écoutent. Le moment où l’on a été prêts, Joséphine était à Londres et nous à Paris et c’était très compliqué d’organiser une session d’enregistrement.
Joséphine : C’était en plein confinement, le deuxième ou le troisième.
Alexandre : En effet, et à priori elle ne pouvait pas venir à Paris, il fallait toujours des motifs impérieux pour pouvoir sortir de chez soi, donc ça été un peu bloqué. Ça nous démangeait, on voulait absolument y aller et on a finalement réussi, après avoir constitué des dossiers et appelé l’Alliance Française etc, on a pris l’Eurostar puis on s’est retrouvés en quarantaine dans le studio pour faire l’album. Au bout de cet immense périple, on a enregistré l’album, même si après ça c’était compliqué de le sortir parce qu’il y avait constamment la menace d’un nouveau confinement, ce qui n’est pas génial pour faire des concerts autour. Et finalement, on a vu cette fenêtre s’ouvrir cet été qu’on a saisi in extremis, on l’a donc un peu sorti dans un certain rush mais on était contents de remettre les mains dans le cambouis et d’y aller à fond. Très soulagé après ce gros périple et très content car on a eu de très bons retours.
LFB : Par ailleurs, ce disque rassemble bon nombre de vos accomplissements, qu’ils soient artistiques ou personnels. En quoi la composition de ce dernier a-t-elle alors différé de celle de ses prédécesseurs ?
Joséphine : Il a un peu plus été fait à distance que les autres à cause du Covid. Comme on était confinés dans un studio et que tout le monde vivait ensemble, on l’a enregistré très rapidement, il y avait une sorte d’urgence. Elle est toujours présente d’ailleurs, cette urgence, car on enregistre souvent sur bande et donc du coup ce ne sont pas des heures passées en studio à refaire les prises cent cinquante fois. Là, il y avait encore plus un sentiment d’urgence car tout le monde devenait un peu fou à être les uns sur les autres en permanence, à avoir un espèce de tunnel limité par le temps dans ce studio où tout le monde dormait.
Alexandre : S’il y a une différence aussi, c’est que le groupe a grandi et se connaît de mieux en mieux. À l’origine du groupe, c’est vraiment Joséphine et moi qui façonnons les chansons et l’album a quand même plus impliqué l’ensemble du groupe dans une dynamique de groupe en live, qui joue ensemble, qui s’approprie les morceaux, qui les vivent aussi, car on se connaît un peu plus personnellement et je pense que chacun s’identifie davantage dans les thématiques des chansons et leur création.
LFB : Auriez-vous alors une anecdote à partager quant à la composition de cet album ?
Alexandre : Il y en a une effectivement, car à un moment donné, bien que ce soit dans des circonstances particulières, on avait finalement un rythme d’enregistrement assez classique. On se réveillait le matin, on prenait le petit dej, on commençait la journée, on plaçait les micros autour de la batterie etc, le rythme finalement assez lent d’une session d’enregistrement. On trouvait tous qu’il y avait un truc un peu sage par rapport à ce que racontait le disque et par rapport à la façon qu’on avait eue de le construire, et du coup, au bout du troisième jour, on était un peu inquiets sur la forme trop académique de la session comparée aux propos. On a alors décidé de commencer le lendemain beaucoup plus tard et d’enregistrer jusqu’à l’épuisement, en faisant un peu la fête, en prenant des verres, en écoutant de la musique, en libérant un peu le truc.
Joséphine : Avec des petites disco lights.
Alexandre : En faisant une petite ambiance un peu festive, et du coup ça s’est transformé en fête entre nous sept, c’est-à-dire les deux réalisateurs du disque et les cinq membres du groupe. C’était très festif, on rigolait, on se faisait écouter des trucs et tout ça entrecoupé de petites sessions où l’on jouait les morceaux en live. En plus, il faut savoir que l’on ne savait plus faire la fête, on avait oublié comment ça se passait, donc il y avait un espèce d’effet d’euphorie contagieuse, on était tous très contents de se raconter des choses. Tout ça a un peu brisé la glace finalement, car on ne connaissait pas si bien non plus avec l’équipe de réalisateurs et là, il y a vraiment un truc qui s’est passé.
Joséphine : D’ailleurs, on a joué Circus en live et on a gardé la première prise.
Alexandre : Tout à fait.
Joséphine : Tout le monde était bien torché en plus. (rires)
Alexandre : Il y a un truc dans le fait d’être entourés de micros avec le réal et l’ingé son derrière la vitre, qui nous parlent dans les casques, ça peut d’un coup figer les choses et on peut un peu perdre le naturel qu’on va avoir tous les cinq. Ce petit moment festif a permis de débloquer les choses.
LFB : Pour ces nouveaux morceaux, vous avez comme pour les précédents, choisi de privilégier les prises d’enregistrements directes. Cette instantanéité est-elle selon vous nécessaire pour retranscrire les émotions dans leur forme la plus pure, voire la plus sincère ?
Alexandre : Je ne dirais pas que c’est essentiel dans le sens où des musiques très travaillées, très retravaillées, peuvent être aussi sincères, brutes et émouvantes. Dans la musique que l’on fait, dans ce type de musique instrumentale, de groupe, où l’on peut enregistrer en live, où le concert est essentiel dans son expression, je trouve que c’est la forme la plus juste qui sonne pour nous. Je pense souvent à la carrière de Neil Young qui a commencé à faire des albums de studio avec des partis pris de production lourds, beaucoup de travail etc, et qui finissait quasiment à enregistrer toujours en live, dans des conditions de concert car il trouvait finalement que c’était dans toutes les imperfections d’une prise, dans le petit chat que l’on peut avoir dans la gorge ou la fausse note qu’on fait par moment que réside la beauté car il y a un truc vivant. On est de moins en moins habitués à ça et parfois ça peut un peu surprendre l’oreille car on a souvent des trucs hyper clean, nettoyés dans tous les sens. Mais en vrai, on se réhabitue à ce truc un peu vivant et je trouve que c’est d’autant plus émouvant et prenant, car il y a quelque chose de vrai, qui ne ment pas et qui moi me touche particulièrement.
Joséphine : Puis le groupe joue ensemble au lieu de faire des prises seul. Il se passe une magie quand on joue ensemble qui n’existe pas quand chacun fait son petit bout de son côté.
LFB : Puisque c’était le cas avec vos deux premiers EPs, les textes sont-ils également venus avant la musique ?
Alexandre : Presque toujours, oui.
Joséphine : La musique est un peu comme la soundtrack de ces textes finalement. C’était amusant de faire cet exercice-là plutôt que dans l’autre sens.
Alexandre : Il y a un truc plus libre car quand on commence par la musique, on a tendance à avoir certains automatismes musicaux qui reviennent tout le temps. Quand on part d’un texte, ça ouvre à d’autres créations musicales et ça inspire d’autres choses, car les thématiques sont larges et on se dit que par exemple, comme dans Prends la pierre, le texte raconte l’histoire d’une femme condamnée à mort, on ne sait pas si c’est symbolique ou littéralement une condamnation. Du coup il y a comme une intensité dans le texte où, quand on le lit avec le groupe, on a envie de la retranscrire, ça inspire des choses intéressantes.
Joséphine : Chaque chanson est un peu comme un petit film, avec des sortes d’anti-héros sublimés, et du coup ça a du sens quelque part que la musique illustre ce qu’il se passe dans le scénario de ces petites chansons.
LFB : L’écriture des textes est ici un élément à souligner dans le sens où celle-ci s’appuie sur des expériences personnelles, mais presque toujours racontées par le biais de la fiction. Pourquoi avoir choisi d’user de cette technique ? De dissimuler le réel à travers ces métaphores et donc parfois d’user de l’ironie face au dramatique ?
Joséphine : Je pense que c’est parce que je suis une grande romantique et que j’ai tendance à encenser les situations ou les dramatiser, même dans la vie. Ici, j’ai la liberté totale d’aller aussi loin que je veux dans ces deux directions.
Alexandre : Ce que tu ne t’autorises pas forcément à faire dans la vraie vie. (rires)
Joséphine : C’est vrai. (rires) Là je m’autorise d’autant plus et je suis au maximum. C’est souvent basé sur des expériences personnelles avec des images de films que j’ai vus ou des documentaires, et donc encore une fois ce sont des états d’âmes qui sont sublimés à travers des personnages qui ont des facettes de moi dans certaines situations.
Alexandre : Ça libère d’un côté et je trouve que parfois on peut être plus soi-même dans la fiction que dans une description un peu littérale de ce qu’on vit.
Joséphine : Je n’ai pas l’impression de me cacher derrière ces personnages ou au contraire de me révéler, de m’exalter d’autant plus.
LFB : Vertiges, votre premier EP, portait sur une rupture amoureuse, ainsi que la colère et la mélancolie qui s’y rattachent. Le second, Tendrement,, était quant à lui porteur d’une lueur d’espoir, malgré l’obscurité omniprésente. Enfin, cet album se veut presque vaillant, voire épique. De toute évidence, c’était un peu la suite logique nécessaire à ce tryptique musical, non ?
Joséphine : C’est très bien dit, tu pourras m’envoyer ta question ? Elle est super ! (rires)
Alexandre : On va la mettre dans le dossier de presse. (rires)
Joséphine : Ça n’aurait pas pu être mieux dit.
Alexandre : On ne peut pas répondre autre chose qu’un grand oui. (rires)
Joséphine : Je pense que ce sont les étapes naturelles d’une rupture amoureuse, avec ces questionnements, l’effondrement puis après il y a l’étape de la tendresse avec un peu plus de distance et en effet après il y a un peu cette résurrection.
Alexandre : Une sorte de renaissance oui.
Joséphine : Puis entre temps il y a d’autres histoires et souffrances qui s’accumulent, mélangées à des grandes joies, des expériences de vie qui sont toutes incorporées là-dedans, mais c’est fait avec un sentiment de renaissance.
Alexandre : Si Vertiges c’était une espèce d’émotion brute et Tendrement, un début de réconciliation, alors Palpitant c’est un peu l’idée que la vie c’est ça, il y a des expériences de crise, des expériences de joie et tout est intéressant, il n’y a rien à rejeter là-dedans. Et justement, Palpitant, c’est une vie qui palpite, qui est dense et qui accepte que ces moments où le cœur s’emballe sont hyper précieux.
Joséphine : Exactement, car chacune des histoires se passe à peu près au même moment, c’est un moment de crise, l’instant juste avant de mourir, de sauter, de tuer quelqu’un etc. C’est un état qui m’a intéressé et que l’on a décliné en pleins d’histoires différentes.
LFB : Des quelques singles sortis avant l’album, je trouve que chacun d’entre eux nous confrontait déjà à des états de crise extrêmes. Je me demandais alors si fantasmer le pire était la meilleure façon d’aspirer à quelque chose de plus beau ?
Joséphine : Je pense déjà que l’on peut romantiser les pires instants car on commence un peu à imaginer sa vie comme un scénario, comme un livre, un film, et dans un bon film il n’y a pas que des moments joyeux. C’est un bon mécanisme de défense mais c’est aussi une manière d’imaginer sa vie.
LFB : Vous dites être un groupe pour qui le live occupe une place centrale. Avant la sortie de votre album, vous avez notamment accumulé de nombreuses dates : ces multiples expériences scéniques ont-elles influencé la direction que vous avez empruntée pour ce disque ?
Joséphine : On tente toujours beaucoup de choses en live justement, on tente des nouvelles chansons avant de les enregistrer. C’est intéressant de les jouer devant les gens afin de voir ce qui fonctionne ou pas.
Alexandre : On garde cette idée qu’il faut qu’un morceau tienne, la contrainte aide, sinon on est dans un océan de possibles, et l’une des contraintes que l’on s’impose, c’est qu’un morceau doit marcher en live à cinq. Il ne faut pas qu’on ait besoin d’imaginer qu’il va y avoir des cordes par exemple.
Joséphine : Même s’il y en a sur l’album.
Alexandre : Il y en a mais il faut que le morceau marche sans et qu’à cinq on soit capables de jouer et qu’on se dise ok c’est cool, ça marche.
LFB : L’un des points non négligeable au bon fonctionnement de votre groupe c’est le collectif, être ensemble. La communion entre vous et votre public est-elle alors aussi un élément essentiel à la pérennité de votre projet ? Quelque chose qui vous nourrit artistiquement ?
Alexandre : Oui, totalement.
Joséphine : En plus quand on joue, je m’adresse énormément au public et j’ai l’impression d’ouvrir mon journal intime, c’est assez cathartique pour moi de jouer. Je livre tout ce que j’ai sur le cœur et comme ce sont des choses assez personnelles, je me sens habitée pendant que je les raconte. C’est comme dans une conversation, si vous dites que vous traversez un truc difficile à quelqu’un et qu’il vous écoute ou non, ça va énormément influencer la manière dont vous allez vous livrer. J’ai donc beaucoup besoin de l’attention du public et généralement comme c’est un truc assez cru, à nu, ça marche car les gens qui viennent ont quand même envie de voir ce concert.
Alexandre : Dans le cas des meilleures expériences de concert que l’on a pu avoir, il y a eu comme un sentiment d’exutoire commun, aussi bien sur scène que dans le public.
Joséphine : Il y a vraiment un lien fort.
LFB : On a souvent attribué une portée cinématographique à votre projet, que ce soit par votre nom, Film Noir, ou encore l’esthétique sonore et visuelle qui gravitent tout autour. En parallèle, Joséphine, tu es actrice et Alexandre, tu as travaillé sur des BO de films. À tout hasard, avez-vous déjà songé à joindre vos forces créatrices pour un projet filmique ?
Alexandre : Alors, j’y pensais un peu récemment, oui. On était sur France Inter et on était avec un réalisateur et une actrice qui ont fait un film musical qui s’appelle Les goûts et les couleurs.
Joséphine : Michel Leclerc l’a réalisé et c’est avec Rebecca Marder et Félix Moati.
Alexandre : Oui et d’un coup j’étais envieux.
Joséphine : Tu posais vraiment beaucoup de questions en live quand même. (rires)
Alexandre : J’ai un peu pris la place de Laurent Goumarre, c’est vrai. (rires) Et donc l’un de mes films préférés de l’univers c’est Phantom Of The Paradise, j’adore, et d’un coup je me dis qu’un jour ça m’attirerait énormément de créer un objet filmique et musical avec Joséphine.
Joséphine : Dans nos clips, on essaie toujours d’être cinématographiques, même avec le premier tourné sur pellicule c’était le cas.
LFB : Enfin, avez-vous des coups de cœur récents à partager avec nous ?
Joséphine : On est allés voir Big Thief à la Cigale il y a quelques jours et on les nomme souvent car c’est vrai qu’on les aime beaucoup.
Alexandre : C’était particulier car on a vu le premier concert où Buck Meek leur guitariste n’était pas là car il avait raté son avion ou quelque chose du genre, ce n’était pas clair.
Joséphine : Il manquait un membre du groupe.
Alexandre : Oui mais en même temps Adrianne Lenker, la chanteuse et auteure du groupe, est tellement forte qu’elle a repris toutes ses parties à la guitare, ce qui était assez bluffant. Sinon, je viens d’avoir un enfant donc je ne lis plus, je m’endors au bout de trois pages malheureusement. Je n’ai pas de recommandation récente et pareil pour le cinéma, ça devient un peu compliqué. (rires) Musicalement, j’ai adoré le nouveau disque de Fontaines D.C., il est extraordinaire, ce groupe est monté en puissance et ça ne s’arrête pas.
Joséphine : Je suis en train de lire Ten Thousand Apologies, écrit par Adelle Stripe et Lias Saoudi, chanteur des Fat White Family et qui a écrit un livre qui parle de son enfance, de sa famille en Algérie et en Ecosse. C’est très bien écrit, extrêmement poétique, je le conseille vraiment. Il y a aussi le film Two For Joy de Tom Beard, qui a réalisé beaucoup de clips pour The XX par exemple et là c’est son premier long métrage,, avec Samantha Morton qui illustre un peu des vacances dans la classe ouvrière en Angleterre, à la plage, dans des mobiles homes, il parle de son enfance et d’un drame qui s’est passé sur la plage quand il était enfant. C’est plus un portrait d’une époque, d’une lieu et d’une classe sociale.
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