Une conversation avec Lenparrot

Certains artistes, font partis de l’ADN de La Face B. Présent depuis les balbutiements du site, on pourrait même dire que Romain, aka Lenparrot, est un membre de la famille. Si une certaine connivence peut transparaitre ici, il y a surtout une grande dose d’admiration de notre part. Depuis ses premiers pas en solo, et même auparavant avec Rhum For Pauline, la poésie, la voix et la sensibilité de Lenparrot nous hante au point d’être devenue compagne de fortune et d’infortune. Alors qu’il a dévoilé en fin d’année son second album, Another Short Album About Love, on s’est autorisé le plaisir d’une longue conversation avec lui, pour parler de transition, d’évolution, de français et d’amour autour d’un projet qui n’a pas fini de nous surprendre et de nous charmer.

La Face B : Hello Romain, comment ça va?

Lenparrot : Hmm, ça va. Ça va. J’essaie de me maintenir un peu occupé, on va dire. De façon à peut être pas trop subir ce qui se passe. Je pense que l’avantage presque, c’est d’avoir décidé de décaler la sortie du disque. Même si il sort alors qu’on est de nouveau confiné, je crois que j’ai déjà vécu le contre coup de cette situation là.

Rétrospectivement, ça a été vraiment difficile moralement au printemps, d’être sur les starting blocks d’un disque qui a mis autant de temps à être confectionné. J’ai vraiment morflé il y a 6 mois. J’étais hyper stressé à l’idée de savoir comment ces nouvelles chansons allaient être accueillies. Pour rappel, Freddie est sorti le 11 mars et quelques jours après on était confiné. Donc, on avait des dates pour commencer à préparer le live avec les garçons, Pierre et Antonin.

Il a été hyper bien accueilli ce titre en plus, donc c’était d’autant plus frustrant de voir cet accueil chaleureux et que tout se pétait la gueule. Je digresse un peu mais ouais ça va, je suis content qu’il soit sorti et je tache de maintenir la promotion aussi longtemps que possible. Donc te voir et discuter ça me rend plutôt heureux. On essaye de trouver à droite à gauche des sources de réjouissance, sinon c’est juste morne.

LFB : Finalement avec le décalage de la sortie, c’est presque un hasard mais Another Short Album About Love sort quasiment trois ans jour pour jour après And Then He.

Je me demandais comment tu voyais et ce que tu retenais de ce chemin parcouru de trois ans ?

Lenparrot : J’en retiens que finalement ce disque synthétise pas mal la transition qui a opéré. Il raconte un peu les phases successives qui ont été provoquées par And Then He, qui appelaient peut être à aller ailleurs.

Je suis sorti de la tournée d’And Then He hyper rincé et assez malheureux en fait. Ça avait été tellement conséquent, j’y avais mis tellement d’émotions et d’attentes dans ce disque qu’il aurait pu se passer n’importe quoi, de toute manière il y aurait eu ce contre coup.

C’est un premier disque tellement personnel et cathartique. J’ai eu cette phase avant même que la tournée soit terminée, quand ça a commencé un peu à se calmer, après le Coconut Festival 2018. C’est le festival de l’amour, c’était avec tous les copains, c’était idyllique et trop beau.. Je suis rentré à Nantes et j’ai eu un tunnel de plusieurs mois, pas simple du tout. C’était un moment où Raphaël (D’Hervez producteur et fondateur de Futur Records ndlr) était en tournée avec Pongo, ç’a mis une grosse pause à l’enregistrement donc j’étais malheureux. Ce qui m’a permis de rebondir, c’est l’écriture de Freddie, qui raconte un peu ce truc là. Sortir de cet état en le racontant. Freddie, c’est une sorte d’ange gardien au moment où je buvais beaucoup trop, où je buvais triste. C’est l’image dégueulasse que j’ai de moi à être au comptoir. Tout ça pour ça.

C’est tellement fugace, tu passes un temps incroyable à faire un truc qui te semble en valoir la peine… Je pense que c’est pour ça que je fais attention en ce moment. Typiquement avec le fait de ne pas pouvoir jouer ou faire de la promo, j’essaie de ne pas revivre ce truc là.

Durant ces trois dernières années, il y eut la tournée d’And Then Hepuis son contre-coup, qui mena doucement à l’écriture de son successeur. Je n’avais pas la force ni les moyens de repartir avec une équipe aussi fournie. C’était particulièrement bienvenu de revenir auprès de Raphaël et Antonin – deux personnes qui me connaissent le mieux autant artistiquement qu’émotionnellement. Je savais qu’il n’y avait aucune difficulté à ce qu’ils puissent jouer et comprendre ces morceaux.

LFB : J’ai l’impression que ton nouvel album est un retour aux sources. Moi la façon dont je le vois, c’est qu’And Then He était un album cérébral alors que j’ai l’impression que celui-là c’est un album de tripes, beaucoup plus spontané.

Lenparrot : Oui, dans le côté spontané et libéré, c’est sûr. Pour le coup, la catharsis est vraiment opérante sur And Then He mais dans un truc où il y a mille questions posées mais sans vraiment avoir de réponse.

Par contre j’avais besoin de les formuler donc oui, je vois le sens cérébral. En effet, j’ai passé des années à réfléchir à ce disque et à comment le faire le mieux possible, genre l’artiste torturé et sa masterpiece… et en fait quand il est fait on se demande ce qu’on fait après.

Je me suis tellement posé de questions sur And The He, il manque peut-être un peu de spontanéité et de perspective, surtout la possibilité d’avoir une autre perspective que la mienne. Alors qu’il y avait tellement de monde autour de moi qui, si je leur avait vraiment donné la parole, aurait pu me permettre ça. JS (de Juveniles ndlr) a été présent lors de l’enregistrement, peu de temps avant que ça parte au pressage, il me disait qu’il enlèverait bien deux titres (My Gardener et And Then He) mais pour moi c’était impossible. My Gardener c’était une des seules un peu sexy et guillerette au milieu de titres sombres et obscurs et And Then He c’est le morceau titre donc un peu chelou de l’enlever.

Yuksek me disait la même chose mais moi je n’écoutais personne. Ce dont je suis le plus fier, c’est The Boy With The String Quartet, la résolution tient dans ce concert.

LFB : L’album t’a permis de réaliser quelques fantasmes, ce n’est pas donné à tout le monde de faire un concert à quatuor à cordes.

Lenparrot : Ouais c’est sûr, sans And Then He, il n’y a pas ce concert là.

LFB : Pour rester sur l’image de la différence, c’est un album qui est foncièrement plus chaleureux dans ce qui dégage de la couleur de l’album. Il est plus organique malgré les instruments électroniques mais je sens qu’il y a une vraie chaleur qui s’en dégage.

Lenparrot : C’était une volonté. On a beaucoup parlé avec Raphaël et Antonin, de ce qu’il fallait prolonger ou délaisser. Une chose qui avait beaucoup manqué à Raphaël était l’aspect R’n’B qui pouvait exister sur Naufrage, lui voulait vraiment retrouver ça dans la production.

C’est vraiment la spécificité de cet enregistrement, ça a été fait sur le temps long. C’est-à-dire qu’on a débuté ensemble en aout 2018 et l’enregistrement s’est achevé en novembre 2019, avec une dizaine de sessions de 3 jours à une semaine en studio. Des onze titres que j’avais emmené dans ma besace quand l’enregistrement a débuté, on a du en garder quatre donc le reste de l’album, les sept autres, ont été écrits en ping-pong avec toutes ces sessions.

Ce n’était pas pour plaire à qui que ce soit, j’étais hyper stimulé, c’était en réaction. Mais il y a peut-être des traits d’écritures qui sont symptomatiques de la trajectoire qui peu à peu se dessinait devant nous. Rapidement on s’est dit : « OK, c’est comme ça qu’on voit ce disque ».

Il y avait plus de titres en français, d’autres qui sont devenus les noyaux durs du disques. Paladines était un des tous premiers titres qu’on a enregistré et on savait que ce serait une pièce maîtresse du disque. Bien que c’était difficile à joindre dans une cohérence globale – c’est aussi pour ça qu’on a mis de côté pas mal de titres, on souhaitait vraiment un disque court et on souhaitait faire un disque aussi aventureux que possible mais avec une cohérence absolue dans tout ce qu’on tentait d’explorer.

Surtout, on voulait qu’on puisse le ressentir, avec une source très dense d’influences mais avec un carcan homogène. Ça, on s’est bien déchiré pour faire en sorte que ça fonctionne (rires) !

LFB : Ce qui m’a vachement marqué sur cet album, c’est l’utilisation de ta voix. Tu parlais de R’n’B juste avant et j’ai l’impression que c’est un album de crooner qui fait du R’n’B. Tu joues sur le contraste de ta voix avec la musique, à quel moment as-tu décidé de partir sur ce choix vocal ?

Lenparrot : Ça s’est fait assez naturellement, sans trop que j’y réfléchisse après And Then He. Là où ce disque pouvait paraître comme une sorte de premier chapitre, je voyais presque plus ça comme une sorte de résolution, un point d’orgue à ce qui avait été débuté avec mes deux premier EPs chez Atelier Ciseaux donc la nécessité était de ne pas trop se répéter.

Finalement, il y a certains titres encore un peu en voix de tête. Soit ils n’ont pas été gardés, soit on avait envie de les garder et finalement, sans trop que je réalise que cette transition était en train d’opérer, il y avait tellement plus de chansons en voix de poitrine dans une registre grave. Genre Part-Time Idiot, je l’ai écrite après And Then He, elle était en voix de tête mais on a tout transposé pour qu’elle revienne dans le giron des autres. Ce qui m’est apparu comme une évidence quand j’ai débuté Lenparrot en 2014, d’être dans ces registres vocaux élevé et aigu, il y avait la nécessité dans l’écriture de m’écarter de Rhum For Pauline. C’était comme un manifeste d’indépendance et de revendiquer une singularité dans cette aventure en solitaire qui débutait. J’ai exploré ce que j’avais à explorer là dedans et surtout je pense que j’ai réalisé, une fois And Then He sorti, que peut être si je continuais dans ce chemin là, que ça allait restreindre ma palette et que si je continuais dans cette voix là, les gens allaient se dire : « Ah OK, Lenparrot c’est le mec qui fait chialer en chantant tout le temps aigu.».

Je trouvais ça dommage de me cantonner à ça. J’ai vraiment une tendresse pour ce premier album, je le trouve dense et pour revenir sur ce que tu disais, le côté cérébral, pas très accueillant tout le temps. Donc j’avais envie d’un deuxième disque qui puisse procurer de la joie. J’entendais Julien (Gasc, nldr) parler de L’Appel de la Forêt et son but, c’est d’être dans un disque accueillant, qui offre de la joie.

Je ne sais pas si je me suis dis ça quand j’ai enregistré mais par contre je crois qu’il témoigne vraiment de l’amour qui pouvait régner au studio et de la profonde bienveillance qui était la leur. On a vraiment pris du plaisir à faire ce disque et je suis heureux que ça se ressente quand on écoute. Je crois que ça se ressent pas mal.

LFB : Tu parlais d’ambiance nocturne, je ressens une ambiance onirique sur cet album là, je me demandais si tu t’étais créé un personnage pour cet album ? Le titre donne une idée de la thématique qu’il va aborder mais j’ai l’impression que c’est vraiment un album à la première personne. C’est la même personne qui évolue à travers différentes histoires.

Lenparrot : Absolument, c’est aussi un peu en contrepoint du premier album où j’avais la sensation d’offrir une immense galerie de personnages. Comme si le personnage Lenparrot endossait un nombre incalculable d’habits de personnages réels ou imaginaires, à en filer le tournis.

Là, l’idée était dès le départ, de Leo jusqu’à Little Thumb, celle d’une balade nocturne avec un personnage qui évolue avec une histoire, pas nettement tracée mais qui est celle du même protagoniste. Il se promène dans la nuit et se remémore des souvenirs, il croise son double et se souvient de personnes aimées et qui l’ont aimé. Il fait un peu le point au fur et à mesure. Rapidement, j’ai commencé à travailler avec Aurore (Deman nldr), qui a réalisé le clip de Berries et on avait passé une journée à faire les magasins et les fripes pour trouver un stylisme qui serait celui que Lenparrot endosserait pour ce nouveau Lenparrot. On est allé me trouver ce costume que tu vois dans le clip de Freddie et de Berries.

Il y a une référence majeure dans ce disque, c’est le dessinateur Brecht Evens.Souvent ses ambiances sont complètement oniriques, les personnages sont dans des galeries colorées et imaginaires. Ces personnages se perdent dans une sorte d’ivresse et d’état second, très coloré. Ça ressemble vraiment à un rêve. J’ai été bouleversé à la lecture de ces bouquins. La chanson Quoi est extrêmement influencée par lui, je l’ai écrite après avoir passé une nuit avec un autre dessinateur, un de mes meilleurs amis qui a été très présent sur l’élaboration de ce disque : Cyril Pedrosa, qui a réalisé le court métrage animé de Paladines.

On avait fait les 400 coups à Nantes un soir, c’était une nuit géniale à refaire le monde à ses cotés. Les paroles c’est ça, on avait du se dire 500 fois à quel point on s’aimait l’un l’autre et le lendemain tu te dis : « Est-ce que c’est vraiment arrivé ? ». Les paroles de Quoi c’est ça, le lendemain où t’as pas assez dormi, la tête de traviole, où tu te dis mais que c’était génial et complètement fou. C’est faire en sorte que les couleurs et la beauté de la nuit ne s’évaporent pas.

LFB : Jai l’impression que cet album est un album aventureux musicalement et que chaque titre est une déclinaison et un tableau musical différent. Ça reste hyper cohérent mais tu t’es autorisé pleins de genres et couleurs musicales différents : pop, reggae… C’est un éclatement cohérent !

Lenparrot : Ouais, je crois qu’on était très soucieux de ça. Ça tient aussi aux personnes avec qui je l’ai fait, qui sont vraiment celles avec qui je peux passer des heures entières à discuter de musique alors que finalement on n’écoute pas la même chose tous les trois.

On a des backgrounds assez distincts mais on se retrouve sur un milliard de trucs en même temps. Antonin est LA personne dont je suis le plus proche et avec qui on passe notre vie à s’échanger des sons. Raphaël c’est pareil, depuis que j’ai 19 ans, j’ai tellement de souvenirs d’heures entières en van quand on tournait avec Pégase. Les veilles de semaine où on partait en tournée, j’achetais un pack de CDs vierges et on passait notre temps dans le van à se faire des compiles et des mixtapes.

Il y avait le souhait de vraiment faire de ce disque un grand tiroir au sein duquel on peut mettre beaucoup de références qui nous sont chères. Mine de rien, ça tenait aussi à une période où j’ai découvert énormément de trucs qui m’ont bouleversés. J’ai la chance depuis 2018 d’être DJ résident au Lieu Unique et j’avais pris volontairement des créneaux de milieu de semaine 19h-23h dans un lieu sublime, à juste confectionner une bande son imaginaire, à ce moment là j’ai plongé dans la pop japonaise, la musique brésilienne, le jazz… Je crois qu’à certains endroits du disque, ces choses là se ressentent. J’en suis très heureux.

Donc la première chose tient au fait d’être des mélomanes assez pointilleux et aussi de peut être, sans trop le réaliser, m’être enfermé dans une case pop assez étroite au sein d’And Then He. Avec une sorte de pop indé arty et baroque. Après je pense que j’en étais assez conscient puisque le choix d’avoir Julien à la production n’était pas anodin. Un peu intello quoi.

LFB : Cérébral !

Lenparrot : Oui voilà, qui se prend le chou.

LFB : Il y a un morceau que je trouve absolument dingue et qui, pour moi, fait le pont entre les deux albums, c’est l’avant dernier Wrong/Gone. Comment as-tu créé ce morceau en morceau ?

Lenparrot : Je venais de récupérer un synthé qui s’appelle le JX3P, j’étais en train de me marrer en découvrant les sons dessus. Je suis tombé sur ce son de basse qui m’a fait péter un câble et que je trouvais trop bien, ça me rappelais les sortes de vibes des premiers Toro Y Moi. Autant, j’écoute un peu moins ce qu’il fait maintenant, autant ses deux premiers albums, notamment Underneath The Pine ont cette veine un peu crooner avec des sons où tu sens que c’est un mec biberonné au jazz et à la soul. Je crois que Wrong/Gone tient de cette idée, d’avoir une basse hyper vénère, sur-mixée avec une boîte à rythme, ce truc où tu as envie de dodeliner dès que le morceau démarre. Sauf que je pars sur ce truc là, je suis content de mon truc ; j’ai le pattern, je commence à écrire les paroles et tout et au final : 1min43. Donc le titre est beaucoup trop court. Je n’ai pas envie de l’étirer. Cette phase là, Wrong, s’appelait Why More ? initialement. Genre tout est dit en 1min43 mais je n’avais pas envie de rester sur un truc où j’ai tout dit mais qui laisse sur sa faim.

Donc j’avais une sorte de deuxième partie qui télescope la première, le piano qui te rentre dans la gueule. Typiquement, Gone tient vraiment à beaucoup de musique japonaise. Une sorte de truc très contemplatif. C’est l’idée d’une bande son imaginaire, d’une traversée. Je tenais absolument que ce soit l’avant dernière, ça vient vraiment achever cette balade nocturne. J’avais l’image d’une immense forêt qui vient t’engloutir, un peu comme une sorte de traversée initiatique. Et quand le titre s’achève, il y a quelque chose qui s’est passé.

LFB : L’album se termine finalement sur quelque chose de beaucoup plus apaisé, une balade. En gros, je vais me coucher. (rires)

Lenparrot : C’est ça (rires).

LFB : Il y a 2 titres qui sont en français sur l’album. Ce que j’ai trouvé malin c’est qu’ils sont hyper naturels, on sent que ce n’est pas forcé. Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire en français et quelle différence tu y vois entre le fait de parler avec ta langue et le fait d’écrire en anglais ?

Lenparrot : Je crois que c’est un désir qui n’a pas été immédiat parce qu’au départ il en était absolument hors de question. Ça ne m’apparaissait pas du tout naturel et j’avais vraiment envie de faire ça comme ça. J’avais toujours écrit en Anglais et ça m’était naturel. Et, quand j’ai eu envie d’écrire en français, ça m’a vraiment fait suer parce que je ne savais pas comment l’aborder. Ça me faisait flipper car la cohabitation au sein d’un répertoire et au sein d’un disque me semblait super foireuse.

Jusqu’à ce que je me dise que j’avais vraiment envie d’écrire en français. Mais comment être juste ? J’avais eu la puce à l’oreille d’un truc qui était encore un peu en gestation, en questionnement, de par le fait d’avoir monté très rapidement notre set avec Tonus (Antonin), à l’invitation de la Souterraine on avait joué au Lieu Unique en 2015 un set essentiellement en français de chansons à lui, de chansons à moi que je ne jouais jamais avant, de titres qu’on a écrit ensemble et de reprises de chansons qu’on adorait (Michel Jonasz, Alain Souchon, William Sheller,…)

Je crois que j’ai essayé de trouver des contre-exemples, des trucs qui me prouvaient que j’avais tort de m’empêcher de faire co-exister le français et l’anglais au sein d’un même disque. Et la réponse était chez Stereolab, dans presque tous leurs disques ces langues cohabitent sans que personne ne se pose la question. De par le fait que Lætitia Sadier soit une française au sein d’un groupe d’Anglais, avec en plus des références sociologiques extrêmement assumées avec des textes de Bourdieu, Marx… Il y a aussi Flavien Berger, Frànçois (and The Atlas Mountains) qui font ça avec une aisance assez déconcertante.

Et le fait d’avoir Julien Gasc, comme une sorte de mentor, qui me bouleverse dans son emploi de la langue française.

Il était nécessaire que ce soit fluide pour que ça ne sorte pas l’auditeur du disque.

LFB : C’est naturel et fluide car on sent que ce sont des titres avec un cheminement personnel et pas parce que la pop française est revenue à la mode. Ça se serait senti si c’était des titres pour attirer le « chaland » alors que là on sent que c’est dans la cohérence de l’album.

Lenparrot : Typiquement, il y a un disque que j’avais adoré à l’époque, c’est le premier album de We Are Match. Je trouvais que c’était un disque incroyablement classieux quand c’était sorti mais il y avait un titre en français dedans, il était loin d’être foiré mais tu te dis « qu’est ce que ça fout là ? » et je voulais surtout ne pas faire ça.

Donc tant mieux parce que je suis très heureux des retours qu’on m’a fait sur ces titres en français. Comme m’a dit, Julien « t’es prêt pour le full french maintenant ». J’ai tendance à l’écouter au doigt et à l’œil donc je verrai (rires).

LFB : Je vais arrêter de parler de musique, je vais parler de la part visible de l’album. On en a déjà parlé tout à l’heure mais je vais revenir dessus. J’ai l’impression qu’avec la tenue que tu as choisi pour les photos de presse, la scène et clip, tu as voulu créé un espèce de tout qui reliait chaque partie de l’extérieur de Lenparrot?

LenParrot : Complètement. Je pense que faire ce premier album et tourner en solo (chose à laquelle je m’attendais pas du tout et qui a contribué à rendre douloureuse certaines périodes de la tournée et de la vie de ce premier album), c’est venu questionner le pourquoi de ce projet solo, alors que c’était la revendication absolue d’une identité un peu singulière.

Oui, il y a certainement une part de mégalomanie et de narcissisme là dedans qui se cache, et mine de rien j’ai réalisé lors de la première tournée de l’album à quel point j’essayais de me cacher derrière cette voix androgyne, de n’être jamais seul en tournée avec la nécessité absolue d’être accompagné par Olivier Deniaud , qui a été comme mon frangin. C’était des années incroyables à ses côtés et ce qui était hyper violent c’est qu’il est parti sans grief. Il est parti parce qu’il a un autre métier à côté, il est designer graphiste au sein d’un collectif très réputé à Nantes qui s’appelle Yodel et, ne pouvant prétendre à l’intermittence, c’était trop de boulot pour lui. Au prévisionnel de l’album on avait déjà 25 dates de calées avant que l’album ne sorte.

Il a réalisé lors de l’enregistrement de And Then He  que ce qu’il pouvait apporter à cette aventure solitaire arrivait au bout et que c’était à moi d’assumer pleinement cette expérience. Ça a été un choc car il a fallu que je me retrouve face à ces chansons qui était émotionnellement costaudes et que j’affronte la scène seul, chose que je m’étais un peu refusé à faire jusque là hormis certains pianos solos aux Balades Sonores,ou des showcases en promo.

Antonin était venu voir sur une des toutes premières dates de la tournée d’  And Then He (à La Roche sur Yon) où j’étais bien stressé, puis il a vu une de mes dernières dates à Nantes, au Stereolux. La tournée s’achevait et j’étais dans une certaine maîtrise de ce concert, j’étais vachement plus à l’aise et plus en paix avec ces chansons et avec moi.

Tout ça pour dire que, ouais, il y a vraiment eu une envie d’assumer une parure et d’assumer un personnage. Si j’ai pu apprendre un truc des ces trois années là – et qui est bien plus complexe que c’en a l’air, c’est de prendre du plaisir. De prendre confiance en ce personnage qu’est Lenparrot, que ce soit une sorte d’alter ego assez complice plutôt que ce soit quelqu’un qui me toise, qui me tient à distance.

LFB : Cette tenue là est ce que c’est une protection émotionnelle pour mettre la barrière entre Lenparrot et Romain ? Le fait de te dire, j’ai ma tenue de scène et quand je quitte la scène je quitte Lenparrot et je redeviens Romain.

LenParrot : Peut-être. Le modèle absolu pour moi à cet égard c’est Freddie Mercury. Ce mec maladivement timide, hyper secret et réservé par certains aspects, qui se transcendent totalement, c’est le plus grand showman que la terre n’ai jamais porté (avec James Brown ex-æquo mais pas dans le même registre). C’était hallucinant, même à une période où musicalement c’était peut être un peu moins flamboyant, mais dans les années 80 tu vois qu’il tient des milliers de personne en un claquement de doigt et dans les années 70, il est en costume de pierrot tellement glam, tellement sublime.

Il y a ce truc de ne pas s’excuser d’être là. On est tellement nombreux à prétendre à cet exercice. Si tu décides d’y aller, tu y vas. C’est un peu endosser un costume de super-héros, c’est clair. Il y a cette idée d’être suffisamment à l’aise avec ce personnage et d’avoir un truc au même titre que gamin, mon super héros c’était Freddie Mercury.

Mon super pouvoir, si j’en ai un, c’est d’écrire des chansons et d’aller les éprouver sur scène le plus sincèrement possible.

LFB : L’autre partie du visuel, ceux que j’appelle les « membres fantômes » de Lenparrot, c’est À Deux Doigts. Pour moi, une grande partie de l’imaginaire et de la force visuelle de l’album vient de là. Comment vous travaillez ensemble ? J’ai l’impression qu’ils font des pochettes qui leur ressemble et qui te ressemble aussi.

Lenparrot : Je suis très heureux que tu pointes ça parce qu’avant même de faire le tout premier concert de Lenparrot au Blockhaus à Nantes en mars 2014, je cherchais déjà une identité visuelle très forte et j’avais envie que ce soit quelque chose de dessiné. J’ai toujours été passionné par le roman graphique et je me figurais quelque chose d’assez proche des univers de Daniel Clowes et Adrian Tomine, qui sont les rois du roman graphique américain dans une esthétique très froide. Un peu comme Charles Burns, aussi.

Je ne les connaissais pas et ils avaient illustré un mensuel culturel Nantais qui s’appelle Kostar, et en tombant sur leurs dessins je me suis dit « Putain, c’est ça ! » .

Ce qui m’a sauvé – évidemment je leur aurais envoyé un mail sinon – c’est qu’il y avait une photo d’eux à l’intérieur. On s’était croisés un nombre incalculable de fois à Nantes sans s’être parlés. Je travaillais dans un café qui s’appelle Le Bar du Coin à Nantes et un soir où je bossais je les ai vus passer devant le bar et je leur ai couru après pour les aborder en leur disant que j’avais vu leur travail dans Kostar, que j’étais tombé amoureux de leur travail, et je leur ai proposé de passer à mon prochain concert pour voir si ça leur plaît. Il se trouve qu’ils ont adoré le concert et notre collaboration a débuté à ce moment là.

Pour revenir à ce que tu disais, que ça leur était très personnel et qu’en même temps ça me ressemble beaucoup, le truc c’est que je me suis totalement reconnu dans l’esthétique que j’avais envie de déployer au sein de Lenparrot et c’est pour ça que je suis autant ému et heureux et admiratif de cette collaboration. Autant ça a pu être assez exclusif pendant des années avec Elsa & Johanna (d’ailleurs j’adorerais à l’occasion travailler de nouveau ensemble, je crois que c’est réciproque) mais il est vrai qu’entre temps j’ai travaillé avec d’autres gens pour mes clips et j’en suis ravi. Par exemple le clip Berries d’Aurore Deman, j’en suis fou.

Mais À Deux Doigts, on tient très fort tous les trois à cette collaboration et à ce qu’elle a de totalement exclusif depuis 6 ans et encore aujourd’hui je ne me verrai pas confier à quelqu’un d’autre la direction artistique et visuelle de mes disques. Par contre, comme chaque histoire qui s’écrit sur le long terme, il y a beaucoup de remises en question. Au même titre qu’il y avait comme point fondamental avec Antonin et Raphaël la nécessité de ne pas se répéter et de faire de ce deuxième album un prolongement très cohérent et en même temps très différent.

Je suis arrivé auprès d’Anne et Grégoire avec comme mot d’ordre et point d’honneur d’aller autre part. Ça n’a pas été simple, ça leur a donné vraiment du fil à retordre parce qu’il savait qu’il y avait une idée de perspective nouvelle (intérieur/extérieur) de vraiment renouveler l’univers qu’ils avaient pu tisser et les abreuver de références nouvelles qui avaient été extrêmement prégnantes et indissociables de l’écriture de ce nouvel album. Notamment les photographies d’un suédois qui s’appelle Anders Petersen, les films de Cassavetes, les films de Jarmusch. L’enjeu c’était de rester cohérent avec ce qu’ils avaient pu proposer auparavant, et ne pas sortir de leur esthétique, sinon je pouvais faire appel à d’autres personnes mais eux comme moi n’avions pas envie de mettre fin à cette histoire.

Ils sont sortis de leur zone de confort et c’est pour ça que j’ai été absolument bouleversé par ces artworks. J’ai le souvenir de la claque qu’a été la découverte de leur premier artwork. C’est une affiche réalisée pour un de nos premiers concerts (au Café Flesselles à Nantes, en 2014). C’est l’avatar qui est sur mon Soundcloud. Quand ils me l’ont envoyé, j’ai presque pas su quoi dire tellement j’étais sidéré. Juste : « Wow », quoi.

Quand ils m’ont envoyé l’artwork de Freddie, ils ont réussi à poser les bases d’un nouveau chapitre dans notre collaboration. J’étais hyper ému et fier car ce pari d’aller autre part sans se dénaturer a été remporté haut la main.

LFB : Ce qui est marrant c’est qu’on a l’impression que ces artworks pour l’album accrochent le réel et en même temps qu’elles sont plus abstraites. On voit l’évolution et on voit que ça correspond à l’album. C’est pour ça que je parlais de « membres fantômes ». Ce sont des gens qu’on ne voit pas sur scène mais qui font partie intégrante de Lenparrot.

Lenparrot : Absolument.

LFB : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour 2021 ?

Lenparrot : De jouer, bordel. D’emmener ce disque sur la route le plus possible, même si j’ai bien conscience que ce n’est pas gagné car on risque d’être très nombreux à éprouver ce souhait parce que c’est incroyablement frustrant.

Le truc c’est que je ne stream pas à outre mesure sur Youtube ou les différentes plateformes de streaming, je ne vends pas des transpalettes de disques et mon terrain de jeu c’est le studio et la scène donc c’est dur de ne pas avoir de perspectives dessus et d’avoir d’office une tournée qui débute rabotée. Même si j’espère de tout cœur pouvoir tourner autant que pour le premier album, mine de rien ça a été un boulot absolument magistral de la part de ma productrice de tournée Lola, et mon agence de booking VIA. J’ai fait une quarantaine de dates pour mon premier album et à mon l’échelle de petit popeux indé c’est vraiment génial.

Et là, à moins qu’il y ait un sursaut et une solidarité conséquente des salles de concert, on partait sur un début de tournée avec 7-8 dates et j’espère pouvoir en faire plus, de toute manière parallèlement à ça, je pense que j’irai aussi dessiner des tournées itinérantes, comme Laure Briard et Cléa Vincent ont pu le faire.

Ouais, de prendre ma bagnole et d’aller jouer au printemps si la situation est toujours merdique et que c’est toujours possible de proposer des concerts sous une forme alternative, d’aller jouer dans des jardins, chez les gens… J’en ai déjà parlé avec Julien Gasc parce que pour moi il a sorti un des plus beaux disques en France cette année et il n’a presque pas joué donc je souhaite venger cette injustice et en profiter pour jouer nos chansons avec Pierre et Antonin qui m’accompagnent parce que c’est trop frustrant. Et, en même temps, je trouve ça insupportable cette injonction qu’il y a dans la bouche des gens en ce moment genre « il faut se réinventer » car ce n’est pas si simple que ça. Mais par contre il y a une nécessité sur le long terme de repenser à la possibilité de jouer et d’aller à la rencontre de son public.

Et si ça peut au moins offrir ça, de tirer certaines leçons d’une période comme celle-ci c’est peut être de trouver d’autres formules, d’autres approches. J’adorerais ça jouer dans le salon ou le jardin des gens. Si on peut proposer un co-plateau Laure Briard/ Julien Gasc/ Lenparrot dans votre appartement, j’en serai le premier ravi.

LFB : Ma dernière question, est-ce que tu as des coups de cœur récents à partager avec nous ?

Lenparrot : Un disque complètement taré qui s’appelle Wyrd Visions, l’album s’appelle Half-Eaten Guitar, que j’ai découvert ça sur cette radio absolument géniale qui s’appelle NTS. Quand j’ai découvert une chanson de cet album, Bog Lord,  ma mâchoire a manqué de se décrocher. Ce disque c’est comme se perdre en forêt, il est sublime. Il est presque inquiétant tellement il est habité. Je ne m’en remets toujours pas depuis un mois.

Il y a l’album de Mocke qui est sorti chez  Objet Disque , Parle Grand Canard qui est absolument génial.

Et un des mes auteurs de roman graphique préféré : Adrian Tomine. Son dernier bouquin s’appelle  La solitude du marathonien de la bande dessinée,une autobiographie. Ce titre d’une prétention incroyable mais, quand on connaît le personnage, est d’une ironie assez cinglante. Ça raconte tous les déboires de Tomine dans le milieu de la BD depuis les années 90. Quel loser magnifique !