En 2018, Radio Elvis a dévoilé son nouvel album Ces Garçons Là. On les a rencontrés lors de leur passage dans le nord et on a parlé de leur dernier né, de l’influence du rap, des normes sociales et de s’affirmer soi-même. Qu’on se le dise, ces garçons-là ont des choses à dire !
LVP : Salut les mecs. On aime bien poser toujours la même question pour commencer : Comment ça va ?
Colin : Bah ça va.
Pierre : Ça va pas mal, ouais. C’est vrai que je m’attendais à une autre question ! (rires)
Manu : Jusqu’ici ça se passe plutôt bien.
LVP : Vous reprenez la route avec ce nouvel album : quel est le retour du public à l’écoute de ces nouveaux titres ?
M : Dans l’ensemble c’est plutôt bon.
P : C’est vachement bien ! La première date était complète, donc c’est plutôt un bon accueil. Le dernier concert qu’on a fait, c’était à Strasbourg, et c’était aussi vraiment génial.
C : En plus, c’était deux sortes de concerts différents. Pour la première date, les gens étaient assis dans une grande salle, et peut-être alors plus à l’écoute mais aussi moins participatifs. A Strasbourg, c’était plus club de rock, le public était assez fou et ça nous a bien portés ! C’est bon signe, ça veut dire que ça marche dans plusieurs endroits différents.
LVP : Il y a plusieurs énergies différentes qui se diffusent de votre musique finalement.
Pierre : Ouais on a toujours assez eu ces deux côtés. D’abord un côté assez contemplatif, et un côté plus physique et plus énergique.
LVP : Il y a un point qu’on a beaucoup apprécié dans votre album : on trouve qu’il y a une unité remarquable entre les paroles et les compositions parmi les émotions qui s’en dégagent. Est-ce que vous avez travaillé différemment pour créer cet album ?
P: Cette fois, les textes et la musique sont très liés et ont été composés dans un temps assez proche. Le premier disque, c’était pas tout à fait la même démarche : j’avais déjà des chansons avant. On a donc appris à se connaître sur le premier album et on a fait tout un travail de réarrangement et de recomposition. Là, on est parti tous les trois de 0. Moi j’écris les textes et on s’occupe ensemble de la musique. C’est peut-être plus fluide que le premier disque, en fait.
LVP : Vous avez des influences musicales très anglo-saxonnes, pourtant, vos paroles sont en français. N’est-ce pas un défi de mélanger les deux, bien que cela se fasse de plus en plus ? Par exemple, j’ai pensé à Baxter Dury sur certains morceaux…
P : Ça, ça se fait depuis que le rock existe. Johnny l’a fait avant nous, sur des rythmiques très R&B, et on a vu que ça marchait. Parmi les artistes qui nous correspondent plus, Marquis de Sade, Noir Désir, Mika l’ont fait. Finalement c’est largement faisable, c’est pas forcément évident mais je pense qu’écrire en anglais ne l’est pas plus, quand ce n’est pas ta langue maternelle. Parce que l’anglais, ça l’est pas, je sais même pas le parler. En écrivant en français, ce qui est difficile c’est qu’il faut paradoxalement se détacher de cette langue maternelle. Il faut la prendre comme une langue nouvelle, avec du recul, et la réinventer un peu. Il ne faut pas y ajouter des sonorités mêlées à la vie de tous les jours. En tout cas, c’est pas comme ça que je travaille. J’essaie de trouver un agencement de mots qui font sonner les consonnes et les voyelles différemment.
C: Je trouve que c’est moins évidemment de composer la musique sur un texte en français. Parce qu’on s’attache plus au sens et au propos, et on peut avoir peur de heurter un peu plus, alors qu’en anglais c’est pas le cas. Après, nous, on réfléchit pas à ça, on fait avancer les deux en même temps et ça marche plutôt bien. On se sent pas obligés de coller au propos tout le temps, mais peut-être qu’on l’a un peu plus fait sur le premier disque.
M : Le danger c’est de devenir illustratif.
C : Ça l’est un petit peu sur cet album, mais c’est sûrement parce qu’on a fait le texte et la musique en parallèle. On parle très souvent de Ces Garçons-là, le dernier morceau qu’on a composé. On avait déjà une mélodie très épique qui racontait une histoire forte, et le lendemain Pierre est arrivé avec des paroles qui racontaient aussi une histoire forte, et les deux ont parfaitement marché ensemble. Mais c’était une réflexion intellectuelle, juste des émotions.
M : Puis chez Pierre, il y a toujours une volonté de sonorités, de se détacher du sens.
LVP : Au niveau des thèmes des chansons, on a l’impression que vous racontez plus d’histoires sur cet album. Pierre, comment a évolué ta façon d’écrire ?
P : C’est venu assez naturellement. Je n’avais pas trop envie de me répéter, parce que sur le premier album, je parlais plutôt de mes impressions et de mes émotions. Cette fois, on avait plus de choses à raconter. On s’est aussi beaucoup nourri de ce qu’on a écouté. Et le peu de rap qu’on a entendu m’a ouvert l’esprit à d’autres choses. Je pense aussi à Vincent Delerm et Dominique A, parce que je viens de base de la chanson française. Puis je me suis rendue compte que raconter des histoires, ça m’était aussi accessible.
LVP : En plus, c’est la première fois que tu écris à la première personne. On a l’impression que le hip-hop et le rap influencent beaucoup ta musique dans cette espèce de mise à nu. Tes mots paraissent plus simples également. Quels sont les artistes qui t’ont influencé de cette manière ?
P : J’ai réécouté Kaze, La Rumeur, NTM, IAM… et puis l’élément déclencheur c’est quand j’ai écouté Nekfeu. J’ai découvert Cyborg, son deuxième album, qui m’a mis une grosse claque, parce que ce qu’il raconte est assez fort. Il chante très sensuellement et possède un flow incroyable. Justement, chanter en français en se rapprochant du rap américain, je trouve ça impressionnant. Et puis j’ai découvert Esprit Noir que j’adore également. On a aussi beaucoup écouté FLIP de Lomepal. Colin a d’autres refs, je crois.
C : Il y a le rap américain également pour ma part, comme Anderson Paak… Sinon y’a Orelsan qui nous a marqués.
LVP : C’est drôle, parce que Lomepal et Orelsan se rapprochent justement de la chanson française.
P : Et nous on veut justement pas être considérés que comme des types qui font de la chanson française. Il n’y a pas de raisons pour que l’on soit considéré « que comme quelque chose », alors Lomepal et Orelsan ont bien raison de se différencier. Orelsan est fan de Balavoine et Lomepal des Strokes, quoi.
LVP : Alors, est-ce qu’il y a encore des cases dans la musique actuelle ?
C : Dans les grandes lignes, oui. Orelsan, on peut pas dire qu’il fait du rock, il fait du rap. Et les Beastie Boys, du punk, mais aussi du rap.
LVP : Bah vous, vous faites du Radio Elvis.
C : Voilà. Mais on est quand même des gens qui aiment le rock. On fait aussi du rock, c’est généraliste.
P : On fait de la musique électrique, quoi.
LVP : Ce qu’il y a de beau dans cet album, c’est qu’on a l’impression que les gens vont être touchés différemment selon leur sensibilité, plutôt par une chanson que par une autre… Votre album ne serait-il pas le reflet de la vie, qui a un impact plus ou moins fort selon les personnes et les passages ?
M : (rires) Et bah j’espère !
C: C’est peut-être aussi parce qu’il y a différents thèmes abordés. Ca marche aussi pour la musique.
P : On a remarqué ça d’ailleurs parmi notre public : personne n’a la même chanson préférée. Il y a des morceaux qui ressortent plus, mais les gens nous parlent de quasiment tous les titres ! Et c’est plutôt chouette ! On peut dire qu’il y a un morceau pour tout le monde.
LVP : C’est la marque d’un album réussi, qu’il soit universel, non ?
P: Ca on le sait bien qu’il est réussi cet album ! (rires)
M : Après c’est un album très sombre et mélancolique.
P : Cyborg de Nekfeu est ultra dark, ou alors le morceau Skywalker d’Esprit Noir, c’est aussi super sombre. Il parle de racket dans la rue, de deal… c’est glauque et ça cartonne.
LVP : New York est un morceau qui nous a beaucoup touchés, qui expose le fait d’être happé par une grande ville. Est-ce que vous trouvez qu’on vit une époque solitaire ?
P: Le morceau parle de ça justement. Tu peux trouver une ville accueillante au premier abord, et vite la trouver très hostile. Moi, j’ai vécu ça à Berlin. C’était le rêve, et puis finalement; les portes étaient fermées partout, et ça s’est vite transformé en cauchemar.
C : Et puis il y a le fait d’être entouré partout, la misère sexuelle quoi.
P : Quand je l’ai écrit ce morceau, j’ai beaucoup pensé à Streets of Philadelphia de Springsteen, et à Ultra Moderne Solitude de Souchon. Donc j’ai été bloqué pendant des mois avec deux références pareilles… On voulait que ce soit notre Ultra Moderne Solitude à nous. Mais faut plus jamais se dire ça parce que ça empêche complètement de produire. (rires)
LVP : Il y a un sentiment de fuite très présent dans cet album, et vous parlez beaucoup de mort. Quand vous en parlez, est-ce pour la tenir à l’écart ?
P : C’est forcément la célébration de la vie. Après, les gars sont dans le métier depuis plus longtemps que moi, mais quand j’y suis entré c’est quand il y avait du sang partout : en commençant par Charlie Hebdo, et puis ça n’a pas arrêté pendant deux ans et demi. On a vu les salles s’armer, avec des policiers devant. Je me souviens qu’à Lyon, après le Bataclan, il y avait des officiers avec des mitraillettes, on se croyait en état de guerre. Je ne pensais pas que ça allait beaucoup me marquer dans l’écriture, mais ça a été le cas. Je parle beaucoup du temps qui passe, des traces qu’on laisse ou pas, et forcément on pense à ces évènements.
LVP : Est-ce que vous considérez comme un groupe optimiste ?
P : On est des optimistes. C’est pas de la nostalgie, finalement. On croit profondément en ce qu’on fait, c’est pour ça qu’on fait autant d’heures de route pour jouer dans des salles plus ou moins pleines. Notre musique est plus lumineuse que déprimante. Elle est grandiloquente.
LVP : Ces Garçons-là est un morceau grave mais plutôt très lumineux. Comment vous voyez la masculinité en 2019 ?
P : Ce morceau évoque les codes sociaux, mais il parle surtout du harcèlement scolaire. C’est l’histoire d’un garçon qui ne rentre pas dans les normes, et on le force à faire un choix au mauvais moment. Le clip illustre d’ailleurs cela. On y voit un garçon qui rentre dans l’arène pour provoquer un taureau, parce qu’on lui a demandé de le faire. Il ne le voulait pas vraiment, donc ça se finit mal pour lui. Au final, il suffit parfois d’être taquiné pour finir par se forcer à faire des choses qu’on ne voulait pas faire.
LVP : Est-ce que vous avez réussi à accepter de vous différencier de la masse ?
M : Personnellement, j’ai été beaucoup plus heureux en m’affirmant en tant que personne plutôt que d’accepter de faire comme tout le monde.
LVP : Quels sont vos coups de cœur récents ?
P : J’écoute beaucoup Petite Noire, sinon on adore tous les épisodes de Faites entrer l’accusé. (rires) J’aime énormément les anglais de Shame aussi !
C : Moi, j’ai récemment vu Une affaire de famille, qui est un film japonais. Je le trouve super et vraiment très beau. Et ça donne envie de manger des ramens.
LVP : Finalement, question con : est-ce que Radio Elvis voudrait faire un feat avec Roméo Elvis ?
P : Bah ouais carrément ! On aime beaucoup sa voix. Et on joue avec Angèle la petite sœur aux francolies, ça reste en famille. (rires)
Énorme merci à Chloé et Océane pour la retranscription.