Avant toute chose, on voudrait faire un petit mea-culpa pour le retard. C’est fin février qu’on a rencontré Rendez Vous à Lille. On s’est posé avec eux pour parler de leur premier album Superior State. C’est dans leur loge juste avant un concert qui s’avérera incroyable qu’on les a rencontrés. Un entretien à l’image de leur musique : frontal et sans filtre. Morceaux choisis.
La Vague Parallèle : Comment ça va ce soir ?
Elliott : Ça va moyen (rires) Un peu patraque mais ça va, content d’être là, très content d’être à Lille.
LVP : C’est la tournée qui fait ça ? Ou les après-concerts ?
E : Un peu des deux on dira. Mais hier on faisait un clip et il y avait des espèces de machine à fumée et ça nous a défoncé les bronches. On est des petites choses au final !
LVP : La dernière fois que je vous ai vu, vous faisiez la première partie de Frustration (?). Ce soir la date est complète, ça vous fait quoi ?
Maxime : On est trop contents, le plateau est cool. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas joué à Lille, la dernière fois c’était justement cette date.
E : Non, on est vraiment super vénères que ce soit complet ! (rires) On a les boules grave !
LVP : Je trouve que le son de Superior State par rapport aux deux EP précédents, est beaucoup plus physique et pour moi ça vient essentiellement du fait qu’il y a une batterie. Je me demandais donc ce que ça avait changé pour vous d’ajouter une batterie en live ou même sur l’album ?
E : Eh bien déjà sur l’album c’est pas de la batterie jouée, c’est des sons de batterie acoustique qu’on a programmés pour garder un truc un peu » machine » mais en vérité c’est juste que pour nous c’était plus simple de faire comme ça à ce moment là. A l’avenir je pense qu’on enregistrera vraiment des trucs enregistrés avec des prises batterie. Qu’est ce que ça change ?.Eh bien en live, l’énergie est différente, ça laisse place à plus d’improvisation et ça donne plus de corps car je pense que juste une boîte à rythme…
Simon: Ça donne surtout plus de liberté, on a l’impression d’être un vrai groupe !
M : Même si on se foire, c’est plus vivant.
LVP : Quand j’ai parlé de votre album sur LVP, j’avais parlé d’anti nostalgie par rapport au style musical que vous faisiez et je me demandais si c’était une idée qui vous convenait par rapport à votre musique ?
E: On n’est pas très nostalgiques en fait…
M: En tout cas le côté revival nous fait un peu chier. On nous la souvent répété, forcément quand tu fais des choses un peu « influencé » … Surtout sur les premiers EP tu avais forcément des raccourcis qui font un peu chier parce que la démarche nous parle pas et c’est pas ce qu’on essaie de faire.
LVP Je vous rapproche un peu des mecs comme Slaves ou IDLES qui cherchent la modernité en fait.
M: Rendez Vous c’est une musique qui évolue et c’est toujours chiant de vouloir nous ramener aux sources. On dit pas ça à des mecs qui font du garage par exemple.
E: Quand tu utilises des synthés c’est marrant car on te ramène tout de suite à quelque chose de très référencé alors c’est peut-être car les sonorités de synthétiseurs sont plus reconnaissables que des sonorités de guitare, je sais pas… Les mecs qui font du grunge ou du psyché on les ramène pas tout le temps aux années 70.
LVP : Mais le fait qu’on vous colle encore une étiquette new-wave, ça vous fait pas un peu chier ?
M : Si mais moins maintenant avec cet album j’ai l’impression. Anti-nostalgie il y avait un peu de ça, d’avoir envie de surprendre les gens et de pas rester dans un sillon hyper référencé, identifié. On avait envie que ça surprenne un peu, d’ajouter un panel de trucs un peu plus larges pour pas rester dans ce ligne.
E: La batterie acoustique c’était aussi important.
LVP : Je trouve qui fait la grande force de l’album c’est sa liberté de partir vraiment dans pleins de directions différentes et je me demandais : comment on fait pour aborder pleins de styles différents tout en gardant une certaine ligne directrice ? Car y a quand même une certaine couleur et une entité dans l’album.
E : C’est cool, merci !
M: C’est un peu un risque que tu prends car la ligne directrice, on n’est pas vraiment dans la création, on est pas sur un truc où on est cohérent à 100% et tu te dis que c’est une vraie prise de risque. On donne une identité vraiment forte à chaque morceau et ce que tu perds en linéarité, tu le gagnes en attrait où chaque morceau t’as une nouvelle entité. Après la ligne directrice tu essaies de la donner avec une production un peu homogène, c’était un peu une prise de risque sur cet album.
E : Ça nous ennuierait aussi de rester dans un seul genre précis. On écoute pleins de trucs différents.
LVP : Comment est ce que vous composez ?
M : L’embryon des morceaux c’est un truc qui se fait tout seul ou à deux et après quand il y a des trucs qui émergent et qui sont cool, on bosse tous ensemble. Mais pour les premières bases, c’est dur de faire en groupe en fait.
LVP : C’est une entreprise horizontale, comme vous faites un peu sur scène ? (rires)
E : On l’est plus, avec la batterie on peut plus (rires)
LVP : Vous faites de la mise en avant maintenant, ça y est ? (rires)
M : Après on reste quand même 4 devant
LVP : Vous avez toujours été un groupe visuel, comme avec vos pochettes qui sont hyper travaillées ou même avec vos clips, pourtant sur Sentimental Animal, c’est la première vidéo où vous apparaissez. Est ce que c’est quelque chose qu’on vous a demandé de faire ou qu’on vous a imposé ?
M : Non. On avait vraiment envie d’incarner le truc. On nous a rien imposé, justement on avait jamais fait de clip dans lequel on était et l’album c’était aussi l’évolution de quelque chose, on avait plus envie de représenter ce qu’on jouait.
E : C’est aussi une question de moyens. On avait fait des films avec des found-footages parce que c’était moins cher et que c’était plus simple de le faire nous même.
LVP : Je trouve qu’il y a beaucoup d’intonations électroniques sur l’album
E : Ah ouais ?
Oui, je trouve que votre musique sur laquelle je danse assez naturellement et je me demandais si c’était une intention de votre part de ramener le rock vers son milieu naturel à savoir les clubs plutôt que les salles de concerts ?
E : C’est pas intéressant ça. On adore danser un peu donc et on aime bien la musique dansante, on a grandi dans les années 90, la dance, la makina …
S : Au delà de ça quand tu parles de rock et de club, moi j’aime bien l’idée qu’en club on puisse jouer du rock , un morceau qui sort des carcans et qui fasse danser les gens et où tu te fous que ça soit de la techno…
E: Je pense que ça vient aussi de la façon dont on compose les morceaux, on bosse tout de suite sur l’ordinateur et on a une approche très « home studiste », on bosse pas comme un groupe qui jam et donc y a une construction qui est plus proche de quand on fait de la musique électronique et de la techno ou du rap. Je pense que ça rajoute un truc moins live et plus machine.
LVP : Vous vous imagineriez jouer dans des lieux qui sont pas propices à accueillir des groupes de post punk?
E : On a fait des trucs un peu comme ça
M : L’idée est marrante
E: On a fait des trucs dans des soirées
M : L’idée est intéressante en fait mais la réalisation est pas satisfaisante.
S: On est un groupe qui a besoin de beaucoup de techniques, matos pour nous faire sonner. Il nous faut certaines conditions, on peut pas jouer n’importe où.
E: On aime pas jouer trop tard mais ça manque un peu ça, des concerts plus tard…
M : Mais en vrai je sais pas si ça se joue aussi tard que ça. Je pense pas que dans les années 80 ça durait jusqu’à tard, ils jouaient pas de la techno mais j’ai pas l’impression que les concerts étaient forcément plus tard.C’est marrant les concerts tardifs, sauf quand tu joues c’est un peu chiant (rires). Une fois on a joué à 3h du mat à Barcelone mais vraiment comme des merdes (rires)
S: C’était pas pour nous. Tu arrives tu balances à 16h, tu as le temps de boire des coups, d’être saoul, t’endormir, te réveiller, de reboire, d’être à nouveau saoule …
M : Je sais même pas si pour les gens c’est cool à cette heure, si tu es attentif, si le live est bien mis en valeur, ça me paraît un peu compliqué.
E: 11h30-00h c’est bien pour un concert.
LVP : Vous avez produit votre album vous même et vous avez créé votre structure pour ça, c’était important pour vous de rester complètement indépendant dans le monde musical actuel ?
M : En faisant l’album on y pensait et c’est après avoir cherché et réfléchi qu’on s’est dit que c’était la meilleure solution pour nous car les propositions qu’on avait eh bien, soit humainement ça ne collait pas forcément et après t’as des contraintes de calendrier quand tu arrives dans un label et ça repoussait encore la sortie de l’album d’un an… On a eu l’occasion, en fait on bosse avec une structure qui s’appelle Cry Baby et donc on a pu s’entourer de gens qui nous aidaient pour cette sortie tout en restant super indépendants.
LVP : Justement, à travers votre label, est ce que vous imaginez produire d’autres personnes ou est ce que c’est que pour votre musique à vous ?
E : Peut-être un jour oui mais pas pour le moment.
LVP : La structure était donc essentiellement pour produire l’album en fait ?
E :Ouais.
LVP : Je trouve qu’à travers le genre musical que vous faites, il y a quand même un côté politique mais je trouve que c’est pas le plus important.
M : Ouais, ça résume bien !
LVP : Vous voyez comme un groupe politique ou l’idée c’est de diffuser des idées et de laisser les gens faire ce qu’ils veulent ?
E: Exactement ouais, c’est la deuxième réponse. Non mais on a des idées et on aime bien que ça infuse un peu sans vouloir trop tenir les gens par la main en leur disant « voilà ce qu’il faut penser« .
S : C’est pas le cœur du propos du groupe en tout cas.
LVP : Après quand tu enchaines Superior State, Crisis et Middle Class dans ta tracking-list en plus de ta pochette …
S: C’est pas faux ouais, on s’est demandé si c’était pas un peu too-much d’ailleurs.
M : Je trouve ça marrant qu’il y ait ce cote là, même d’un point de vue esthétique. Après on n’est pas là pour dire que y a un putain de message dans les paroles, ça s’est fait tout seul, inconsciemment même dans le choix des titres et c’est en les additionnant tous qu’on s’en est rendu compte..
E : On aime bien laisser des éléments que les gens peuvent interpréter comme ils veulent, sans être trop directif, frontal ou explicite
LVP : La première fois que j’ai vu la pochette, j’ai pensé à la haine et c’est quoi le plus important pour vous : la chute ou l’atterrissage ?
E : Moi c’est la chute (rires)
M : Ah bah ouais.
LVP : Et d’ailleurs la pochette vous l’avez trouvé comment ? Je la trouve juste incroyable
E : C’est un ami photographe qui l’a prise à New York et on avait envie de bosser avec ce mec. Quand on a parlé des influences qu’on avait, de ce qui nous parlait et de ce qu’on avait envie de faire pour cette pochette, il nous a tout de suite sorti cette photo et c’est exactement ce qu’on voulait. Après on a tout le livret, le back cover, on a tout reshooté à la même heure mais pas à New York, à la défense dans des bureaux très hauts avec la même lumière, on a essayé de faire un truc cohérent, un objet assez complet.
M : C’est pas vraiment un mec qui s’écrase mais faut pas le dire. (rires)
E : Non mais en vrai il a demandé à des potes skaters de se casser la gueule et voilà
LVP : Ce que je trouve bizarre c’est que limite ça représente bien votre musique, l’instant avant le crash.
E : C’est vrai, c’est cool (rires)
LVP : Et justement, comme on parlait d’atterrissage, la derniere chanson de l’album est hyper lumineuse, en contre poids total avec ce qu’il se passe avant. Est ce que vous croyez au renouveau après l’apocalypse ? Car cette chanson m’a un peu fait penser à ça.
E : Je pense qu’après nous, il y aura autre chose c’est sûr.
LVP : Même au niveau de votre style, d’ouvrir une porte vers quelque chose de nouveau.
E: Par rapport à Rendez vous ? Non je pense pas qu’on changera, on aura peut-être des trucs un peu plus électroniques par moments mais je pense pas qu’on partira dans un truc complètement différent. Mais on avait déjà fait ça sur Distance, de finir avec un morceau un peu plus lumineux mais c’est un peu ironique aussi, ça nous fait marrer.
LVP : C’est un doigt d’honneur en fait ? (rires)
S : Un peu ouais. C’est surprenant, tu t’y attends pas, ce qui rend un peu le truc marrant. Après on n’écoute pas que des trucs dark et dépressifs, on a des petits cœurs sensibles (rires).
LVP : Mais de toute façon tu peux faire des trucs sombres tout en ayant une structure pop par exemple.
E: En vérité, même si c’est moins le cas sur cet album, on a des structures assez pop avec couplet et refrain même si ça part souvent en couilles à la fin, il y a parfois des schémas assez classiques.
LVP : Je me souviens que fin 2017, on avait dit que les Liminanas étaient les sauveurs du rock français et qu’en 2018 Rendez Vous était les sauveurs du rock français, est ce que vous pensez que le rock français a besoin de sauveurs finalement ?
M : On s’assimile pas à un rock français déjà, on revendique pas une nationalité dans notre musique donc ça nous passe un peu au dessus de la tête.
E : Ouais c’est vraiment des trucs de journalistes des inrocks (rires)
LVP : J’osais pas le dire (rires)
M : Je pense que notre musique n’a pas grand chose de très français, les influences sont plutôt anglo-saxonnes. Si on était pas français, ça serait pas du rock français donc ça veut rien dire.
E : Le rock c’est pas une posture pour nous. C’est pas un étendard et on s’en fout un peu. Finalement c’est juste qu’on utilise une basse, une batterie et des guitares…
LVP : Mais il faut toujours coller une étiquette aux gens.
M : Après ça vient du fait que c’est pas le style que les lycéens écoutent et donc on te dit que il n’y a plus rock et tout parce qu’en terme commercial ce n’est pas à la mode. Nous c’est pas du tout notre objectif ni notre rôle.
S : On devrait monter un groupe : Sauveur du rock Français. (rires)
LVP : Est ce que votre musique est percue différemment à l’étranger qu’en France ?
M : On se rend compte juste d’un truc, c’est que plus on va dans le sud et plus c’est compliqué même le sud de la France. Et plus on va dans l’est ou le nord et plus c’est cool. En Russie ou en Ukraine, les gens étaient très très chaud. Il y a vraiment un engouement pour cette musique dans ces pays là alors qu’en Espagne, c’était très bien mais différent. Tu sens vraiment que y a une émulsion autour de cette scène.
LVP : Est ce que vous avez des coups de cœur récents ?
Collectif : Un groupe qui s’apelle Crack Cloud, on a tous pris une claque dessus.
S: J’ai vu Brother de Takeshi Kitano et j’avais presque jamais vu de film avec lui et c’est vraiment cool. Je connaissais le personnage mais moins ses films et c’était vraiment très bien.
E: Moi j’ai vu un film japonais qui m’a beaucoup plu, ça s’appelle Tampopo et il est trop bien, c’est sur l’art du ramen et c’est très beau. L’idée comme ça à l’air chiante mais tout est dans le côté un peu cérémonial des japonais, la beauté du geste c’est super beau.
Merci Océane pour l’aide à la retranscription.
Photos de l’article : Noémie Danjou pour Arty.