Une conversation avec Sônge

Il y a deux ans on était tombé sous le charme de Sônge et de sa musique. Alors qu’aujourd’hui sort son premier album Flavourite Câlâ, on est allé à sa rencontre pour parler de sa musique, de l’influence des couleurs mais aussi de sa passion pour la mythologie et la fantaisie et de sa rencontre avec MYD.

LVP : Salut Océane, comme ça va ?

Sônge : Ça va super bien. Je suis assez excitée avec la sortie de l’album, c’est un peu la semaine de l’ébullition donc ça va trop bien.

LVP : Il y a eu presque deux ans entre la sortie de ton EP et la sortie de l’album. Comment s’est passé la composition de ce dernier ?

S: C’est vrai que ça a été assez long mais j’avais besoin d’aller le plus loin possible dans ce que je voulais fabriquer. Du coup j’ai mis du temps à créer les morceaux, je souhaitais vraiment faire les choses bien, donc j’ai pris le temps pour me poser et de réfléchir concrètement à ce que je voulais.
J’avais besoin de ce temps pour travailler en profondeur et en précision. Moi j’ai composé l’album et ensuite je suis allée voir un fabuleux producteur, absolument incroyable qui s’appelle MYD avec qui j’ai amené les morceaux beaucoup plus loin et qui ont pris une autre ampleur.
Moi j’avais le nez dans mes boutons et lui avec son regard neuf il a vu des choses que moi j’avais pas forcément vues. J’avais pas envie de faire l’album seule de A à Z donc c’était important pour moi d’avoir sa présence .

LVP : C’était nécessaire d’ouvrir ton univers à des gens de l’extérieur ?

S : Oui totalement. Il y a aussi les Twinsmatic qui ont fait l’arrangement sur un titre et il y a aussi un morceau, Soukounian, que je n’ai pas composé, c’est une production de Eazy Dew. On m’envoie souvent des morceaux et c’est quelque chose que je n’avais fait jamais fait, d’habitude je ne joue que mes morceaux et là quand je l’ai entendu, je me suis dit que le morceau était pour moi.
En fait j’aime bien cette configuration où je ne suis pas dans un groupe de musique, où je garde mon espace et où je peux quand même travailler avec des gens qui m’inspirent trop. C’est vraiment agréable cette position où tu n’es pas dans un groupe de musique figé, c’est très libre en fait, de pouvoir faire écouter la musique à des copains et de travailler ensemble. C’est trop bien.

LVP : J’ai eu la sensation que la musique de l’EP était plus lumineuse. C’est quelque chose que tu recherchais ?

S : Ouais tu as raison. Je pense que ça tient beaucoup à la collaboration avec MYD. Ma musique était un peu sombre avant et lui il amène cette lumière musicale et notre rencontre a amené pas mal de ça. Et puis je pense aussi que je suis moins tordue qu’avant (rires). Du coup l’un dans l’autre ça aide aussi. En ce moment je suis plus dans une phase chouette quoi (rires).

LVP : Ton humeur influence beaucoup ta composition ?

S : Ben ouais carrément, de ouf. Après peut-être moins que pour d’autres personnes car je m’inspire pas vraiment de mes histoires et de ma vraie vie mais plus de truc mythologique et de la vie antique. Alors peut être que mes sentiments influent moins sur ma musique mais oui ça joue oui.
Par exemple Colorado, ça vient d’un truc de mood, on avait fait une tournée avec le groupe Colorado, on avait passé beaucoup de temps ensemble et j’avais le blues de fin de tournée de me dire que je les verrais plus du coup j’en ai fait un son donc du coup c’était vraiment sur une émotion pour le coup. Alors que Crépuscule des Dieux parle plus de la mythologie scandinave, Soukounian c’est un mythe de la Guadeloupe, One Thing c’est une échappée interstellaire …

LVP : Justement j’allais te parler de ton rapport à la mythologie et la fantaisie en générale. D’où te vient cette passion pour ces univers ?

S : C’est depuis toujours en fait. Quand j’étais petite, j’avais plein de grimoires, je faisais des filtres et des potions, je créais des formules magiques. En Bretagne on a plein d’histoires sur les korrigans des bois, sur les druides c’est très très riche en fantaisie tu sais. Même pas en fantaisie, c’est des vrais trucs hein (rires). C’est des vrais délires et ça m’intéresse depuis toujours.
Mais les voyages m’influencent beaucoup, par exemple j’ai habité en Allemagne, je suis allée à Cuba.

LVP : Et tu lis beaucoup donc ?

S : Non, j’achète des livres et quand je suis en couple, je les donne pour qu’on me les lise. J’adore les histoires mais je déteste lire (rires). Sinon y’a les livres audios.

LVP : Sur l’album il y a une vraie variété des ambiances. Est ce que tu voyais l’album comme une collection de titres ou tu as essayé de mettre des liens entre les chansons ?

S : En fait il y a des liens entre certains titres comme Thanatonautes ou Roses. Il y a des titres qui sont liés par la même histoire, même si c’est fait de manière un peu cachée. Ça parle d’une relation qui se termine, des questionnements sur l’éphémère, du renouvellement. Est-ce que c’est possible ou non ? Qu’est-ce qu’on fait de nos souvenirs ? Thanatonautes parle d’une sorte de nostalgie du début de la passion dans un couple, quand tout est chouette, qu’on a l’énergie etc. jusqu’à ce que ça disparaisse. Le titre parle un peu de Eternal Sunshine Of The Spotless Mind : si tu avais la possibilité d’effacer ces souvenirs est-ce que tu le ferais ? Et la fin du morceau c’est ça, la personne est dans le couloir et elle se demande si elle va se faire effacer ou non. Du coup c’est carrément relié à Roses qui est aussi une histoire de rupture.
Ça peut aussi être vu comme une collection de mes couleurs et moods favoris que j’ai connecté dans un album.

LVP : Mais justement cette variété se ressent aussi dans ta voix, ou on a l’impression parfois que c’est chanté par plusieurs personnes différentes. Est ce que c’est un truc que tu as calculé ou est-ce que c’est naturel ?

S : En fait j’ai une grosse schizophrénie de la voix (rires). A la base je chantais plutôt en voix de tête et un jour j’ai découvert ma voix de poitrine et j’ai eu une phase vraiment bizarre dans la tête car ça m’a fait peur. J’avais vraiment l’impression d’avoir un démon à l’intérieur avec cette voix grave et rocailleuse, je me demandais d’où ça sortait. Ça m’a fait très très peur mais j’ai appris à l’apprivoiser du coup maintenant j’ai les deux et je les utilise. Mais c’est vrai que jusqu’à présent j’avais juste utilisé ma voix de poitrine et quand j’ai sorti Magic Hairdo, je me demandais si les gens allaient me reconnaître car je ne chantais jamais doucement dans les aigus. Mais c’est vrai que ces deux voix sont très très différentes.

LVP : Et ça t’amuse de jouer avec ta voix ?

: Ouais j’aime bien.

LVP : C’est aussi la première fois que tu sors des titres en français. C’était important pour toi ?

S : C’est pas une révolution pour moi car ce n’est pas la première fois que j’écris en français, c’est juste la première fois que ça sort. Mais oui j’aime beaucoup, j’aime bien les deux.

LVP : Tu vois une différence entre les deux ?

S : Je sais pas trop, ça sort assez sauvagement tu sais. Quand je fais un son, je décide pas vraiment à l’avance de la langue que je vais utiliser. Après oui c’est logique que j’ai plus de vocabulaire en français mais je sais pas trop comment l’expliquer la différence, je la vois pas vraiment.
Après moi je commence toujours par les accords qui me donnent la couleur principale et après la mélodie vient petit à petit et pour finir les paroles. Ça m’est jamais vraiment arrivé de commencer par les paroles.

LVP : Moi je t’ai découvert en live au Pitchfork il y a deux ans, je me demandais si tu envisageais tes chansons pour le live ou pas du tout ?

S : Non pas du tout. Tu sais le live c’est un truc qui se partage vachement ou il y a pleins de gens dans l’histoire et c’est quelque chose de très ouvert. Alors que quand je compose c’est très intime, je suis toute seule dans un endroit un peu cosy donc je me projette pas vraiment. Par contre lorsque j’ai les couleurs principales en tête je vais plus me projeter sur des clips que sur des lives en fait.

LVP : La dernière fois que je t’ai vue tu étais seule sur scène. Tu comptes rester comme ça ou tu penses à ouvrir la scène à d’autres ?

S : Pour l’instant je vais rester seule car je pense que ça me stresse un peu d’être avec des gens (rires). Et comme j’aime bien bouger, changer d’endroit, je préfère rester seule. Par exemple si je déménage à Tahiti, j’ai pas envie de me dire que je dois rester à Paris parce que mon batteur y habite. J’aime bien cette flexibilité et cette liberté.
En fait ce qui m’intéresserait c’est de travailler avec des gens qui font des installations, pas forcément des concerts mais des installations qui lient le visuel, l’audio et pourquoi pas les senteurs et le toucher. Faire une sorte de machine polysensoriel.

LVP : Puisque tu parles de ça, ton univers est assez affirmé. Est-ce que pour toi c’est important que la musique ne reste pas que de la musique ?

S : Tellement. Moi je ne fais pas de distinction entre les arts, je marche vraiment par couleur ou par sentiment. Dans mon ordinateur par exemple, lorsque j’ai classé mes documents, j’ai mis des couleurs et dans chaque couleur tu avais des musiques, des films … C’est plus un truc de mood qu’un truc de média. Parfois quand on me parle de musique, je trouve que ça enferme un peu en fait. Les gens dont j’aime la musique et qui ont aussi aussi une autre expression artistique, j’aime tout le temps le reste parce que c’est eux qui m’intéressent. Mon manager j’aime trop sa musique mais j’adore aussi ses photos et si demain il se lance dans la sculpture, je sais que j’aimerais ça aussi parce que je ressens et je retrouve sa sensibilité dans chaque forme d’expression. Du coup pour moi il n’y a pas que la musique, c’est la personnalité de la personne qui s’exprime.

LVP : Tu parles beaucoup de couleur, j’avais lu que tu étais …

S : Synesthète ? Oui mais c’est un grand mot, c’est juste que je compose par couleur mais tu as des gens c’est très très poussé. Il y a des gens qui ont l’oreille absolue et chaque touche du piano a une couleur. Ça peut être spectaculaire mais chez moi c’est juste un feeling, c’est quelque chose qui est là depuis toujours et qui fait que je crée comme ça mais je peux pas ouvrir des coffres forts ou calculer cinquante décimales après la virgule. C’est pas un don, c’est pas un handicap, c’est juste une façon de voir la vie. (rires).

LVP : On est dans la galerie où tu vas faire une exposition, est-ce que tu peux me parler de tout ça ?

S : Alors les illustrations sont faites par Aurélia Durand. C’est une super artiste et moi je voulais travailler avec quelqu’un qui est dans le coloré et c’est pour ça que je suis allée la cherchait. En fait je lui ai donné trois couleurs par morceaux. Par exemple Colorado j’avais le bleu du fleuve, le marron des roches et le vert pour l’air qui se ballade. Du coup je lui ai indiqué trois couleurs et je lui ai dit « fais moi un dessin ». Sur chaque illustration il y a trois couleurs dominantes et c’est ça l’exposition qu’on fait là.

LVP : J’ai vu que tu faisais des masterclass. Ça te plait ? C’est important pour toi de transmettre les choses ?

S : En fait au début je savais pas trop ce que j’allais faire la dedans et en fait c’est cool, j’adore vraiment faire ça. En fait il y a des gens qui viennent et qui ont trop envie de se lancer et y’a plein de meufs aussi qui osent pas trop et qui se disent que l’électronique c’est un truc de gars. Du coup la elles viennent plus facilement et j’aime bien partager des expériences, et que si tu as l’idée ça va vite … Enfin ça va pas très vite, deux ans c’est beaucoup (rires). Mais juste montrer que c’est accessible et pouvoir partager la musique avec plus de gens, que l’électronique c’est pas juste réservé aux gars qui ont joué à l’électricien quand ils étaient petits quoi (rires).

LVP : Justement, comment est-ce que tu vois toi l’image de la femme dans l’industrie musicale à l’heure actuelle.

S : Moi je me cale toujours sur le positif. Je préfère ne parler que des choses positives. Je fais partie d’un crew de DJ ou on est 6 filles et un trans homme et donc on organise nos soirées et on s’auto-programme dans nos soirées ce qui est plutôt pratique quoi (rires). On a envie de jouer, on fait une soirée et boum super. Mais c’est cool, je rencontre plein de filles qui sont dj, qui composent , qui font de l’électro … Il y en a de plus en plus avec de plus en plus de visibilités. Ici à Paris le milieu est assez fort, plus qu’à Quimper. (rires) Le milieu drainé par Barbieturix c’est très fort et du coup c’est propice aux rencontres et ça incite à faire plus et à aller plus loin ensemble. C’est trop bien.
L’idée c’est vraiment de s’amuser ensemble.

LVP : Pour finir, est-ce que tu as des coups de coeur récents que tu voudrais partager avec nous ?

S : Ouais à fond, il y a ce titre qui s’appelle Wine Up de Jubilee, c’est mon coup de coeur du moment, c’est devenu mon arme secrète. Si je sens que les gens sont pas chauds, je passe ça et les gens deviennent ouf.
Il y a aussi ce poème de Wallace Stevens, The Man With The Blue Guitar, que ma mère m’a envoyé et qui a influencé David Hockney que j’aime trop. Et dans ce poème il y a un musicien qui a une guitare bleue et les gens lui disent qu’il pourra jamais représenter la vie telle qu’elle est avec cette guitare bleue et lui expliquait que justement il la voyait autrement à cause de cette guitare. Et je trouvais ça assez fort, comme si chacun avait un prisme qui nous faisait voir la vie de manière différente et c’est pour ça qu’on va voir les créations artistiques des autres car ils voient la vie de manière totalement farfelue et inattendue.