Une conversation avec Yuksek

L’interview est souvent un moment de promotion, avec un discours calibré autour de l’album. Sauf que ce qu’on aime à La Vague parallèle, c’est réussir à sortir des sentiers souvent balisés. C’est un peu ce qui s’est passé avec Yuksek lors de son passage au Coda Festival. Retour sur une conversation sans filtres où on a parlé musique, live, djing et remixes.

LVP : Hello Pierre ! J’ai lu dans une interview que tu ne souhaitais plus faire de musique en live. C’est définitif ?

Yuksek : C’est définitif, pour l’instant en tout cas et pour plein de raisons. Déjà parce que je me suis rendu compte après l’avoir fait assez longtemps, que je ne suis pas à l’aise avec ça. C’est pas mon truc. Je crois que je suis vraiment un musicien de studio et producteur. Ensuite parce que ma position de chanteur en fait, c’est bizarre… Je chante certains de mes morceaux sur l’album parce que je les fais au studio donc c’est cool, et je ne m’imagine pas devoir les faire sur scène. Et en fait, chanter sur scène, je déteste ça, vraiment. J’ai horreur de ça. Ça me stresse trop, ça me met dans une transe de stress, je fais des cauchemars et tout…

LVP : A ce point là !

: Oui, c’est maladif. Et puis c’est aussi… jouer en groupe, c’est une question d’équipe. J’ai toujours eu de super équipes que ce soit les musiciens, les techniciens, j’ai toujours eu de la chance. J’étais si bien entouré et j’avais l’impression d’être le maillon faible. Et emmener des gens super avec moi dans une aventure qui les faisait kiffer, des gens qui étaient contents d’être avec moi, alors que j’étais toujours le mec pas très content ou trop stressé… J’ai pas du tout envie d’avoir cette relation là avec ces gens que j’adore par ailleurs. Sur la dernière tournée j’avais Cyril de Weekend Affair aux percus, Lucie qui est la batteuse de Moodoid qui je pense pour moi est l’une des meilleures batteuses françaises. JS de Juveniles à la basse enfin genre, c’est le booking, la carré d’or quoi mais moi là-dedans j’étais pas bien.

LVP : Mais tu vas continuer à chanter, à produire des trucs ?

Y : Chanter, je ne pense pas, non plus. Là c’est pareil, je suis en train de faire un nouveau disque mais j’ai beaucoup d’invités et moi j’ai pas encore fait de chanson où je chante moi, j’ai plus très envie de ça.

LVP : D’accord, mais justement, ce qui est assez marrant c’est que t’es parti au final à la base d’un truc hyper électronique où tu chantais quasiment toutes les chansons pour venir à quelque chose de beaucoup plus pop où tu fais chanter beaucoup de monde et c’est assez drôle parce que j’ai l’impression que c’est la trajectoire inverse, c’est des choses qui se croisent en fait.

Y : Mais moi le truc comme je te disais, je suis producteur avant tout, en fait je me pose pas vraiment trop de questions. Alors évidemment pas de la tendance musicale générale parce que ça j’en ai jamais eu grand chose à foutre. Je fais ce que j’ai envie de faire quand j’ai envie de le faire parce que j’ai le luxe aussi d’avoir d’autres activités, faire des musiques de films, de produire d’autres gens… Donc là j’ai décidé depuis 2-3 ans, que Yuksek c’était vraiment un truc où j’avais envie de me refaire plaisir comme c’était au début.
Tu dis que je suis venu à quelque chose de plus pop, mais pour moi c’était plus pop sur le 2ème voire sur le 3ème album. Là ce que j’ai fait depuis et ce que je prépare l’est beaucoup moins en fait. J’ai l’impression de revenir un peu à ce que je faisais au début, en moins énervé, avec des influences plus disco même. Maintenant mes morceaux sont vraiment des morceaux club et non plus des chansons en fait, le format chanson ne m’intéresse plus trop.

LVP : Tu préfères, un truc un peu plus long qui va poser l’ambiance ?

Y : Oui, c’est ça ! Même en tant qu’auditeur, à un moment je m’intéressais à ce qui se faisait dans la pop en général, plutôt dans l’indie que dans la pop commerciale, et c’est par là qu’il y a les choses qui m’excitent en ce moment.

 

LVP : Justement, tu disais, finalement tu es musicien, DJ, patron de label, compositeur de musiques de films… est-ce qu’il y a une activité qui ressort ou quel plaisir tu prends ?

: Justement le plaisir c’est de faire tout ça, c’est de partager mes journées et mes semaines à faire un peu tout, à rencontrer des gens, à travailler dans différents styles de musique avec différents styles de personnes. A la fois des gens qui réfléchissent beaucoup leur travail comme quand tu bosses avec un scénariste ou avec un metteur en scène, ou alors avec des musiciens où pour le coup, on est vraiment plus dans l’instant et dans la sensation de jeu. Et dans tous ces trucs là, le truc que je ne fais plus, c’est le live parce que je me suis rendu compte que c’était hyper chronophage. C’est-à-dire qu’une tournée live de 2 ou 3 mois, en fait tu fais rien d’autre, rien du tout quoi… Faire une date, un soir, ça veut dire que tu arrives à midi, ça veut dire que tu es parti à 8h du matin et la préparation du live c’est toujours rebosser le truc … En tout cas moi c’est pas un truc qui m’intéresse assez pour y consacrer tout ce temps-là.

LVP : Tu n’y prenais plus de plaisir, ce qui est logique au final.

: Ouais ouais mais après je pense aussi qu’il y a des groupes qui ont besoin de faire du live pour leur développement et moi le développement il est un peu loin derrière moi, enfin je veux dire j’ai toujours des choses à prouver et j’ai toujours envie de faire des choses nouvelles et de me remettre en question, mais je ne me ferai pas connaître en faisant des concerts.

LVP : Tu disais que ça fait quasiment 15 ans que tu es dans le monde de la musique, est-ce que tu arrives encore à te mettre des défis, des choses qui t’excitent, des choses nouvelles dans ta façon de voir la musique ?

Y : Bah un peu mais en fait ce qui est marrant c’est que je retrouve ça, enfin le coté plus instinctif, dans le DJing. C’est un truc que j’avais perdu, même un peu l’essence de ce que c’est d’être DJ finalement. Parce que quand j’ai fait DJ, même beaucoup entre les deux premiers albums par exemple, j’étais sur un truc où j’avais des gros tubes, donc finalement mon set c’était un peu mes morceaux. Ça n’allait pas beaucoup plus loin, ou les morceaux des potes, je réfléchissais pas le truc, c’était presque comme un concert mais joué en DJ. Alors que là, je suis plus dans quelque chose qui est dans l’essence du DJing c’est-à-dire de sentir les gens qui sont là, d’essayer de les emmener coûte que coûte, que ce soit facile ou pas, que ce soit gros, que ce soit petit, que ce soit des jeunes, des vieux et de m’adapter tout en étant cohérent dans ce que je fais. Du coup, ça veut dire ne jamais faire vraiment le même set et, finalement je trouve ça vachement plus créatif !

LVP : C’est marrant tu grilles mes questions, parce que j’allais te demander justement quand tu faisais un DJ set si t’envisageais quelque chose de différent à chaque fois en fonction du lieu, du pays, de la région.

: Mais complètement ! Et surtout je me suis re-rendu compte que ma culture est vraiment électronique, et les gens qui viennent ils ont envie d’être surpris par des choses. Bon il y a des gens qui viennent là que pour entendre des morceaux qu’ils connaissent mais on vient surtout pour la découverte. Et moi en tant que DJ, je sais que tous les soirs forcément, je vais jouer 2 ou 3 morceaux que je n’ai jamais joués pour avoir l’excitation aussi de jouer des trucs nouveaux et moi-même de me faire surprendre par ce que je suis en train de jouer. Et ça, c’est vachement important ! C’est le problème des lives autour de la musique électronique en général, c’est forcément hyper formaté. Et des mecs qui font un live vraiment joué à 100%, eux peuvent être créatifs tous les soirs, ils peuvent tout changer. Enfin je sais pas des mecs comme Bertrand Burgalat, tous ses live, je sais qu’il joue vraiment. En plus il ne répète pas, donc eux quand ils jouent à chaque fois, ils vont surprendre, ils vont rajouter un truc dans le feu de l’action… c’est très excitant ! 

LVP : Tu as des mecs comme Soulwax quand même qui arrivent à réinventer derrière, les choses…

Y : Oui mais en même temps le live est quand même très calibré quoi.
Et en fait moi c’est le truc du spectacle qui ne m’excite plus du tout. Tu vois, le show, ça ne m’amuse pas trop en fait. Je préfère un endroit sombre où les gens sont là juste pour kiffer.

LVP : La mise en avant c’est plus ton truc.

Y : Non, j’ai plus envie de ça.

LVP : C’est quelque chose qui t’intéressait à une époque ?

: C’est un fantasme, qu’on a un peu tous quand on fait de la musique honnêtement. Alors oui, il y a des artistes vraiment poètes maudits, mais à 98% les mecs qui font de la musique à moment ils ont quand même envie d’être connus et d’être dans la lumière. Ça fait partie du jeu ! Mais moi je me suis rendu compte que c’est pas quelque chose qui me faisait forcément du bien.

 

 

 

LVP : Tu parlais de ton nouvel album tout à l’heure que tu en train de faire et je me demandais comment tu rencontrais les gens avec qui tu travaillais. Si c’était eux qui venaient vers toi ou si c’était toi qui allais vers eux ?

Y : Ce sont souvent des rencontres ou des rebonds, par exemple Amanda Blank c’était à l’époque où je faisais une tournée avec Diplo en Australie. A ce moment-là on pouvait encore faire des tournées avec Diplo en Australie parce que maintenant… c’est un peu Mickael Jackson ! (rires) On a fait pas mal de truc ensemble et en fait Amanda Blank je crois que c’était la meuf de son cousin, enfin un truc complètement improbable. Et puis tiens, je cherche une voix et tiens check cette meuf elle a commencé à faire des trucs c’est sympa et voilà, ça s’est fait comme ça !

Sur le prochain album, il y a pas mal de gens. Je ne vais pas trop faire de name-dropping encore mais il y a des personnes que je connais depuis longtemps avec lesquelles je n’avais jamais rien fait. Il y a aussi des gens avec qui j’avais envie de faire des choses depuis longtemps que je ne connaissais pas forcément, mais que j’ai réussi à choper. Et par rapport à ce que je faisais avant, ce ne sont pas des featurings dans le sens où j’envoie un morceau fini à la personne et elle se démerde de son côté, là on fait vraiment des sessions dans mon studio et des fois même en partant de rien du tout.

LVP : Oui, j’ai vu que t’étais avec Confidence Man.

Y : Oui, là pareil ! Eux alors en fait c’est marrant parce que je ne connaissais pas du tout, le seul morceau que je connaissais d’eux c’est parce qu’on m’a filé un remix de Red Axes. En fait j’ai joué avec eux dans un festival à Bordeaux cet été, à Vie Sauvage, et le programmateur m’a conseillé d’aller les voir « si t’es là ce soir va les voir, je suis sûr que ça va te plaire ». Je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam vraiment, et quand j’ai vu leur live je me suis dit « Putain, c’est trop cool quoi ».

LVP : Je les ai vus à Rock en Seine, pourtant ils jouaient en début d’après midi et ça m’a foutu sur le cul tout de suite.

Y : C’est hyper bien.

LVP : Et en dehors des deux devant, ils font le show, les musiciens derrière ils sont fous !

Y : Mais c’est pareil, j’étais étonné parce que quand on a fait la journée en studio, ils sont tous venus ! Les zikos aussi, ils participent vachement à l’écriture des morceaux. Et en fait eux ils sont vraiment cool et le live est génial ! Ils ont de bonnes idées, ils sont marrants, enfin franchement j’étais très content.

LVP : C’est ça, il y a quelque chose d’hyper frais.

Y : Ouais puis même dans la zik, il y a un vrai mélange un peu australien, de ce qu’était l’Australie il y a 10 ans avec Cut Copy et tous ces groupes un peu excitants qui avaient vraiment une culture anglaise, un peu les Etats-Unis et la France. Il y a vraiment un espèce de mélange.

LVP : Moi ça m’avait fait penser un peu à du Jagwar Ma qui aurait rencontré Junior Senior, tu vois .

Y : Ouais avec un vieux côté quand même un peu presque Fat Boy Slim des fois dans le fond, un côté très anglais un côté presque Beat Bit machin mais ça, mélangé avec un truc disco assez français aussi et ricain. Et pour le coup j’ai trouvé ça assez original. Enfin là, je trouve, dans le panorama des choses qui tournent et des trucs qui marchent un peu, j’ai trouvé ça très original leur proposition et même leur façon d’être. Ils sont marrants quoi… Ils sont déconne mais sans que ce soit surjoué, en fait c’est vraiment eux, il sont un peu ouf ! Et du coup direct on s’est checkés après et on a calé une session, on a bossé juste avant leur concert de Rock en scène ou juste après.

LVP : Et justement on parlait de rencontre avec les gens avec qui tu travailles. Et les groupes que tu remixes, comment tu les choisis ?

Y : Ça c’est des demandes en général.

LVP : Parce que si on regarde là récemment, il y a énormément de remixes qui sortent.

Y : Oui, j’en ai refait beaucoup, ça participe à l’excitation que j’ai en ce moment sur la musique électronique et la façon de la produire. J’avais arrêté de le faire parce que j’y trouvais pas mon compte, et puis là cette année ça a changé après avoir sorti ce morceau avec Bertrand Burgalat, le truc avec les brésiliens. Ce sont deux morceaux qui ne sont pas des succès commerciaux mais qui par contre ont vachement tourné dans les sphères DJ, dans les trucs un peu underground. Pas mal de mecs se sont dit « Ah tiens… » ! Y a une certaine excitation commune, je lance mon excitation et on la reçoit. (rires). Non mais c’est vrai ça marche comme ça !

LVP : Et quand tu remixes, tu bosses avec le groupe ou pas du tout ?

Y : Non, non…

LVP : Tu fais ton truc, que ça leur plaise ou pas.

Y : Ouais, je m’en fous un peu, c’est clair. D’ailleurs à une époque j’en ai fait beaucoup, même trop… J’ai accepté des trucs des fois pour le nom, en me disant c’est cool, c’est gros et ça va être porteur mais tout en sachant que j’allais galérer sur le morceau. Et maintenant, en fait la sélection se fait uniquement sur la musique et pas du tout sur l’argent ou le groupe.

D’accord, faut aussi que la chanson te plaise …

Y : C’est que ça en fait.

Parce que c’est vraiment ce qu’on voit avec l’Impératrice et Tim Dup.

Y : Oui, c’était marrant parce que Tim Dup c’est pas forcément mon univers, je vais pas dire que je suis fan de ce mec ou que j’écouterais forcément, mais ce morceau-là, je l’ai trouvé vraiment super. A la base le morceau c’est une instru où il parle juste un peu dessus vers la fin, et moi j’ai fait le contraire, j’ai parlé au début et j’en ai fait une espèce de montée. C’était une demande de son label, j’ai accepté direct. Là pour le coup dès que j’ai écouté le truc, j’ai su ce que j’allais en faire. C’est pas toujours le cas mais là oui.

LVP : J’avais interviewé Cyril et Louis sur Weekend Affair justement et on parlait de travailler avec toi et il m’a dit « travailler avec Yuksek c’est comme faire un foot avec Cavani ». Est ce que c’est une notion qui te va bien ?

Y : Bah je suis pas très foot donc je ne sais pas qui c’est Cavani mais je pense que c’est un mec qui doit bien jouer au foot, non ?

LVP : C’est un bon attaquant du PSG. Mais il était fasciné, il disait que tu avais une vraie oreille qui faisait que comme ça tu savais ce qui marchait ou pas.

Y : En fait c’est assez facile sur les morceaux des autres, alors que sur les miens parfois c’est un peu compliqué… Mais c’est aussi une façon de travailler, ce que je fais maintenant c’est que j’essaie de prendre un recul moi-même par rapport à ma musique. Par exemple je vais passer 1 jour ou 2 sur un morceau, essayer de le boucler, de faire le plus possible de trucs et après je le fous de côté. Je ne l’écoute pas pendant 2 mois et je le ré-écoute comme si c’était pas moi presque ! Entre temps je vais avoir fait tellement de trucs que limite je vais l’avoir oublié et c’est comme ça que des trucs me sautent aux oreilles, je me dis « en fait dans ce morceau la bonne partie c’était ça, on va tout reconstruire à partir de ça ». Et puis surtout je pense que le truc que j’ai avant tout, et qui est appréciable je pense pour les gens qui bossent avec moi, c’est que je bosse beaucoup, je suis un gros taffeur. J’aime ça bosser à fond ! C’est un peu con de dire ça, c’est pas pour me jeter des fleurs, chacun sa méthode, mais moi je suis plutôt un mec qui trime quoi.

 

portrait : David Tabary pour La Vague Parallèle