Après cinq ans d’une attente interminable, le grand moment que beaucoup espéraient est enfin arrivé. Le vendredi 28 juillet dernier, le rappeur texan Travis Scott sortait son nouvel et quatrième album, Utopia.
En 2018, le monde trembla lorsqu’il découvrit Astroworld. Ce projet entérina de placer son créateur au centre du monde du Rap en plus d’être d’une qualité intrinsèque plus qu’évidente. Après une tournée mondiale et une controverse liée à un concert tournant à la tragédie, Travis Scott s’est enfoncé dans le silence. Quelques featurings par-ci par-là, comme sur l’excellent Heroes & Vilains de Metro Boomin ou le très réussi SOS de SZA et deux singles en 2021. Sinon, rien. C’est en 2023 que l’espoir naquit de nouveau. Ce dernier se confirma et prit la forme d’un quatrième album studio, intitulé Utopia.
Dès son introduction, ce nouveau disque se montre impactant. HYEANA et son sample de Gentle Giant mettent en exergue la facilité du texan à s’adapter à tout type de production. On y retrouve l’originaire de Houston plus à l’aise que jamais derrière le micro. Optant notamment pour des flows mettant en avant une certaine technique.
Dès les premiers morceaux, on sent une influence bien plus présente et palpable que les autres. Celle de Yeezus, et plus globalement de Kanye West. Outre sa fameuse take sur SKITZO : « I’m loyal, bitch, I got Ye over Biden », l’héritage musical est clairvoyant. L’illustration la plus évidente est le sample de Black Skinhead et de ses percussions pour la production de CIRCUS MAXIMUS. Le travail sur les voix, tout particulièrement sur leur distortion et leur usage comme outil de transition. À l’instar de son aîné, les propositions artistiques sont directes, brutes et parfois abstraites. Mais ce qui différencie Utopia est qu’il parvient à rendre le propos clair et compréhensible.
Il est en vérité peu étonnant de constater une telle influence. Le rappeur lui-même avait contribué à la création du projet. Il retrouve d’ailleurs sur l’album un autre de ces collaborateurs. À savoir Guy-Man, la moitié des Daft Punk qui produit le morceau MODERN JAM. Ye est d’ailleurs crédité, particulièrement sur le titre TELEKINESIS, en collaboration avec Future et SZA. la piste était originalement destiné à l’originaire de Chicago et fût enregistré pendant les sessions de Donda. Après avoir été mis de côté, Scott a décidé de reprendre le travail déjà effectué et de le réarranger.
Beaucoup de sonorités et de choix de production ramènent au style de Ye. On peut prendre comme dernier exemple SIRENS. Les choix dans les arrangements, la manière de poser font ressentir l’inspiration.
D’autres corrélations sont également palpables comme le morceau MY EYES rappelant de suite le travail de Frank Ocean. Le traitement des voix, à certains moments pitchées, l’ambiance très aérienne. Tout rappelle le californien avant de passer à une seconde partie rappée. La première moitié se voit magnifiée par l’apparition mélodieuse de Sampha qui décidément, apprécie grandement donner de sa voix dans le Rap actuel. Autrement, le beat switch de SKITZO renvoie dans une moindre mesure au pont de Mr.Worldwide de Kendrick Lamar sur l’album Mr.Morale & the Big Steppers.
Comme chaque projet de Travis Scott, Utopia ne lésine pas sur les invités. On y retrouve un casting cinq étoiles avec en tête de liste Beyoncé, 21 Savage, Playboy Carty, Drake, The Weeknd, Young Thug, Westside Gunn, SZA, Future, Bad Bunny ou encore James Blake. La grande force de ce quatrième album est de réussir à parfaitement incorporer ses collaborateurs sans travestir son ambiance. On pourrait prendre l’exemple de DELRESTO (ECHOES) qui aurait très bien pu être présent sur Renaissance, dernier album en date de Beyoncé.
On notera la performance de Drake sur MELTDOWN qui pose des bars assassines rappelant SICKO MODE. Le dernier morceau en commun des deux artistes sur Astroworld. Comme un clin d’œil, on assiste une nouvelle fois à la mise en place d’un beat-switch qui, en plus d’être efficace, fait entrer le titre dans un autre univers.
Da manière générale, tout l’album garde un rythme soutenu, jamais on ne s’ennuie ou ressent un ventre mou. Les productions tapent là où il faut, quand il faut. Elles se mouvoient exactement au bon moment, soutiennent toujours la fluidité du disque et joue avec les attentes. Le soin et la minutie sautent aux yeux et ne font que rendre l’expérience d’écoute que plus immersive. Tout ce travail donne bien plus d’impact aux titres très énergiques comme FE!N, CIRCUS MAXIMUS, LOOOVE, TOPIA TWINS, MELTDOWN… On sent que malgré la qualité intrinsèque de ce qui le compose, ce quatrième album reste une œuvre à part entière. L’ensemble s’écoute d’une traite. Une fois isolé, son contenu perd une partie de son sens.
Cependant, malgré une pluie de bon points, voire de brillantes réussites, quelques zones d’ombre sont à évoquer. Il est important de mentionner le roll-out quelque peu décevant précédant l’album. Travis Scott pourtant grand habitué et très habile en la matière s’est comme qui dirait auto-sabordé. L’introduction de l’annonce d’Utopia, mis sous la forme d’un jeu avec une malette ainsi qu’un code l’accompagnant, n’a pas franchement trouvé preneur. Lorsque l’on compare avec la hype créée lors du même processus pour Astroworld et l’effet escompté, on ne peut que ressentir une déception assez amère à la vue de cet échec relatif.
On notera également, et ce au dépit d’une production très soignée, quelques loupés et des décisions regrettables. Au-delà de l’évidente prise de risque constituant un tel disque, certains morceaux sont moins aventureux, voire presque paresseux. Particulièrement, on peut prendre comme exemple DELRESTO (ECHOES), pouvant aisément être aimablement moqué comme étant une b-side de Renaissance sur laquelle Travis Scott ne fait que passer. L’incohérence artistique du premier single du projet, K-POP est aussi à démarquer. Outre l’évidente qualité et efficacité du titre, ce dernier dénote et apparaît presque comme une parenthèse forcée lors de l’écoute.
Travis Scott l’a fait. Le texan est parvenu à relever le défi avec Utopia. En restant tout aussi grandiloquent et mainstream qu’Astroworld, le rappeur parvient à aller plus loin et convertir un essai risqué. Avec ce quatrième disque, l’enfant de Houston offre une pièce d’une certaine complexité sans pour autant être inaccessible. Il ne fait nul doute qu’il s’agit d’une œuvre majeure du paysage actuel, qui saura assurément se réserver une place dans notre esprit pendant très longtemps.
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