Entre deux concerts aux Francos de Montréal et aux Francofolies de La Rochelle, on a discuté avec Vanille de la venue de son nouvel album Un chant d’amour qui sortira prochainement. On en a profité pour parler d’amour et de ses influences des années 70.

La Face B : Salut Rachel, comment ça va ?
Vanille : Bonjour Mathilde, ça va bien merci et toi ?
LFB : Ça va bien, merci. On va entrer directement dans le vif du sujet. Ton nouveau titre Ce n’est pas ici, ce n’est pas ailleurs évoque un amour à la fois exalté et douloureux, presque comme une quête perdue d’avance, mais à laquelle on continue de croire. D’où vient cette tension entre l’envie d’aimer et la peur de s’abandonner? Est-ce quelque chose que tu vis toi-même, ou que tu observes autour de toi?
Vanille : Je crois que c’est quelque chose que j’observe plus autour de moi. En fait, je pense que cette chanson-là, elle parle un peu comme Mon petit chemin de l’album précédent. C’est un peu la chanson de l’autodétermination, mais aussi de se dire qu’ultimement, ça ne va pas bien la vie, on court vers la fin des temps. Mais au final, il nous reste encore des choses à faire ensemble, des belles choses à faire. C’est comme l’espoir de l’ultime bonheur avant la fin, on va dire.
LFB : C’est beau ça ! L’espoir de l’ultime bonheur avant la fin. Puis, on voit presque dans cette chanson et dans ton clip une influence très forte du cinéma de Jacques Demy et de la pop française des années 70, à la fois légère et dramatique. Est-ce que Un chant d’amour, ton prochain album, va aussi puiser dans cet imaginaire ? Comment décrirais-tu son ambiance globale?
Vanille : C’est drôle que tu parles de Jacques Demy, parce que c’est sûr que ça a vraiment inspiré totalement mon univers. Je dirais même que le cinéma, en général, a beaucoup inspiré cet album-là. Je voulais vraiment le situer dans le temps, dans les années plus 60, mais même 50. Si je parle vraiment du cinéma que je regarde, je me suis vraiment intéressée du côté français. Il y a Jacques Demy, puis Agnès Varda, puis Éric Rohmer, et tout ça qui m’inspire. Mais après ça, du côté des Américains, il y a un film qui m’a vraiment inspirée, c’est All That Heaven Allows, de Douglas Sirk. C’est vraiment un classique drame d’amour, avec des beaux plans. C’est vraiment le mélodrame américain qui m’a beaucoup inspirée pour cet album-là. Pourtant, c’est loin de moi, parce que je suis Québécoise. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est ces images-là qui ont fait naître le projet de Un chant d’amour.
LFB : C’est quelque chose qui te touche tout ce qui est attrait au cinéma ? Ça influe sur la musique que tu fais, puis la musique que tu écoutes aussi ?
Vanille : Oui vraiment! D’ailleurs, j’écoute surtout de la musique de cette époque-là, en fait. Vraiment, toute la culture que je consomme, presque, ce n’est pas la culture actuelle, même si je me sens quand même contemporaine, puis j’écoute mes comparses et mes collègues. À part la scène locale, on va dire, la majorité de ce que j’écoute, c’est vraiment des trucs des années 60-70. Puis autant français que brésilien, américain, UK, partout [rires] !
LFB : Si on entrait sur ta playlist, ça serait quoi les trois titres que tu pourrais me donner que tu écoutes actuellement et qui te représentent ?
Vanille : Donc, la première chanson, c’est Make it easy on yourself des Walker Brothers, qui était le projet de Scott Walker. Après, il a fait un projet plus solo, mais c’était donc son premier groupe. Les arrangements qui sont vraiment magnifiques, l’utilisation des cordes. Puis à la base, c’est même une chanson écrite par Bert Bacharach, qui est un de mes compositeur préférés. Il évoque aussi la peine d’amour, évidemment. C’est la tragédie de l’amour, c’est vraiment quelque chose qui me fascine puis que j’avais envie d’explorer avec ce disque-là. Donc, ce serait un titre. Ensuite, j’ai Guess I’m Dumb de Glenn Campbell. Les arrangements sont aussi vraiment magnifiques. C’est une chanson de Bryan Wilson à la base, qui était supposée être pour les Beach Boys, mais qu’ils n’ont pas voulu parce qu’ils n’aimaient pas le Guess I’m Dumb. C’est des garçons, puis ils ne voulaient pas avoir l’air stupides, on dirait. Mais Glenn Campbell, il a accepté de la faire. Puis sa version est vraiment magnifique aussi. Il a une voix… C’est vraiment ma voix d’homme préférée, je pense. Je finirais avec The Feminine Complex, qui est un groupe de Californie, qui n’a pas duré très longtemps, un ou deux albums. C’est que des filles qui font de la musique ensemble, et ça m’a vraiment charmée. C’est vraiment la jeunesse des années 60 comme je l’aime ! La chanson s’appelle Hold Me. Encore une fois, les paroles de l’amour. On attend l’amour, la femme qui attend l’amour. On dirait que ça me rejoint beaucoup. Pourtant, j’ai trouvé l’amour et je suis très bien ! Mais c’est comme si… Je me mettais dans la peau de quelqu’un d’autre, que j’étais un personnage.
LFB : C’est comme un personnage tragique. Limite tragédie grecque, quoi.
Vanille : Carrément, je pense. C’est ça qui est cool d’être Vanille et non Rachel. Je pense aussi que je peux vraiment me lancer dans toutes ces déclarations qui sont personnelles mais parce que c’est Vanille qui parle que c’est plus facile de s’exprimer à travers elle.
LFB : J’ai lu que tu allais prendre un tournant artistique plus assumé, plus énergique aussi. Comment cette évolution s’est-elle manifestée concrètement en studio? Est-ce que les personnes qui ont participé à l’enregistrement de l’album ont joué un rôle là dedans?
Vanille : Les personnes sur l’album sont les mêmes que sur l’album précédent. Donc je dirais qu’ils ont vraiment juste suivi la direction qui était complètement différente. Cette nouvelle direction a vraiment émergé parce que la dernière tournée était tellement folk, pastoral, et très tranquille en salle. On dirait que je me suis un peu tannée que le monde s’endorme devant moi [rire], mais pas dans le mauvais sens, parce qu’ils appréciaient et qu’il y avait comme un silence religieux dans la salle que j’aimais beaucoup. Mais là, on dirait que j’ai envie de twister, faire un 180 sur autre chose. Bon, ce n’est pas non plus un 180, je ne suis pas en train de me déhancher et de faire du Dua Lipa ! Mais je me libère plus de la guitare pour faire des trucs en avant de la scène. En composant les chansons de l’album, je me disais que je voulais pouvoir avoir du plaisir sur le stage. C’est ça qui a mené à un tournant plus énergique.
LFB : Est-ce que tu avais l’impression de te cacher un peu derrière ta guitare ?
Vanille : En fait, je ne pense pas que je me cachais, plutôt que ça m’handicapait. C’est juste que je le faisais parce que je me disais que c’est cool qu’on me voit à la guitare. Je pense que je vais continuer à jouer de la guit pareil, mais un peu moins parce que je trouve que c’est cool d’avoir des moments où on je me libère et je peux vraiment m’exprimer corporellement, ce qui n’arrive jamais quand tu joues de la guit. Tu n’as pas le choix.
LFB : Tu lèves les bras, c’est fini.
Vanille : C’est ça, il n’y a plus de son haha ! là, je lève mes bras, justement, depuis un show ou deux. Je fais presque des exercices sur le stage.
LFB : Pour les personnes qui ne te connaissent pas, si tu devais choisir une chanson comme un peu porte d’entrée, soit dans ton univers ou même l’album que tu vas sortir, tu prendrais laquelle ? Puis pourquoi tu choisis celle-là ?
Vanille : Je n’aurais pas le choix de dire que le dernier single, Ce n’est pas ici, ce n’est pas ailleurs, parce que c’est la seule chanson qui est sortie de l’album à venir. Donc, déjà, ça donne un bon indicateur. Je pense que c’est même la chanson la plus pop et la plus facile à aimer que j’ai jamais faite, je pense. Alors, si vous ne l’aimez pas, peut-être que ce n’est pas pour vous !
LFB : Et toi, est-ce qu’il y a une chanson parmi les tiennes qui te bouleverse encore, ou juste que tu préfères, que tu as vraiment hâte de jouer sur scène, que tu as hâte de partager avec ton public?
Vanille : Celle dont j’ai le plus hâte, c’est la chanson-titre, Un chant d’amour d’amour, qui est aussi la première pièce de l’album. Je pense que c’est la meilleure chanson que j’ai écrite. Je l’ai composée au piano. Ce qui est très rare déjà ! Je n’avais jamais vraiment composé au piano avant cet album-ci. Puis là, il y en a plein qui ont été faites au clavier. Elle a quelque chose d’un peu Beatles, Beach Boys. J’en suis vraiment fière, j’ai hâte que vous l’entendiez.
LFB : Tu es passée, il y a quelques jours, sur la scène Francos de Montréal, avec La Traversée, puis là, tu t’en vas à La Rochelle. Comment vis-tu cette période où ton projet est à la fois très intime dans son propos, et en même temps exposé à de plus en plus de regards? Est-ce grisant, vulnérabilisant ? Les deux ?
Vanille : Un peu des deux à la fois, parce que j’ai comme l’impression que des quatre projets, c’est peut-être le mien qui est le moins pop. Colline Rio, par exemple, elle a une voix incroyable. Puis des fois, c’est gênant de passer après elle tellement elle est douée. Je mise sur mes propres atouts bien sûr, mais oui, il y a quelque chose de stressant, surtout quand ça va être en terrain français, encore une fois, après Colline qui s’époumone et qui a toutes les notes. Moi, j’arrive avec une approche un peu plus garage. J’espère que le français.e.s vont apprécier, mais je les ai déjà conquis.e.s à d’autres moments alors pourquoi pas cette fois-ci ! Il faut que je me fasse confiance et que je fasse confiance à l’École nationale de la chanson qui a choisi mon projet.
LFB : Aussi, ton projet assume sa nostalgie et son romantisme sans détour. Comment tu fais pour rester sincère dans un monde musical qui est parfois, même souvent, cynique et ironique?
Vanille : Honnêtement, je pense que je suis l’artiste de ma génération la plus positive et optimiste. Malgré que je constate les dégâts et comment c’est difficile. Je pense que justement, la sincérité, je la trouve juste dans continuer de faire exactement ce que je ferais. C’est-à-dire, je suis moi-même du début à la fin. Je ne sais pas comment j’arriverais à ne pas être sincère. C’est ma façon de me battre peut-être contre les choses qui me font rager. C’est d’être moi-même. C’est mon déterminisme qui va peut-être changer les choses. Mais je comprends aussi que les gens d’être pessimistes. J’ai la chance d’avoir la lumière en moi qui me dit “tu peux y aller”. Mais je sais que c’est difficile de trouver la lumière dans les temps sombres. Je me sens comme Dumbledore avec son petit briquet qui allume les lumières.

LFB : On arrive à la fin de l’entrevue, mais est-ce qu’il y a une question à laquelle tu aimerais répondre mais qu’on ne t’a jamais posée ? Et c’est quoi ta réponse à cette question ?
Vanille : Je vais faire juste un drôle de disclaimer. Mais c’est plus une chose que les gens devraient savoir sur moi. Je me couche vraiment très tôt. Je fais un gros effort dans la vie pour faire ce métier. La chose la plus difficile, c’est de veiller tard. À chaque fois que je fais un show passé 9 heures, c’est très difficile. Et aller voir des shows aussi, c’est difficile. Bravo aux gens ! Bravo aux gens de continuer à aller voir des shows quand c’est tard, alors que c’est difficile. Ce n’est même pas un disclaimer, c’est un cri du cœur. Bravo aux gens d’aller voir des shows, on a besoin de vous.
LFB : Couchez-vous tard ! Sinon, on dit aux programmateur.ice.s de faire des shows en 5 à 7.
Vanille : Ça oui, j’adore ! D’ailleurs, j’aime ça faire des shows en 5 à 7. À chaque fois c’est le fun ! C’est sûr que ce n’est pas la même ambiance, mais bon. C’est cool quand même.
LFB : Pour finir et reprendre la thématique large sur l’amour, on est l’été, il fait beau et chaud, et on a tous et toutes un souvenir de vacances qui reste gravé sur le cœur et surtout, d’amour d’été. Est-ce qu’il y en a un en particulier dont tu te souviens ? Et quelle chanson tournait en boucle cet été-là ?
Vanille : Je n’ai malheureusement pas eu d’amour de vacances parce que j’étais tellement concentrée à l’école et j’avais tellement hâte que l’école recommence que je n’étais pas occupée à regarder les autres gars. Moi, je regardais les annonces des cahiers, des papiers puis des crayons et j’avais hâte de retourner à l’école. Mais mes amours, ils se sont passés à l’école par contre. En bande sonore, je pense que ça serait une des chansons que j’ai le plus écoutée quand j’étais amoureuse. Je me rappelle, c’était This Charming Man de The Smiths. J’étais en sixième année du primaire puis j’avais un crush. Je me rappelle d’écouter ça en me rendant à l’école. C’était la fin de l’année. Ça compte presque comme les vacances ! Quelle belle chanson pour être un enfant et être amoureux.
LFB : Et bien, c’est tout pour moi. Merci beaucoup pour cette entrevue !
Vanille : Merci beaucoup, c’était vraiment chouette !