Vanille : « Je me réfugiais dans d’autres temps »

En mai dernier, Vanille a quitté le Québec quelques temps pour venir présenter son album La Clairière en Europe. Après Soleil ’96, l’autrice-compositrice-interprète a pris le chemin de la folk pour le plus grand bonheur de nos oreilles et de notre imaginaire. Ensemble on a parlé d’enluminures, de 1968, et même d’Alexandre Martel

La Face B : Salut Rachel, comment ça va ?


Vanille : Ça va bien, je suis aux anges ! C’est ma première vraie tournée on va dire, on a joué à Liège, à Bruxelles, ce soir Paris, puis après on va faire 2 festivals au Royaume-Uni, à Wrexham et à Brighton, donc je suis très excitée et très contente. C’est première fois que je vais là-bas, je peux voyager pour faire de la musique, donc ça peut pas mal aller, on est trop content.

La Face B : Tu étais déjà venue au MaMA l’année dernière

Vanille : Ouais, exact, c’est la deuxième fois que je viens à Paris. Le MaMA c’était vraiment chouette, c’était au musée phonographique, c’était full mignon comme endroit, j’ai vraiment aimé ça !

La Face B : Ça faisait très religieux comme atmosphère je trouve

Vanille : C’est vrai, c’est vrai ! Là, la venue est un peu plus punk, mais on va rendre ça bien céleste quand même.

La Face B : Et puis le MaMA c’est beaucoup de professionnels de l’industrie, alors que ce soir la crowd vient te voir toi.

Vanille : Oui, je suis mille fois moins stressée en fait. Là, je m’en viens voir des gens qui sont là pour moi déjà tu vois, c’est pas une première partie, c’est la première fois que je suis le main act dans un autre pays donc c’est vraiment cool.

La Face B : Est-ce que tu as eu l’impression de changer d’espace-temps entre Soleil ’96 et La clairière ?

Vanille : Cent pour cent. Soleil ’96 je le sentais moderne, on va dire, même si j’étais beaucoup inspiré par la fin des années 60, début 70. Quand je dis moderne, jeu le pense comme des années 2000 à aujourd’hui, on va dire. Mais avec La clairière, je me suis-je me suis abreuvée de du plein de d’œuvres d’art médiévales, surtout les enluminures gothiques des vieux manuscrits. C’est étrange à dire, mais ça m’a beaucoup inspiré pour mes mélodies vocale et tout. C’est comme si je regardais tout ça, toutes ces images, que ça montait en moi, puis après ça, je fermais les yeux, puis j’étais comme dans un autre espace temps, j’étais dans une clairière. J’étais à Bruges il y a quelques jours et je me sentais dans mon album, dans la clairière, dans un petit village des petits ponts, où je pouvais être dans l’introspection, regarder les fleurs, les plantes, puis il n’y avait pas toutes tout le stress de la vie d’aujourd’hui. Je me réfugiais en fait dans d’autres temps, qui devaient être vraiment stressants, on va se le dire, mais moi je garde le côté très lumineux de tout ça.

La Face B : Ce qui est intéressant finalement, c’est que j’ai l’impression que c’est un album qui fait une sorte de cycle et qui regarde passer les saisons au fur et à mesure des morceaux.

Vanille : Oui ! Et puis ça s’est même passé à l’enregistrement un peu de cette façon là parce que on enregistrait, c’était encore l’automne, il y avait toutes les couleurs et pendant l’enregistrement il y a eu le passage à l’hiver, il a eu la première neige, le lac qui s’est gelé parce qu’on était en pleine de la forêt où il y avait un lac. Donc même pendant l’enregistrement, on sentait le passage des saisons, puis quand on a décidé de ce qui serait le pacing de l’album, on a un peu fait les choses en fonction de ça aussi. C’est pour ça qu’au début c’est un peu printanier j’ai l’impression. On avance, Mon petit chemin, c’est comme l’été, puis après ça arrive Maison d’automne, puis Quand la neige tombe, qui est la chanson hivernale mais qui donne un peu d’espoir j’ai l’impression… Je crois que tu l’avais dit un peu dans ton article, c’est comme si c’est une nouvelle aventure qui commence un peu, puis c’est pour donner un coup de chance pour le prochain album qui va être plus lumineux aussi et très solaire.

La Face B : Et il y a ces ces marqueurs du temps mais je trouve que l’un des choix forts justement c’est qu’il n’y a pas de marqueur d’époque. En fait, il y a aucune indication sur l’époque que les morceaux définissent sont faits, et ça donne un côté un peu suspendu.

Vanille : C’est tout ce que je voulais faire avec cet album là, j’avais envie de quelque chose d’intemporel qui aurait pu s’écouter justement en 1968 autant que aujourd’hui. Ben là, c’est sûr que je marque parce qu’il y a beaucoup de de choses que j’écoute qui datent de ces années-là, donc forcément ça a beaucoup inspiré mon écriture par exemple, surtout le le folk anglais de la fin des années 60, des artistes comme Vashti Bunyan, Duncan Browne, Judy Collins, m’ont beaucoup inspiré, mais j’avais quand même dans les textes envie de faire quelque chose d’intemporel. Et par ar-delà les mots, où je dis que « je sens sous le rocher desmillénaires d’existence », c’est très introspectif sur ma place justement dans l’univers, mais dans la vie, l’espace-temps il y a eu des choses il y a mille ans, dix-mille ans, et il y en aura encore après moi pis j’avais envie de mettre en musique ces sentiments là en fait, ce qui est un sentiment qui est très rassurant pour moi d’être comme une poussière.

La Face B : Ce que je trouve trop chouette, c’est que au niveau de tes textes c’est moderne et intemporel à la fois, il y a plein de choses hyper belles et en même temps musicalement comme tu dis, moi ça m’a fait penser à, récemment l’album de 1969 collective, ou dans les choses moins récentes à Harmonium ou même à Jean-Pierre Ferland…

Vanille : Oui bien-sûr ! Soleil [ de Jean-Pierre Ferland ] c’est une de mes album préférés, et c’est vrai, il y a de ça. Je suis très mélomane et je suis très consciente de ce qui a été fait avant moi, surtout au Québec, puis je j’aime ça faire partie d’une d’une lignée tu sais, puis de saluer ce qui a été fait avant moi. Parce que je l’écoute, je l’apprécie, puis j’aime faire partie de ça, et j’espère qu’il y aura des jeunes qui écouteront ma musique et être inspiré à leur tour, qui sait ? Ça serait bien plaisant.

La Face B : Il y a aussi une force picturale qui est très importante aussi dans ce que tu racontes. Chaque morceau, si tu fermes les yeux tu peux imaginer ce qu’il s’y passe. Ce que j’aime c’est que c’est un album fou qui pousse à l’imaginaire. En fait, dans la façon dont tu l’écris, on voit qu’il y a une importance du cinéma ou des choses comme ça qui ont été transcrites dans ta musique.

Vanille : Oui et j’ai étudié en cinéma à l’université donc c’est mes études mais je suis aussi très cinéphile. En fait, je regarde comme trois films par jour mais pas en ce moment, je peux pas là parce que je suis en tournée. Mais j’ai travaillé pendant quelques années à la Cinémathèque québécoise, donc je regardais plusieurs films par jour en travaillant, puis donc ça tous ces films là font partie de mon imaginaire, puis je m’inspire beaucoup du cinéma en général, je dirais surtout les années 40, 50 en France. Donc ça m’a beaucoup inspiré pour faire mes chansons.

La Face B : Et puis au final, les textes sont quand même personnels mais je trouve que ton imaginaire permet aux gens de se rattacher, et il y a un truc un peu cryptique ou presque, un voile de pudeur sur ce que t’écris qui fait que toi tu peux comprendre exactement ce que tu racontes, mais les gens ne comprennent pas forcément et du coup ça permet de rendre le propos un peu plus universel.

Vanille : Complètement ça permet à tout le monde de se faire sa propre pensée du récit que je raconte. Puis ils peuvent se s’identifier selon ce qu’ils ont vécu eux-mêmes. Donc oui, mais c’est drôle que tu dises ça « un voile de pudeur » parce que j’y avais pas pensé. Mais c’est vrai qu’il y a quelque chose à décoder. Ce ne sont pas des des phrases très simples.

La Face B : Un titre comme M’as-tu vu passer, par exemple, c’est léger de surface mais on sent qu’il y a une certaine noirceur et des choses un peu plus profondes derrière et du coup c’est intéressant d’essayer de décoder, même quand tu ne connais pas la personne et que finalement les émotions elles t’impactent.

Vanille : Je suis une personne très émotive, très mélancolique et nostalgique, donc ça je parle beaucoup du passé dans mes chansons et d’une certaine douleur, mais aussi parce que j’aime ça me réconforter avec mes chansons… Il y a un côté d’appel à la liberté, et de me sentir pleine dans ma solitude. Puis pour moi, c’est de ça dont l’album parle, et c’est peut-être pas comme ça que le monde le ressent, mais moi c’est ça qui me parle.

La Face B : Au niveau des arrangements, c’est tellement fourni, mais en même temps il y a pas un truc qui dépasse. On a vraiment cette impression que « tel instrument a été choisi pour faire ressentir telle émotion » à la personne qui l’écoute. Tout l’album en fait, il est comme ça et je trouve que c’est ça sa grande force.

Vanille : Bin merci, c parce que oui, on a vraiment pensé à chaque arrangement, bien comme il faut. Je savais qu’il y avait des moments dans l’album que je voulais plus sobres, comme si j’étais un peu comme dans une pièce noire avec une chandelle. Alors qu’il y en a d’autres où c’est plus comme si j’étais dehors avec un puits de lumière sur moi… Il y a comme deux directions, tu sais mettons Par delà les monts, Maison d’automne, elles sont plus introspectives tandis qu’À bientôt puis Mon petit chemin, je me dévoile quoi.

La Face B : Moi, ce que je trouve réussi aussi, c’est que tu ne t’es pas laissée dévorer par le style de musique que tu avais choisi pour cet album. Il y a un choix très spontané en fait, de revenir sur de la folk et tout ça, mais la façon dont tu le fais, d’avoir des pièces instrumentales aussi qui permettent un peu de jalonner l’album et le récit, ça permet d’éviter la monotonie et d’aller chercher vraiment tout un tas de couleurs différentes dans la folk.

Vanille : Oui, j’essaie parce que comme je disais, je suis vraiment mélomane, j’écoute énormément de musique, je découvre beaucoup de d’artistes à chaque jour. Je travaille d’ailleurs aussi dans un disquaire à Montréal. Donc, je découvre beaucoup, beaucoup de musique. Je pense que c’est ça peut être qui m’aide à pas tomber dans des patterns déjà vu ou quoi que ce soit, parce que je suis quand même consciente de ce qui se fait puis je veux pas copier en même temps j’essaie de bien m’inspirer tout en étant moi-même.

La Face B : Et en même temps entre Soleil ’96 et La clairière, on passe de quelque chose de plus rock a quelque chose de très folk, mais j’ai l’impression que, en terme de d’inspiration musicale, on reste quand même à peu près dans les mêmes années.

Vanille : Je crois que je suis vraiment une enfant des sixties dans ma tête. Là tu sais, fin sixties début 70, je sais pas ce qui s’est passé, surtout à l’année 1968, mais je crois que 9 albums sur 10 que j’aime sont de l’année 1968. Je sais pas trop pourquoi il y avait quelque chose qui se passait. Le mélange, tu sais c’est psychédélique, surtout dans le folk, puis on arrive à ce que ça soit quand même un peu tout ça, des petites notes de psychédélisme à travers le folk, c’est vraiment mon genre préféré, parfois il y a de l’introspection, mais des fois il y a un petit passage, où peut-être qu’on s’en va dans des zones un peu plus mushy, on va dire par exemple dans Anna, il y a quelqu’un qui m’avait dit « Ah c’est c’est ta chanson la plus psychédélique de l’album ». Et c’est vrai que c’est la plus psychédélique selon moi. Tu sais, c’est à cause du synthé puis des choeurs, les voix avec Arielle [ Soucy ] qui fait tellement bien ça… J’ai hâte de jouer les chansons d’ailleurs tantôt !

La Face B : Tu as aussi modernisé cette sorte de naïveté de cette époque, parce que ça permettait de faire passer des messages sur certaines choses et d’ outre-passer une espèce de censure, mais toi tu l’utilises d’une manière complètement différente, comme si tu respectais la tradition, mais que tu te l’appropriais en même temps.

Vanille : Ouais, c’est ça, j’essaie de m’approprier un courant qui existait, mais j’ai pas du tout les mêmes rêves, les mêmes problèmes que les gens en 1968 évidemment, mais je suis capable de voir ce qu’ils trouvaient beau et les aspirations qu’ils avaient, ça je peux les comprendre. On dirait que leur vision du monde, je peux la comprendre puis elle est pas loin de la mienne.

La Face B : Non c’est ça, parce que quand je pense à des artistes féminines folk de ces années-là, c’était certes des artistes politiquement engagées, mais finalement, même dans tes textes, tu vois, il y a plein de choses dont tu parles, notamment de santé mentale, de justement trouver le beau dans ce qu’il y a de laid dans la vie. Ce sont des choses qu’on faisait pas forcément avant en fait. C’est un peu le combat d’une génération.

Vanille : Oui, je le ressens beaucoup avec mes pairs. Là justement, c’est ce besoin de se réconforter, puis de de passer à travers une époque qui est difficile. Tu sais, c’était la COVID là… Désolé, je veux pas parler de ça encore, mais la pandémie m’a donné envie de faire des chansons qui allaient me faire du bien et faire du bien aux gens autour de moi. Plus que de juste faire du rock, j’avais envie de quelque chose de plus deep, là où j’ai senti quelque chose qui allait traverser les gens.

La Face B : Oui, parce que finalement ton premier album en est sorti en pleine pandémie….

Vanille : C’est des chansons que je traînais depuis que j’avais 18 ans, je l’ai sorti, j’avais 24 ans. C’était peut-être un peu plus justement naïf, c’était plus jeune, mais c’était des compositions qui étaient emmagasinés depuis longtemps, tandis que là, La clairière, c’est frais, c’est vraiment moi aussi parce que j’ai réalisé l’album et j’ai participé à chaque étape, autant de la composition, que des arrangements, du mix et tout, j’étais tout le temps-là. Puis je savais ce que je voulais entendre. Et les personnes avec qui j’ai travaillé étaient les doigts de fées pour arriver au au rendu finalement.

La Face B : D’ailleurs tu as travaillé avec Alexandre Martel (Anatole), qui est quelqu’un qu’on aime beaucoup. Qu’est-ce qu’il t’a apporté justement, parce que j’ai l’impression qu’il travaille sur plein de genres musicaux différents et que c’est quelqu’un qui apporte une espèce de regard extérieur mais qui est toujours à l’écoute des artistes avec qui il travaille.

Vanille : Exactement parce que je dois dire La clairière sonne pas comme d’autres albums qu’Alexandre Martel a produit. C’était une co-réalisation, il était très à l’écoute et très en retrait parce qu’il savait que c’était moi qui avait la place du devant tu sais, puis moi c’est ma première expérience de réalisation, et il était bon justement pour faire le pont entre les les musiciens et moi pour ce que je voulais atteindre. J’avais pas nécessairement l’expérience et il a été très respectueux, et vraiment d’une aide parfaite. D’ailleurs,je l’ai choisi pas vraiment par hasard, je l’ai choisi à cause du clavecin sur sur l’album, et Alexandre Martel, au Pantoum à Québec, a un clavecin et donc mon copain de l’époque m’a dit « Ah bin lui, il a un clavecin, tu devrais lui parler et je pense même qu’il serait bon pour t’aider avec ton album » puis j’ai tout de suite envoyé les maquettes et il a tout de suite été intrigué, puis a aimé ça. Je suis vraiment très sensible à cette co-réalisation, je trouve que c’était vraiment plaisant, puis j’aimerais peut-être travailler avec lui éventuellement aussi.

La Face B : J’ai une question sur la fin justement de l’album, je trouve que Quand la neige tombe c‘est quand même un morceau qui est qui sonne justement différemment du reste de l’album, qui est une espèce d’ouverture, même si t’en as pas parlé, je vous demandais si t’avais déjà commencé à travailler sur la suite…

Vanille : En fait, j’ai très envie d’en parler parce que ça m’excite beaucoup. J’ai déjà commencé un peu à travailler quelques trucs de façon très minimaliste là, mais j’ai déjà un titre d’album parce que j’ai décidé de partir d’un titre pour composer cette fois-ci. Et le titre, ça va être Un chant d’amour. J’ai envie de retourner du côté justement plus sunshine. Quand je pense à À bientôt, c’est peut-être celle qui va le plus guider le troisième album, j’ai envie que ça soit très ensoleillé justement, on revient plus du côté la côte ouest américaine, summer of love… Parce que là j’ai fait un album très introspectif et ça va pas être complètement évaporé, mais j’ai envie de faire quelque chose qui est complètement joyeux. Je me donne ce défi en fait, parce que je suis une personne justement très nostalgique et qui va plus facilement vers la tristesse. J’ai envie de faire quelque chose de super lumineux, puis je m’inspire beaucoup de Roger Nichols & The Small Circle of Friends. Je veux beaucoup de back beat bossa, il va avoir énormément d’harmonies vocales… Ça va être un peu Brian Wilson-esque, j’aime beaucoup, beaucoup, beaucoup Brian Wilson, que j’ai vu d’ailleurs deux fois en concert et j’ai pleuré (rires), fait que ouais j’ai envie de d’aller plus du côté-là, on va voir ce que ça va donner.

La Face B : Est-ce que il y a des choses récentes que t’as aimé et que t’as envie de partager ?

Vanille : J’ai un album que j’ai entendu il y a quelques semaines, c’est encore un album de 1968, mais c’est un album de Mark Eric qui s’appelle A Midsummer’s Day Dream. C’est très sunshine justement puis ça m’a vraiment inspiré et on dirait vraiment que le gars il trippait sur les Beach Boys, ça ressemble énormément mais c’est tellement bien fait et chaque chanson, mais me fait virevolter dans tous les sens-là c’est vraiment magnifique, je vous le recommande vraiment.

Crédit photos : Célia Sachet