Au sortir de leur concert à l’International le 12 novembre dernier, nous avons rencontré Varsovie. Le duo grenoblois qui célébrait l’arrivée de son album Pression à froid (Icy Cold Records). Petit échange sur la conception de l’opus avec Arnault Destal (batterie) qui écrit les textes portés par Grégory Catarina.
La Face B : Comment ça va ?
Arnault Destal : Ça va !
LFB : La pression s’exerce à froid chez Varsovie ?
Arnault Destal : En tout cas, notre dernier album est certainement celui qui a subi le traitement le plus froid. Musicalement et textuellement, nous voulions quelque chose de plus direct, tranchant, sans « digression ». Il est en phase avec la saison et pourra servir d’antidote les jours de canicule.
LFB : Qu’est-ce que tu entends par digression ? L’album permet de naviguer dans différents styles, certes toujours très froids – ce qui permet d’identifier assez bien vos influences -.
Arnault Destal : Suivant les morceaux, nous pouvons avoir envie de tirer sur la ficelle, de partir ailleurs, de sortir un peu du cadre qu’on s’était fixé, de faire durer en empruntant quelques détours. Ceux qui connaissent nos trois premiers albums verront de quoi je parle. Cette fois, nous avons veillé à trancher net une fois que l’essentiel était dit. Autant dans la musique que dans les textes, sans aller jusqu’à parler de minimalisme, nous voulions aller vers quelque chose de plus sec et direct que par le passé. Cela n’empêche pas que les morceaux restent, comme à chaque fois, assez variés, même si certains se répondent.
LFB : La noirceur est toujours au rendez-vous dans cet album, la lumière peine-t-elle à exister ou est moins inspirante ?
Arnault Destal : La noirceur pure serait de ne rien faire, de se laisser aller à sa pente. Il est peut-être moins sinistre de composer avec cette matière noire, pour tenter de la dépasser, de la transcender, que de se parer de fausses lumières. Quant à l’inspiration, nous ne ferions pas Varsovie si nous étions totalement en phase avec ce qui nous entoure. Il faut une certaine colère, un besoin de rectifier le tir, au moins symboliquement, donc une noirceur initiale. Mais il y a aussi ce désir, difficilement explicable, de partager des saisons mentales, de créer des espaces en marge, de lancer des invitations à traverser des paysages singuliers, et l’envie d’établir des connexions – étranges parfois. On peut dire que la noirceur est le fuel qui fait tourner la machine, mais c’est à nous de la faire fonctionner pour atteindre d’éventuelles strates supérieures.
LFB : Le contexte géopolitique a-t-il guidé l’écriture de certains textes ? Je pense notamment à The Ghost of Kyiv et Pochoden cislo jedna.
Arnault Destal : En partie. Perspective Nevski, dont le thème est inspiré par la phrase finale d’une nouvelle de Nicolaï Gogol, liée aux « fausses lumières » justement, a été écrit quelques semaines avant la guerre en Ukraine. Étrangement, le texte sonne comme un écho à la situation. Mais c’est une coïncidence ou une sorte d’intersigne.
Pochoden cislo jedna (et donc Jan Palach) est un sujet que j’avais en tête depuis des années. Il était temps de l’activer. The Ghost of Kyiv est effectivement directement lié au contexte. Vu notre passé en la matière, sur cette thématique précise, je nous voyais mal coller un petit drapeau sur Facebook pour la forme, puis zapper quand l’attention médiatique serait retombée. Nous avions déjà évoqué le sujet de la résistance, d’un point de vue microcosmique ou non, dans le cadre d’autres crises européennes beaucoup plus éloignées dans le temps.
Cette fois, ce n’est pas il y a 75 ans, comme l’Insurrection de Varsovie qui a partiellement donné notre nom, mais maintenant, sous nos yeux. Ça nous a paru naturel d’évoquer le sujet. Cela s’est fait par l’entremise d’une connaissance d’origine ukrainienne qui m’a mis en contact avec Daryna, réfugiée un temps dans notre ville, et qui a prêté sa voix. Cela dit, nous n’avons jamais été « un groupe à messages ». Nous n’avons aucune prétention en ce sens. Nous partons de faits qui nous touchent personnellement pour composer notre univers, mais nous ne distribuons pas des bons ou mauvais points. Dans tous les cas, ce sont des moments charnières qui relèvent d’enjeux plus grands que les événements eux-mêmes et, au-delà, révèlent des choses sur ce que nous sommes et sur les questions qui nous hantent.
LFB : En effet, vous n’avez jamais prétendu être un « groupe à messages » mais vous continuez à chanter en français – un parti pris très fort – ce qui est encore assez rare sur cette scène. Est-ce que le fait justement d’écrire des textes audibles par tous aussi forts et percutants ne nourrit pas une forme d’engagement ?
Arnault Destal : S’il y a un engagement, c’est de tendre vers une certaine authenticité et l’utilisation du français participe plus ou moins volontairement à cette dynamique. Au départ, c’est notre langue maternelle, voilà tout. Après, j’aurais l’impression de sonner un peu faux en anglais, étant donné les sujets qu’on aborde et les ambiances qu’on développe. En plus, je me sentirais limité d’utiliser comme langue principale une langue que je ne maîtrise pas totalement, poussant à utiliser des gimmicks, des formules réchauffées, etc. Quelque part, le français est un terrain de jeu plus excitant, puisque je maîtrise les règles, ou une bonne partie.
Et je n’ai rien contre l’anglais, comme je le dis à chaque fois. Parfois, selon le chant souhaité, il n’y a tout simplement pas le choix. On l’a déjà vaguement utilisé, vite fait, je le réutiliserai peut-être, çà et là. Au-delà de ça, on aime l’intervention d’autres langues dans nos morceaux, quand ça a un sens, et pas nécessairement l’anglais.
En tout cas, l’anglais possède cette souplesse que le français n’a pas. Le français est tellement difficile à adapter dans le rock, en général, que je suis obligé de trouver des stratagèmes pour que ça sonne sans sacrifier le sens. C’est aussi pour ça que je fais les lignes vocales, à l’inflexion près, en même temps que les textes, avant de les filer à Greg pour qu’il s’en empare. On ne pourrait quasi rien faire d’un texte brut en français, dans le vide, sinon de la récitation pure, mais il faut que tout s’imbrique, que tout se réponde et qu’à la fin tout ait l’air naturel, évident, simple.
Du coup, ce travail de « taille » préalable oblige certainement à nous démarquer un peu. Je sais que certains (en France) refusent catégoriquement de se pencher sur Varsovie uniquement parce que nous chantons en français. Un peu comme s’il y avait un loi obligeant l’anglais et l’uniformisation dans ce style de musique. Rien que pour ça, ça donne envie de continuer dans cette voie.
LFB : Petite fantaisie sur Pochoden cislo jedna où c’est carrément du tchèque – le reste de la chanson est en français – ! Peux-tu m’en dire un peu plus sur la genèse du morceau ?
Arnault Destal : Jan Palach est un étudiant tchèque qui s’est immolé par le feu à Prague en 1969, après diverses tentatives de réveiller « la majorité silencieuse » devant l’invasion soviétique – entre autres. Il a signé son geste par « Torche numéro 1 » (Pochoden cislo jedna), car d’autres devaient suivre. Certains ont suivi. Cette figure me hante depuis pas mal d’années, j’avais lu pas mal de choses sur son parcours, notamment quant à ses réflexions intimes et le déroulé de ses dernières journées. Bref, je savais que j’écrirai quelque chose à partir de là, un jour, mais ce jour a mis du temps à venir.
Puis, j’avais ces images, issus de témoignages, de personnes qui avaient littéralement tenté de l’éteindre, les uns après les autres, comme dans une chorégraphie un peu folle. Puis, je ne sais plus quand, Greg a sorti ce riff de basse sur un de mes rythmes. Je l’ai enregistré et en le réécoutant chez moi tout s’est aligné dans une sorte de déclic. Le thème ouvrait pas mal de perspectives à différents niveaux.
LFB : Tes chansons, quand elles ne font pas référence à des œuvres littéraires, parlent souvent d’événements passés. Est-ce que tu penses réussir à te projeter dans le futur ou l’instabilité du présent te pousse à creuser dans le passé ?
Arnault Destal : Le passé a quelque chose de rassurant, parce qu’il ne bouge pas trop. Enfin je crois. Mais forcément, même lorsque l’on s’inspire d’événements qui ont eu lieu avant-hier, ils font partie du passé. Quant aux références, souvent je brode autour dans une version actualisée, je parle rarement directement d’une œuvre. Je pars d’un élément minuscule, parfois, pour aller totalement ailleurs. Cela dit, beaucoup de nos morceaux sont au présent. Et les événements se déroulent en permanence sous nos yeux à chaque écoute, avec des variations certainement. Je ne pense pas qu’il y ait vraiment de règles de temporalité dans Varsovie. Je pense même que certains morceaux évoquent un certain futur. Un futur avec une drôle de tête parfois, mais un futur tout de même.
LFB : Pourquoi avoir opté pour une couverture sans figure féminine voire humaine au profit d’un chat ?
Ça faisait un moment que nous comptions rompre avec les figures féminines, mais elles revenaient à la charge un peu malgré nous. Comme pour les albums précédents, il n’y avait aucune idée spécifique pendant le processus de création. Nous venions de valider le titre de l’album, la plupart des morceaux étaient quasiment terminés, et en commençant à traquer des pistes d’artistes avec qui collaborer, je suis tombé sur cette photo de Sotiris Lamprou. Elle s’alignait parfaitement avec l’esprit de l’album, avec notre état d’esprit. Les connexions semblaient évidentes. Par chance, ce photographe grec a accroché à notre musique et a immédiatement accepté.
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